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Full text of "Chronique de Abou Djafar-Moʻhammed-ben Djarir-ben-Yezid Tabari"

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CHRONIQUE 


bK 


AIU)i:-J)J\r\n-UOIlAMMED-Bfc;N-DJAHIH-BEN-YKZID 


TABARI. 


PRIKTED 
FOR  THE  ORIENTAL  TRANSLATION  FUNF) 

OF  GREAT  DRITAIN  AND  IRKLAMD 

AND    8  0  L I) 

AT    THR    K.    ASIATIC    SOCIETY'S    HOUSE, 

H"  sa,  ALBEMARLB  8TRKET.  LODOR. 


CHRONIQUE 


DE 


ABOn-DJAFAR-MCrHAMMED-BEN-DJARIR-BKN-YEZID 


TABARI, 


«    *  #    .  ' 


TRADUITE 


SUR    LA   VERSION    PERSANE    D'ABOU-'ALI    MO'HAMMËD    BEL'AMI, 


D'APRES    LKS   MANUSCRITS 


DE   PARIS,   DE  (lOTHA.   DE  LONDRES  ET  DE  CANTERBURY, 


PAR 


M.  HERMANN  ZOTENBËBG. 


TOME  DEUXIÈME. 


PARIS. 

IMPRIMERIE   IMPERIALE. 


M  DCCC  LXIX. 


AVERTISSEMENT. 


Aux  manuscrits  que  j'ai  eus  à  ma  disposition  pour  la 
traduction  de  la  première  partie  de  celle  Chronique,  el 
dont  j'ai  donnc^  la  lisle  en  léle  du  premier  volume,  esl 
venu  s'ajouler,  pour  celle  deuxième  parlie  el  pour  les 
parlies  suivantes,  un  nouvel  exemplaire  acquis  récemment 
par  la  Bibliothèque  impériale.  Ce  manuscrit,  assez  mo- 
derne, qui  porte  maintenant  le  numéro  166  du  Supplé- 
ment persan,  et  que  j'ai  désigné  par  la  lettre  L,  m'a  fourni 
quelques  bonnes  leçons.  J'ai  fait  usage,  en  outre,  d'un 
volume  du  texte  arabe  de  Tabari  (ancien  fonds  arabe  de 
la  Bibliothèque  impériale,  if  697),  qui  renferme  l'his- 
toire de  plusieurs  règnes  des  rois  Sassanides  et  les  événe- 
ments correspondants  de  l'histoire  arabe.  A  l'aide  de  ce 
manuscrit,  j'ai  pu  corriger  plusieurs  fautes  évidentes  du 
texte  persan.  J'ai  cherché  aussi  à  rétablir,  autant  que  cela 
m'a  été  possible,  les  véritables  formes  des  noms  propres, 
qui,  dans  les  manuscrits  persans,  sont  presque  toujours 
corrompus.  Ces  changements  ont  été  indiqués  dans  les 
notes,  à  la  fin  du  volume. 


Il  AVERTISSEMENT. 

Qu'il  nip  soit  encore  permis  de  faire  remarquer  qu'il 
n'entre  pas  dans  le  plan  de  cette  publication  d'offrir  dans 
des  notes,  en  dehors  du  texte,  des  rapprochements  littc^- 
raires  ou  autres,  que  le  lecteur  peut  facilement  faire  lui- 
même. 

H.  Z. 


CHRONIQUE 
DE    MOHAMMED    BEN    DJARÎR 

TABARI. 


DEUXIÈME  PARTIE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

HISTOIRE  D'ARDESCUIR,   FILS  DE  BABEK. 

Nous  înons  dit  prér<»domnienl  que,  depuis  Fépoque  de 
Dson*l-Oûrnaïii  Alexandre  jusqu'au  temps  d'Ardeschîr,  fils  de 
BaLek,  cet  empire  [de  Perse]  était  divisé  en  deux  moitiés.  La 
contrée  au  delà  du  Tigre  était  sous  le  pouvoir  des  Grecs,  des 
Ploléniées,  comme  nous  les  avons  désignés,  et,  après  ceux-ci, 
sous  le  pouvoir  des  Romains.  Les  uns  et  les  autres  régnaient 
sur  toute  la  contrée  jusqu'au  Tigre.  Le  premier  [des  empe- 
reurs romains]  fut  Auguste.  Dans  la  quarante-deuxième  année 
de  son  rogne  naquit  Jésus,  et,  après  cet  événement,  il  vécut 
encore  quatorze  ans.  Il  régna  en  tout  cinquante-six  ans.  Son 
fils  Tibère  lui  succéda.  L'ascension  de  Jésus  au  ciel  et  le 
meurtre  de  Jean,  fils  de  Zacharie,  eurent  lieu  pendant  son 
règne.  Tibère  se  fit  cbrétien. 

Le  royaume  de  Syrie  et  celui  de  Roum  ne  formèrent  qu  un 
11.  1 


•2  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

seul  empire.  Les  rois  se  succédèrent  et  régnèrent  sur  le  pays 
de  Roum  et  la  Syrie,  jusqu'au  temps  de  notre  Prophète.  Le 
dernier  de  ces  rois,  lorsque  notre  Prophète  parut,  (Hait  Hëra- 
clius,  auquel  notre  Prophète  adressa  une  lettre. 

Quant  à  la  contrée  située  en  deçà  du  Tigre,  elle  était,  après 
Alexandre,  au  pouvoir  des  rois  des  Provinces.  Les  rois  Asch- 
kaniens  possédaient  la  partie  située  entre  le  Tigre  et  la  ville 
de  Rci  ;  et  ce  c&ié-ci  du  pays,  depuis  Reï  jusqu'à  la  frontière 
des  Turcs  et  jusqu'au  fleuve  Djihoun,  appartenait  aux  rois 
des  Provinces. 

Lorsque  les  rois  Aschkaniens  (nous  avons  indiqué  plus  haut 
leurs  noms  et  la  durée  du  règne  de  chacun  d'eux)  eurent 
cessé  de  régner,  les  Arabes  occupèrent  leur  place.  En  efl*et , 
les  Arabes  avaient  été  très- gênés  dans  le  désert,  dans  le 
'Hedjàz  et  dans  le  Yemen.  Alors  ils  vinrent  et  se  fixèrent  dans 
le  Ba^hraïn  et  dans  le  Yemâma  ;  et  lorsque  les  rois  Aschkaniens 
quittèrent  l'^Iràq,  les  Arabes  sortirent  du  territoire  de  Koufa 
et  de  'IlJra,  et  occupèrent  l'^Frâq,  à  la  place  des  Aschkaniens. 
Mais  la  domination  des  Arabes  ne  comprenait  pas  tout  le  ter- 
ritoire des  Aschkaniens;  ils  ne  purent  pas  s'emparer  du  pays 
situé  de  ce  côté-ci  du  Tigre,  entre  ce  fleuve  et  la  ville  de 
Reï;  mais  ils  s'étendirent  jusqu'à  la  hauteur  de  'Holwàn,  à  la 
frontière  de  Tlràq  et  du  Sawâd.  Ce  qui  est  situé  en  deçà  de 
*Holwân,  jusqu'au  fleuve  Djihoun,  resta  au  pouvoir  des  rois 
des  Provinces.  Ceux-ci  ne  prêtaient  pas  obéissance  aux  Arabes , 
et  les  Arabes,  de  leur  côté,  ne  pouvaient  rien  contre  eux.  Les 
Arabes  occupaient  toute  la  contrée  depuis  le  Tigre  jusqu'à 
*Hira  et  Anbâr,  tout  le  pays  de  l'^Irâq  jusqu'aux  frontières  de 
la  Syrie.  La  Syrie  avec  le  pays  de  Roum  formaient  l'empire 
des  Romains. 

Cette  division  du  monde  dura  jusqu'à  l'avènement  d'Ar- 


PARTIE  H,  CHAIMTHK  I.  3 

desckir,  qui  soumit  les  rois  des  Provinces  et  leur  enleva  Tem- 
|)ire  depuis  les  bords  du  Tigre  jusqu'à  ^Holwân.  Il  se  rendit 
maître  également  des  pays  habités  par  les  Arabes,  de  T'Irâq , 
du  territoire  arrosé  par  le  Tigre  et  du  royaume  de  Babylone; 
il  les  chassa  de  T'Iràq,  du  Sawàd  et  des  territoires  de  *Hira  et 
de  Koufa,  et  les  confina  dans  le  désert,  dans  le  ^Hedjàz  et  dans 
le  Ba'hraïn,  où  ils  durent  reconnaître  son  autorité*  Ardeschir 
chercha  également  à  enlever  la  Syrie  aux  Romains,  mais  il 
n  y  put  parvenir,  et  la  Syrie  et  le  pays  de  Uoum  restèrent  aux 
rois  de  Roum.  Aucun  des  rois  de  Perse  qui  succédèrent  à 
Ardeschir  ne  put  s'emparer  de  la  Syrie  :  ce  pays  resta  uni  à 
Tempire  romain,  depuis  Tépoque  où  Jésus  monta  au  ciel 
jusqu'au  temps  de  notre  Prophète.  Le  premier  de  leurs  rois 
fut  Tibère  et  le  dernier  Héraclius:  entre  ces  deux  rois  s'écoula 
un  espace  de  temps  de  cinq  cent  quatre-vingt-cinq  ans. 
L'auteur  dit  qu'il  y  eut  pendant  cette  période  cinquante -cinq 
rois  qui  régnèrent  sur  le  pays  de  Roum  et  sur  la  Syrie;  il 
indique  également  la  durée  du  règne  de  chacun  d'eux,  à  sa- 
voir : 

Le  premier  fut  Tibère.  Après  lui ,  Auguste  régna  vingt-trois 
ans.  Dans  la  dix-huitième  année  de  son  règne,  Jésus  monta  au 
ciel;  après  cet  événement  Auguste  régna  encore  cinq  ans.  11 
eut  pour  successeur  son  fds  Calîgula,  qui  régna  quatre  ans.  Un 
autre  fils  de  Tibère  lui  succéda,  qui  régna  également  quatre 
ans.  Après  lui  régna  un  roi  nommé  Néron,  pendant  quatorze 
ans.  Ce  fut  ce  Néron  que  les  deux  apôtres  que  Jésus  avait 
envoyés  à  Rome  appelèrent  à  la  religion  de  Jésus.  U  les  lit 
mettre  en  croix,  la  tête  en  bas,  et  ils  moururent.  Lui-même 
mourut  immédiatement  après.  R  eut  pour  successeur  un  roi 
nommé  Vitellius,  qui  régna  quatre  mois.  Après  lui  vint 
Vespasien,  qui   fut  chrétien   et  régna  trois  ans.   Vespasien 


I . 


h  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

envoya  son  (ils,  nommé  Titus,  à  Jérusalem ,  aGn  qu'il  détruisit 
la  ville  et  le  temple,  et  qu'il  massacrât  les  enfants  d'Israël, 
pour  venger  sur  eux  ce  qu'ils  avaient  fait  à  Jésus.  Titus  fit 
ainsi.  Il  monta  sur  le  trône  après  son  père,  et  régna  deux  ans. 
Il  eut  pour  successeur  un  roi  nommé  Domitien,  qui  régna 
seize  ans.  Après  lui  vint  un  roi  nommé  Hadrien ,  qui  régna 
vingt  et  un  ans.  A  Hadrien  succéda  un  roi  nommé  Antonin , 
qui  régna  sept  ans.  Celui-ci  eut  pour  successeur  Marcianus 
(Marc  Aurèlc),  qui  régna  six  ans.  Ensuite  régna  Septimus 
(Septime  Sévère),  quatre  ans;  ensuite  Alexandre,  treize  ans; 
ensuite  Maximin,  trois  ans;  puis  Gordien,  six  ans;  Philippe, 
sept  ans;  Dèce,  six  ans;  après  lui  Cacus  (Gallus?),  cinq  ans; 
ses  fils,  quinze  ans;  Trébonien,  un  an  et  demi;  Emilion, 
six  mois;  Vaiérien,  vingt- cinq  ans;  Carus  et  ses  fils,  deux 
ans;  Galerius,  six  ans;  Licinius,  dix  ans;  Constantin,  trente 
ans;  Constance,  vingt  ans;  Julien,  deux  ans;  Jovien,  un  an; 
Théodose  I",  dix-sept  ans;  puis  deux  rois  nommés  Arca- 
dius  et  Honorius,  vingt  ans;  ensuite  Théodose  le  Jeune  et 
Valentinien,  seize  ans;  puis  Marcien,  sept  ans;  Léon,  seize 
ans;  Tibère,  six  ans;  Maurice,  dix  ans;  ensuite  son  fils  Phocas, 
sept  ans  et  six  mois.  Son  fils  fut  Héraclius ,  qui  régna  trente 
ans.  C'est  sous  le  règne  de  ce  dernier  qu'eut  lieu  l'avènement 
de  noire  Prophète,  qui  lui  adressa  une  lettre,  et  lui  envoya 
un  messager. 

Depuis  l'époque  de  Nabuchodonosor,  qui  avait  détruit 
Jérusalem  pour  la  première  fois,  avant  le  temps  où  vivait 
Alexandre,  jusqu'à  la  fuite  de  notre  Prophète,  il  s'est  écoulé 
un  espace  de  temps  de  plus  de  mille  ans;  depuis  Alexandre 
jusqu'au  temps  de  notre  Prophète,  neuf  cent  vingt-six  ans; 
depuis  Alexandre  jusqu'à  la  naissance  de  Jésus,  trois  cent 
trois  ans«  Depuis  la  naissance  de  Jésus  jusqu'à  son  ascension 


PARTIE  II,  CHAPITRE  ï.  5 

au  ciel,  après  qu  il  eut  exercé  la  fonction  de  prophète  au  mi- 
lieu des  hommes  pendant  trois  ans,  il  s'est  passe  trente-trois 
ans.  Depuis  l'ascension  de  Jësus  jusqu'au  temps  de  notre  Pro- 
phète, il  s'est  écoulé  un  espace  de  cinq  cent  quatre-vingt- 
cinq  ans. 

Nous  avons  indiqué  qu'après  Alexandre  l'empire  de  tous 
les  pays  situés  au  delà  du  Tigre,  jusqu'à  la  Syrie  et  l'Occident, 
avait  appartenu  aux  Grecs,  puis  aux  Romains,  jusqu'à  l'époque 
de  notre  Prophète;  nous  allons  maintenant  faire  connaître 
l'état  de  l'empire  en  deçà  du  Tigre. 

Nous  avons  dit  que  la  contrée  située  entre  le  Tigre  et  la 
ville  de  Reï  fut  sous  le  pouvoir  des  Aschkanicns,  et  que  les 
rois  des  Provinces  gouvernèrent  depuis  Reï  jusqu'aux  bords 
du  Djihoun.  Les  rois  des  Provinces  respectèrent  beaucoup  h^s 
Aschkauiens ,  parce  qu'ils  descendaient  d'Aschk,  fils  de  Dârâ; 
mais  ils  ne  leur  donnèrent  pas  l'empire.  Ils  leur  abandon- 
nèrent le  gouvernement  du  pays  entre  le  Tigre  et  Reï,  et  ne 
leur  demandèrent  ni  des  biens  ni  le  pouvoir.  Les  Aschkaniens, 
de  leur  côté,  ne  demandèrent  pas  obéissance  aux  rois  des 
Provinces  et  ne  les  molestèrent  en  aucune  façon;  seulement, 
quand  un  ennemi  menaçait  le  royaume  des  Aschkaniens,  ils 
réclamaient  des  rois  des  Provinces  une  armée,  que  ceux-ci 
envoyaient  de  bonne  grâce. 

Du  temps  des  rois  Aschkaniens,  il  ne  se  trouvait  aucun 
Arabe  sur  le  territoire  de  l"Iràq.  Les  Arabes  étaient  tous  ren- 
fermés dans  le  ^Hedjàz ,  dans  le  désert  et  dans  le  Yemen,  sauf 
cette  portion  que  Nabuchodonosor,  avant  l'époque  d'Alexandre, 
dans  la  guerre  qu'il  fit  aux  Arabes,  avait  faits  prisonniers  et 
qu'il  avait  amenés  dans  T'Irâq.  Ce  furent  les  descendants  de 
Ma'ad  ben-'Adnân,  qu'il  établit  à  ^Hira  et  dans  l'Anbâristân. 
Anbar  est  une  des  villes  de  l"lrâq;  on  dit  qu'elle  est  appelée 


0  CHRU.MQLE  DE  TABARI. 

ainsi  parce  que  .\abucliodoDosor  y  avail  retiferiiié  les  pri- 
sounie^s  arabes,  avec  l'ordre  d'y  resler;  d'autres  disent  qu'elle 
porte  ce  nom  parce  qu'elle  é(ail  le  dépôt  gënëral  des  anciens 
rois  de  Perse,  ou  des  Aschkaniens,  ce  qui  est  plus  exact;  car 
les  anciens  rois  de  Perse  n'y  avaient  pas  leur  résidence.  Les 
rois  Aschkaniens  y  conservaient  le  blé  du  Sawàd  et  y  distri- 
buaient des  provisions  à  l'armée;  après  eux,  les  (iOsi*oè$  y 
avaient  également  leurs  magasins  de  blé.  11  n'y  avait  donc 
dans  l'Mrâq  des  Arabes  que  ceux  qui  demeuraient  à  Anbàr,  de 
la  tribu  de  Ma^ad,  fils  d'^Adnân,  descendants  de  ceux  que 
Nabuchodonosor  avaient  emmenés  de  l'Arabie  comme  prison- 
niers. Les  autres  Arabes  étaient  tous  dans  le  ^Hedjàz,  dans  le 
désert,  à  la  Mecque  et  dans  le  Yemen.  Là  ils  avaient  à  sogffrir 
du  manque  de  vivres  et  de  guerres  intestines  :  alors  ils  se  dis- 
persèrent dans  le  monde.  Une  partie  considérable,  des  rois 
arabes  et  des  chefs  du  ^Hetljâz,  sortirent  donc  de  leur  pays, 
mais  ils  n'osèrent  pas  entrer  dans  Plràq,  redoutant  les  rois 
Aschkaniens.  Ils  s'établirent  dans  le  Ha'hraïn  et  dans  le  Ye- 
mâma.  Yemâma  est  un  endroit  dans  le  désert,  comprenant  un 
grand  nombre  de  villes, dont  l'une  s'appelle  Hadjr,  une  autre 
La'hnâ,  et  sept  ou  huit  autres  qui  aujourd'hui  sont  occupées 
par  les  Caramathes. 

Beaucoup  de  chefs  arabes  se  rassemblèrent  à  Ba^hraïn. 
Parmi  eux  il  y  avait  deux  frères  de  la  famille  des  Benf-Temini , 
de  la  tribu  de  Qodhâ^a,  nommés  Mâlek  et  ^Vmrou,  fils  de 
Fahm,  fils  de  Temim,  fils  de  Taïm-Allah;  un  autre,  nommé 
Mâlek,  fils  de  Zohair,  fils  de  Fahm,  fils  de  Taïm-Allah,  leur 
cousin;  un  autre, nommé Khanfâr,  fils  de  Konos,  fils  d"Amrou, 
fils  de  Ma^ad,  fils  d'^Adnân;  un  autre,  nommé  Ghatafàn,  fils 
d'Iyâd;  un  autre,  nommé  Zohaïr,  fils  d'Al^hârelh  ;  un  autre, 
nommé  Çâli'h,  fils  de  Çoubh,  fils  d'Arhareth.  Avec  chacun 


PARTIE  II.  CHAPITRE  I.  7 

de  ces  chefs  arriva  une  masse  considérable  d'hommes.  Ils  se 
fixèrent  donc  dans  le  Ba^hraïn ,  à  la  frontière  de  PIràq ,  qu'ils 
n'osèrent  franchir,  redoutant  les  rois  Aschkaniens  et  les  rois 
des  Provinces,  leurs  alliés,  et  ils  demeurèrent  là. 

Outre  ceux-là,  il  y  avait  un  autre  prince,  nommé  Djadstma, 
fils  de  Màlek,  fils  de  Fahm,  fils  de  Ghounm,  fils  de  Dous, 
TAzdite.  Il  était  roi,  comme  son  père.  Il  avait  le  surnom  de 
Djadsima  al-Abraç,  parce  quil  était  lépreux  sur  tout  son 
corps;  mais  les  Arabes,  par  respect,  rappelèrent  Djadsima 
al-Abrasch ,  ou  encore  Djadsfma  al-Waddhà^h.  Lui  aussi  avait 
été  gêné  dans  le  désert,  et  ce  Màlek,  fils  de  Zohaïr,  qui  était 
venu  dans  le  Ba^hraïn,  lui  avait  envoyé  une  lettre  et  Tavait 
invité  à  venir  dans  le  Ba^hraïn.  Alors  il  y  vint  avec  tout  son 
peuple  des  Azdites.  Màlek,  fils  de  Zohaïr,  lui  fit  accueil  et  lui 
donna  sa  sœur  en  mariage. 

Tous  ces  chefs  arabes  demeuraient  ensemble  dans  le  Ba^h- 
raïn  et  y  vivaient  dans  Tabondance.  Ils  s'engagèrent  récipro- 
quement à  se  prêter  aide  dans  le  cas  où  ils  seraient  attaqués 
par  les  rois  Aschkaniens  ou  par  les  Arabes  du  Yemen ,  et  à 
ne  pas  s'abandonner.  On  les  appela  Tounoukhides;  car  tou- 
noukh ,  en  langue  arabe ,  signifie  rr  station,  t)  Us  restèrent  dans  le 
Ba^hraïn  plusieurs  années.  De  temps  en  temps,  quelques-uns 
d'entre  eux  se  rendaient  dans  l'^Iràq ,  dans  le  territoire  d'Anbâr, 
vers  ces  Arabes  qui  y  étaient  établis,  les  descendants  des  captifs 
de  Nabuchodonosor  ;  ils  en  rapportaient  des  vivres  et  des  in- 
formations concernant  les  rois  Aschkaniens.  Après  un  certain 
temps,  ces  derniers  étant  tombés,  ils  furent  remplacés  dans 
l'empire  par  des  hommes  qu'on  appela  Aramànyàn  (Aramécns), 
et  qui  descendaient  d'^Ad  et  de  Themoud.  Tous  ceux  qui  des- 
cendent d'^Ad  sont  appelés  Araméens,  parce  que ^ Ad  était  fils 
.d'Aram.  fils  de  Sem.  Les  commentateurs  du  Coran  disent  que 


8  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

le  Coran  rattache  ^Ad  à  Iraiii,  parce  qu'il  était  fils  d'Arain,  et  il 
dit  :  rriram  aux  grandes  colonnes. t)  (Cor.  sur.  lxxxix,  vers.  C.) 
Ce  furent  des  rois  de  ces  deux  tribus  qui  remplacèrent  les 
Ascbkaniens,  et  ils  portèrent  le  nom  d'Araméeus.  Leurs  noms 
et  la  durée  du  règne  de  chaque  roi  ne  sont  pas  mentionnés 
dans  ce  livre,  parce  que  leur  empire  n'eut  qu'une  très-courte 
existence.  Ils  eurent  des  guerres  avec  les  rois  des -Provinces, 
qui  leur  disputèrent  le  règne,  et  il  y  eut  aussi  des  guerres 
entre  eux-mêmes. 

Lorsque  les  Arabes  du  Ba^hraïn  virent  ces  tl^oubles  et  qu'ils 
apprirent  que  les  Araméens  ne  pourraient  pas  se  maintenir 
dans  la  possession  de  l'Iraq,  et  que  les  rois  des  Provinces  ne 
leur  prêteraient  pas  obéissance,  ils  sortirent  du  Ba'liraïn, 
s'établirent  à  Anbâr  et  dans  F'Iràq,  et  enlevèrent  ce  pays  aux 
Araméens.  Les  Aabatéens,  qui  aujourd'hui  habitent  le  Sawâd 
et  les  villages  de  l'^Iràq,  descendent  tous  de  ces  Araméens, 
qui,  lorsque  les  Arabes  leur  enlevèrent  l'empire,  se  disper- 
sèrent et  se  firent  cultivateurs. 

Le  premier  d'entre  les  Arabes  du  Ba'^hraïn  qui  entra  dans 
r^Iràq  fut  Kbanfâr,  suivi  de  tout  son  peuple.  Ensuite  vinrent 
Mâlek  et  ^Amrou  et  leur  peuple;  puis  Màlek,  fils  de  Zoliaïr, 
et  Djadsima,  avec  leur  peuple;  puis  Cliatafân,  fils  d"Anirou. 
Plusieurs  de  ces  rois  amenèrent  une  armée  considérable  et 
se  rassemblèrent  à  4Iira;  de  là  ils  se  dirigèrent  vers  Anbâr. 
Les  Arabes  qui  habitaient  Anbàr  les  favorisèrent  jusqu'à  ce 
qu'ils  eussent  enlevé  l'empire  aux  Araméens.  Ils  s'emparèrent 
de  ^Hira,  d'Anbàr,  de  Mossoul  et  de  la  Mésopotamie  jusqu'à 
'Holwàn.  Le  territoire  qui  s'étend  depuis  'Holwàn  jusqu'à  lla- 
madàn,  Reï,  Ispahân ,  Djebâl,  Koumesch  et  le  Khoràsan  jus- 
qu'aux bords  du  Djihoun,  était  en  la  possession  des  rois  des 
Provinces,  qui  étaient  tous  Persans  et  ne  reconnaissaient  p«i8 


PARTIE  II,  CHAPITRE  I.  9 

rautorité  des  Arabes.  L'^Irâq  et  le  Sawâd  restèrent  entre  les 
mains  des  Arabes,  qui  étaient  en  guerre  perpétuelle  entre 
eux,  comme  c  est  leur  coutume.  Les  rois  des  Provinces  étaient 
indépendants  des  Arabes,  et  ceux-ci  étaient  indépendants  des 
rois  des  Provinces  :  ils  ne  s'inquiétaient  pas  réciproquement. 
Les  cboses  restèrent  en  cet  état  jusqu'à  l'arrivée  dans  T'Irâq 
de  plusieurs  tribus  arabes  du  Yemen,  d'^Aden,  des  tribus  de 
Lahyàn,  de  Djorhom,  de  Kilâb  et  de  Temim,  sous  la  con- 
duite du  Tobba^As^ad  abou-Kereb.  Ce  Tobba^  traversa  Tlràq 
et  vint  à  ^Hira  e(  à  Anbâr.  Dans  chaque  ville  il  laissa  une 
partie  des  Arabes  de  ces  tribus,  de  sorte  que  Plràq  fut  rempli 
d'Arabes.  I^es  rois  des  Provinces  ne  les  attaquèrent  point,  et 
r^Irâq  resta  en  leur  possession,  tandis  que  le  territoire  en  de^à 
de  4Iolwàn  resta  aux  rois  des  Provinces,  jusqu'à  l'avènement 
d'Ardeschir,  fds  de  Bàbek,  qui  leur  prit  la  Perse,  ainsi  que 
r^Irâq  aux  Arabes.  Aussi  longtemps  que  les  Arabes  occupèrent 
T'Iiàq,  ils  lurent  en  guerre  entre  eux.  L'auteur  de  cet  ouvrage 
donne  les  noms  de  ces  rois  arabes  et  raconte  leurs  guerres 
et  quelques-uns  des  événements  qui  se  passèrent  sous  leur 
règne. 

On  dit  que  le  premier  roi  fut  Màlek,  fils  de  Fahm,  fils  de 
Taïm-Allah,  qui  s'empara  de  l'Iraq  et  laissa  le  territoire  situé 
de  ce  côté-ci  de  MIolwàn  aux  rois  des  Provinces.  Il  établit  sa  ré- 
sidence àUIira.  Les  rois  arabes  dePIràq  étaient  tous  idolâtres, 
tandis  que  les  souverains  de  la  Syrie  et  de  Itou  m  professaient 
la  foi  de  Jésus,  le  christianisme.  Ils  conservèrent  la  religion 
de  1  Évangile  un  grand  nombre  d années.  Plus  tard,  les  rois 
de  Syrie  s  adonnèrent  au  paganisme.  (Juant  aux  Arabes,  ils 
étaient  tous  idolâtres,  (juand  Màlek,  fils  de  Fahm,  monta  sur 
le  trône,  il  promulgua  l'idolâtrie,  et  tous  l'acceptèrent.  Màlek 
eut  pour  successeur  son  frère  'Amrou,  fils  de  Fahm;  Dja- 


10  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

dsima  al-Abrasch  succéda  à  ce  dernier.  Les  règnes  de  Màiek 
et  d'^Amrou  n'eurent  qu  une  courte  durée;  celui  de  Djadsîma 
dura  plus  longtemps.  Maintenant  nous  allons  donner  le  réci^ 
des  faits  et  gestes  de  chacun  de  ces  rois,  et  des  guerres  qu'il 
y  eut  entre  eux. 

CHAPITRE  11. 

HISTOIRE  DE  DJÂDSIHA   ÂL-ABRÂSCH.       • 

Lorsque  Djadsîmu  monta  sur  le  trône,  tous  les  rois  arabes 
de  PIrâq,  du  ^Hedjàz  et  du  Ba^hraïn  reconnurent  son  auto- 
rité; mais  ceux  de  Rouni,  du  Yemen  ot  les  rois  des  Pro- 
vinces ne  lui  furent  pas  soumis.  Par  ses  qualités  et  son  pou- 
voir, il  était  supérieur  à  tous  les  rois  arabes.  II  entreprit  un 
grand  nombre  de  guerres.  Nous  allons  raconter  une  de  ces 
guerres. 

Une  partie  de  la  tribu  d'Iyàd  demeurait  près  d'une  source, 

sur  le  territoire  de  Djadsima,  à  la  frontière  du  Sawàd.  Cette 

source  élait  appelée  'Ain  Obàgh.  Obàgh  était  le  nom  d'un 

homme  d'entre  les  Amalécites  qui  avait  creusé  cette  source  et 

fondé  un  grand  nombre  de  villages  autour  d'elle.  Les  Arabes 

qui  y  demeuraient  étaient  de  la  (ribu  d'iyâd,  parents  de  Dja- 

dstma,  dont  la  mère  élait  de  cette  tribu,  tandis  que  son  père 

appartenait  à  la  tribu  d'Azd.  11  y  avait  parmi  eux  un  chef 

nommé  Naçr,  fils  de  Rabi'a,  fils  d"Amrou,  fils  de  'Hàretb, 

fils  de  Mas'oud,  fils  de  Màlek,  fils  de  Nomàra,  de  la  tribu 

de  Lakhm.  La  tribu  de  Lakhm  était  très-puissante  parmi  les 

Arabes;  et  ces  lyâdites,  qui  demeuraient  près  de  la  source, 

étaient  tous  de  cette  tribu  ;  ils  avaient  pris  pour  chef  Naçr, 

fils  de  Rabfa.  Celui-ci  avait  un  fils  nommé  'Adi,  qui  était  un 


PARTIE  II,  CHAPITRE  IL  11 

jeune  homme  si  beau,  quon  ne  trouvait  pas  son  égal  parmi 
les  Arabes  de  T'Iràq,  du  Ba'hraïn  et  du  'Hedjàz.La  réputation 
de  sa  beauté  arriva  jusqu'à  Djadsima.  Celui-ci  envoya  un  mes- 
sager à  celte  tribu  alin  qu  on  lui  envoyât  ^Adi,  fils  de  Naçr, 
qu  il  voulait  traiter  comme  s'il  était  son  fils.  Les  Arabes  refu- 
sèrent d'obtempérer  à  son  désir.  Djadsima  renouvela  sa  dé- 
marche et  leur  fit  dire  :  Il  y  a  des  liens  de  parenté  entre  vous 
et  moi  du  côté  de  ma  mère;  il  ne  faut  pas  que  la  guerre 
éclate  entre  nous  à  cause  de  ce  jeune  homme.  Les  lyâdites 
refusèrent  encore.  Alors  Djadsima  rassembla  une  armée  et 
les  attaqua. 

Djadsima  avait  deux  idoles  d'or,  qu'il  appelait  Dhahan  et 
qu'il  adorait.  Quand  il  entreprenait  une  guerre,  il  les  empor- 
tait avec  lui,  dans  la  pensée  qu'elles  lui  procuraient  la  vic- 
toire. Il  pratiquait  aussi  la  magie  et  la  divination.  Djadsima, 
avec  sa  nombreuse  armée,  arriva  auprès  des  lyâdites  et  établit 
un  camp.  H  fit  dresser  une  tente  de  brocart  pour  ses  idoles, 
et  la  fit  garder  par  dix  hommes.  Quand  il  se  mit  en  marche,  il 
fit  attacher  chaque  idole  sur  un  chameau,  et  les  dix  gardiens 
se  tinrent  autour  des  idoles.  Quand  il  fut  en  présence  des 
lyâdites,  ceux-ci  n'avaient  à  lui  opposer  qu'une  armée  infé- 
rieure en  nombre  à  la  sienne,  et  ils  reconnurent  qu'ils  ne 
pourraient  pas  lui  résister.  Ils  envoyèrent  donc,  pendant  la 
nuit,  dix  hommes  qui  enivrèrent  les  gardiens  des  idoles  et 
qui  enlevèrent  les  idoles  et  les  portèrent  dans  leur  tribu.  Le 
lendemain,  ils  envoyèrent  un  messager  à  Djadsima,  avec  ce 
message  :  Tes  dieux  sont  venus  vers  nous  et  nous  ont  dit 
que  tu  as  commis  beaucoup  de  violences;  ils  nous  ordonnent 
de  te  faire  la  guerre;  ils  nous  ont  promis  la  victoire  sur  toi  et 
leur  protection.  Donc,  si  tu  veux  la  guerre,  nous  la  ferons; 
mais  si  tu  veux  la  paix ,  nous  les  prierons  de  retourner  auprès 


12  CHRONIQUE  DE  TABABI. 

de  toi.  Quand  Djadsiina  eut  reçu  cet  avis,  il  se  rendit  dans 
la  tente  des  idoles,  et  il  ne  les  trouva  pas.  Il  interrogea  les 
gardiens,  qui  dirent  qu'ils  ne  savaient  pas  ce  qu'elles  étaient 
devenues.  Djadsinia  en  fut  étonné;  il  conclut  la  paix  et  reprit 
ses  idoles.  11  dit  aux  Arabes  :  Je  suis  venu  à  cause  de  ce  jeune 
homme;  je  vous  accorde  tout  ce  que  vous  désirez,  mais  ne  me 
laissez  pas  retourner  sans  lui.  ils  indemnisèrent  donc  le  père 
du  jeune  homme,  et  remirent  ^Adi  entre  les  mains  de  Dja- 
dsima,  qui  ramena  son  armée  dans  son  pays,  et  lit  d''Adi 
son  échanson.  ^Adi  lui  devint  plus  cher  que  tous  ses  autres 
serviteurs,  et  il  entrait  même  dans  les  appartements  rései'vés 
aux  femmes. 

Djadsima  avait  une  sœur,  nommée  Riqàscli,  qui  devint 
amoureuse  d''Adi  et  l'appela  auprès  d'elle.  *Adi  refusa,  en 
disant  :  Je  ne  veux  pas  commettre  une  trahison.  Hi(}àsch  lui 
dit  :  Demande-moi  en  mariage  au  roi.  ^Adi  répondit  :  Je  n'ose 
le  faire.  11  se  passa  sur  cela  quelque  temps,  et  Tamour  de 
celte  femme  s'accrut.  Un  jour,  le  roi  étant  a  boire,  et  ^Adi 
remplissant  ses  fonctions  d'échanson  auprès  de  lui,  lu  sœur 
de  Djadsima  lui  dit  :  Verse  au  roi  du  vin  pur,  et  à  ses  com- 
pagnons du  vin  mêlé  d'eau,  alin  que  le  roi  devienne  ivre; 
puis  demande-moi  à  lui  en  mariage,,  et  prends  les  convives 
comme  témoins.  ^Adi  consentit  et  fit  ainsi.  Djadsima  lui  ac- 
corda sa  sœur,  et  ses  convives  en  furent  témoins.  La  même 
nuit,  la  sœur  de  Djadsima  appela  ^Adi  auprès  d'elle  et  cou- 
cha avec  lui.  Celte  fenmie  était  vierge,  et  elle  devint  en- 
ceinte la  même  nuit.  Le  lendemain,  le  roi  appela  'Adi,  et 
s'aperçut  qu'il  était  parfumé.  Il  dit  :  Qu'est-ce  que  ce  parfum? 
^Adi  répondit  :  Ce  sont  les  parfums  de  la  noce.  Djadsima  dit  : 
De  quelle  noce?  ^Adi  répondit  :  Le  roi  m'a  donné  hier  sa  sœur 
en  mariage  en  présence  de  ses  compagnons.  Le  roi  fut  stupé- 


PARTIE  ri,  CHAPITRE  II.  13 

fail.  Il  porta  la  main  à  son  front  et  baissa  les  yeux,  plein  de 
tristesse.  ^Adi'  se  tint  loin  de  lui;  et  quand  il  vit  que  le  roi 
réfléchit  et  ne  leva  pas  la  tête,  il  eut  peur;  il  sortit,  monta 
sur  un  cheval,  s'arma,  prit  le  chemin  de  sou  pays  et  retourna 
dans  sa  tribu.  Après  un  certain  temps,  le  roi  leva  la  tête;  ne 
voyant  pas  *Adi,  il  fit  appeler  sa  sœur  et  lui  dit  :  N'as-tu  pas 
honte  de  t'étre  donnée  à  un  esclave  arabe?  La  sœur  répondit  : 
N'as-tu  pas  honte,  toi,  de  me  Ta  voir  donné  pour  époux?  Si 
tu  m'avais  consultée,  je  ne  l'aurais  pas  agréé;  mais  je  n'ai  pas 
osé  te  faire  des  représentations  et  te  résister.  Le  roi  dit  :  Il 
est  vrai  que  lui  aussi  est  du  sang  royal;  il  est  chef  dans  son 
peuple.  Alors  il  fit  chercher  ^Adl\  mais  on  ne  le  trouva  pas, 
et  on  dit  au  roi  qu'il  était  retourné  dans  sa  tribu.  Djadsima 
en  fut  très-alTligé,  à  cause  de  sa  sœur.  Il  voulut  envoyer  quel- 
qu'un à  sa  recherche,  mais  il  se  dit  :  Loi'sque  je  suis  allé  le 
chercher,  on  a  dit  que  je  prenais  un  esclave;  maintenant  on 
dira  que  je  cherche  l'époux  de  ma  sœur.  Il  eut  honte  et  ne  fit 
aucune  démarche. 

^Adi  était  rentré  dans  sa  tribu.  Son  père  était  mort.  Une 
femme  de  celte  tribu  devint  amoureuse  d'^Adi,  qui  eut  com- 
merce avec  elle.  Les  frères  de  cette  femme,  informés  de  ce 
fait,  le  guettèrent.  Un  jour,  *Adi  se  trouvant  à  la  chasse 
avec  des  amis,  ils  tombèrent  inopinément  sur  lui  et  le  pré- 
cipitèrent du  haut  d'une  montagne.  Il  se  rompit  le  cou  et 
mourut. 

La  sœur  de  Djadsima,  au  bout  de  neuf  mois,  mit  au 
monde  un  lils  qui  était  aussi  beau  que  son  père.  Elle  le  garda 
auprès  d'elle  jusqu'à  sa  cinquième  année;  puis  elle  l'orna  et 
le  présenta  au  roi.  Il  plut  au  roi,  qui  l'adopta,  lui  donna  de 
grandes  richesses,  et  Teut  en  plus  grande  afl'eclion  que  ses 
propres  fils.  Il  lui  donna  le  nom  d"Amrou,  et  l' éleva  avec 


U  CHRONIQUK  DE  TABARI. 

ses  iils.  'Amrou,  encore  enfant,  montra  par  quelques  traits 
sa  grande  intelligence,  et  ses  paroles  passèrent  en  proverbes 
parmi  les  Arabes.  L'un  de  ces  traits  est  le  suivant  : 

Le  roi  avait  Thabitude,  chaque  année,  au  printemps,  de 
sortir  de  la  ville,  et  de  faire  dresser  une  tente  dans  la  cam- 
pagne, et  d'y  rester  jusqu'au  mois  de  tammouz.  Il  y  avait  là 
de  grandes  quantités  de  champignons  que  Ton  recueillait.  Un 
jour,  le  roi  étant  sorti  dans  la  campagne,  ses  fils,  avec  ^Amrou, 
cherchèrent  des  champignons,  que  les  Arabes  mangent  soit 
crus,  soit  cuits.  Les  fils  du  roi  mangèrent  les  plus  beaux  et 
les  plus  grands  de  ceux  qu'ils  avaient  trouvés.  Quand  les  en- 
fants présentèrent  les  fruits  au  roi,  celui-ci  le  remarqua,  et  dit 
k  *Amrou  :  ïa  cueillette  est  la  meilleure.  ^Amrou  répondit  : 
(rLa  meilleure  est  la  cueillette  de  celui  qui  retient  sa  main 
de  sa  bouche, T»  c'est-à-dire  qui  ne  la  mange  pas.  Cette  pa- 
role est  devenue  un  proverbe  parmi  b»s  Arabes  et  est  en  usage 
encore  aujourd'hui. 

« 

On  raconte  du  prince  descroyanLs,  'Ali,  fils  d'Abou-Tàleb, 
qu'il  s'était  rendu  un  jour  dans  le  trésor.  Il  y  vit  une  grande 
quantité  d'argent  et  y  prononça  ce  proverbe  et  ne  prit  rien 
pour  lui.  Puis  il  saisit  une  poignée  de  dinars  et  une  poignée 
de  dirhems,  ensuite  il  les  jeta  et  dit  :  rr Rouge  ou  blanc,  vous 
ne  pouvez  pas  me  séduire.  7^ 

Lorsque  Djadsima  vit  'Amrou  si  éloquent,  il  en  fut  très- 
satisfait  et  il  lui  lit  faire  un  collier  d'or.  'Amrou  fut  le  pre- 
mier des  rois  arabes  qui  porta  un  collier.  'Amrou  porta  cette 
-chai'ne  constamment,  jour  et  nuit,  et  on  l'appela  r'Amrou  an 
collier.7>  A  l'âge  de  dix  ans,  il  fut  enlevé,  une  nuit,  par  les 
Dîvs.  Le  lendemain,  on  ne  le  trouva  pas.  Djadsima,  stupéfait, 
envoya  un  grand  nombre  d'hommes  à  travers  le  monde  pour 
le  chercher.  On  le  chercha  vainement   pendant  dix  ans.  Il 


PARTIE  H,  CHAPITRE  II.  15 

s'était  rendu  dans  ie  désert,  où  il  vivait  avec  les  bétes  et  man- 
geait de  rherbe.  Personne  n'en  eut  connaissance.  Sa  cheve- 
lure était  devenue  longue  et  il  avait  Tair  d'une  béte.  Au  bout 
de  dix  ans,  il  fut  guéri  de  cet  état  de  démence.  De  temps  en 
temps,  il  venait  sur  la  route  et  s'y  asseyait;  mais  quand  il 
voyait  des  hommes,  il  s'enfuyait.  Quand  il  fut  guéri,  il  ne 
s'enfuyait  plus  lorsqu'il  voyait  des  hommes,  et  se  mêlait  à  eux. 
Il  y  avait  deux  Arabes,  deux  frères,  dont  l'un  s'appelait 
Màlek,  l'autre  *Aqfl,  qui  venaient  de  Syrie  et  se  rendaient  au- 
près de  Djadsima.  Ils  étaient  accompagnés  d'une  femme  musi- 
cienne, qui,  dans  leurs  haltes,  les  servait,  leur  versait  à  boire 
et  chantait.  Ils  avaient  entendu  raconter  que  le  neveu  de 
Djadsima  avait  été  enlevé,  dix  ans  auparavant,  par  les  Divs. 
Lorsqu'ils  arrivèrent  à  l'une  des  stations  du  désert,  cette 
femme  étendit  devant  eux  une  table  et  leur  servit  un  agneau 
rôti,  et  ils  mangèrent.  *Amrou,  fils  d'^Adî,  les  observa  de 
loin  ;  alors  il  s'approcha ,  nu  et  avec  sa  longue  chevelure.  Les 
autres,  en  le  voyant,  eurent  peur.  11  les  salua  et  s'assit.  Ils  lui 
dirent  :  Viens  et  mange  quelque  chose.  La  femme  détacha 
l'os  du  pied  du  mouton  et  le  jeta  à  "Amrou,  comme  on  jette 
quelque  chose  à  un  chien.  *Amrou  le  rongea;  puis  il  étendit 
la  main  pour  avoir  de  la  viande  et  il  dit  :  «Tu  donnes  à  un 
esclave  la  patte,  il  désire  le  pied.?»  Cette  parole  passa  égale- 
ment en  proverbe.  La  femme,  qui  s'appelait  Oumm-^\m^ou, 
voulut  l'empêcher  de  prendre  de  la  viande,  mais  les  deux 
frères  dirent  :  Laisse-le  manger.  Ensuite  ils  se  mirent  à  boire 
du  vin.  La  femme  en  donna  aux  deux  frères  et  n'en  donna  pas 
à  ^Amrou.  Alors  celui-ci  dit  : 

Oumm -'Amrou  m'a  refusé  la  coupe  qui  devait  circuler  de  gauche  è 
droite.  Ce  n'est  pas  ie  plus  mauvais  des  Irois  compagnons,  ô  Oumm-'Amron, 
cpIuî  à  qui  tu  refuj^es  le  vin. 


16  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

Les  autres  dirent  :  Qui  cs-lu  et  d'où  viens-tu  ?  *Anirou  ré- 
pondit :  Si  vous  ne  me  connaissez  pas,  nierez- vous  que  je 
sois  ^Anirou,  fils  d'^Adf?  Alors  ils  se  levèrent,  Tembrassè- 
rent,lui  coupèrent  les  cheveux  et  les  ongles,  rhabillèrent  et 
dirent  :  Nous  ne  pourrions  olTrir  au  roi  un  plus  beau  cadeau 
que  celui-là;  et  ils  ramenèrent  auprès  du  roi.  Lorsque  Dja- 
dsima  le  vit,  il  ne  le  reconnut  pas,  car  son  visage  était  devenu 
noir.  Il  dit:  Je  ne  sais  si  c'est  *Amrou,  ou  non.  Les  deux 
frères  lui  firent  le  récit  de  Tétat  dans  lequel  ils  l'avaient 
trouvé.  Le  roi  l'envoya  vers  sa  sœur,  qui  le  reconnut  et  qui 
s'écria  avec  joie  :  C'est  ^Amrou.  Elle  le  garda  dans  ses  appar- 
tements pendant  sept  jours,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  recouvré  ses 
couleurs;  puis  elle  le  revêtit  de  beaux  vêtements  et  le  présenta 
au  roi,  qui  le  reconnut  alors  et  en  fut  charmé.  Il  ordonna  d'ap- 
porter le  collier  qu'^Amrou  avait  porté  à  son  cou  et  qui  était 
resté  entre  les  mains  de  sa  mère,  comme  souvenir  de  lui.  Mais 
^Amrou  était  devenu  grand  et  le  collier  ne  pouvait  plus  s'adap- 
ter à  son  cou.  Djadsima  dit  :  tr'Amrou  est  trop  grand  pour  le 
collier.  7î  Cette  parole  est  également  passée  en  proverbe. 

Le  roi  dit  aux  deux  frères  :  Dites  ce  que  vous  désirez,  je 
vous  l'accorde.  Us  répondirent  :  Nous  sommes  venus  pour 
servir  le  roi.  Alors  il  en  fit  ses  convives,  et  ils  le  furent  jusqu'à 
sa  mort.  Cette  histoire  est  célèbre  parmi  les  Arabes,  et  on  dit 
proverbialement  tries  convives  de  Djadsima,??  pour  désigner 
deux  personnes  qui  sont  liées  par  une  longue  amitié  et  pour 
dire:  A  la  fin,  à  sa  mort,  ils  ont  été  séparés;  toi  aussi,  tu 
seras  séparé  de  ton  ami.  Les  Arabes  ont  beaucoup  de  chants 
et  de  pièces  de  vers  relatifs  à  ce  sujet.  Abou-Khiràsch  le 
Hodsaïlite  dit  : 

Je  le  déclare  que  Kabiscli  n'a  pas  été  lasse  do  ino  voir;  la  récompense 
qu'elle  m'a  donnée  élail  bien  peu  de  chose  auprès  d'elle.  Ne  sawz-vous  j»as 


PARTIE  II,  CHAPITRE  lit.  17 

que,  loogiemps  avant  nous,  IfS  compagnons  sincères,  Màlek  et  'Aqit,  ont  ét^ 
séparés  [  de  leur  ami  ]  7 

Motammim,  fils  de  Nowaïra,  lorsque  son  frère  Mâlek  fut 
tué ,  du  temps  du  calife  Abou-Bekr,  composa  plusieurs  élé- 
gies, entre  autres  celle-ci  : 

Nous  étions  longtemps  comme  les  compagnons  de  Djadslma,  de  sorte 
qu'on  dit  :  Ik  ne  peuvent  pas  être  séparés.  Et  quand  nous  fumes  séparés, 
c'était,  malgré  le  temps  considérable  de  notre  vie  commune,  comme  si  nous 
n'avions  pas  passé  ensemble  une  seule  nuit. 

Djadsima  garda  ^Amrou ,  fils  d'^Adi,  avec  ses  fils ,  et  le  traita 
mieux  qu'eux-mêmes. 

CHAPITRE  III. 

HISTOIRE  DE  LA   GIBRBE  DE  DJâDsImA   AVEC  ^AMROl  , 

FILS  DE  DHAREB. 

Il  y  avait  un  roi  arabe  nommé  ^\mrou,  fils  de  Dhareb, 
fils  de  ^Hasan,  descendant  des  Amalécites,  qui  régnait  en 
Mésopotamie.  La  Mésopotamie  est  située  entre  PIraq  et  la 
Syrie,  comprenant  plusieurs  villes,  dont  Tune  était  Mossoul, 
une  autre  'Haditha,  une  troisième  Scherqat,  une  quatrième 
Ra^haba.  Toutes  ces  villes  sont  séparées  les  unes  des  autres, 
et  avaient  chacune  leur  propre  territoire  et  un  grand  nombre 
de  villages;  le  tout  ensemble  était  appelé  Mésopotamie,  et 
était  gouverné  par  ^Amrou,  fils  de  Dhareb.  Ce  roi  rassembla 
une  armée  et  attaqua  Djadsima ,  dans  Tintention  de  s'em- 
parer de  PIraq.  Djadsima  alla  à  sa  rencontre,  remporta  la 
victoire  sur  lui  et  le  tua.  L*armée  d'*Amrou  fut  mise  en  fuite. 

^Amrou,  fils  de  Dhareb,  avait  une  fille  remarquable  par 
son  intelligence.  Son  nom  était  Nâlla,  et  son  surnom  Zebbâ,  à 


11. 


18  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

cause  de  la  longueur  des  poils  h  ses  parties  secrètes.  Lorsque 
Tarmée  revint  en  Mésopotamie,  Zebbâ  apprit  que  son  père 
avait  été  tué  par  Djadsima.  Alors  elle  ouvrit  son  trésor, 
donna  de  l'argent  aux  troupes,  et  leur  demanda  de  s'engager 
envers  elle  et  de  faire,  sous  sa  conduite,  la  guerre  à  Djadsîma 
pour  venger  le  sang  de  son  père.  L'armée  prit  cet  engagement 
et  la  reconnut  comme  reine.  S'étant  ainsi  emparée  du  gouver- 
nement, Zebbâ  le  garda  pendant  cinq  ans,  jusqu'à  ce  qu'elle 
se  fût  solidement  établie  sur  le  trône  et  qu'elle  fût  sûre  des 
sentiments  de  l'armée. 

Zebbâ  avait  une  sœur  nommée  Zaïnab,  intelligente  et 
habile.  Elle  avait  fait  construire  pour  celle-ci  un  palais  sur  la 
rive  occidentale  de  l'Euphrate.  Elle  y  passait  l'hiver  avec  sa 
sœur,  et  l'été  elle  faisait  des  tournées  dans  son  royaume. 
Lorsque  son  empire  fut  solidement  établi ,  elle  se  disposa  à 
rassembler  Tarmée  et  à  faire  la  guerre  à  Djadsima,  pour 
venger  son  père.  Elle  délibéra  avec  sa  sœur,  qui  était  douée 
d'une  haute  intelligence.  Celle-ci  lui  dit  :  rrLa  guerre  est 
comme  un  seau  (tantôt  en  haut,  tantôt  en  bas),  et  ses  erreurs 
ne  peuvent  pas  être  réparées. -n  Tu  es  une  femme  et  lui 
un  homme;  la  victoire  s'attaclie  plutôt  aux  pas  de  l'homme. 
S'il  remporte  la  victoire,  tu  perdras  ton  royaume.  H  ne  sied 
pas  à  une  femme  de  chercher  la  vengeance.  N'entreprends 
point  la  guerre,  mais  cherche  par  la  ruse  à  t'emparer  de  lui. 
Zebbâ  agréa  ce  conseil;  elle  imagina  une  ruse,  et  envoya  le 
message  suivant  à  Djadsima  :  Quoique  la  femme  ne  soit  pas 
dépourvue  de  force,  toujours  est-il  qu'elle  est  faible.  J'avais 
saisi  le  gouvernement  de  ce  royaume  pour  empocher  que 
l'arméo  ne  se  dispersât.  Mais  il  n'est  pas  convenable  qu'une 
femme  soit  assise  au  milieu  des  hommes,  et  il  est  honteux 
pour  des  hommes  d'obéir  à  une  femme.  Je  désire  un  époux  à 


PARTIE  II,  CHAPITRE  III.  19 

qui  je  puisse  remettre  ic  gouvernement.  Je  ne  vois  digne  de 
moi  aucun  des  rois,  si  ce  n*est  toi,  parce  que  tu  es  supérieur 
par  ton  intelligence,  la  fortune,  ta  naissance  et  ton  courage. 
Viens,  afin  que  je  te  remette  le  gouvernement  et  que  je  sois 
ton  épouse.  Quand  Djadsima  reçut  cette  lettre,  il  était  disposé 
à  accepter  ses  propositions.  H  rassembla  son  armée  et  déli- 
béra avec  elle,  en  faisant  connaître  cette  lettre.  Tous  furent 
d  accord  que  c'était  une  affaire  acceptable. 

Djadsima  avait  un  officier  nommé  Qaçîr,  fils  de  Sa^ad, 
de  la  tribu  de  Lakhm,  qui  était  de  ses  parents.  Il  était  fils 
d'un  chef;  son  père  Sa^ad  avait  épousé  une  femme  de  la 
maison  de  Djadsima ,  et  Qaçir  était  né  de  cette  union.  Dja- 
dsima lui  demanda  également  son  avis,  et  Qaçir  émit  une  opi- 
nion opposée  à  celle  de  toute  Tarmée.  Il  dit  :  Cest  une  ruse, 
rr l'imprudence  en  présence  de  la  ruse,Tî  mot  qui  est  devenu 
proverbe.  Puis  il  ajoula  :  trll  convient  de  délibérer  sons  le  toit 
et  non  en  face  du  soleil,  u  Cette  parole  est  également  devenue 
proverbiale.  Enfin  il  dit  :  «rO  roi,  c'est  une  affaire  de  perfidie,  t» 
Djadsima  demanda  l'avis  du  fils  de  sa  sœur.  ^Amrou,  fils 
d  ^4di,  se  prononça  pour  l'exécution.  Qaçir  dit  :  Tu  as  tué 
le  père  de  cette  femme;  garde-toi  d'elle.  Envoie  quelqu'un 
pour  lui  dire  que,  si  elle  veut  te  prendre  pour  époux,  elle 
vienne  vers  toi.  Djadsima  dit  :  «r On  ne  suit  pas  l'avis  du 
I>elit  ( Qaçir ),T»  parole  qui  est  devenue  une  locution  prover- 
biale. 

Djadsima  confia  l'administration  de  sa  maison,  de  sa.  fa- 
mille et  de  toutes  ses  affaires  particulières  h  *Amrou,  fils 
d'^Adi,  et  il  institua  régent  du  royaume  et  son  lieutenant  un 
de  ses  officiers,  nommé  'Amrou,  fils  d"Abd  al-Djinn ,  de  la  tribu 
de  Djorhom.  Il  partit  avec  ses  familiers,  y  compris  Qaçir. 
La  ville  où  Djadsima  résidait  s'appelait  Baqqa,  et  il  existe 


9  . 


30  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

un  proverbe  qui  dit  :  crLa  décision  a  été  prise  a  Baqqa.^f 
Na^bschal,  fils  d*Ai-^Harriyy,  a  fait  une  pièce  de  vers  au  sujet 
de  quelqu*un  dont  on  ne  suit  pas  Tavis,  jusqu'à  ce  que  la  chose 
devienne  évidente  et  quon  la  regrette,  sans  pouvoir  y  re- 
médier : 

Mon  esclave  s^ëtait  révolté  contre  moi  et  était  devenu  maître  de  son  affaire 
plus  qae  ne  fut  obéi  Qaçtr  dans  les  deux  Baqqa. 

Mais  lorsque  mon  affaire  et  la  sienne  étaient  devenues  manifestes,  les 
prémisses  estaient  évanouies  devant  les  conséquences.  Mon  ami  désirait 
revenir  à  mon  obéissance,  mais  de  nouvelles  conditions  avaient  succédé  aux 
premières. 

Djadsima  sortit  de  Tlrâq  et  se  dirigea  le  long  de  TEuphrate 
vers  la  Mésopotamie,  et  il  arriva  à  Ra'baba.  Alors  il  eut  un 
moment  d'bésitalion,  il  se  repentit  et  dit  à  Qaçîr  :  Que  te 
semble?  Qaçir  répondit  :  trTu  as  laissé  la  prudence  à  Baqqa. ?> 
Cette  parole  est  devenue  proverbe.  Lorsque  Djadsima  arriva 
h  la  prochaine  station,  les  envoyés  de  Zebbâ  se  présentèrent 
avec  des  cadeaux  considérables.  Il  dit  à  Qaçir  :  Que  dis-tu 
de  cela?  Qaçîr  répondit  :  rr C'est  une  petite  chose  pour  un 
grand  danger.  ^  Cette  parole  est  également  passée  en  pro- 
verbe. Les  messagers  de  Zebbâ  dirent  :  La  reine  a  ordonné 
que  toute  Tarmée  marche  devant  toi.  Djadsima  dit  à  Qaçîr  : 
Le  cœur  commence  à  me  battre  et  je  crains  quelque  chose; 
qu'y  a-t-il  à  faire?  Celui-ci  répondit  :  Demain,  quand  les 
troupes  se  présenteront  devant  toi,  si  elles  mettent  pied  à 
terre  et  te  rendent  des  honneurs,  TalTaire  est  en  bonne  voie; 
mais  si  elles  t'entourent,  c'est  une  mauvaise  aiïaire.  Djadsima 
dit  :  Si  elles  m'entourent,  que  faut-il  faire?  Qaçir  répondit  : 
Demande  ton  cheval  *Aça,  monte-le  et  cherche  à  te  sauver. 
*Açâ  était  un  cheval  appartenant  à  Djadsima;  aucun  autre 
cheval  arabe  ne  l'égalait  en  vitesse.  Le  lendemain,  quand 


22  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

y  fût  recueilli.  Lorsque  les  bras  de  Djadsima  s'affaiblirent,  le 
sang  se  répandit  en  dehors  des  vases.  Zebbâ  dit  :  ;r  Ne  laissez 
pas  perdre  le  sang  du  roi,  car  le  sang  des  rois  ne  doit  pas  être 
perdu?)  (proverbe).  Djadsima  dit:  tr Laissez  couler  le  sang  que 
son  possesseur  répand ij  (proverbe).  Puis  il  mourut.  Zebbâ 
se  (it  apporter  les  vases,  y  plongea  un  tissu  de  coton  qui  ab- 
sorba tout  le  sang,  le  fit  sécher  et  Tenferma  dans  une  boite 
qu'elle  plaça  dans  son  trésor,  et  dit  :  Voilà  la  rançon  du  sang 
de  mon  père. 

La  nouvelle  de  cet  événement  arriva  au  village  où  se  trou- 
vait Qaçir.  11  se  rendit  de  là  dans  PIraq,  vers  ^Amrou,  fils 
d'^Adi,  et  ^Amrou,  fils  d'^Abd  al-Djinn,  qui  étaient  tous  les 
deux  à  ^Hira,  et  leur  annonça  la  mort  de  Djadsima.  L'armée 
se  divisa  en  deux  parties,  dont  Tune  acclama  ^Amrou,  fils 
d'*Adi,  l'autre  ^Amrou,  fils  d'^Abd  al-Djinn.  Une  guerre  allait 
éclater  entre  eux  deux,  mais  Qaçîr  s'entremit  entre  eux  et 
les  concilia.  ^Amrou  fils  d"Abd  al-Djinn  abandonna  le  gou- 
vernement à  ^Amrou  fils  d'^Adî,  et  se  soumit  à  lui.  Toute 
l'armée  se  rangea  alors  sous  les  ordres  de  ce  dernier.  Il 
combla  Qaçir  d'honneurs,  mais  celui-ci  dit  :  Je  ne  serai  sa- 
tisfait que  lorsque  tu  vengeras  la  mort  de  ton  oncle. 

CHAPITRE  IV. 

HISTOIRE  D'^AVROU,  FILS  D'^ADl. 

Lorsque  Zebbâ  apprit  qu'Amrou,  fils  d"Adî,  était  monté 
sur  le  trône,  que  l'armée  Tavait  acclamé  et  qu'il  tenait  le 
gouvernement  de  l'^Irâq ,  elle  fut  très-inquiète  et  préoccupée. 
Elle  savait  qu'il  vengerait  la  mort  de  Djadsima.  Zebbâ  avait 
un  astrologue  qui  lui  prédisait  l'avenir.  Elle  lui  demanda  son 


PARTIE  II,  CHAPITRE  IV.  23 

horoscope»  et  il  lui  dit  :  Tu  succomberas  par  la  main  d'un 
jeune  homme  nommé  ^Amrou,  de  sang  royal;  tx)u  royaume 
passera  entre  ses  mains;  mais  il  ne  pourra  pas  te  tuer;  tu  pé- 
riras de  ta  propre  main.  Zebbâ  se  tint  sur  ses  gardes  contre 
^Amrou;  elle  établit  sa  résidence  dans  le  palais  de  sa  sœur, 
qui  était  solidement  fortifié,  et  cessa  ses  tournées  à  travers 
les  villes  de  son  royaume.  Elle  avait  aussi  un  peintre  nommé 
Faqarroum,  à  qui  elle  donna  des  sommes  considérables  et 
quelle  envoya  à  la  cour  d'^Amrou,  en  lui  disant  :  Lie-toi 
d  amitié  avec  ses  gens  et  fais-leur  des  portraits,  afin  qu'ils 
reconnaissent  que  tu  es  un  peintre.  Puis  fais  le  portrait 
d'^Amrou  dans  toutes  les  positions,  assis,  en  pied  et  à  cheval, 
dans  son  costume  d'été  et  d'hiver,  et  apporte-moi  ces  portraits, 
de  façon  que,  s'il  vient  m'attaquer,  je  le  reconnaisse  à  sa  vue 
et  que  je  puisse  me  garder  de  lui.  Le  peintre  se  rendit  à  la 
cour  d'^Amrou ,  y  resta  pendant  une  année  et  fit  le  portrait  du 
prince  dans  toutes  les  positions;  ensuite  il  porta  ces  portraits 
à  Zebbâ.  Elle  fit  faire  un  chemin  souterrain  entre  le  palais  et 
la  forteresse,  afin  que,  s'il  lui  arrivait  quelque  accident  dans 
le  palais,  elle  pût  se  sauver  dans  la  forteresse. 

Quand  il  se  fut  écoulé  une  année,  Qaçir  dit  h  ^Amrou  : 
Venge  ton  oncle,  car  Djadsima  ne  fut  pas  un  roi  dont  le  sang 
dût  être  versé  impunément.  ^Amrou  répondit  :  tr  Comment 
pourrais-je  le  faire?  Cette  femme  est  plus  insaisissable  que- 
l'aigle  dans  les  airs.?»  Cette  parole  est  devenue  proverbe. 
Qaçîr  dit  :  Fais-moi  couper  le  nez  et  lacérer  le  dos  à  coups 
de  fouet.  *Amrou  répondit  :  Je  ne  ferai  jamais  chose  pareille 
envers  toi  qui  ne  l'as  pas  mérité  de  moi.  Alors  Qaçir  lui  dit  : 
(T Laisse-moi  faire  et  sois  exempt  de  blâme, «  parole  devenue 
proverbe.  *Amrou  dit  :  Fais  ce  que  tu  voudras.  Qaçîr  se  coupa 
le  nez  et  se  déchira  le  dos  à  coups  de  fouet;  alors  on  dit 


24  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

ces  paroles,  devenues  proverbiales  :  trQaçir  s'est  coupé  le  nez 
pour  une  affaire  importante,  n  Le  poète  Motalammis  a  dit  : 

Qaçtr  s'est  coupe  le  nez  pour  chercher  vengeance,  et  Baïhas  s^est  plonge 
dans  ta  mort  avec  son  épée. 

Quand  la  blessure  de  Qaçir  fut  guérie,  il  partit  à  pied, 
Qu-tête  et  nu-pieds,  les  vêtements  déchirés  et  le  dos  lacéré, 
et  il  alla  de  F^Irâq  en  Mésopotamie.  On  annonça  à  Zebbâ  son 
arrivée.  Elle  le  fit  introduire  auprès  d'elle  et  elle  l'interrogea 
sur  son  misérable  état.  Il  dit  :  C'est  ^Amrou,  fils  d'*Adî,  qui  m'a 
traité  ainsi,  en  m'accusant  d'avoir  trahi  et  fait  périr  son  oncle; 
il  m'a  emprisonné  pendant  un  an;  mais  maintenant  je  me  suis 
enfui  de  la  prison  et  je  suis  venu  pour  t'offrir  mes  services, 
sachant  que  je  ne  peux  servir  un  souverain  plus  dangereux 
pour  lui  que  toi.  Zebb«4  l'accueillit  bien,  le  logea  dans  une 
maison  convenable  et  lui  fit  remettre  une  grande  somme 
d'argent;  et  il  y  resta.  Zebbâ  reconnut  qu'il  était  doué  d'une 
gi*ande  intelligence;  elle  le  consultait  et  il  lui  donnait  des 
conseils  sincères.  La  reine  fut  complètement  rassurée  à  son 
égard  et  l'admit  parmi  ses  familiers  et  ses  ministres.  Il  se 
passa  ainsi  un  an,  et  Zebbâ  n'eut  plus  aucune  méfiance 
à  son  égard.  Un  jour,  comme  elle  s'entretenait  avec  lui,  on 
lui  présenta  de  magnifiques  étoffes  d'^Irâq.  Zebbâ  dit  :  De 
*  telles  étoffes  n'existent  pas  dans  mon  trésor  ni  dans  tout  mon 
royaume.  Qaçfr  lui  dit  :  0  reine,  ces  étoffes  sont  très-abon- 
dantes dans  r*Irâq;  si  la  reine  le  permet,  je  prendrai  des  pro- 
duits de  ce  pays  et  les  porterai  dans  T'Irâq,  pour  faire  le 
commerce,  de  façon  que  personne  ne  m'y  reconnaisse.  J'irai 
avec  la  caravane;  puis  j'y  achèterai  de  ces  belles  étoffes  de 
nrâq,  et  je  reviendrai  auprès  de  toi,  et  je  les  vendrai  ici ,  de 
façon  qu'il  t'en  revienne  un  grand  profit  en  argent  et  aussi  on 


PARTIE  II,  CHAPITRE  IV.  25 

ëloQes.  Dans  Tétai  où  je  suis  réduit,  je  ne  suis  plus  apte  k 
Texercice  militaire  ni  à  la  guerre;  je  ne  puis  faire  autre  chose 
que  m*occuper  de  commerce  ou  donner  des  conseils.  Zebbâ 
agréa  cette  proposition  :  elle  lui  donna  de  grandes  sommes 
d'argent  et  une  caravane  composée  d'une  grande  quantité  de 
chameaux.  Qaçîr  acheta  tout  ce  qu  il  crut  avantageux  et  partit 
pour  PIrâq.  Il  se  rendit  à  la  capitale  d'^Amrou,  à  *Hîra, 
vendit  ses  marchandises  et  acheta  les  belles  étoffes  de  PIrâq. 
Dans  la  nuit  il  alla  secrètement  vers  *Amrou,  fils  d'*Adî,  lui 
rendit  compte  de  ces  circonstances  et  se  fit  donner  par  lui 
encore  d'autres  étoffes;  puis  il  retourna  auprès  de  Zebbâ. 

Pendant  l'absence  de  Qaçtr,  la  sœur  de  Zebbâ  avait  dit  k 
celle-ci  :  L'argent  que  lu  as  donné  à  cet  homme  est  perdu;  cet 
homme  ne  reviendra  jamais  vers  toi.  Zebbâ  répondit  :  S'il  re- 
vient, il  est  honnête;  s'il  ne  revient  pas,  en  raison  de  ce  qui 
lui  est  arrivé  à  cause  de  moi ,  qu'on  lui  a  coupé  le  nez ,  et  en 
raison  des  services  qu'il  m'a  rendus,  l'argent  lui  est  dû;  qu'il 
lui  reste.  Puis,  lorsque  Qaçîr  revint,  Zebbâ  en  fut  charmée. 
Elle  agréa  ces  étoffes  et  en  choisit  ce  dont  elle  avait  besoin; 
pour  le  reste,  elle  l'abandonna  à  Qaçir  et  lui  dit  de  le  vendre. 
Il  le  vendit  et  en  eut  un  grand  profit.  L'année  suivante,  il  fit 
le  même  négoce,  et  revint,  et  eut  un  grand  profit;  de  même 
la  troisième  année.  La  quatrième  année,  Zebbâ  lui  donna 
mille  de  ses  propres  chameaux.  Qaçîr  dit  :  Ces  sacs  sont  trop 
étroits,  il  en  faut  de  grands  et  larges,  tissés  de  crin,  conte- 
nant une  plus  grande  quantité  de  marchandises  et  plus  faciles 
à  porter  pour  les  chameaux.  Zebbâ  donna  des  ordres  pour 
qu'on  fi  t  mille  paires  de  grands  sacs  tissés  de  crin.  Mo^hammed , 
fils  de  Djarîr,  rapporte,  d'après  Mo^hammed,  fils  d'Al-Sâïb, 
que  Qaçîr  fut  le  premier  homme  qui  fabriqua  cette  espèce 
de  sacs. 


36  CHRONIQUE  D£  TABARI. 

Qaçir  chargea  les  chameaux,  se  rendit  dans  T^Irâq  el  dit 
à  *Amrou,  fils  d'^Adî:  Si  tu  veux  venger  la  mort  de  ton  oncle, 
le  moment  est  venu.  ^Amrou  dit  :  Que  faut-il  faire?  Qaçir 
répondit:  Fais  placer  dans  chacun  de  ces  sacs  un  homme 
cuirassé  et  complètement  armé;  nous  aurons  de  cette  façon 
deux  mille  hommes  sur  les  mille  chameaux.  Place-toi  toi- 
même,  avec  tes  armes,  dans  un  des  sacs,  et  nous  partirons 
vers  la  résidence  de  Zebbâ.  Quand  nous  aurons  franchi  la 
porte  de  la  forteresse,  nous  ferons  sortir  les  soldats,  nous 
pousserons  des  cris  et  mettrons  Tépée  à  la  main.  Zebbâ  a 
(dans  son  palais)  un  chemin  souterrain  pour  s'enfuir  par  là, 
si  elle  est  surprise.  Je  te  placerai  à  Feutrée  de  ce  chemin; 
quand  elle  arrivera  là  pour  se  sauver,  tue-la.  ^Amrou  con- 
sentit, et  ils  firent  ainsi.  Ils  mirent  un  homme  dans  chaque  sac 
et  le  fermèrent,  l'homme  qui  s'y  trouvait  tenant  à  l'intérieur 
l'attache.  Ils  s'acheminèrent  ainsi  en  caravane  jusqu'à  la  rési- 
dence de  Zebbâ.  A  proximité  de  la  ville,  Qaçîr  prit  les  de- 
vants et  alla  avertir  la  reine.  H  lui  dit  :  Cette  année  j'apporte 
des  marchandises  comme  je  n'en  ai  jamais  apporté.  Zebbâ, 
très-contente,  monta  à  cheval  et  sortit  de  la  ville  pour  voir  la 
caravane.  Quand  elle  vit  les  chameaux  marcher  d'un  pas  lourd 
à  cause  de  la  pesanteur  des  armes  et  des  hommes  qu'ils  por- 
taient, elle  dit  : 

Pourquoi  ces  chameaux  ma rcheot-ils  si  lentement?  Portent-ils  des  pierres 
ou  du  fer? 

Ou  du  plomb,  froid  el  lourd,  ou  des  hoaunes  ramassés  et  plies  sur  eux- 
mêmes  ? 

Puis  Zebbâ  rentra  dansla  ville.  La  caravane  entra  également 
dans  la  ville.  A  la  porte  de  la  ville,  il  y  avait  un  gardien  naba- 
téen,  qui,  apercevant  la  marche  pesante  des  chameaux,  pion- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  IV.  27 

gea  une  baguetle  dans  un  sac.  L*homme  qui  s*y  trouvait  lâcha 
un  vent;  le  Nabatéen  dit  alors  :  Dans  ces  bagages  il  n*y  a  rien 
de  bon. 

Arrivés  au  milieu  de  la  ville,  ils  firent  agenouiller  les  cha- 
meaux. Les  hommes  sortirent  des  sacs,  armés,  mirent  Tépëe 
i  la  main ,  poussèrent  le  cri  de  guerre  et  commencèrent  le 
massacre.  Qaçîr  fit  sortir  de  son  sac  ^Amrou  et  le  conduisit 
à  rentrée  du  passage  secret  et  lui  dit  :  Reste  là,  aussitôt  que 
Zebbâ  paraîtra  pour  s*enfuir  par  ce  chemin,  tue-la.  Lorsque 
Zebbâ  apprit  que  les  soldats  massacraient  dans  la  ville,  elle 
courut  à  ce  passage;  elle  vit  ^Amrou,  debout,  Tépée  à  la  main, 
et  le  reconnut  à  sa  ressemblance  avec  le  portrait  que  le 
peintre  lui  avait  apporté.  E31e  portait  à  son  doigt  une  bague 
contenant  un  poison  subtil;  aussitôt  quelle  aperçut  ^Amrou, 
elle  -ouvrit  la  bague  et  avala  le  poison ,  en  disant  :  C'est  de 
ma  main  «t  non  de  la  tienne  que  je  veux  mourir,  et  elle 
tomba.  *Amrou  se  précipita  sur  elle,  et  l'acheva.  Ensuite  il  fit 
proclamer  que  les  soldats  cessassent  le  massacre. 

*Amrou  s'empara  du  gouvernement  et  du  trésor;  l'armée 
de  Zebbâ  lui  rendit  hommage.  Il  réunit  le  royaume  de  Mé- 
sopotamie à  celui  de  nrâq,  et  tous  les  Arabes  se  soumirent 
à  lui.  Il  occupa  le  trône  pendant  cent  vingt  ans,  puis  il 
mourut.  L'empire  demeura  entre  les  mains  de  ses  descendants 
comprenant  PIrâq,  la  Mésopotamie,  le  désert  et  le  ^Hedjâz, 
et  cet  empire  passa  de  père  en  fils  pendant  l'espace  de  cent 
ans.  On  les  appelle  les  rois  Naçrites;  leurs  faits  et  gestes  sont 
racontés  dans  les  livres  arabes  et  persans.  Pendant  ce  temps, 
le  territoire  situé  entre  le  Djîhoun  et  le  'Holwân  était  en  la 
possession  des  rois  des  Provinces ,  et  les  pays  de  Roum  et  de 
Syrie  entre  les  mains  des  empereurs,  jusqu'à  l'avènement 
d'Ardeschîr  Bâbegân,  qui  soumit  les  rois  des  Provinces  et 


28  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

leur  enleva  la  Perse  et  le  Khorâsân,  et  qui  prit  également  aux 
rois  Naçrites  T'Irâq  et  la  Mésopotamie.  Ardeschir  relégua 
ces  rois  dans  le  Ba^hraïu,  dans  le  désert  et  dans  le  ^Hedjâz, 
où  ils  furent  sous  sa  domination,  ainsi  que  tous  les  Arabes 
et  quelques-uns  des  rois  du  Yemen  et  de  la  Syrie,  tan- 
dis que  quelques  autres  de  ces  deux  pays  étaient  soumis  aux 
Romains.  Les  rois  Naçrites  fleurirent  encore  de  longues  années 
dans  le  désert,  le  ^Hedjâz  et  le  Ba^hraïn,  après  Ardeschir; 
car,  lorsque  celui-ci  expulsa  les  Arabes  de  T^Irâq,  il  leur  assi- 
gna le  'Hedjàz ,  le  Ba'hraïn  et  le  Yemen ,  et  leur  donna  un  roi 
de  la  famille  d'^Amrou ,  (ils  d'^Adî. 

La  résidence  des  rois  Naçrites  était  à  'Hira  et  leur  royaume 
s'étendait  au  delà  de  cette  ville.  La  résidence  des  rois  perses 
était  à  Madâïn;  car  Bagdad,  qui  est  aujourd'hui  la  résidence 
des  califes,  n'existait  pas  encore.  Cet  état  de  choses  continua 
de  même  sous  le  règne  des  successeurs  d'Ardeschir,  qui  lais- 
sèrent les  pays  du  ^Hedjâz,  du  Bâ'hraïn  et  du  désert  aux 
Arabes,  sous  le  règne  des  princes  de  la  famille  d'^Amrou,  fils 
d'^Adî.  Le  dernier  de  ceux-ci  fut  Norman,  fils  de  Moundsir, 
qui  fut  tué  par  Perwîz,  fils  de  Hormuzd ,  comme  nous  le  ra- 
conterons plus  loin.  Ce  Norman  fut  fils  de  Moundsir,  fils  de 
No*mân,  fils  d'^Amrou,  fils  de  Moundsir,  fils  d'^Amrou,  fils 
d'Udî,  fils  de  Naçr,  fils  de  Rabra. 

* 

Tous  ces  événements  que  nous  venons  de  rapporter  sur 
Djadsima  et  *Amrou  se  passèrent  du  temps  des  rois  des 
Provinces;  car  ceux-ci  régnèrent  pendant  quatre  cents  ans, 
depuis  Alexandre  jusqu'à  Ardeschir,  période  pendant  la- 
quelle se  passèrent  un  grand  nombre  de  choses  mémorables, 
dont  celles  que  nous  venons  de  rapporter  font  partie,  ainsi 
que  l'événement  relatif  à  Tasm  et  Djadis,  que  nous  allons 
raconter. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  V.  29 


CHAPITRE  V. 


HISTOIRE  DE  'hASAN,  FILS  DE  TOBBa\  ROI  DU  YBMEN. 


Tasm  et  Djadis  étaient  deux  tribus  arabes  du  Yemâma,  du 
temps  que  Djadsima  fut  roi  de  PIrâq.  Elles  étaient  gouvernées 
par  un  roi  appelé  ^Amlouq ,  qui  avait  été  institué  par  Djadsima. 
n  appartenait  à  la  tribu  de  Tasm.  Ce  roi  exerça  la  tyrannie 
sur  son  peuple,  et  alla  si  loin  dans  son  oppression ,  qu*il  exigeait 
que  toutes  les  jeunes  filles  qui  se  mariaient  fussent  conduites 
auprès  de  lui  pour  qu'il  leur  ôtât  leur  virginité.  Le  peuple 
resta  sous  cette  oppression ,  impuissant  et  consterné.  Cepen- 
dant les  gens  de  la  tribu  de  Tasm,  qui  était  celle  dont  le  roi 
était  issu ,  ne  subissaient  pas  le  même  outrage  de  sa  part.  Il  se 
passa  un  long  espace  de  temps,  jusqu'à  ce  que,  un  jour,  un 
homme  nommé  Aswad,  fils  de  Ghifâr,  réunit  les  chefs  de  sa 
tribu  —  lui-même  était  un  des  chefs  —  et  les  jeunes  gens,  et 
il  leur  dit  :  Vous  savez  dans  quelle  misérable  situation  nous 
nous  trouvons;  des  chiens  ne  supporteraient  pas  un  état  pa- 
reil, bien  moins  des  hommes.  Je  vous  demande  votre  a[^î, 
afin  que  nous  nous  délivrions  ensemble  de  ce  roi.  Les  autres 
dirent  :  Que  veux-tu?  Aswad  dil  :  J'inviterai  à  un  festin  dans 
ma  maison  le  roi  et  toute  la  tribu  de  Tasm.  Je  vous  inviterai 
également,  de  telle  façon  qu'il  y  aura  deux  hommes  d'entre 
nous  pour  un  homme  de  l'autre  tribu.  Chacun  de  vous  ap- 
portera son  épée  et  la  cachera  sous  la  table  dans  le  sable. 
Ceux-là  viendront  sans  armes,  et  quand  ils  entreront  vous 
saisirez  vos  épées,  moi-même  je  tuerai  le  roi,  et  chacun  de 
vous  tuera  son  homme.  Quand  vous  aurez  tué  les  chefs,  il 
n'y  aura  plus  de  danger  à  craindre  de  la  part  des  autres.  Ils 


Taon.  fDL  rymsïiiuuHsic  «mt  arstf^f^  -fc  «&  ^rânL 

&  à»  Swcn:.  ffluisô:  «fPK^  «és^  'Sitsax.  &  Àt  TiUa'.  f  ^ 
èf»  pi2ifiaac<>  TiÂiÔA'  Ô£  T^piiyg.  ftâa^  Tnifcmà  àf  ne-  ^«e 
maaôsaû  Àt  ruamififirt  ie^  |>Eaif  àt-  TasB^  ^Haon  «s  &:  trà^ 
cmmin»  «s  jorlâî  v«9r  mut  pmàe  arméf  |«nr  if  Ta&&Ba, 
afni  f  Jittiiçiisr  k  râbc  Af*  I^&k.  Irr^vf  »  triûf  jonrnâes^  4c 
SiiDciif'  df-  leur  isrîuiiT^,  lâiiit'i.  ici  âjC  :  Jil  paxmû  €vi  me 
fifleoT  gui  k  m.  •^tnizi  àf-  î»  inxio  àf-  I^j»âûw.  ISf*  n'i  j«af.  daas 
k-  BHOâdc'  MOI  épAt  jitai  1&  ioàcîiÎH^  àt  ik  ^ut  :  dk*  ^ciit  à  la 
dkteiice  àf  Ircûf  jffoméef  âf-  marclif  f^  imomic-  }£f  peii>  de  la 
Izâio  de  ot  gneUf-  «|«prraiL  C^  figfitdBf  Zeirqâ  ai-Yemâma, 
«1  a  réjHitaliim  «fit  ^raDdf-  parmi  k»  %raî«eN.  ?îâhΣ;iia  al- 
iHabykui  a  àà  danf  mK*  qarida  : 


diuf>  ts  jn^feoMB^  im  dflLaïuuuMmi  neBÙttÊààÊ-  a  rrini  de  ia  jeoae 
Bht.  te  piaf  fbfltmfpfH-  de  s  trîtic,  quand  t*lK  *>e^ardail  1»  cnéooihff^ 
fâdcMit  diriger  vatk  àes^  «box 


Pnif  liQial)  dit  :  Ordoniif  que  rfaaqiif  srtldat  prenne  une 
brancbf  d*aiiïre  et  qu'il  ia  îiejine  devant  lui,  afin  que,  si  e!W» 
Doof  aperçnit ,  elle  ne  voie  que  W  hninciMs  et  non  pa>  les  hom- 
nieR,  H?  firent  ainsi,  he*^  pens  de  la  triliu  de  Djadis  dirent  a 
^  emama  :  Monte  à  ia  tour  et  rcjjarde.  ^  emâma  rej^arda  et  dit  : 
Je  vois  des  ariires  qui  Tnarcbenl  :  ils  ont  la  forme  de>  arbres; 
mais  ils  s'avanrent  comme  des  hommes.  Ceux-là  dirent  :  Ce 
n  est  rien,  et  ils  n'ajoutèrent  pas  foi  k  ses  paroles.  Le  lende- 
main ils  lui  dirent  de  nouveau  de  regarder.  EUe  dit  :  Je  voi^ 
derrière  un  arbre  quelqu'un  qui  déiarho  un  morceau  de 
viande  d'un  os  et  le  mange  ;  il  lient  un  soulier  d<Vhire  dan« 
sa  main  et  le  raccommode.  ||>  diront  :  Cen'f^l  rien.  De  celle 


PARTIE  H,  CHAPITRE  V.  8t 

façon  ^Hasaa  tomba  sur  eux  à  Timproviste,  les  massacra 
et  dévasta  le  pays  de  Yemâma.  Il  fit  saisir  Zerqâ  et  lui  dit  : 
Par  quel  moyen  parviens-tu  à  rendre  tes  yeux  aussi  clair- 
voyants? Elle  répondit  :  Je  ne  dors  jamais  sans  mettre  du 
collyre  sur  mes  yeux.  *Hasan  lui  fit  arracher  les  yeux;  on  y 
trouva  des  fibres  noires,  injectées  de  collyre  dont  la  couleur 
était  noire. 

^Hasan  rentra  dans  le  Yemen.  Djadstma,  informé  de  ces 
événements ,  envoya  de  T^Irâq  une  armée  à  sa  poursuite.  Li| 
rencontre  eut  lieu,  et  ^Hasan  défit  Tarmée  de  Djadsima  et  tua 
un  grand  nombre  d'hommes;  puis  il  continua  sa  route.  'Hasan 
fut  un  roi  puissant  d'entre  les  Tobba^  du  Yemen.  Il  était  fils  de 
Tobba',  fils  d'As*ad;  son  père  était  appelé  Tobba*  abou-Karib. 
^Hasan  avait  un  fils  qu'on  appelait  Tobba*  le  Jeune.  Quant  à 
Tobba*  abou-Karib,  c'est  lui  qui,  à  l'époque  du  pèlerinage, 
vint  i  la  Mecque  avec  une  armée.  H  y  a  près  de  la  Mecque  un 
endroit  entre  deux  collines,  appelé  Scha^ab  al-Matâbikh ,  nom 
qui  provient  de  ce  que  le  Tobba*  y  avait  fait  établir  ses  cui- 
sines et  qu'il  fit  distribuer  tant  de  provisions  qu'elles  suffirent 
pour  nourrir  tous  les  pèlerins  de  celte  année.  Il  couvrit  aussi 
la  Ka^ba  entièrement ,  employant  à  cet  effet  ses  propres  vête- 
ments, d'un  prix  inestimable  et  tels  que  personne  n'en  avait 
encore  vu.  Les  habitants  de  Yathrib,  les  gens  des  tribus 
d'Aus  et  de  Khazradj ,  vinrent  auprès  de  lui  pour  se  plaindre 
des  Juifs  de  Khaïbar,  de  Fadaq  et  de  Khoraïdhah,  disant  : 
Ces  Juifs  se  sont  réfugiés  parmi  nous,  en  venant  de  la  Syrie, 
et  ont  trouvé  un  asile  parmi  nous;  maintenant  ils  nous  oppri- 
ment. Le  Tobba*  fit  marcher  son  armée  vers  Yathrib.  Arrivé 
près  de  la  ville,  il  fit  halte  dans  un  endroit  qu'on  appelle 
encore  aujourd'hui,  à  cause  de  cela.  Station  du  Roi.  De  là  il 
envoya  l'armée  dans  la  ville,  et  un  grand  nombre  de  Juifs 


32  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

furent  tués.  Puis  il  retourna  à  la  Mecque  et  ensuite  dans  le 
Yemen. 

C'est  ce  même  Tobba^  qui  expédia  une  armée  en  Chine, 
où  elle  porta  le  massacre  et  le  pillage.  Puis,  il  envoya  son  fils 
avec  une  puissante  armée  dans  Tlndoustan,  où  ils  tuèrent 
beaucoup  d'habitants  et  d'où  ils  passèrent  ensuite  en  Chine. 
D'un  autre  côté,  il  envoya  un  général  nommé  Schamr  et 
surnommé  Dsou'l-Djenâ^h  (parce  que,  quand  il  partit  pour  la 
guerre,  il  marchait  comme  s'il  avait  des  ailes),  avec  l'ordre 
de  pénétrer  dans  le  Turkestan,  et  de  là  en  Chine  pour  prêter 
secours  à  son  fils^Hasan.  Le  général  arriva  à  Samarcand,  qui 
faisait  partie  alors  des  possessions  de  la  Chine,  et  qui  était 
une  ville  bien  fortifiée.  Il  se  rendit  maître  de  la  ville,  la  dé- 
truisit et  tua  un  grand  nombre  d'habitants.  Ensuite  il  la  re- 
construisit et  la  nomma,  d'après  lui,  Samarcand,  car  aupara- 
vant elle  avait  porté  un  autre  nom.  Samarcand  veut  dire  tria 
ville  de  Schamar;?)  car  en  langue  pehlvie  qand  signifie  rrune 
graqde  ville;?)  les  Arabes,  en  traduisant  ce  nom  dans  leur 
langue,  en  ont  fait  Sarmarqand.  Schamar  entra  ensuite  en 
Chine,  y  porta  la  guerre  et  retourna  viclorieux. 

CHAPITRE  VI. 

HISTOIRE  DES  GENS  DE  LA  CAVERNE. 

Les  gens  de  la  caverne  étaient  delà  Syrie,  d'une  ville  dont  le 
roi  était  idolâtre,  ainsi  que  tous  les  habitants.  Ceux-là  avaient 
été  mis  dans  la  bonne  voie  par  Dieu.  Le  roi  s'appelait  De- 
cianus  et  était  l'un  des  rois  grecs  à  qui  appartenait  alors  la 
Syrie,  après  Alexandre,  avant  que  ce  pays  échrtt  aux  Romains. 
Ils  étaient  les  seuls  croyants  dans  toute  la  ville,  el  ils  con- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  VI.  33 

naissaient  Dieu;  ils  étaient  au  nombre  de  six.  Le  roi,  informé 
de  leur  croyance,  les  fit  appeler  et  leur  dit  :  Qui  adorez-vous 
et  quel  est  votre  dieu?  Ils  confessèrent  leur  religion  devant  le 
roi ,  se  tenant  devant  le  roi,  et  Dieu  forlifia  leurs  cœurs,  afin 
qu'ils  n'eussent  pas  de  crainte;  ils  dirent:  Notre  dieu  est  le  Dieu 
du  ciel  et  de  la  terre,  et  nous  n'en  reconnaissons  pas  d'autre 
que  lui;  si  nous  disions  autre  chose,  nous  dirions  un  men- 
songe. Dieu  a  dit  dans  le  Coran  (sur.  xviii,  vers.  i3)  :  rNous 
fortifiâmes  leurs  cœurs  lorsque,  en  se  tenant  [devant  le  roi], 
ils  dirent  :  Notre  dieu  est  le  Dieu  du  ciel  et  de  la  terre, w  etc. 
A  cette  époque,  il  n'y  avait  pas  de  prophète  sur  la  terre;  c'est 
par  leur  propre  intelligence  qu'ils  étaient  parvenus  à  la  con- 
naissance de  Dieu.  C'était  avant  l'apparition  de  Jésus,  de  Jean 
et  de  Zacharie  ;  il  n'y  avait  alors  aucun  prophète  en  Syrie.  Ces 
hommes  étaient  tous  de  grande  naissance;  le  roi  ne  pouvait 
pas  les  mettre  à  mort  légèrement.  Le  roi  avait  un  cadhi  dont 
le  fils  professait  également  la  vraie  foi  et  qui  n'osait  pas  le 
faire  publiquement,  à  cause  du  roi.  Le  roi  dit  ii  ce  cadhi  : 
Que  te  semble,  comment  faut-il  agir  avec  eux?  Le  cadhi  ré- 
pondit :  Ils  sont  tous  de  bonne  famille,  il  ne  faut,  pas  les 
luer  légèrement.  Donne-leur  le  temps  de  cette  nuit,  afin  qu'ils 
réfléchissent  et  reviennent  peut-être  à  la  raison.  Le  roi  leur 
accorda  ce  temps,  et  ils  se  retirèrent.  Dans  le  Coran,  ils  sont 
appelés  du  nom  honorifique  de  fr jeunes  gens.^  (Surate  xviii, 
vers.  9  et  19.)  C'étaient  des  jeunes  gens  qui  croyaient  en 
Dieu,  sans  que  personne  les  eût  appelés  à  Dieu.  Dieu  ajoute 
encore  dans  le  Coran  (sur.  xviii,  vers.  12)  :  «Nous  les  avons 
dirigés  dans  la  droite  voie,  afin  qu'ils  nous  reconnaissent.  17 
Les  docteurs  et  les  commentateurs  disent  que  l'expression 
de  tr jeunes  gensw  n'est  employée  que  deux  fois  dans  le 
Coran  relativement  à  des  croyants  :  une  fois ,  elle  esl  appli- 
11.  3 


34  CHRONIQUE  DE  TABAIU. 

quée  ù  Abraham,  dont  il  est  dit  :  rrNous  avons  enlendu  un 
jeune  homme  nomme  Abraham,^  etc.  (sm\  xxi,  vers.  6i); 
et  fautre  fois  aux  compagnons  de  la  caverne.  Quant  aux  in- 
fidèles, on  lit  dans  Thisloire  de  Joseph  :  rDeux  jeunes  gens 
entrèrent  dans  la  prison.^  (Sur.  xii,vers.  36.)  D'autre  part  on 
lit  :  ttll  dit  àses  jeunes  gens  :  Mettez  leur  argent  parmi  leurs 
bagages, T)  etc.  (Sur.  xu,  vers.  69.) 

Quand  la  nuit  fut  venue,  craignant  que  le  roi  ne  les  fi't 
tuer,  ils  quittèrent  tous  les  six  la  ville,  dans  la  même  nuit. 
Leurs  noms  étaient  les  suivants  :  xMaximilianos ,  le  premier 
d'entre  eux  et  celui  qui  avait  pris  la  parole  devant  le  roi; 
Malchos,  Yamblichos,  Martinianos,  Dionysios  et  Johanues. 
Ils  se  rendirent  vers  une  montagne  qui  se  trouvait  près  de 
la  ville  et  qui  s'appelait  Ya'hlos.  Là  ils  rencontrèrent  un  pâtre 
nommé  Antoninos.  Ils  lui  dirent  :  Y  a-t-il  dans  cette  montagne 
un  endroit  où  nous  puissions  nous  cacher  pour  quelques  jours? 
Le  pâtre  leur  dit:  Qui  êtes-vous?Ils  répondirent:  Nous  profes- 
sons une  autre  religion  que  le  roi  et  les  habitants  de  cette  ville; 
nous  adorons  un  dieu  diiïérent  de  leurs  idoles,  et  nous  nous 
sommes  enfuis  d'auprès  du  roi,  craignant  pour  notre  vie;  nous 
cherchons  un  endroit  pour  nous  cacher.  Le  pâtre  dit  :  Quel 
est  votre  dieu  et  quelle  est  votre  religion?  Ils  lui  exposèrent 
leur  croyance  et  il  l'accepta  également,  puis  il  leur  dit  :  J'irai 
avec  vous.  Ils  consentirent.  Ensuite  le  pâtre  dit  :  Il  y  a.  dans 
cette  montagne  une  grande  crevasse  et  une  énorme  caverne , 
ayant  une  entrée  très-étroite;  nous  autres  pâtres,  quand  dans 
la  nuit  il  fait  froid ,  ou  qu'il  fait  du  vent,  et  qu'il  tombe  de  la 
pluie,  et  que  nous  craignons  pour  les  moutons,  nous  les  faisons 
entrer  dans  cette  caverne.  Ensuite  le  pâtre  confia  ses  moutons  a 
ses  camarades  et  alla  avec  eux.  Il  avait  un  chien ,  qui  les  accom- 
pagna. Les  autres,  en  le  voyant,  dirent  au  pâtre  :  Renvoie  ce 


PARTIE  II,. CHAPITRE  M.  35 

chieu;  c^r,  quand  il  aura  faim,  il  fera  dubruilel  déuoucera 
aux  hommes  notre  présence.  Mais,  quelque  peine  que  le  pâtre 
se  donnât  pour  chasser  le  chien,  en  le  frappant,  le  chien  ne 
s'en  allait  pas.  Quand  ils  Feurent  longtemps  frappé,  Dieu  lui 
donna  la  parole,  et  il  leur  dit  distinctement  :  Pourquoi  me 
frappez-vous  ?  Moi  aussi ,  je  crois  au  même  dieu  auquel  vous 
croyez.  Ce  fut  là  pour  eux  un  signé  et  un  miracle  de  la  part 
de  Dieu.  Ensuite  ils  se  mirent  en  route  et  entrèrent  dans  la 
caverne.  Ils  trouvèrent  un  lieu  grand  et  vaste,  comme  il  est  dit 
dans  le  Coran  :  «r  Et  ils  se  trouvèrent  dans  un  endroit  vaste  de 
la  caverne. 7>  (Sur.  xviii,  vers.  16.)  Ensuite  ils  se  couchèrent 
et  le  chien  également,  en  étendant  ses  pattes  et  la  bouche 
posée  sur  les  pattes,  comme  c'est  l'habitude  des  chiens.  Le 
•(]oran  le  décrit  en  ces  termes  :  cf  Leur  chien  était  couché,  les 
pattes  de  devant  étendues,  à  l'entrée. «  (Sur.  xviii,  vers.  17.) 
Dieu  leur  envoya  le  sommeil ,  et  pendant  le  sommeil ,  il  en- 
leva  leurs  âmes,  ainsi  que  celle  du  chien. 

Le  lendemain,  le  roi  les  fit  chercher,  mais  on  ne  les 
trouva  point;  on  lui  dit  qu'ils  avaient  quitté  la  ville.  Le  roi 
envoya  à  leur  poursuite;  on  les  rechercha  pendant  un  mois, 
sans  les  trouver;  alors  on  cessa  les  recherches.  Ils  restèrent 
dans  cette  caverne  trois  cent  neuf  ans.  Dieu  envoyait  chaque 
semaine  un  ange,  afin  qu'il  les  retournât  d'un  côté  sur  l'autre, 
pour  empêcher  que  leur  chair  ne  pourrit  par  le  contact  de  la 
terre,  et  pour  que  les  corps  ne  fussent  pas  décomposés.  Il  est 
dit  dans  le  Coran:  trNous  les  retournions  à  droite  et  à  gau- 
che. ?)  (Ibid.)  Quand  le  soleil  se  levait,  il  était  à  leur  droite,  et 
il  se  couchait  à  gauche  de  la  caverne,  comme  il  est  dit  dans 
le  Coran  :  ^Tu  aurais  vu  le  soleil,  quand  il  se  levait,  passer  à 
droite  de  leur  caverne,  et  quand  iPse  couchait,  décliner  à  leur 
gauche. -n  (Sur.  xviii,  vers.  1 6.)  Les  docteurs  et  commentateurs 

3. 


36  CHHONIQUE  DE  ÏABARI. 

expliquent  ce  verset  de  la  manière  suivante  :  dette  montagne 
était  située  vers  le  sud,  qui  est  à  gauche  de  l'occident;  cl 
rentrée  de  la  caverne  élait  tournée  du  côté  du  nord.  Dans 
cette  situation,  le  soleil,  qui  se  lève  à  Torient,  se  trouve  être 
à  la  droite  de  la  caverne,  et  à  sa  gauche  quand  il  se  couche. 
Le  vent  du  nord  y  souille  et  empêche  Todeur  cadavérique  de 
se  développer. 

Ils  restèrent  donc  dans  cette  caverne  trois  cent  neuf  ans. 
Pendant  ce  temps,  le  roi  Decranus  était  mort  et  d'autres  rois 
grecs  lui  avaient  succédé  dans  le  gouvernement  de  la  Syrie; 
puis  le  gouvernement  avait  passé  entre  les  mains  des  Romains. 
Sous  le  premier  tics  rois  romains  qui  gouvernaient  en  Syrie, 
apparut  Jésus ,  qui  avertit  les  enfants  dlsraël  de  Tévénement  des 
gens  de  la  caverne.  Il  leur  annonça  qu  ils  ressusciteraient,  que 
les  hommes  les  verraient  et  qu'ils  mourraient  de  nouveau, 
afin  que  les  hommes  qui  niaient  la  résurrection  des  morts, 
en  voyant  cela,  fussent  convaincus  que  Dieu  tient  ses  engage- 
ments et  que  la  résurrection  est  une  vérité.  Dieu  a  fait  mention 
de  leur  histoire  dansTEvangile,  de  môme  que  dans  le  Coran, 
où  il  est  dit  :  n  C'est  pour  cette  raison  que  nous  les  avons  infor- 
més de  leur  histoire  {trad.  pers.  C'est  pour  cela  que  nous  les 
avons  ressuscites),  afin  quils  reconnaissent  que  les  engage- 
ments de  Dieu  sont  vrais  et  gu'il  n'y  ait  pas  de  doute  sur  la  ré- 
surrection. ^^  (Sur.  xviii,  vers,  ao.)  Après  trois  cent  neuf  ans, 
tous  les  habitants  de  la  Syrie  et  du  pays  de  Roum  croyaient  en 
Jésus  et  lisaient  rÉvangile;  et  ils  connaissaient  cette  aventure. 
Mais  il  n'était  pas  dit  dans  l'Évangile  dans  quelle  contrée  de 
la  Syrie  était  située  la  caverne,  comme  cela  est  indiqué  dans 
notre  Coran  :  ils  attendaient  donc  de  quel  pays  ils  sortiraient. 

Quand  les  trois  cent  neuf  ans  furent  écoulés  et  que  Dieu 
voulut  les  ressusciter,  l'un  deux,  nommé  Maximilianos,  qui 


PAHTIE  II,  CHAPITRE  VI.  37 

élail  le  premier  irenlre  eux,  revint  à  la  vie,  vers  le  teiu|)8 
(lu  AVimdz,  avant  que  le  soleil  déclinai.  Il  appela  les  autres, 
et  tous  revinrent  à  la  vie,  de  même  que  le  chien;  et  ils  se 
levèrent,  comme  on  se  lève  du  sommeil.  r^L'un  dit  à  Tautre  : 
Combien  de  temps  èles-vous  restés  ici?  Un  autre  dit  :  Un  jour, 
ou  une  partie  du  jour.  7)  (Sur.  xviii,  vers.  18.)  Ils  s'imaginaient 
être  entrés  dans  la  caverne  la  veille  au  crépuscule  et  s'âtre 
réveillés  le  lendemain  au  milieu  de  la  journée.  Puis  ils  dirent: 
fr  Votre  Seigneur  sait  mieux  que  personne  combien  de  temps 
vous  êtes  restés,  w  (Ibid.) 

Ils  avaient  de  l'argent  du  temps  de  Decianus,  et  qui  était 
plus  grand  que  celui  qui  était  en  usage  dans  cette  ville  ce  jour- 
là.  Ils  dirent  :  «r  Envoyez  Tun  d'entre  vous  avec  votre  argent 
que  voilà  à  la  ville,  qu'il  cherche  celui  qui  aura  les  meilleures 
provisions  et  qu'il  vous  en  apporte  pour  votre  nourriture. .  . 
Mais  qu'il  ne  fasse  pas  connaitre  ce  qui  vous  concerne,  n  (Ibid.) 
Ils  envoyèrent  donc  Yamblichos.  Lorsque  celui-ci  fut  entré 
dans  la  ville,  il  en  reconnut  les  maisons  et  les  bazars,  mais 
il  ne  connut  pas  les  hommes.  Il  vit  les  hommes  en  prière, 
adorant  Dieu  ;  il  en  fut  étonné  et  dit  :  Depuis  un  jour  que  nous 
sommes  partis,  le  peuple  est  devenu  si  croyant  I  Ensuite  il 
entra  chez  un  boulanger  pour  acheter  du  pain.  Quand  il  prit 
l'argent  et  le  remit  au  boulanger,  il  se  trouva  que  ce  n'était 
pas  la  monnaie  courante.  Le  boulanger  dit  :  D'où  as-tu  cette 
monnaie?  L'autre  répondit:  C'est  la  monnaie  de  cette  ville  et  la 
marque  de  ce  roi.  Le  boulanger  dit  :  Dans  cette  ville,  il  n'y  a 
pas  de  monnaie  semblable,  et  ce  roi  n'a  pas  frappé  une  j>a— 
reille  monnaie  ;  il  est  probable  que  vous  avez  trouvé  un  trésor 
de  monnaies  anciennes.  Yamblichos  dit  :  J'ai  emporté  hier 
cette  monnaie  avec  la  marque  de  Dccianus,  de  cette  ville.  Le 
boulanger  ne  connaissait  pas  Decianus;  il  dit  :  Je  ne  connais 


58  CHRONIQUE  DE  TABAKI. 

[tas  ce  roi  donl  lu  parles;  celui-là  est  mort,  à  {irésent  uotre 
roi  est  un  tel,  Yaniblichos  dit  :  Quelle  religion  a-t-il  et  qui 
adore-t-il?  L'autre  répondit  :  Il  suit  la  religion  de  Jésus  et  il 
adore  Dieu.  Pendant  quils  parlaient  ainsi,  les  seniteurs  du 
roi  passèrent  par  là  et  les  entendirent,  ils  emmenèrent  Yani- 
blicbos  devant  le  roi,  qui  écouta  son  aventure  et  regarda  la 
monnaie.  Alors  il  reconnut  qu  il  était  un  des  compagnons  de 
la  caverne  dont  il  avait  lu  Tliistoire  dans  TEvangile.  Le  roi 
rassembla  le^  babitants  de  la  ville,  les  docteurs  et  les  lecteurs 
de  FÉvangile,  afin  qu'ils  apprissent  cet  événement.  Y'ambli- 
chos  raconta  :  Moi  et  mes  amis,  nous  avons  quitté  cette  ville 
du  temps  du  roi  Decianus.  Nous  nous  sommes  enfuis ,  craignant 
pour  notre  foi ,  et  nous  nous  sommes  rendus  dans  une  telle 
montagne,  nous  sommes  entrés  dans  une  caverne,  où  nous 
avons  dormi.   Aujourd'hui  nous  nous  sommes  réveillés,  et 
maintenant  je  suis  venu,  afin  d'acheter  avec  cet  argent  de  la 
nourriture  pour  mes  compagnons.  Nous  voulons  prendre  les 
provisions  et  partir  cette  nuit.  Les  lecteurs  de  TÉvangile  re- 
connurent que  c'était  là  Taventure  des  gens  de  la  caverne 
dont  il  était  question  dans  FEvangile.  Le  roi  dit  à  Yamblichos  : 
0  jeune  homme,  reçois  la  bonne  nouvelle  que  Decianus  est 
mort,  et  que  depuis  sa  mort  il  s'est  écoulé  trois  cent  neuf  ans; 
Dieu  a  envoyé  un  prophète  nommé  Jésus,  avec  son  livre  venu 
du  ciel;  votre  aventure  est  révélée  dans  ce  livre.  Nous  adorons 
Dieu  et  suivons  la  religion  de  Jésus;  nous  nous  attendions 
que  vous  sortiriez  de  la  caverne.  Vous  avez  dormi  dans  la 
caverne  pendant  trois  cent  neuf  ans.  Maintenant  oii  sont  tes 
compagnons?  Yamblichos  dit  :  Us  sont  dans  la  caverne.  Le 
roi  se  leva  et  sortit  de  la  ville  avec  toute  sa  suite  et  le  peuple, 
accompagnant  Yamblichos  jusqu'à   la  caverne.  Arrivé   pi-ès 
de  là,  Yanihlichos  dit  :  Mes  amis  nont  pas  connaissance  de 


^ 


PARTIE  II,  CUAPITUE  VL  39 

Télal  (lu  luoiide;  ils  croiront  que  Deoiauus  e^t  eucoi*e  vivant; 
quand  ils  verront  toute  celte  foule,  ils  penseront  que  De- 
cianus  vient  pour  les  taire  périr.  Restez  ici  pour  que  j'aille 
en  avant,  que  je  les  avertisse,  afin  qu'ils  se   réjouissent  et 
qu'ils  sortent.  I^  roi  le  laissa  partir.  Yamblichos  entra  dans 
ta  caverne,  en  vue  du  roi  et  du  peuple.  Quand  ses  compagnons 
l'aperçurent,  ils  lui  dirent  :  Quelle  nouvelle  apportes-tu? 
Yamblichos  leur  raconta   les  événements  survenus  dans  le 
monde,  relativement  à  la  religion  de  Jésus ,  à  IKvangileetau 
roi.  Après  avoir  parlé,  il  tomba  et  mourut ,  et  les  autres  mou- 
rurent égalemenL  Le  roi  et  le  |)euple  restèrent  a  la  porte  de 
la  caverne  toute  la  nuit ,  jusqu  au  lendemain  au  milieu  du  jour. 
Yamblichos  ne  reparut  plus.  Le  roi  ordonna  qu'on  entrât  dans  la 
caverne,  mais  persoiwe  n'osait  y  entrer,  redoutant  la  caverne. 
Ils  ne  savaient  que  faire  et  dirent  :  tr  Construisez  au-dessus  [de 
la  caverne]  un  édifice,  afin  que  les  hommes  sachent  que  ce 
sont  les  gens  de  la  caverne.  Leur  Seigneur  sait  mieux  que 
personne  ce  qui  les  concerne, «   etc.  (Sur.  xviii,  vers,  ao.) 
Tous  les  hommes  dirent  :  Nous  construirons  une  chapelle  a 
la  porte  de  la  caverne,  afin  que  les  hommes  y  prient  et  que 
leur  prière  soit  exaucée.  Ils  y  construisirent  donc  une  chapelle, 
et  inscrivirent  sur  la  pierre  du  mur  de  la  caverne  Thisloire 
des  gens  de  la  caverne,  telle  que  nous  venons  de  la  raconter 
littéralement  d'après  les  commentateurs. 

Mo^hammed,  fils  de  Djarir,  dit  encore  dans  son  ouvrage: 
Quelques-uns  des  docteurs  rapporleut  que  ces  gens  sont  entrés 
dans  la  caverne  avant  Jésus  et  eu  sont  sortis  après  Jésus;  mais 
leur  entrée  et  leur  sortie  a  eu  lieu  du  temps  des  rois  des 
Provinces,  après  l'époque  d'Alexandre  et  avant  celle  d'Ai-de- 
schir,  fils  de  de  Bàbek,  ainsi  que  nous  l'avons  dit.  D'autres 
disent  que  c'est  là  une  erreur,  qu'ils  sont  entrés  dans  la  ca- 


40  CHRONIQUE  DE  TABAHI. 

veri»e  après  lapparilion  de  Jésus,  qu'ils  avaient  cru  en  lui 
et  que  le  roi  et  les  liabitants  de  leur  ville  étaient  restés 
idolâtres;  quun  des  disciples  auxquels  Jésus  avait  ordonné 
de  convertir  le  inonde  et  d'appeler  les  hommes  à  sa  religion, 
était  venu  dans  cette  ville,  qu'il  avait  appelé  les  habitants  à 
Dieu ,  que  ceux-ci  n'avaient  pas  accepté  sa  prédication  et  que 
les  compagnons  de  la  caverne  l'avaient  acceptée.  Ils  s'étaient 
ensuite  enfuis  d'auprès  du  roi  et  étaient  entrés  dans  la  caverne. 
Après  trois  cent  neuf  ans  ils  en  étaient  sortis,  avant  l'époque 
d'Ârdeschîr,  fils  de  Bàbek,  du  temps  des  rois  des  Provinces. 
Quand  ils  sortirent,  les  habitants  de  la  ville  et  leur  roi  étaient 
devenus  croyants  et  avaient  adopté  la  religion  de  Jésus,  comme 
nous  l'avons  raconté. 

On  rapporte  le  fait  de  leur  entrée  dans  la  caverne  de  dif- 
férentes manières,  et  les  avis  sont  très-partages  à  cet  égard. 
Voici  un  autre  récit  :  Leur  roi  était  idolâtre.  Il  avait  fait  placer 
à  la  porte  de  la  ville  une  idole;  quiconque  entrait  dans  la 
ville  l'adorait.  Or  un  des  apôtres  de  Jésus  arriva  à  cette  ville. 
Quand  il  voulut  y  entrer,  on  lui  dit  d'adorer  cette  idole.  11  re- 
fusa et  n'entra  pas  dans  la  ville.  Il  y  avait  près  de  la  porte  un 
établissement  de  bains  dans  lequel  il  se  rendit;  il  y  offrit  ses 
services  au  baigneur  et  s'engagea  à  lui  pour  des  gages.  Il  faisait 
son  service  dans  la  journée,  et,  le  soir,  il  recevait  son  salaire 
au  moyen  duquel  il  achetait  de  la  nourriture  et  mangeait.  Il 
passait  la  nuit  en  prières  et  jeânait  le  jour.  Dieu  bénissait 
rindustrie  du  baigneur;  celui-ci  le  reconnut  et  dit  :  Cette  bé- 
nédiction me  vient  à  cause  de  ce  serviteur.  En  conséquence, 
il  traitait  l'apôtre  avec  égards  et  le  rapprochait  de  sa  personne. 
Apr«*s  un  certain  temps,  l'apôtre,  étant  devenu  plus  familier 
avec  le  baigneur,  lui  exposa  la  religion  de  Jésus,  cl  le  bai- 
gneur raccepta.  Il  y  avait  quelques  jeunes  gens  de  la  ville  qui 


PARTIE  H,  CHAPITRE  VI.  h\ 

venaient  de  temps  eu  temps  chez  le  baigneur  et  qui  étaient  lies 
d'amitié  avec  lui.  L'apôtre  leur  exposa  la  fol  de  Jésus,  et  ils 
Facccplèrent.  Ce  sont  là  les  compagnons  de  la  caverne.  Ils 
restèrent  tous  ensemble  chez  le  baigneur. 

Un  jour,  le  fils  du  roi  se  rendit  dans  cette  maison  de  bains 
avec  une  femme  de  mauvaise  vie.  L'apôtre  serviteur  lui  dit  : 
N'as-tu  pas  honte  d'aller  au  bain  avec  cette  femme  prostituée? 
Le  fils  du  roi  le  frappa,  l'injuria  et  entra  dans  le  bain.  Lui  et 
la  femme  suIToqucrent  et  moururent.  On  annonça  au  roi  que 
son  fils  avait  été  tué  dans  le  bain.  Le  roi  se  transporta  dans 
l'établissement  de  bains,  fit  appeler  le  baigneur  et  le  serviteur, 
et  dit  :  Quels  sont  les  habitants  de  la  ville  qui  fréquentaient 
le  baigneur?  On  lui  nomma  les  jeunes  gens  mentionnés.  Le  roi 
les  fit  rechercher.  Ceux-ci,  avertis ,  sortirent  de  la  ville  et  s'en- 
fuirent. A  un  certain  endroit  ils  rencontrèrent  un  paysan  qui 
avait  un  chien ,  et  qui  professait  également  leur  religion.  Ils  lui 
dirent  :  Le  roi  nous  recherche.  Cet  homme  eut  peur;  il  alla  avec 
eux ,  accompagné  de  son  chien  ;  et  ils  allèrent  tous  ensemble ,  le 
baigneur,  le  paysan,  l'apôtre  et  les  jeunes  gens  de  la  ville. 
Ce  sont  ceux-là  qui  furent  les  compagnons  de  la  caverne. 
Ils  entrèrent  dans  une  caverne.  Lorsque  le  roi-  arriva  à  la 
porte  de  la  caverne,  aucun  de  ceux  à  qui  il  ordonna  d'y 
entrer  n'osa  le  faire.  Alors  le  roi  dit  :  Si  je  pouvais  m'emparer 
d'eux ,  je  les  mettrais  à  mort.  Maintenant  enfermez-les  dans 
la  caverne.  Puis  il  ordonna  d'élever  à  l'entrée,  un  mur  d'ar- 
gile et  de  pierre,  afin  qu'ils  mourussent  de  faim  et  de  soif. 
Ils  fermèrent  ainsi  l'entrée  de  la  caverne  et  s'en  retournè- 
rent. Les  compagnons  de  la  caverne  y  dormirent  trois  cent 
neuf  ans.  Lorsque  Dieu  voulut  qu'ils  reparussent,  un  pâtre 
vint  à  y  passer;  il  avait  froid  et  se  tourna  vers  la  monlagne. 
Là  il  vil  une  pelile  ouverture  et  pensa  que  rVlait  une  caverne. 


à'I  CHRONIOUK'DE  TABAIU. 

Il  dégagea  coniplétement  Touverlure,  y  enlra  avec  ses  mou- 
tons el  y  passa  la  nuit;  le  lendemain  il  s'en  alla.  Dieu  ré- 
veilla les  compagnons  de  la  caverne  et  leur  rendit  la  vie. 
Alors  ils  envoyèrent  Tuu  d'eux  avec  la  monnaie  qu'ils  avaient. 
L'auteur  dit  que  (à  cette  époque)  chaque  dirhem  avait  la 
valeur  de  dix  dirhems  (d'aujourd'hui),  et  en  avait  sept  fois  le 
poids,  et  était  grand  comme  la  plante  du  pied  d'un  petit 
de  chameau.  Cet  houune  remit  cette  monnaie  au  boulanger. 
Celui-ci  la  porta  au  roi  el  lui  amena  l'homme,  qui  raconta 
toute  cette  aventure. 

Mo^hammed ,  (ils  de  Djarir,  ajoute  que  le  récit  qu'il  adonné 
plus  haut  est  plus  exact  que  celui  que  nous  venons  de  rap> 
porter,  et  dont  un  ou  deux  faits  sont  en  opposition  avec  ce 
qu'on  lit  dans  le  Coran.  Premièrement  ce  dernier  récit  dit 
qu'ils  avaient  caché  leur  religion,  tandis  qu'il  est  dit  dans  le 
Coran  :  «Nous  fortifiâmes  leurs  cœurs. . .  et  ils  dirent  :  Notre 
Seigneur  est  le  Seigneur  du  ciel,7)  etc.  (Sur.  xvni,  vers.  i3.) 
L'autre  contradiction  est  celle-ci  :  D'après  le  récit,  le  roi  au- 
rait fermé  l'entrée  de  la  caverne,  et  elle  serait  restée  fermée 
pendant  trois  cent  neuf  ans.  Mais  le  Coran  dit  :  rrTu  aurais 
vu  le  soleil ,  à  son  lever,  passer  à  droite  de  l'entrée  de  la  ca- 
verne, t?  etc.  {Ibid.  vers.  16.)  Le  commencement  du  récit  est 
tel  que  nous  l'avons  rapporté.  Si  l'entrée  de  la  caverne  avait 
été  fermée,  ce  récit  n'aurait  pas  de  sens. 

Quant  au  nombre  des  gens  de  la  caverne,  il  n'y  a  pas  d'opi- 
nions différentes  parmi  les  commentateurs  et  les  tradition- 
nistes  :  ils  sont  tous  d'accord  qu'ils  étaient  au  nombre  de  sept 
et  que  le  chien  était  le  huitième,  comme  il  est  dit  dans  le 
Coran.  (Sur.  xvni,  vers.  21.)  Mais  on  a  discuté  sur. ce  verset 
du  Coran:  (tll  y  en  aura  qui  diront  qu'ils  étaient  trois,  et  le 
chien  le  quatrième;  d'autres  diront  qu'ils  étaient  cinq,  et  le 


PAUTIE  II,  CIIAPITRK  Ni.  43 

cliien  le  sixième,  cherchant  à  deviocr  le  mystère  ;d'aulres  diront 
qu'ils  étaient  sept,  et  le  chien  le  huitième,  -n  (Sur.  xviii,  vers,  a  i .) 
Ce  verset  s'applique  aux  gens  de  rÉvangile  et  aux  hérétiques, 
qui  avaient  transmis  cette  histoire  aux  Juifs  et  aux  infidèles  de 
la  Mecque.  Quelques-uns  d'entre  eux  prétendaient  qu'ils  étaient 
trois,  et  le  chien  le  quatrième;  d'autres,  cinq,  et  le  chien  le 
sixième;  d'autres  encore,  qu'ils  étaient  sept,  et  le  chien  le  hui- 
tième. Le  Coran  mentionne  ce  dissentiment  et  ajoute  :  rtDis: 
Dieu  sait  mieux  que  personne  combien  ils  étaient;  bien  peu 
de  gens  le  savent.?)  (Ibid.)  Maintenant,  tous  les  docteurs  et 
les  commentateurs  sont  d'accord  qu'ils  étaient  au  nombre  de 
sept,  et  que  le  chien  était  le  huitième.  Et  pour  cela,  il  y  a  deux 
raisons  :  d'abord  une  tradition ,  ensuite  un  argument  donné  par 
le  Prophète.  La  tradition  est  celle-ci  :  Ukrima  et  ses  disciples 
rapportent d'Ibn-^Abbàsque^elui-ci  avait  dit:  tfMoi,  je  suis  de 
ce  petit  nombre  dont  Dieu  a  parlé  dans  ce  verset  relative- 
ment au  nombre  des  gens  de  la  caverne.  J'ai  interrogé  le  Pro- 
phète sur  leur  nombre,  il  m'a  répondu  qu'ils  étaient  sept. t) 
Leurs  noms  sont  déterminés  dans  les  traditions,  tels  que  nous 
les  avons  rapportés.  Quant  à  la  preuve  directe  du  nombre  sept 
qui  est  dans  le  Coran,  elle  est  celle-ci  :  il  y  est  dit  :  rEt  leur 
chien  était  le  huitième,  t?  Il  mentionne  d'abord  les  dissensions 
des  possesseurs  des  livres  sacrés  et  leurs  trois  opinions.  Arrivé 
à  celle  du  nombre  sept,  il  termine  son  énumération  et  il  passe 
au  second  membre  de  la  phrase,  en  disant  :  ^Et  leur  chien 
était  le  huitième,  t)  Cette  manière  de  parler  est  d'usage  dans 
la  construction  du  deuxième  membre  de  la  phrase,  et  cette 
antithèse  répond,  non  à  la  partie  de  la  première  phrase  re- 
lative aux  diiïérentes  opinions,  mais  les  mots  fret  le  chien 
était  le  huitième?)  veulent  dire  (|ue  leur  nombre  était  de 
sept. 


H  CHRONIQUE  DE  TAUAUl. 

Mo^hainnied,  fils  de  Djarir,  dit  encore  dans  son  livre  qu'ils 
étaient  neuf  personnes,  et  il  donne  leurs  noms  :  celui  du  hui- 
tième, Natos,  et  le  neuvième,  Kalos.  S'il  en  était  ainsi,  il 
faudrait  que  le  Coran  dit  :  tret  leur  chien  était  le  dixième. 7» 
Mo^hammed,  fils  dlsMiâq,  Tauteur  du  Moghazi,  dit  qu'hits 
étaient  huit,  et  leur  chien  le  neuvième. 


CHAPITRE  VIL 

HISTOIRE  DE  JOIfAS,  FILS  DE  MATAI. 

Au  nombre  des  choses  merveilleuses  qui  se  passèrent  parmi 
les  enfants  d'Israël,  du  temps  des  rois  des  Provinces,  est  This- 
toire  de  Jonas,  fils  de  Mataï.  Jonas  était  des  enfants  d'Israël, 
il  était  prophète,  envoyé  par  Dieu,  comme  il  est  dit  dans 
le  Coran  :  rr Et  Jonas  fut  un  de  nos  envoyés.^  (Sur.  xxxvn, 
vers.  iSg.)  Dieu  Tavait  envoyé  vers  une  ville  du  territoire  de 
Mossoul,  renfermant  sept  villes,  adonnées  toutes  à  ridolâtrie. 

Celte  ville  négligea  le  message  de  Dieu,  aucun  de  ses 
habitants  ne  l'accepta  et  personne  ne  voulut  croire.  Il  se 
passa  ainsi  un  long  espace  de  temps.  Jonas  pria  Dieu  et  Dieu 
lui  donna  la  promesse  que,  s'ils  ne  croyaient  pas,  il  enver- 
rait sur  eux  un  châtiment;  mais  Dieu  ne  dit  pas  (d'une  ma- 
nière absolue)  qu'il  les  châtierait.  Alors  Jonas  leur  annonça; 
Tel  jour,  un  châtiment  du  ciel  fondra  sur  vous,  si  vous  ne 
croyez  pas.  Lorsque  ce  jour  fut  arrivé,  Jonas  sortit  du  milieu 
d'eux  pendant  la  nuit,  et,  quand  le  jour  se  montra.  Dieu 
envoya  un  nuage  rouge  rempli  de  feu;  des  flammes  de  feu 
en  sortirent,  et  ce  nuage  se  tint  au-dessus  de  leur  ville.  Le 
roi  et  les  habitants  de  la  ville  se  réunirent  et  reconnurent 
que  \v  rhâlimciil  riail  prorhe.  Le  roi  dit:  Cherchez  Jonas, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  VII.  45 

afin  que  nous  croyions  eu  Dieu;  car  ce  qu  il  nous  a  annoncé 
esl  la  vérité.  Quand  Jouas  sut  qu'ils  le  cherchaient,* il  dit 
avec  colère:  Pourquoi  n'ont-ils  pas  cru  avant  ce  jour?  Il  s'en- 
fuit d'auprès  d'eux  et  ne  se  montra  pas,  comme  il  est  dit  dans 

le  Coran:  rr Lorsqu'il  s'enfuit  sur  un  vaisseau  chargé ^^ 

(sur.  xxxvii,vers.  iZio),eldans  un  autre  passage  :  «r Lors- 
qu'il partit  en  colère. tj  (Sur.  xxi,  vers.  87.)  Il  s'en  alla  vers  le 
bord  de  la  mer,  aGn  que  ceux-là  ne  le  trouvassent  point  et 
que  le  châtiment  eût  son  cours.  Le  lendemain,  le  roi  sortit 
et  dit  :  Jouas  nous  appelle  à  Dieu;  si  Jonas  est  parti,  le  Dieu 
de  Jonas  est  resté.  Il  fit  sortir  de  la  ville  toute  la  population, 
grands  et  petits,  hommes  et  femmes;  leur  uombre  était  de 
plus  de  cent  mille,  comme  il  est  dit  dans  le  Coran  :  trNous 
l'envoyâmes  vers  un  peuple  de  cent  mille  âmes  ou  plus.^)  La 
particule  trou  if  [aou)  est  employée  ici  dans  le  sens  de  tr  plu- 
tôt r  [bal).  Ils  firent  sortir  également  tous  les  animaux  qua- 
drupèdes qu'ils  avaient  et  les  oiseaux.  Le  roi  se  couvrit  de  pous- 
sière ,  mit  sa  face  contre  la  terre ,  et  tout  le  peuple  se  couvrit  de 
poussière.  Le  roi  dit  :  0  Seigneur,  quoique  Jonas ,  ton  pro- 
phète, soit  parti,  nous  ne  perdons  pas  la  confiance  en  loi. 
Nous  croyons  en  toi, Dieu,  et  à  ton  prophète.  Puis  le  roi  or- 
donna d'apporter  toutes  les  idoles,  et  il  les  fit  toutes  détruire. 
Ensuite  il  ordonna  de  séparer  les  enfants  de  leurs  mères, 
ceux  des  hommes  comme  ceux  des  animaux.  Alors  les  mères 
poussèrent  des  cris,  en  redemandant  leurs  enfants,  et  les 
enfants  crièrent  et  pleurèrent,  en  demandant  leurs  mères  ;  et 
ces  cris  et  ces  pleurs  des  êtres  humains  et  des  bétes,  et  les 
supplications  des  hommes  et  les  prières  et  les  sanglots  de  tout 
ce  peuple  montèrent  au  ciel ,  et  le  ciel  et  la  terre  en  furent 
affligés,  et  les  anges  pleurèrent  et  pardonnèrent  à  la  ville.  Le 
peuple  continua  ces  supplications  pendant  trois  jours  et  trois 


A6  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

nuils.  Le  qualrièiwe  jour,  Dieu  eut  pi  lié  d'eux  et  éloigna  d'eux 
le  châtiment.  Jamais  Dieu  n'avait  encore  pardonné  à  un 
peuple,  si  ce  n'est  celui-là.  Un  peuple  qui  n'avait  pas  cru 
au  temps  voulu  ne  pouvait  plus  se  sauver  en  croyant  alors 
que  le  châtiment  élait  arrivé,  excepté  le  peuple  de  Jonas, 
comme  il  est  dit  dans  le  Coran:  rrS'il  n'en  était  pas  ainsi, 
une  ville  qui  aurait  cru  aurait  été  sauvée  par  sa  loi.  Il  n'y 
a  que  le  peuple  de  Jonas  que,  quand  il  crut,  nous  déli- 
vramesdu  châtiment,^  elc.  (Sur.  x,vers.  98.)  Ils  adoptèrent 
donc  la  foi  et  crurent  en  Dieu.  Mais  Jonas  n'était  pas  là  pour 
leur  enseigner  la  religion  et  le  culte,  et  ils  attendaient  que 
Dieu  leur  envoyât  Jonas  ou  un  autre  prophète. 

Jonas  était  allé  pendant  la  nuit  et  s'était  dirigé  vers  le  bord 
de  la  mer,  irrité  contre  son  peuple,  et  voulant  éviter  qu'il 
le  trouvât,  afin  qu'il  ne  pût  le  prier  d'intercéder  pour  lui 
auprès  de  Dieu.  Il  ne  savait  pas  qu'il  commettait  un  péché 
que  Dieu  punirait  ;  c'était  un  péché  commis  sans  intention  ; 
il  ne  pensait  pas  que  Dieu  le  punirait.  Quand  il  fut  arrivé 
au  bord  de  la  mer,  un  vaisseau  vint  à  y  passer.  Jonas,  crai- 
gnant que  les  gens  de  la  ville  ne  le  cherchassent  et  ne  le 
ramenassent,  monta  sur  le  vaisseau.  Le  vaisseau  se  mit  en 
route.  Lorsqu'il  fut  arrivé  au  milieu  de  la  mer.  Dieu  fit  sortir 
du  fond  de  la  mer  le  poisson  dans  le  ventre  duquel  il  voulut 
faire  entrer  Jonas,  et  le  poisson  arrêta  le  vaisseau.  Les  hommes 
du  vaisseau  se  mirent  en  prière  et  pleurèrent  et  se  préparèrent 
à  la  mort.  Alors  Jonas  reconnut  qu'il  avait  commis  un  péché; 
il  pensa  que  probablement  le  peuple  l'avait  cherché  et  ne 
l'avait  pas  trouvé,  et  que  Dieu  n'approuvait  pas  qu'il  les  eût 
quittés.  Il  y  avait  sur  le  vaisseau  un  grand  nombre  d'hommes, 
comme  il  est  dit  dans  le  Coran:  trEt  il  se  sauva  sur  un  vais- 
seau chargé, 7)  c'est-à-dire  rempli  de  monde  et  de  marchan- 


PARTIE  If,  CHAPITRE  VII.  àl 

dises.  Jouas  leur  dit:  C'est  moi  que  ce  poisson  veut,  jetez- 
moi  à  lui.  ils  dirent:  Qui  es-tu?  II  répondit:  Je  suis  prophète 
de  Dieu,  envoyé  vers  les  habitants  de  Ninive;  mon  nom  est 
Jonas,  fils  de  Mataï.  Je  suis  le  pécheur  parmi  vous;  jetez-moi 
dans  la  mer,  et  partez  en  paix.  Ils  dirent  :  Nous  ne  jetterons 
pas  dans  la  mer  un  prophète  de  Dieu.  Le  vaisseau  fut  ébranlé 
parle  poisson.  Jonas  dit:  Pourquoi  ne  voulez-vous  pas  me 
jeter?  Us  répondirent:  Nous  allons  tirer  au  sort;  nous  jette- 
rons dans  la  mer  celui  sur  qui  le  sort  tombera.  Us  tirèrent 
trois  fois  au  sort,  et  trois  fois  le  sort  tomba  sur  Jonas,  comme 
il  est  dit  dans  le  Coran  :  trEt  ils  jetèrent  le  sort  entre  eux  et  il 
fut  condamné.^  (Sur.  xxxvii,  vers,  i/ii.)  Us  tirèrent  au  sort 
do  la  manière  suivante  :  ils  prirent  des  morceaux  d'argile  et 
inscrivirent  sur  chaque  morceau  le  nom  de  Tun  des  hommes 
qui  se  trouvaient  sur  le  vaisseau,  et  dirent:  0  Seigneur,  fais 
surnager  le  nom  de  celui  que  lu  veux ,  et  fais  tomber  les 
autres.  Le  nom  de  Jonas  surnageait.  A  la  troisième  fois,  ils 
dirent  :  0  Seigneur,  fais  que  le  nom  de  celui  que  tu  veux 
s'enfonce  et  que  les  autres  surnagent.  Le  nom  de  Jonas  s'en- 
fonça et  tes  autres  surnagèrent.  Alors  ils  dirent  à  Jonas:  Tu 
le  sais  mieux  que  nous.  Jonas  se  plaça  au  bord  du  vaisseau 
et  se  jela  lui-même  dans  la  mer.  Dieu  dit  au  poisson  :  Sors 
et  avale-le.  Le  poisson  ouvrit  sa  bouche  et  l'avala ,  comme  il 
est  dit  dans  le  Coran:  rrLc  poisson  l'avala,  car  il  était  blâ- 
mable. r>  (Sur.  xxxvii ,  vers,  i  &9.)  Dieu  recommanda  au  poisson 
de  ne  pas  le  considérer  comme  sa  nourriture  et  de  bien  le  con- 
server. Jonas  se  mit  aussitôt  à  prier;  le  poisson  était  si  grand 
que  Jonas  pouvait  se  tenir  debout  pendant  la  prière,  mais  il  ne 
pouvait  rien  voir.  Jonas  aimait  la  prière ,  et  il  est  dit  dans  le  Co- 
ran :  tr  Si  Jonas  n'avait  pasété  de  ceux  qui  prient  (Dieu  aime  ceux 
qui  prient) ,  il  serait  resté  dans  le  ventre  du  poisson  jusqu'au 


175  '.;illi»M«M  h:    )E   "VBVftL 

jonr  it#»  la  i->»sii motion.-  Snr.  ".3Livii.  ^rs.  tj-i^iuu,  loiiasr 
i-psU  «tans  !•*  >*ntrp  iu  pi>iss«u  piarante  ^oiir?  H  pLunnU* 
niiiU:  «'f.  [)*^ndant  loiit  n^  vmp».  e  jiiiuisea  iubSL  u  inauger 
ni  l)«irf».  «i^  [v^ir  ii*  taire  iu  :iiai  k  ionasi^  ie  Le  :'airp^  fkîrir. 
L*»s  poissons  pu  -ont  ie  fesp^fco  le  :e!ai-r''i  >iii  .oiw^.  par  la 
volonté  «ie  Dieu ,  !e «los  très-^eve.  -omine la  zoi&areirine  auii- 
>;on.  Vnjourri'Iiui  «-e  ptiiàson  ^^s^  bien  n>iinu  pamu  ie^  ,f^i^ 
de  la  mer  naWjpteurs  H  [ïèciktursi  \h  ne  ouuigfMit  pai»  àa 
rhair  et  ne  lui  font  pas  la  «^hasse  :  >H.  {oami  on  «le  «rt^  pois- 
sons tombe  (ians  le  dlet.  ii^  ae  le  pnmueat  pat^. 

Après  ipiaranle  jours.  Dieu  vouiiu.ielivn^r  louas.  D  lui  uns^ 
pira  la  pensée  if  luvoipier  Dieu,  «.^umme  Jt"^  iii  >tamr  le  Coran  : 
-Alors  il  sei'ria  <laus  les  tenèi)rPî>:  Il  iy  j  pas^  de  Dieu  **a  tie- 

liors  de  toi Et  aous  tV\au4^àuie>ei  le^ieiivnàuieîà^  tie  Toiffic- 

tion. -?  { Sur  \u,vers.  ^^-éi^.  •  Eu^suiie.  Dieu  .^uvova  on  auge^ 
adn  rpi "il  lit  sortir  le  poisson  du  louii  «ie  la  mer  ei  «pi  II  fanieiiài 
an  rivage ,  à  reodnùt  où  ionas»  était  monte  dan^  te  vaisîëeau.  Il  v 
a,  du  bord  de  la  mer  iuât{u'à  la  ville  de  Glaive,  trois  joar- 
née^  de  route.  Le  poi^^ia  «îleva  sa  tètk»  bor»  de  feaa  et  rejeta 
Jcyn^  de  sa  gueule  sur  le  boni  de  la  uu^r.  l^ioas^  était  deveoa 
eomme  an  enfant  ffui  sort  du  seia  de  sa  mère .  auâ»  laîUe  et 
aosdi  maigre  ;  ear  il  était  resté  quarante  j«>arH  saoe»  manger  ai 
boire,  comme  il  est  dit  dans  le  Coran  :  rXott^  ie  jetâmes  sur 
le  rifage  aride;  il  était  malade. -^  ^Sor.  ^\xiru.  lers.  il3.) 
Dieu  inspira,  une  biche  pour  qu'elle  fînt  et  se  tint  au-dessus 
de  la  l^t^  de  Jonas,  qu'elle  mit  son  pis  dans  sa  bouche  et  quVIle 
rallaiUl,  ju^|u'à  ce  qu'il  fût  rassasié;  puis  elle  s  en  alla  et  re- 
fini  \v.  Mj\r.  (}\\s^ïiA  le  soleil  devint  chaud,  il  tomba  sur  le  corps 
iU*  iffUHn  ni  le  brâla.  Dieu  fit  sortir  de  la  terre  une  citrouille, 
il  y  tnnit  (ui  bord  de  la  mer  le  tronc  d'un  arbre  desséché; 
lu  rilroijflb;  Mitl;ir|ia  à  ce  (ronc  d'arbieel  fit  éclore  de  larges 


k 


PARTIE  II,  CHAPITRE  Vil.  à9 

feuilles,  pour  donner  de  Tombre  à  Jonas.  La  biche  vint  pen- 
dant quaranle  jours,  matin  et  soir,  et  Tallaita  jusqu'au  mo- 
ment où  il  prit  des  forces,  se  leva  et  pria.  Ensuite,  la  ci- 
trouille se  dessécha.  Jonas  fut  affligé  d'c^lre  privé  de  l'ombre; 
alors  Dieu  Texhorta  et  dit:  0  Jonas,  tu  t'affliges  tant  parce 
qu'un  arbre  que  tu  n'as  pas  produit  s'est  desséché;  mais  tu 
ne  t'es  pas  affligé  de  tant  de  milliers  de  mes  serviteurs  que  tu 
as  abandonnés.  Dieu  l'envova  ensuite  de  nouveau  vers  ce 
peuple,  comme  il  est  dit  dans  le  Coran  :  ffNous  l'envoyâmes 
vers  un  peuple  de  cent  mille  âmes  ou  plus, ^  etc.  (Sur.  xxxvn, 
vers.  1 47-1 48.) 

Lorsque  Jonas  arriva  sur  le  territoire  de  la  ville,  il  rencon- 
tra un  berger  et  ses  moutons,  et  il  lui  demanda  des  rensei- 
gnements sur  l'état  de  la  ville  et  des  habitants.  Le  berger  dit  : 
Leur  prophète ,  Jonas ,  fils  de  Mataï ,  irrité  contre  eux ,  les  avait 
abandonnés  ;  Dieu  envoya  un  châtiment  qui  resta  suspendu 
sur  leurs  têtes  pendant  trois  jours  entiers.  Alors  ils  prièrent 
et  se  lamentèrent,  jusqu'à  ce  que  Dieu  détournât  d'eux  le 
châtiment.  Maintenant  ils  cherchent  toujours  Jonas,   afin 
qu'il  leur  enseigne  la  religion.  Jonas  dit:  Je  suis  Jonas,  fils 
de  Mataï;  va,  et  avertis-les.  Le  berger  dit  :  0  prophète  de 
Dieu,  où  seras-tu  pour  que  j'y  vienne?  Jonas  répondit: 
Dans  cette  montagne.  L'autre  dit  :  Qui  me  montrera  le  che- 
min vers  toi  ?  Jonas  répondit  :  Celte  chèvre.  Le  berger  de- 
manda encore  :  Qui  attestera  auprès  du  peuple  que  je  t'ai  vu  ? 
Jonas  dit  :  Ton  chien.  Ensuite  Jonas  entra  dans  la  montagne; 
et  le  berger  partit  et  avertit  le  roi.  Le  roi  et  tous  les  habi- 
tants sortirent  de  la  ville.  Arrivé  [près  de  son  troupeau],  le 
berger  dit  au  chien  :  Rends  témoignage  pour  moi,  comme  le 
prophète  te  l'a  ordonné.  Le  chien  se  mit  à  parler  et  dit  dis- 
tinctement :  Jonas,  fils  de  Mataï,  le  prophète  de  Dieu,  ét^it 
lî.  ft 


52  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

avons  un  mauvais  présage  sur  vous;  si  vous  ne  cessez  pas,  nous 
vous  lapiderons?!.  Ils  leur  dirent  :  Vous  êtes  venus  pour  notre 
malheur,  et  c  est  à  cause  de  vous  que  la  pluie  nous  manque. 
Les  prophètes  répondirent  :  «Le  mauvais  sort  est  avec  vous,?» 
c'est-à-dire  c'est  vous-mêmes  qui  êtes  cause  de  votre  malheur; 
car  vous  êtes  des  pécheurs  et  vous  adorez  d'autres  dieux  que 
Dieu.  Alors  les  habitants  se  réunirent  tous  pour  mettre  à  mort 
les  prophètes.  Lorsque  ^Uabib  le  charpentier  apprit  cela,  il 
accourut  et  dit,  comme  il  est  écrit  dans  le  Coran  :  trÔ  mon 
peuple,  suivez  ces  envoyés.?)  (Sur.  xxxvi,  vers.  19.)  Ils  répon- 
dirent :  Tu  les  as  suivis  I  II  dit  :  tr  Pourquoi  n'adorerais-je  pas 
celui  qui  m'a  créé  et  vers  lequel  vous  retournerez?»  [Ibid. 
vers.  21.)  Puis  il  dit  aux  prophètes  :  «r Certes  je  crois  à  votre 
Seigneur,  écoutez-moi. d  {Ibid.  vers,  ai.)  Les  habitants  l'en- 
tourèrent et  lui  dirent  :  Tu  es  un  étranger  et  tu  tires  ton  pain 
et  ton  eau  de  notre  ville;  mais  tu  as  des  accointances  avec 
nos  ennemis.  Ils  le  foulèrent  aux  pieds  et  le  frappèrent  de 
sorte  que  ses  entrailles  sortirent  par  sa  bouche  et  qu'il  mou- 
rut. Dieu  l'envoya  en  paradis,  comme  il  est  dit  dans  le  Coran. 
{Ibid.  vers.  96.)  Lorsque  ^Habib  vit  les  splendeurs  du  paradis, 
il  dit  :  Ah  !  si  mon  peuple  savait  ce  que  Dieu  m'a  accordé 
parce  que  j'ai  suivi  ses  prophètes,  certes  ils  les  suivTaient 
également.  Le  tombeau  de  ^Habib  le  charpentier  se  voit  encore 
aujourd'hui  à  Antioche.  Ensuite  Dieu  ordonna  à  Gabriel  de 
faire  entendre  un  son,  et  ils  moururent  tous,  comme  il  est  dit 
dans  le  Coran  :  tril  y  eut  un  seul  cri,  et  ils  furent  tous  anéan- 
tis.-n  {Ibid.  vers.  98.) 


PARTIE  11,  CHAPITRE  IX.  53 


CHAPITRE  IX. 

HISTOIRE    DE    SAMSON. 

Parmi  les  histoires  qui  se  sont  passées  du  temps  des  rois 
des  Provinces  est  aussi  celle  de  Samson.  Samson  n  était  pas 
prophète,  mais  il  était  croyant;  il  demeurait  dans  une  des 
villes  de  Roum  et  adorait  Dieu.  Sa  mère  avait  fait  un  vœu  et 
Tavait  consacré  à  Dieu.  Dieu  lui  avait  donné  tant  de  force» 
que  personne  ne  pouvait  se  rendre  maître  de  lui  ;  et  quand 
on  le  liait  soit  avec  des  cordes,  soit  avec  des  chaînes  de  fer, 
il  les  brisait  :  rien  ne  pouvait  le  tenir.  Les  habitants  de  cette 
ville  étaient  idolâtres.  Samson  avait  une  maison  en  dehors 
de  la  ville,  à  la  distance  d'une  parasange.  Il  vint  dans  la 
ville  et  appela  les  habitants  à  Dieu;  mais  ils  ne  crurent  pas. 
Il  leur  fit  la  guerre  à  lui  seul ,  et  Tarme  avec  laquelle  il  com- 
battait était  Tos  du  menton  d'un  chameau.  Dieu  fit  sortir  pour 
lui  de  Touverture  de  Tos  une  source  dont  il  buvait  à  son  gré. 
Dans  tous  les  combats  qu'il  leur  livra,  il  en  tua  un  grand 
nombre,  fit  beaucoup  de  prisonniers  et  enleva  des  dépouilles 
considérables.  Quelque  ruse  qu'ils  employassent  contre  lui, 
ils  ne  pouvaient  l'atteindre.  Alors  ils  dirent  :  Il  faut  l'at- 
teindre par  le  moyen  d'une  femme.  Ils  offrirent  de  grandes 
richesses  à  sa  femme ,  qui  était  des  leurs,  afin  qu'elle  le  liât  et 
qu'elle  les  avertît  ensuite;  et  ils  lui  donnèrent  une  très-forte 
et  grosse  corde.  Lorsque  Samson  dormit ,  elle  lia  ses  mains  à 
son  cou.  Quand  il  se  réveilla,  il  déchira  la  corde.  11  dit  à  sa 
femme  :  Pourquoi  as-tu  fait  cela?  Elle  répondit:  Je  t'ai  éprouvé, 
pour  voir  si  c'est  par  ta  force  que  tu  résistes  à  ces  hommes 
ou  si  c'est  par  leur  faiblesse.  Une  autre  nuit,  les  hommes  lui 


54  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

apportèrent  un  collier  d'airain ,  afin  qu  elle  attachât  les  mains 
de  Samson  à  son  cou.  Lorsque  Samson  dormit,  sa  femme  lui 
attacha  les  mains  au  cou.  Samson  secoua  les  mains  et  brisa  la 
chaîne.  Il  dit  à  sa  femme  :  Pourquoi  as-tu  fait  cela?  Elle  ré- 
pondit :  Je  t'ai  éprouvé,  pour  voir  combien  tu  es  fort;  mainte- 
nant je  sais  que  nul  homme  dans  le  monde  n*est  plus  fort  que 
toi.  Samson  dit  :  Il  n'y  a  qu'une  seule  chose  par  laquelle  je 
puisse  être  lié  et  dans  laquelle  je  ne  pourrais  me  remuer.  La 
femme  lui  demanda  ce  que  c'était;  mais  il  refusa  de  le  lui 
dire.  Elle  le  pria  tant  qu'il  dit  :  Je  ne  puis  être  lié  que  par 
mes  propres  cheveux.  Samson  avait  des  cheveux  si  longs  qu'ils 
traînaient  à  ses  pieds.  Quand  il  dormit,  cette  femme  lui  atta- 
cha les  mains  et  les  pieds  ensemble  avec  les  cheveux ,  et  s'en 
alla  avertir  les  hommes  de  la  ville.  Ils  arrivèrent  et  coupèrent 
les  oreilles  et  le  nez  de  Samson ,  lui  crevèrent  les  yeux  et  l'em  • 
menèrent  dans  la  ville,  à  la  cour  du  roi,  où  ils  le  placèrent. 
Le  roi  se  trouva  sur  la  terrasse  et  le  regarda.  Samson  implora 
Dieu  pour  qu'il  lui  rendit  sa  force  et  tout  ce  que  l'on  avait 
coupé  de  son  corps.  Ensuite  il  arracha  la  colonne  de  la  ter- 
rasse du  roi  et  la  fit  tomber.  Tout  ce  peuple  périt. 


CHAPITRE  X. 

HISTOIRE    DE    GEORGES. 

Ce  Georges  vivait  également  du  temps  des  rois  des  Pro- 
vinces, après  Jésus.  Il  était  croyant  et  professait  la  religion 
de  Jésus.  Il  était  de  la  Palestine,  et  voyageait  de  ville  en  ville 
en  faisant  le  commerce  avec  son  argent.  A  la  fin  de  l'an- 
née, quand  les  hommes  donnent  l'aumône,  il  distribua  aux 
pauvres  tout  ce  qu'il  avait  gagné  et  ne  garda  pour  lui  que  le 


PARTIE  II,  CHAPITBE  X.  55 

capital.  L'année  suivante,  il  fit  de  même,  en  disant:  Si  ce 
n  était  pas  par  le  désir  de  faire  Taumône,  je  ne  chercherais 
pas  ies  richesses. 

II  y  avait  à  Mossoul  un  roi  nommé  Dâdyânè  (Dioctétien), 
qui  régnait  sur  Mossoul  et  sur  la  Syrie.  li  était  un  des  géants 
et  idolâtre.  Il  avait  une  idole  qu'on  nommait  Apollon,  et  tous 
les  habitants  adoraient  des  idoles  ouvertement.  Il  y  avait  avec 
Georges  quelques  hommes  croyants,  disciples  de  Jésus,  qui 
avaient  embrassé ,  comme  Georges ,  la  religion  de  Jésus.  Comme 
tous  les  rois  de  la  Syrie  étaient  idolâtres,  ils  craignirent  pour 
leurs  personnes,  et  tinrent  leur  vraie  religion  secrète.  Or 
Georges  leur  dit  :  De  tous  ces  princes  le  plus  puissant  est  le 
roi  qui  réside  à  Mossoul ,  nommé  Dâdyânè.  Je  vais  lui  porter 
des  présents  et  de  grandes  richesses,  me  rendre  à  sa  cour  avec 
vous,  et  nous  mettre  sous  sa  protection ,  afin  que  nous  soyons 
en  sécurité  dans  la  Syrie  et  que  personne  ne  puisse  nous 
inquiéter.  Ils  répondirent  :  C'est  fort  juste.  Georges  se  rendit 
donc  à  Mossoul,  à  la  cour  du  roi,  emportant  avec  lui  de 
grandes  richesses. 

On  avait  informé  le  roi  que,  dans  sa  ville,  il  y  avait  des 
hommes  qui  n'adoraient  pas  les  idoles  et  qui  suivaient  une 
autre  religion  que  la  sienne.  Le  roi  avait  fait  publier  une 
proclamation,  et  réunir  tout  le  peuple  en  dehors  de  la  ville  ; 
il  en  était  sorti  lui-même  et  avait  amené  son  idole ,  nommée 
Apollon,  et  avait  fait  allumer  un  grand  feu  devant  lui.  Puis 
il  présenta  l'idole  au  peuple  :  quiconque  l'adorait  n'était  pas 
inquiété,  mais  il  fit  jeter  au  feu  ceux  qui  refusèrent  de  l'ado- 
rer. Les  grands  et  les  chefs  de  la  nation  se  tinrent  debout  ou 
assis  devant  le  roi.  Georges  y  arriva,  en  compagnie  de  ses 
amis  et  apportant  de  grands  biens.  Lorsqu'il  vit  le  roi  dans 
cet  état,  l'idée  suivante  lui  vint  à  l'esprit.  Il  se  dit  :  Si  j'ai- 


56  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

lais  appeler  le  roi  à  Dieu!  Ou  il  croirait,  ou  il  me  punirait  de 
mort,  et  alors  j'aurais  ma  récompense  auprès  de  Dieu;  cela 
vaut  mieux  que  de  dépendre  de  ce  roi,  de  lui  donner  ces 
biens  et  d'avoir  sa  protection.  Georges  retourna  et  distribua 
tous  ses  biens  à  ces  hommes  qui  suivaient  la  même  religion 
que  lui ,  et  revint  pauvre  devant  le  roi.  Il  le  trouva  les  yeux 
étiucelants  de  colère  contre  les  croyants,  lise  présenta  devant 
lui  et  lui  dit:  Pourquoi  es-tu  irrité  contre  les  serviteurs  de 
Dieu?  Tu  es  Tesclave  de  Dieu  comme  ceux-là;  quel  droit  as- 
tu  sur  eux  ?  Dieu  t'a  créé,  c'est  lui  qui  te  donne  la  nourriture, 
c'est  lui  qui  fait  vivre  et  qui  fait  mourir.  Tu  es  une  créa- 
ture comme  moi.  Tu  as  là  une  idole  qui  ne  voit,  ni  n'entend, 
ni  ne  parle,  et  qui  ne  peut  procurer  ni  avantage,  ni  dommage. 
Tu  as  entouré  cette  idole  d'or  et  d'argent,  tu  en  as  fait  un 
dieu  et  tu  ordonnes  à  ceux  qui  croient  en  Dieu  d'adorer  cette 
idole.  Le  roi  dit:  Qui  es-tu,  qui  est  ton  père,  et  d'où  viens- 
tu?  Georges  répondit:  Je  suis  un  serviteur  de  Dieu,  fils  d'un 
serviteur  de  Dieu  ;  mon  nom  est  Georges ,  et  je  suis  le  plus  in- 
fime de  tous  ses  serviteurs.  Je  suis  venu  ici  pour  fappeler  à 
Dieu,  afin  que  tu  adores  Dieu.  Le  roi  dit  :  S'il  en  était  ainsi 
que  tu  dis,  tu  serais  dans  un  meilleur  état  que  tu  n'es,  et 
tu  serais  aussi  puissant  que  moi  et  mes  serviteurs  qui  sont 
là.  Le  roi  les  nomma  tous  et  dit  :  Voilà  Theophilos,  qui  adore 
les  idoles  et  qui  a  tant  de  milliers  en  sa  fortune;  et  voilà  Ma- 
chlitos,  qui  a  tant  de  milliers.  Il  y  avait  aussi  là  une  femme 
nommée  Inbil  et  de  grande  famille.  Le  roi  dit  :  Voilà  In- 
bil,  qui  est  l'esclave  de  mon  idole,  et  qui  a  tant  de  milliers. 
Ton  Dieu  doit  être  un  esclave  comme  toi,  dépourvu  et  nu. 
Georges  dit  :  Les  grâces  de  mon  Dieu  sont  de  l'autre  monde, 
non  de  celui-ci.  Si  ton  idole  a  des  serviteurs  comme  Theo- 
philos, mon  Dieu  a  des  serviteurs  comme  Elie  et  comme  Idrîs, 


PARTIE  11,  CHAPITRE  X.  57 

qui  ëtaieut  prophètes  et  que  Dieu  a  enlevés  au  ciel,  afin  qu  ils 
y  soient  avec  les  anges.  Et  si  tu  as  des  serviteurs  comme  Ma- 
ckiilos,  mon  Dieu  a  des  serviteurs  comme  Jésus  le  Messie,  fils 
de  Marie,  que  Dieu  a  distingué  d'entre  tous  les  hommes.  Puis 
Georges  parla  longtemps  des  mérites  de  Jésus,  et  il  ajouta  :  Si 
ton  idole  a  des  esclaves  comme  Inbil ,  mon  Dieu  a  des  servantes 
comme  Marie,  la  mère  de  Jésus;  et  il  énuméra  ses  mérites. 
Le  roi  dit:  Ceux  que  je  fai  nommés  sont  là  devant  toi;  ceux 
dont  tu  parles  ne  sont  pas  là  et  je  ne  les  connais  pas;  amène 
Idris  et  Jésus,  pour  que  je  les  voie  et  que  je  sois  convaincu 
qu'il  en  est  ainsi  que  tu  dis.  Georges  dit  :  Tu  ne  peux  pas  les 
voir  en  ce  monde,  à  moins  que  tu  n  acceptes  leur  religion. 
Le  roi  dit  :  Je  fai  donné  des  preuves,  et  tu  n'en  as  pas;  tu  as 
avancé  des  choses  que  tu  ne  peux  pas  prouver.  Maintenant  il 
faut  que  tu  adores  cette  idole ,  ou  je  t'infligerai  une  punition 
sévère.  Georges  dit  :  J'adore  ce  Dieu,  qui  a  créé  cette  idole,  et 
toutes  les  créatures  du  ciel  et  de  la  terre,  et  toute  chose.  Le 
roi  ordonna  d'étendre  une  planche  par  terre  et  d'y  attacher 
Georges  tout  nu.  Ensuite  on  apporta  des  étrilles  de  fer  et  on 
étrilla  son  corps  de  telle  sorte  que  le  sang  et  la  chair  sortirent 
par  les  pieds;  mais  il  n'en  mourut  pas.  Ensuite  le  roi  fit  mettre 
sur  ses  plaies  du  vinaigre  et  de  la  moutarde.  Georges  ne  mou- 
rut pas.  Puis  le  roi  fit  apporter  un  clou  de  fer,  qu'on  fit  rougir 
dans  le  feu  et  qu'on  enfonça  dans  la  tête  de  Georges;  mais  il 
ne  mourut  pas.  Ensuite  il  fit  remplir  d'eau  un  seau  de  cuivre, 
le  fit  mettre  sur  le  feu  jusqu'à  ce  que  l'eau  bouillit,  puis  on 
y  plongea  Georges  et  on  couvrit  le  seau.  On  y  tint  Georges 
jusqu'à  ce  que  l'eau  se  fût  refroidie.  Georges  ne  mourut  pas. 

Alors  le  roi  fut  stupéfait;  il  le  fit  retirer  de  l'eau,  l'appela  de- 

...      * 
vaut  lui  et  lui  dit  :  0  Georges,  qui  es-tu?  Georges  répondit  : 

Je  suis  un  homme.  Le  roi  dit  :  N'as-tu  éprouvé  aucune  douleur 


58  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

de  ces  châtiments  ?  Georges  répondit  :.Ce  Dieu  vers  lequel  je 
f appelle  détourne  de  moi  les  douleurs  de  tes  châtiments, 
afin  que  cela  soit  un  argument  en  sa  faveur  auprès  de  toi. 
Ensuite  le  roi  le  fit  mettre  en  prison.  Ses  familiers  lui  dirent: 
Il  faut  le  tourmenter  dans  la  prison ,  afin  qu'il  y  soit  occupé 
de  lui-même  et  qu'il  ne  débauche  pas  les  gardiens,  en  les  ap- 
pelant à  sa  religion.  Le  roi  ordonna  de  l'étendre  dans  la  prison 
sur  le  ventre ,  et  de  clouer  ses  mains  et  ses  pieds  à  son  corps 
avec  quarante  clous  de  fer.  Il  y  avait  là  une  colonne  de  mar- 
bre, que  vingt  hommes  seulement  pouvaient  soulever.  On  mit 
celte  pierre  sur  le  dos  de  Georges,  et  il  resta  dans  cet  état 
toute  la  journée.  Quand  la  nuit  fut  arrivée,  Dieu  lui  envoya  un 
ange  et  lui  donna  une  vision.  Auparavant  il  n'avait  pas  en- 
core reçu  de  message  de  Dieu.  L'ange  enleva  de  dessus  son 
dos  la  pierre ,  lui  ôta  les  clous  des  pieds  et  des  mains  et  le  fit 
manger  et  boire  jusqu'à  ce  qu'il  fût  rassasié;  puis  il  lui  dit 
de  la  part  de  Dieu  :  0  Georges,  patiente  avec  mon  ennemi,  et 
souffre  ses  tourments  et  ses  châtiments;  il  te  tuera  quatre  fois, 
et  je  te  rendrai  la  vie  trois  fois,  et  la  quatrième  fois  je  te  dé- 
livrerai de  son  martyre. 

Le  matin ,  Georges  se  présenta  devant  le  roi.  Le  roi  lui  dit  : 
Qui  t'a  fait  sortir  de  la  prison  et  qui  t'a  amené  devant  moi? 
Il  répondit  :  Celui  dont  le  pouvoir  est  plus  grand  que  le  tien. 
Le  roi  le  fit  mettre  entre  deux  planches  de  bois  et  scier  en 
deux,  et  l'on  coupa  chaque  moitié  en  sept  morceaux.  Le  roi 
avait  deux  cages  contenant  chacune  sept  lions  sauvages.  On 
jeta  les  morceaux  du  corps  de  Georges  dans  ces  cages;  mais 
les  lions,  après  les  avoir  sentis,  ne  les  touchèrent  pas.  Dans 
la  nuit.  Dieu  rassembla  ces  morceaux,  en  reconstitua  le  corps 
et  lui  rendit  l'âme.  Georges  se  présenta  devant  le  roi  et  lui  dit  : 
0  roi,  c'est  mon  Seigneur  qui  peut  accomplir  de  telles  choses. 


PARTlIi:  II,  CHAPITRE  \.  59 

Le  roi  dit  :  Qu est-ce  que  cet  homme,  et  quel  moyen  em- 
ployer avec  lui?  On  lui  dit  :  Cest  un  magicien,  il  charme 
les  yeux.  Fais  venir  les  magiciens,  pour  qu  ils  triomphent  de 
lui.  Le  roi  réunit  les  magiciens  et  dit  à  leur  chef  :  Montre* 
moi  quelque  chose  de  ta  magie,  aCn  que  je  voie  si  tu  peux 
remporter  sur  Georges.  L'autre  dit  :  Il  faut  un  hœuf.  On  amena 
un  bœuf,  le  magicien  souffla  dans  les  deux  oreilles  de  Tanimal , 
et  le  transforma  en  deux  bœufs.  Puis  il  demanda  un  peu  de 
blé.  Il  le  sema  devant  lui,  et  à  Tinstant  même  le  blë  leva, 
vint  en  épis  et  mûrit.  Il  le  coupa,  Fécrasa,  le  fit  cuire  et  le 
mangea.  Le  roi  eu  fut  enchanté  et  dit  :  Je  reconnais  que  tu 
pourras  confondre  Georges.  Puis  il  lui  dit  :  Peux-tu  transformer 
Georges  en  chien?  Le  magicien  répondit  :  Je  le  peux.  Il  fit 
apporter  une  coupe  remplie  d'eau,  souffla  dans  cette  eau  et 
la  donna  à  boire  à  Georges.  Celui-ci  la  prit  et  dit  :  Au  nom  de 
Dieu;  il  but  et  ncn  éprouva  aucun  mal.  Le  magicien  fut 
confondu  et  dit  :  0  roi ,  s'il  y  avait  dans  ces  choses  de  la  magie , 
je  l'aurais  vaincu  ;  mais  ce  sont  là  des  actes  du  Dieu  du  ciel. 
Un  homme  des  familiers  du  roi  dit  :  0  roi,  ces  actions  de 
Georges  ne  sont  pas  de  la  magie  ;  car  jamais  je  n'ai  vu  un  magi- 
cien mourir  et  revenir  à  la  vie,  et  je  n'ai  jamais  vu  de  magicien 
qui  ait  rendu  la  vie  aux  os  d'une  vache  dont  la  chair  et  la  peau 
avaient  été  dévorées  par  les  chiens.  Le  roi  dit  :  Est-ce  que 
Georges  a  fait  cela  ?  L'autre  répondit  :  Certes.  Il  y  a  dans  cette 
ville  une  pauvre  femme  qui  avait  une  vache  qui  lui  donnait 
du  lait,  dont  elle  se  nourrissait  et  qu  elle  vendait  pour  sa  sub- 
sistance. Cette  vache  mourut,  et  la  femme  jeta  le  cadavre  de- 
hors ,  et  les  chiens  et  les  oiseaux  de  proie  le  dévorèrent.  Après 
un  long  espace  de  temps,  elle  alla  trouver  Georges.  Celui-ci  eut 
pitié  d'elle  et  lui  donna  une  baguette ,  en  lui  disant  :  Prends 
ceci  et  frappe  la  vache  avec  cette  baguette  ;  la  vache  reviendra  à 


60  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

la  vie.  La  femme  répondit  :  Que  dis-tu  là?  Toute  la  vache  a  été 
dévorée  par  les  chiens.  11  dit  :  Apporte  un  os,  n  importe  lequel. 
La  femme  apporta  une  corne  qui  était  restée.  Georges  y  appliqua 
la  baguette  et  la  vache  revint  à  la  vie,  et  la  femme  la  possède 
maintenant.  Veux-tu  qu'on  Tamène,  pour  que  tu  t'en  rendes 
compte  par  toi-même  ?  Le  roi  dit  :  Ce  miracle  est  arrivé?  L'autre 
dit  ;  Certes,  et  j'ai  accepté  la  religion  de  Georges  et  j'ai  cru  a 
lui.  Le  roi,  à  ces  mots,  ordonna  de  lui  arracher  la  langue. 

Cette  histoire  se  répandit  dans  la  ville,  et,  le  jour  même, 
quatre  mille  hommes  crurent  au  Dieu  de  Georges.  Le  roi  en 
fut  informé,  il  fit  amener  ces  quatre  mille  hommes  et  les  fit 
mettre  à  mort  avec  les  tourments  les  plus  variés.  Puis  il  dit 
à  Georges  :  Pourquoi  u'as-tu  pas  dit  à  ton  Dieu  de  rendre  la 
vie  à  ces  hommes?  Georges  répondit  :  Les  délices  que  ceux-ci 
ont  trouvées  sont  préférables  à  la  vie  dans  ce  monde. 

Le  roi  était  assis  à  une  table  avec  quatorze  personnes;  cha- 
cun avait  un  siège  de  bois,  et  sur  la  table  étaient  placées  des 
coupes  de  bois.  L'un  des  convives  du  roi  dit  à  Georges  :  Je  te 
demanderai  une  chose;  si  ton  Dieu  peut  l'accomplir,  je  croirai 
à  ta  religion.  Georges  dit:  Que  demandes-tu?  L'autre  dit:  Nous 
sommes  assis  sur  quatorze  sièges,  dont  chacun  est  fait  du  bois 
d'un  arbre  différent,  ainsi  que  la  table.  Demande,  ô  Georges,  à 
ton  Dieu  qu'il  fasse  sortir  de  chaque  espèce  de  bois  les  feuilles 
de  l'arbre  dont  il  vient,  pendant  que  nous  y  sommes  assis,  et 
que  ces  feuilles  deviennent  vertes,  qu'il  y  ait  des  fruits,  et  que 
nous  mangions  les  fruits  de  ces  arbres.  Georges  pria ,  et  Dieu 
fit  verdir  ces  bois,  et  il  y  vint  des  feuilles  et  des  fruits.  Le  roi 
dit  :  Personne  ne  peut  vaincre  ce  magicien.  Cet  homme  dit  : 
0  roi,  donne-le-moi  ;  je  lui  ferai  subir  un  tourment  contre 
lequel  il  ne  pourra  pas  employer  la  magie.  Le  roi  y  consentit. 
Alors  cet  homme  s'en  alla  et  fit  faire  une  statue  de  bronze. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  X.  61 

sous  la  forme  d'un  taureau,  creuse  et  très-vaste  à  Tialérieur; 
il  la  lit  remplir  de  naphte,  de  sandaraque,  de  soufre  et  de 
plomb ,  et  y  fît  introduire  Georges.  11  fil  allumer  le  tout  et  mit 
le  feu  sous  la  statue,  pendant  trois  jours,  de  sorte  que  tout 
fondit  et  brilla,  avec  Georges.  Il  vint  un  vent  qui  amena  un 
nuage  noir,  il  tomba  du  feu  du  ciel,  il  y  eut  des  coups  de 
tonnerre  et  des  éclairs,  et  le  monde  devint  obscur  et  noir 
comme  la  nuit.  Les  hommes  tremblèrent  et  restèrent  pendant 
trois  jours  dans  la  stupéfaction  et  ne  surent  que  devenir.  Dieu 
envoya  Tange  Michel,  afin  qu'il  renversât  la  statue  et  qu'il 
la  brisât.  Il  produisit  un  bruit  qui  fut  entendu  dans  toute  la 
Syrie;  quiconque  l'entendit  fut  renversé  et  s'évanouit.  Le  roi 
et  tous  ses  convives  tombèrent  et  s'évanouirent. 

Après  que  Michel  eut  brisé  la  statue,  Georges  en  sortit, 
se  présenta  devant  le  roi  et  lui  adressa  la  parole.  Quand 
le  roi  entendit  la  voix  de  Georges,  il  recouvra  ses  sens,  ainsi 
que  tous  ses  convives.  Lorsque  Georges  était  revenu  à  la  vie, 
le  bruit  du  ciel  avait  cessé ,  le  soleil  avait  reparu  et  le  monde 
était  rentré  dans  son  état  ordinaire.  Quelqu'un  des  convives 
du  roi  dit  :  0  Georges,  je  ne  sais  si  c'est  toi  qui  accomplis 
ces  prodiges  ou  si  c'est  ton  Dieu.  Si  c'est  ton  Dieu,  dis-lui 
de  ressusciter  les  morts  de  ce  cimetière,  afin  que  nous  leur 
pariions  et  que  nous  les  interrogions,  et  qu'ils  te  rendent  té- 
moignage. Georges  se  rendit,  devant  leurs  yeux,  à  un  vieux 
cimetière ,  dans  lequel  se  trouvaient  ceux  qui  étaient  morts 
avant  cette  époque.  Il  dit  :  Dieu  accomplit  cela  pour  vous 
prouver  la  vérité.  Il  pria,  et  dix-sept  personnes  sortirent 
vivantes  de  leurs  tombeaux ,  et  vinrent  à  eux  :  neuf  hommes , 
cinq  femmes  et  trois  enfants.  Parmi  eux  il  y  avait  un  vieil- 
lard. Le  roi  lui  dit  :  Quel  est  ton  nom?  Il  répondit  :  Toubîl. 
—  Quand  es-tu  mort?  —  A  telle  époque.  —  Ils  comptèrent 


62  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

le  temps;  il  y  avait  quatre  cents  ans  qu'il  était  mort.  Quand 
ils  virent  ceci,  los  familiers  du  roi  dirent  :  Il  ny  a  aucune 
espèce  de  tourment  qu  on  ne  lui  ait  fait  subir,  sauf  la  faim. 
Le  roi  ordonna  de  le  détenir  dans  la  maison  d'une  vieille 
femme  décrépite  et  pauvre,  où  il  n'y  avait  ni  nourriture,  ni 
boisson.  Quand  Georges  fut  dans  cette  maison,  il  dit  à  la 
fenmie  :  As-tu  quelque  chose  à  manger? Elle  répondit  :  Je  n'ai 
rien.  Il  dit  :  Connais-tu  Dieu?  Elle  dit  :  Je  ne  le  connais  pas. 
Georges  lui  exposa  la  foi, et  elle  l'accepta.  Georges  pria.  Dans 
cette  maison,  il  y  avait  une  colonne  qui  soutenait  la  maison; 
cette  colonne  devint  verte ,  poussa  des  feuilles ,  et  toutes  espèces 
de  fruits  bons  à  manger  en  sortirent.  Georges  et  cette  femme 
en  mangèrent.  Le  sommet  de  la  colonne  s'éleva  au-dessus  du 
toit  en  un  arbre  très-haut.  Il  se  passa  ainsi  quelque  temps, 
et  Georges  se  nourrissait  de  ces  fruits.  Un  jour  le  roi  vint  à  y 
passer,  vit  cet  arbre  et  dit  :  Je  n'ai  jamais  vu  un  arbre  aussi 
beau  et  aussi  frais.  On  lui  dit  :  C'est  ce  magicien  qui  est  dans 
cette  maison  qui  a  fait  pousser  cet  arbre  et  ces  fruits,  dont 
il  se  nourrit,  lui  et  la  propriétaire  de  la  maison.  Le  roi  or- 
donna  d'aiTacher  l'arbre  et  de  détruire  la  maison.  Quand  ils 
voulurent  arracher  l'arbre,  il  se  dessécha  et  redevint  ce  qu'il 
était  auparavant.  Ils  laissèrent  la  maison  et  en  firent  sortir 
Georges.  Cette  femme  avait  un  fils  sourd,  aveugle,  muet  et 
paralysé.  Quand  on  voulut  emmener  Georges,  elle  lui  dit  : 
Prie  Dieu,  afin  qu'il  guérisse  mon  fils.  Georges  souffla  dans 
l'oreille  du  fils,  et  celui-ci  recouvra  l'ouïe;  il  souffla  dans  son 
œil ,  et  il  recouvra  la  vue.  La  femme  dit  :  Prie  aussi  pour  sa 
langue,  ses  mains  et  ses  pieds.  Georges  dit  :  Une  autre  fois. 
On  l'emmena  et  on  le  conduisit  devant  le  roi. 

Le  roi  avait  un  chariot  traîné  par  quarante  bœufs,  où, 
quand  il  se  rendait  à  un  endroit,  on  mettait  ses  bagages. 


PARTIK  II,  CHAPITRE  X.  63 

II  ordonna  de  fixer  aux  roues  de  ce  chariot  des  épëes,  des 
couteaux,  des  poignards  et  des  pointes,  et  le  fit  rouler  sur 
Georges,  qui  fut  complètement  mis  en  pièces.  Le  roi  fit  ras- 
sembler les  fragments  de  son  corps,  les  fit  brûler  et  réduire 
en  cendres,  qu  il  fit  porter  et  jeter  à  la  mer  par  quelques 
hommes.  Dieu  ordonna  au  vent  de  porter  ces  cendres  au 
bord  de  la  mer,  à  la  vue  de  ces  honmies,  et  il  rendit  la  vie  à 
Georges.  Lorsqu'ils  virent  Georges  sortir  vivant  des  cendres,  ils 
retournèrent  auprès  du  roi  ;  Georges  y  vint  en  même  temps. 
Le  roi  leur  demanda  conmient  les  choses  s'dtaient  passées; 
ib  lui  en  firent  le  récit ,  et  le  roi  en  fut  stupéfait.  Il  dit  à 
Georges  :  S'il  n'y  avait  pas  cette  circonstance  que  les  hommes 
diront  que  tu  m'as  vaincu ,  je  croirais  en  toi.  Mais  fais  pour 
moi  une  chose  qui  nous  sauvera  tous  deux.  Georges  dit  :  Que 
veux-tu?  Il  dit  :  Va  dans  le  temple  de  mes  idoles;  il  y  a  là 
beaucoup  d'idoles,  dont  la  plus  grande  est  Apollon;  offre-lui 
une  adoration  et  un  sacrifice,  et  je  croirai  en  ton  Dieu  et 
j'adopterai  ta  religion.  De  cette  façon  les  hommes  ne  diront 
pas  que  tu  m'as  vaincu.  Georges  dit  :  C'est  bien.  Il  voulut  aller 
dans  le  temple  et  y  faire  un  miracle  sur  ces  idoles,  afin  que 
le  roi  sût  qu'elles  n'étaient  pas  des  divinités.  Le  roi  en  fut 
très-satisfait,  lui  baisa  la  tête  et  le  visage,  et  dit  :  Reste  cette 
nuit  avec  moi,  pour  que  le  peuple  sache  que  j'ai  fait  la  paix 
avec  toi  ;  demain  nous  irons  au  temple.  Georges  resta  cette 
nuit  dans  la  maison  du  roi.  Le  bruit  se  répandit  dans  la  ville 
que ,  le  lendemain ,  Georges  irait  au  temple  du  roi.  Un  grand 
nombre  d'habitants  de  cette  ville  avaient  adopté  sa  religion, 
soit  en  secret,  soit  ouvertement;  tous  en  furent  très-affligés. 
Georges  passa  cette  nuit  en  prières  et  en  chantant  des 
psaumes  à  haute  voix.  Or  il  avait  une  voix  agréable.  La  femme 
du  roi  l'entendit,  et  elle  vint  et  se  tint  derrière  lui  en  priant. 


«4  i.HBOMOLE  J>E  TaBaRL 

^iu^Sàd  ifjeorge^  Vsip*:rcui,  il  lui  e\po>a  la  foi  et  elle  l'adopta, 
«fo  lui  di.<Kafat  :  Gardes-^o  le  secret. 

Iji  iendemajQ.  toute  la  ville  se  rendit  à  la  porte  du  temple 
de»  idoles,  tant  ceux  qui  avaient  résisté  à  Georges  qw*  ceui 
qu'il  avait  convertis,  pour  \oir  ce  qu'il  ferait.  On  avait  dit  à 
!a  tieille  femme  dans  la  maison  de  laquelle  il  avait  séjourné, 
et  qui  avait  cru  en  lui,  que  le  roi  avait  séduit  Georges  par 
Fargent  et  le  pouvoir,  dont  Georges  avait  envie,  qu'il  avait 
adopté  la  religion  du  roi  et  qu'il  abandonnait  la  sienne,  et 
que,  ce  jour-là,  on  Tamènerait  dans  le  temple,  afin  qu'il  y 
adorât  les  idoles.  Cette  femme  fut  très-affligée  et  en  eut  une 
grande  douleur;  elle  suspendit  à  son  cou  son  fils  qui  était 
muet  et  paralytique,  et  vint  à  la  porte  du  temple,  avec  les  gens 
de  la  ville,  pour  regarder.  Le  roi  arriva  avec  Georges,  et  ils 
entrèrent  dans  le  temple.  Le  fils  de  la  vieille  femme  fut 
guéri,  et  recou\Ta  Tusage  de  ses  mains,  de  ses  pieds  et  de  sa 
langue.  Il  quitta  le  cou  de  sa  mère,  entra  dans  te  temple 
et  se  plaça  devant  Georges.  Celui-ci  le  reconnut  et  lui  dit  : 
Appelle-moi  ces  idoles.  Il  y  avait  dans  ce  temple  soixante 
et  onze  idoles,  chacune  placée  sur  un  trône  d'or.  Le  jeune 
homme  dit  :  0  idoles,  Georges  vous  appelle.  Toutes  les  idoles 
tombèrent  de  leurs  sièges  sur  la  terre ,  jusqu'auprès  de  Georges. 
Georges  frappa  la  terre  avec  son  pied,  et  toutes  les  idoles 
ensemble  avec  les  sièges  disparurent  sous  (erre.  Iblis  était 
dans  ce  temple.  C'est  lui  qui  parlait  de  l'intérieur  des  idoles 
à  ceux  qui  venaient  les  adorer.  Georges  le  saisit  de  sorte  que 
tout  le  peuple  l'aperçût,  et  il  lui  dit  :  0  maudit ,  pourquoi  perds- 
tu  et  égares-tu  tous  ces  hommes?  Quel  plaisir  as-tu  à  cela? 
Iblîs  dit  :  0  Georges,  si  Dieu  me  disait  :  Choisis  le  royaume 
du  ciel  et  de  la  terre  et  tout  ce  qui  y  est  renfermé,  ou  la 
faculté  d'égarer  un  seul  homme,  je  préférerais  égarer  un 


PARTIE  IF,  CHAPITRE  X.  65 

seul  des  fils  d'Adam;  parce  que,  avant  Adam,  le  royaume  de 
la  terre  m'appartenait.  Dieu  m'ordonna  d adorer  Adam;  tous 
les  anges  Fadorèrent,  comme  Gabriel,  Michel  et  Israfïl,  et 
moi,  je  ne  le  Gs  pas,  et  j'ai  perdu  mon  pouvoir,  sans  y  avoir 
pris  garde.  Georges  le  lâcha,  et  il  disparut  sous  terre.  Le 
roi  dit  :  0  Georges,  tu  m'as  trompé  et  tu  as  anéanti  mes 
dieux.  Georges  dit  :  Je  l'ai  fait  avec  intention,  afin  que  tu 
saches  que  ce  ne  sont  pas  des  dieux,  et,  comme  ils  ne  peu- 
vent pas  se  protéger  eux-mêmes,  ils  ne  peuvent  pas  vous 
pro  léger. 

La  femme  du  roi  fit  connaître  sa  foi ,  et  dit  au  roi  :  Il  n'y  a 
pas  de  prodiges  que  Georges  n'ait  accomplis  sous  tes  yeux, 
sauf  qu'il  prie  pour  que  tu  disparaisses  sous  terre,  comme  ces 
idoles.  Pourquoi  ne  crois-tu. pas  en  lui?  Tous  ceux  qui  avaient 
adopté  la  religion  de  Georges  furent  réjouis  et  lui  firent  con- 
naître leur  foi.  Il  y  avait  sept  ans  que  Georges  demeurait  parmi 
eux,  et  trente-quatre  mille  hommes  avaient  cru  en  lui.  Le  roi 
dit  à  sa  femme  :  Il  y  a  aujourd'hui  sept  ans  que  je  lutte  contre 
ce  magicien;  quel  que  soit  le  moyen  qu'il  emploie,  il  ne  peut 
pas  me  séduire.  Toi,  tu  as  été  séduite  dans  une  seule  entre- 
vue. Il  ordonna  de  l'attacher  au  même  bois  auquel  ils  avaient 
attaché  Georges,  le  premier  jour,  et  de  l'étriller  avec  les  mêmes 
étrilles  de  fer.  La  femçie  dit  à  Georges  :  Prie,  afin  que  Dieu 
adoucisse  mon  tourment.  Georges  lui  dit  :  Tourne  ton  visage 
vers  le  ciel,  et  regarde.  Elle  tourna  ses  regards  vers  le  ciel,  et 
elle  sourit.  Le  roi  lui  dit  :  Pourquoi  ris-tu?  Elle  dit  :  Je  vois 
au-dessus  de  ma  tête  deux  anges,  avec  des  vêtements  du 
paradis,  des  ornements  et  des  couronnes;  ils  vont  prendre 
mon  âme,  pour  me  porter  vers  Dieu.  Ensuite  elle  rendit  l'âme 
au  milieu  des  tourments.  Après  qu'elle  fut  morte,  Georges 
leva  les  mains  et  dit  :  0  Seigneur,  tu  m'as  protégé  dans  tous 


II. 


r>6  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

ces  toMrmeiils,  et  lu  me  les  as  fait  supporter;  lu  m'as  accordé 
la  récompense  des  martyrs  dans  les  morts  successives  que  j'ai 
subies.  Aujourd'hui  est  mon  dernier  jour;  tu  m'as  promis 
que  lu  me  ferais  monter  à  loi ,  et  que  tu  me  délivrerais  de 
ces  malheurs.  0  Seigneur,  avant  que  tu  me  portes  vers  loi, 
anéantis  devant  moi  ces  hommes,  qui  n'ont  pas  cru  en  moi  et 
qui  m'ont  fait  subir  des  tourments.  0  Seigneur,  quiconque, 
après  moi ,  sera  dans  le  malheur  ou  dans  l'aflliction ,  et  qui 
t'appellera,  donne-lui  la  joie,  par  ta  pitié  et  par  mon  inter- 
cession, et  sauve-le  de  même  que  tu  m'as  sauvé.  Quand  Georges 
eut  terminé  celte  prière,  un  nuage  couvrit  le  ciel,  et  une  pluie 
de  feu  tomba  sur  ceux  qui  n'avaient  pas  cru  en  lui,  et  les 
trente-quatre  mille  hommes  et  femmes  qui  avaient  cru  en  lui 
étaient  présents.  Lorsque  le  feu  tomba  sur  le  roi  et  ses  adhé- 
rents, ils  saisirent  leurs  épées,  se  précipitèrent  sur  Georges  et 
ses  disciples,  et  les  tuèrent  tous.  Les  incrédules  furent  tous 
dévorés  par  le  feu. 

A  cette  époque,  le  règne  des  rois  des  Provinces  arriva  à  sa 
fin.  Ardeschîr,  fils  de  Bâbek,  leur  enleva  le  pouvoir,  et  les 
chassa  de  Tlràq,  du  Bâ'hraïn  et  du  ^Hedjâz. 


CHAPITRE  XI. 

HISTOIRE  D'ARDESCHIR,  FILS  DE  BABEK. 

L'auteur  dit  :  Lorsque,  après  le  règne  d'Alexandre,  il  se 
fut  écoulé  un  espace  de  temps  de  quatre  cents  ans,  ou,  selon 
le  dire  des  chrétiens,  de  cinq  cent  vingt-trois  ans,  ou,  selon 
les  mages,  de  deux  cent  soixante-six  ans,  eut  lieu  l'avénenient 
d'Ardeschfr,  fils  de  Bâbek,  dans  la  ville  d'Içtakhr,  en  Perse. 
Ardeschîr  descendait  de  Bahman,  fils  d'Isfendiâr.  Voici  sa 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XI.  67 

généalogie  :  ArdcschiV,  fils  de  Bâbek,  fils  de  Sâsâu,  qui  eiil 
pour  ancêtre  Bahnian.  Quand  Bahnian  remit  la  couronne  à  sa 
fille,  Sâsàn,  courroucé,  h  enfuit  dans  un  lieu  où  il  cacha  sou 
origine,  et  fut  berger  dans  THindoustan  jusqu'à  sa  mort.  Il 
laissa  un  fils,  nommé  également  Sàsân,  dont  les  descendants 
jusqu'à  la  cinquième  génération  s'appelaient  tous  Sâsân, 
jusqu'à  Bâbek,  qui  fut  le  père  d'Ardeschir.  Celui-ci  déclara 
qu'Alexandre  étant  venu  et  ayant  tué  Dârâ,  et  ayant  enlevé 
par  la  force,  et  contre  tout  droit,  l'empire  à  ses  descendants 
(Dârâ  était  le  cousin  d'Ardeschir,  car  il  était  fils  de  Dârâ,  fils 
du  roi  Bahnian),  il  voulait  venger  la  mort  de  Dârâ,  faire  ren- 
trer le  royaume  dans  sa  famille,  restreindre  le  pouvoir  des 
rois  des  Provinces,  l'enlever  aux  Arabes  et  réparer  l'injustice 
commise  par  Alexandre. 

Il  y  avait,  dans  la  dépendance  d'Içtakhr,  une  contrée  nom- 
mée khir  ;  et  là  il  y  a  un  bourg  nommé  Tirouzè.  Ardeschîr 
était  de  ce  bourg.  Le  roi  d'Içtakhr  était  un  Perse  nommé 
Tirouzè,  et  ce  bourg  est  appelé  de  son  nom.  Quelques-uns 
disent  que  son  nom  était  Djouzher,  ce  qui  est  plus  exact. 
Ce  roi  était  l'un  des  rois  des  Provinces,  de  la  famille  de  Bâ- 
zerandjiân.  Ces  Bâzerandjiân  faisaient  partie  des  rois  des 
Provinces  et  tenaient  la  province  de  Perse.  Dans  chaque  ville 
de  la  Perse ,  il  y  avait  un  roi  de  leur  dynastie. 

Sâsân  le  Jeune,  le  grand-père  d'Ardeschir,  était  un  homme 
très-brave ,  qui  faisait  la  guerre  pour  son  compte  avec  soixante 
et  dix  ou  quatre-vingts  hommes.  Il  n'était  pas  roi,  mais  il  était 
le  chef  de  tous  les  bourgs  du  district  de  Khir,  jusqu'à  Içtakhr, 
et  les  temples  du  feu  d'Içtakhr  dépendaient  de  lui.  C'était  un 
homme  chevaleresque,  aimant  la  chasse.  Il  avait  une  femme 
nommée  Minehscheb,  de  la  famille  des  Bâzerandjiân,  qui 
étaient  rois  de;  Peim^  Celle  femme  donna  lé  jour  à  un  (ils, 

5. 


^  CHBO^îiQCE  DE  lABlRI. 

qu'on  appela  Bâbek  el  qui  fut  k-  pèiv  if  Anle^rhir.  Quand  Bà- 
bek  vint  ao  rnoode,  il  a%ail  à  la  ièîe  des  theveiu  plus  longs 
que  la  main.  Sa  mère  dil  :  Cet  eniani  fera  de  gnuMles  choses. 
Quand  il  fut  grand,  son  père  Sasan  moamt,  et  Babek le  rem- 
plaça dans  toutes  ses  afaires,  dans  radminislration  de  ce 
district  et  dans  la  surveillance  des  temples  du  fen.  Le  roi 
d'Içtakhr  Teut  en  grand  bonneor.  Ensuite  Bàbek  eut  un  fils, 
nommé  Ardeschir.  Djouzher  avait  un  eunuque  nommé  Piri, 
qui  Favait  élevé.  D  avait  confie  à  cet  eunuque  le  gouvernement 
de  Dâràbguerd,  ville  de  la  Perside  qui  avait  été  fondée  par 
Dàrà. 

Quand  Ardeschir  fut  âgé  de  sept  ans,  Bibek  demanda  à 
Djouzher  d'envoyer  son  fils  chez  Piri,  à  Dàribguerd,  afin  que 
Piri  rélevât,  lui  donnât  une  bonne  éducation,  et  pour  qu  Ar- 
deschir succédât  à  Piri  dans  le  gouvernement  de  Dârâbguerd. 
Le  roi  dlçtakhr  agréa  la  demande  de  Bâhek,  adopta  Ardeschir 
et  lui  assura  le  gouvernement  de  Dârâbguerd  après  Piri,  par 
un  acte  écrit,  pour  lequel  il  prit  comme  témoins  les  habitants 
d'Içtakhr.  Puis  il  envoya  Ardeschir  à  Piri,  avec  cet  ordre  : 
tlève-le  bien ,  pour  qu'il  te  succède  dans  ton  gouvernement. 
Piri  adopta  Ardeschir  pour  son  fils.  Lorsque  Piri  mourut, 
Djouzher  confia  le  gouvernement  de  Dârâbguerd  a  Ardeschir, 
comme  successeur  de  Piri.  Ardeschir  exerça  la  justice  et  Té- 
quiié  envers  les  hommes,  et  fut  humble  avec  eux,  et  ils  le 
prirent  en  affection.  11  connaissait  la  constellation  de  sa  nati- 
vité, et  il  la  dit  aux  astrologues.  Ceux-ci  lui  dirent  :  Tu  ob- 
tiendra»  un  royaume  plus  grand.  Une  nuit,  Ardeschir  rêva 
qu'un  ange  descendait  du  ciel  et  lui  disait  :  Dieu  te  donnera 
Tcmpire  de  Tunivers;  sois  prêt!  Ardeschir  se  réveilla,  fortifié 
par  ce  rêve.  Il  fit  ses  premières  armes  dans  les  environs  de 
Dârâbguerd.  Il  attaqua  la  ville  de  Djoubâtân,  gouvernée  par 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XI.  69 

uu  roi  iionmië  Parwiz.  Ârdeschtr  tua  ce  roi  et  s'empara  de 
son  gouvernement.  Le  père  d'ArdeschiV,  Bâbek,  vivait  encore 
à  Içtakkr,  et  auprès  de  lui  était  un  frère  aine  d'Ardeschlr, 
nommé  Schâpour,  bomme  d'une  grande  bravoure. 

Lorsque  Ardescbir  eut  tué  ce  roi ,  il  écrivit  à  son  père  :  Tue 
le  roi  d'Içtakbr,  Djouzber,  et  saisis  en  mon  nom  les  rênes  du 
gouvernement.  Bâbek  fit  ainsi,  mais  il  plaça  sur  le  trône  d'Iç- 
lakbr  son  fils  Scbâpour,  sans  se  soucier  d'Ardeschir.  Celui-ci 
avait  une  couronne  d'or;  Bâbek  la  mit  sur  la  tête  de  Scbâ- 
pour. Peu  après,  Bâbek  mourut.  Schâpour  adressa  une  lettre 
à  Ardescbir,  lui  disant:  Rends-toi  auprès  de  moi;  car  j'ai 
plus  de  droits  au  trône  que  toi,  je  suis  ton  frère  aine.  Arde- 
scbir ne  vint  pas.  Scbâpour  fut  très-irrité.  11  avait  encore  un 
frère  plus  jeune  qu'Ardescbir  et  un  autre  plus  âgé  d'un  an 
que  lui.  Scbâpour  rassembla  une  armée,  et  invita  ses  frères 
à  faire  la  guerre  à  Ardescbir,  et  ils  partirent  avec  lui  et  son 
armée  contre  Ardescbir.  Mais  ces  frères  avaient  plus  d'incli- 
nation pour  Ardescbir,  et  cberchèrent  à  se  le  rendre  agréable  : 
lorsqu'ils  furent  sortis  d'Içtakbr,  ils  mirent  à  Scbâpour  des 
liens  et  en  Avertirent  Ardescbir  par  une  lettre.  Celui-ci  arriva, 
et  ils  lui  remirent  l'armée,  la  couronne  et  le  trône.  Ardescbir 
arriva  à  Içlakbr,  s'assit  sur  le  trône,  mit  la  couronne  sur  sa 
tête,  s'empara  du  gouvernement  de  la  Perside,  et  exerça  le 
pouvoir  avec  fermeté  et  avec  autorité  et  en  se  faisant  respec- 
ter. Il  y  avait  un  bomme,  nommé  Sâm,  fils  de  Ra^bqar,  qu'il 
nomma  son  vizir,  et  un  bomme  d'entre  les  docteurs ,  du  nom 
de  Bâbir,  qu'il  fit  mobed  suprême.  Il  donna  à  cbacun  son 
rang  dans  l'armée,  parmi  les  savants,  parmi  les  cbefs  et  les 
sujets,  et  ordonna  toutes  les  affaires. 

Quelque   temps  après,  il  fut  averti  que  ses  frères  cber- 
rhaiont  h  le  faire  périr  cl  qu'ils  avaient  gagné  une  partie  de 


70  i:UB03klOLE  DE  TiBlBL 

i armée,  il  fit  mettre  à  niort  tous  si's  frère»,  et  îou  i-ai|>in* 
fat  solklemeiit  établi  »iir  toute  la  pro^iuce  de  Perse.  Plus 
lard,  il  reçut  la  nouvelle  que  les  liabilants  de  Dàràbguerd 
f»'étaient  révoltés»,  .\rdescbir  8\  rendît  dlctakbr  a\ec  une 
nombreuse  armée,  et  y  fit  un  grand  massacre.  (Juiconque  lui 
résistait  fut  mai»ëacré,  de  sorte  qu*il  ne  lui  resta  pas  un  seul 
opposant.  Ëusuile  il  plaça  dans  chaque  ville  de  la  Perse  un 
lieutenant  avec  un  corps  d'armée,  quil  croyait  en  état  de 
maintenir  la  \ille.  Lui-même  dirigea  une  armée  vers  le  kir- 
niân.  Il  y  avait  là  un  roi  nommé  Palâsch,  qui  alla  au-devant 
d'Ardeschir  avec  une  armée  nombreuse.  Un  combat  acharné 
eut  lieu,  et  un  grand  nombre  d  hommes  furent  tués  des  deux 
cdtés.  Ardeschir  combattit  lui-même.  Euiin  il  mit  eu  fuile  l'ar- 
mée de  Palâsch,  le  fit  prisonnier,  et  sVmpara  du  gou\erne- 
inent  du  kirmân. 

Il  y  avait  aux  bords  de  la  mer  plusieurs  \illes  qui  faisaient 
partie  tant  du  kirmân  que  de  la  Perside,  et  (|ui  étaient  gou- 
vernées par  un  roi  nommé  Iswer.  Celui-ci  avait  une  nom- 
breuse armée,  et  son  royaume  subsistait  depuis  longtemps.  Il 
possédait  plusieurs  édifices  remplis  de  trésors  et  de  grandtvs 
richesses.  Ardeschir  laissa  son  fils  comme  lieutenant  dans  le 
kirmân, en  lui  donnant  une  forte  armée;  il  laissa  également 
entre  ses  mains  Palâsch,  le  roi  de  kirmân,  qu'il  avait  fait  pri- 
sonnier, et  dirigea  lui-même  une  nombreuse  armée  vers  le 
littoral,  pour  attaquer  le  roi  de  cette  contrée.  Iswer  alla  au- 
devant  de  lui;  ils  rangèrent  les  années  en  bataille.  Iswer 
sortit  en  personne  et  provoqua  Ardeschir  au  combat.  Ils  lut- 
tèrent ensemble,  et  Ardeschir  lui  donna  un  coup  d*é|>ée  sur 
la  léle  et  le  fendit  eu  deux  jus<ju'à  la  selle.  Il  tua  un  grand 
nombre  de  ses  soldats,  s  empara  du  Uttoral  et  élablil  lu  un 
gouverneur  sous  sa  dépendance;  puis  il  prlil. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XI.  71 

li  y  avait  dans  son  empire  un  autre  roi,  nommé  Mihrak.  Il 
lui  envoya  une  lettre  et  lui  demanda  sa  soumission.  Ce  roi  re- 
fusa. Ardeschir  Tattaqua,  le  fit  prisonnier  et  le  tua.  Ensuite 
il  dirigea  une  armée  vers  la  Perside,  contre  la  ville  de  Djour. 
Celte  ville,  située  dans  la  Perside,  est  la  ville  la  plus  chaude 
qui  existe.  Il  y  a  là  de  grandes  quantités  d'herbes  odorifé- 
rantes, de  fruits  et  d'arbres.  L'eau  de  rose  de  T^Irâq  appelée 
4fot«ri,  que  Ton  apporte  de  la  province  de  Perse,  provient  de 
Djour.  Ardeschfr  voulut  en  faire  sa  résidence.  Il  y  fit  cons- 
truire un  palais,  une  forteresse  appelée  Terbâl  et  un  temple 
du  feu.  Il  demeura  là  en  repos,  après  avoir  conquis  la  Per- 
side et  le  littoral. 

Il  y  avait  dans  le  Kouhistân ,  à  Ispahàn ,  un  homme  nommé 
Ardev^àn  Pehlewi ,  qui  régnait  sur  Ispahàn  et  sur  tout  le  Djebàl. 
Il  était  de  la  dynastie  des  rois  des  Provinces,  de  la  branche 
de  Perse.  Ce  Djouzher  qui  avait  été  roi  d'Içtakhr,  et  que  Bâ- 
bek,  le  père  d'Ardeschir,  avait  tué,  avait  été  sous  sa  dépen- 
dance. Ardewân  avait  une  grande  autorité  parmi  les  rois  des 
Provinces.  Ardeschir  gouvernait  en  paix  dans  sa  résidence  de 
Djour,  lorsqu'il  reçut  d'Ardewâu  une  lettre  ainsi  conçue  : 
Tu  n'as  pas  reconnu  mon  autorité  et  tu  t'es  soustrait  à  mon 
pouvoir.  Ton  père  était  un  chef  de  canton  et  n'avait  pas  le 
droit  de  venir  dans  la  ville.  De  quel  droit  as-tu  ordonné  de 
saisir  le  roi  d'Içtakhr  et  de  tuer  les  rois  de  la  Perse  et  du 
Kirmân?  De  quel  droit  t'es -tu  emparé  de  la  couronne  et 
de  la  royauté  ?  J'ai  écrit  au  roi  d'Ahwâz  qu'il  vienne  et 
qu'il  t'envoie  enchainé  vers  moi.  Ardeschir,  après  avoir  lu 
cette  lettre,  répondit  :  Ce  trône  et  celte  com'onne  m'ont  été 
donnés  par  Dieu;  il  m'a  accordé  la  victoire  sur  ces  rois.  J'ai 
l'espoir  que  je  remporterai  aussi  la  victoire  sur  toi,  afin  que 
je  prenne  ta  tcte  et  que  j'emploie  tes  trésors  pour  les  temple? 


It  CHBOHIQLC  DE  TlBllL 

àik  Cm.  infesrliâr  quîUa  la  «ilie  de  Dfmr  H  ««  neodit  à  Iç- 
taUir.  Là  it  plaça  à  la  liêle  de  rarmée  on  liettlenaal  Dominé 
Bénin.  Peu  de  temps  après,  il  reçut  une  lettre  de  Bersam, 
lai  anjMMiçaiiit  qu'il  avait  été  attaqué  par  le  toi  d'Ahvâx^  qu'il 
Tarait  laiuai  et  repoussé. 

U  y  avait  à  kpaliiu  un  roi  dépendant  d  Ardevàn,  et  nommé 
Scbâb-Sebâponr.  Ardeschir  fit  marcher  son  armée  contre  lui, 
le  vainquit  et  le  tua  ;  puis  il  retourna  dans  la  Perse ,  après 
s'être  emparé  du  gouTemement  d'Iqpahan  et  après  y  avoir 
établi  un  lieutenant  avec  une  arm^. 

Ensuite  Ardeschir  fit  marcher  son  armée  contre  le  roi 
d'Ahwiz,  nommé  Pirouxi  (?).  Celui-ci  prit  la  fuite  devant 
Ardeschir,  qui  s'empara  de  toutes  les  villes  de  TAhwâx.  Il  fit 
sa  résidence  à  Râm-Hormuid ,  qui  est  la  ville  la  plus  consi- 
dérable de  FAhwâz,  et  rassembla  un  immense  butin.  11  y 
fonda  une  ville,  nommée  Souk-al-Ahwâz,  qui  est  aujourd'hui 
la  plus  grande  ville  de  TAhwâz.  Après  avoir  jeté  les  fonde- 
ments de  la  ville,  il  y  établit  un  lieutenant  avec  une  nom- 
breuse armée,  et  lui  ordonna  d  achever  la  ville.  Lui-même, 
avec  une  armée,  sortit  de  TAhiràz  et  se  rendit  dans  la  Mésène, 
qui  est  un  royaume  semblable  à  TAbwâz.  Il  y  avait  là  un  roi, 
nommé  Bévdâ  (?).  Ardeschir  tua  ce  roi.  11  fonda  dans  la 
Mésène  une  ville  nommée  Karakh,  appelée  par  quelques-uns 
Ardeschlrsân.  Il  y  laissa  une  garnison  et  retourna  dans  la 
Perside.  Ensuite  il  envoya  à  Ardewân,  le  roi  du  Djebâl,  un 
message  ainsi  conçu  :  Je  t  attaquerai  dans  la  plaine  de  Hor- 
muzdjân ,  à  la  fin  du  mois  de  mihr.  Prépare-toi.  Ardeschir 
partit  pour  la  plaine  avant  cette  époque,  et  y  transporta  son 
armée  par  la  voie  d'eau.  Là  il  fit  creuser  un  fossé  autour 
de  son  campement.  Lorsque  Ardewân  s'approcha,  il  le  tint 
éloigné  de  ce  fossé.  Ardeschir  avait  un  fils  nommé  Schàpour, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XI.  73 

qu'il  envoya  au-devant  d'Ârdewân.  Une  bataille  eut  lieu.  Ar- 
dewàn  avait  un  vizir  nommé  Dârbendân,  qui  avait  la  direc- 
tion de  Tarmée  et  de  la  guerre.  Schâpour  tua  ce  vizir  de  sa 
propre  main,  et  Tarmée  d'Ârdewân  fut  mise  en  fuite.  Arde- 
schir,  avec  un  corps  d'armée,  poursuivit  Ardewân,  l'atteignit 
et  le  tua.  11  descendit  de  son  cheval  et  l'assomma  avec  sa 
massue,  de  sorte  que  sa  cervelle  jaillit  de  sa  tête.  Ce  jour-là 
Ardeschir  reçut  le  nom  de  roi  des  rais. 

Il  partit  de  là  avec  son  armée  et  se  rendit  à  Hamadân. 
Il  s'empara  des  gouvernements  du  Djebâl,  de  Hamadân,  de 
Nehâwend  et  de  Dinwer,  et  en  tua  les  rois.  De  là  il  se  diri- 
gea vers  l'Aderbidjân  et  l'Arménie,  et  arriva  à  Mossoul  et  fit 
la  conquête  de  ces  provinces.  Puis  il  revint  dans  le  Sawàd,  le 
district  de  Baghdâd,  et  s'en  empara.  A  cette  époque,  Baghdâd 
n'existait  pas  encore.  Entre  Mossoul  et  lajrille  de  Madâïu,  aux 
bords  du  Tigre,  se  trouvaient  de  nombreux  bourgs  et  autant 
de  principautés,  comme  cela  est  encore  aujourd'hui.  Il  s'em- 
para de  toutes  ces  principautés  et  fit  reconstruire  les  bourgs 
qui  étaient  détruits,  et  fonda  une  ville  en  face  de  Madâïn. 
Puis  il  retourna  dans  la  Perside,  et  résida  à  Içtakhr;  il  ne  fut 
pas  inquiété  dans  la  possession  de  ces  provinces. 

Ardeschir  rassembla  une  armée  et  alla  attaquer  le  Khorâ- 
8«in.  11  vint  de  la  province  de  Perse  dans  le  Kirmân  et  de  là 
dans  le  Seïstân,  s'empara  de  cette  contrée,  et  se  dirigea  en- 
suite vers  le  Khorâsàn,  où  il  conquit  les  villes  de  Balkh,  do 
Merw,  de  Nischabour  et  de  Khàresm.  Il  réduisit  tous  les  rois 
des  Provinces  et  envoya  leurs  têtes  en  Perse,  pour  être  sus- 
pendues à  l'entrée  du  temple  du  feu,  à  Içtakhr.  Ensuite  il 
rentra  dans  la  province  de  Perse  et  résida  à  Djour.  Plus  tard 
il  dirigea  une  armée  vers  Madâïn,  et  de  là  il  se  rendit  dans 
le  Ba'hraïn.  Il  y  avait  là  un  roi  nommé  Sàtiroun,  qui  s'était 


là  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

relrauché  dans  une  forteresse.  Ardeschir  Tassiéga  pendant 
un  an.  La  famine  se  déclara  dans  la  forteresse,  et  la  gar- 
nison voulut  tuer  le  roi  et  livrer  la  forteresse  à  Ardeschir. 
Alors  le  roi  se  précipita  en  bas  du  mur  de  la  forteresse  et 
trouva  la  mort.  Ardeschir  s'empara  de  la  forteresse  et  tles 
trésors  qui  s'y  trouvaient,  puis  il  retourna  en  Perse.  Il  éta- 
blit son  fils  Scbâpour  régent,  le  nomma  son  successeur  et 
lui  mit  la  couronne  sur  la  tête.  11  lui  ordonna  d'achever  les 
villes  dont  il  avait  jeté  les  fondements.  Puis  il  alla  résider  à 
Madàïn ,  et  fonda ,  dans  les  dilTérentes  parties  de  son  royaume, 
huit  autres  villes  :  une  ville  appelée  Ardeschir -Abâd;  une 
autre,  nommée  New-Ardeschir;dans  TAhwâz,  une  ville  nom- 
mée Hormuzd- Ardeschir,  qu'on  appelle  aujourd'hui  Souk* 
al-Ahwàz;  dans  le  Sawâd,  une  ville  nommée  Aspàbàd- Ar- 
deschir, qu'on  appelle  aujourd'hui  Karkh  de  Mésène;  dans 
le  BaMiraïn,  une  ville  nommée  Aspâ- Ardeschir,  qui  porte 
aujourd'hui  le  nom  de  Madinat-al-'Hat;  entre  Medine  et 
Mossoul,  une  ville  nommée  New- Ardeschir,  appelée  aujour- 
d'hui Djidè. 

Le  royaume  de  l'Hrâq,  le  Khorâsân  jusqu'aux  bords  du 
Dji^houn ,  le  Seïstân ,  la  province  de  Perse  et  le  Kirmàn  lui 
restèrent  soumis.  Les  rois  des  Provinces  disparurent  de  la 
terre.  Les  Arabes  aussi  furent  dépossédés  et  s'en  allèrent;  les 
uns  allèrent  rejoindre  les  Qodha^ites  de  Syrie,  les  autres  ga* 
gnèrent  le  désert,  du  côté  du  ^Hedjâz. 

Ardeschir  exerça  la  justice,  rendit  le  monde  florissant,  et 
son  royaume  fut  complet.  Il  fut  complété  le  jour  où  il  tua 
Ardewân  et  où  il  posa  la  couit)nne  sur  sa  tête.  Ce  jour-là, 
^Amrou,  fils  d'^Adi,  qui  possédait  l'^Irâq,  était  encore  vivant. 
Ardeschir  demanda  sa  soumission.  ^Amrou  avait  sa  résidence  à 
*Hira,  ville  située  en  deçà  de  Koufa,  vers  le  désert.  Ardeschir 


PARTIE  lU  CHAPITRE  XU.  75 

doona  41ira  à  ^Ainrou,  qui  tenait  de  la  main  d'Ardeschir 
rMrâq,  le  Sawâd  et  la  Mésopotamie. 

Ardesclih*  régna  encore  quatorze  ans  après  la  mort  d'Ar- 
dewàn;  puis  il  mourut,  après  avoir  régné  en  tout  quarante- 
quatre  ans  :  pendant  trente  ans,  il  lit  la  guerre,  et  pendant 
quatorze  ans^  il  régna  en  paix. 


CHAPITRE  XII. 


« 


HISTOIRE  DU  REONE  DE  SGHAPODR. 


Lorsque  Scbâpour  monta  sur  le  trône,  ceignit  la  couronne 
et  prit  entre  ses  mains  le  royaume  de  son  père,  il  fut,  comme 
son  père,  maître  de  Tunivers.  Schàpour  est  la  forme  arabe  de 
son  nom;  en  persan,  il  s'appelait  Sckahpour,  qui  veut  dire 
ff  Gis  du  roi  v.  Voici  la  généalogie  de  Scbâpour  : 

Dans  les  commencements,  quand  Ardeschir  saisit  le  gou- 
vernement de  Dâràbguerd,  il  fut  iuformé  que  son  aïeul  Sa- 
sân,  fils  de  Babman,  lorsque  Ascbk,  fils  de  Dârâ  était  monté 
sur  le  trône  d'^Irâq,  ne  pouvant  résister  à  Ascbk  et  lui  aban- 
donnant la  couronne,  avait  fait  le  serment  suivant  :  Si,  un 
jour,  le  trône  m'écboit,  je  ne  laisserai  pas  un  seul  Ascbka- 
nien  vivant  sur  la  terre.  Sâsân  mourut  avant  que  Tempire  lui 
échût;  mais  il  avait  fait  jurer  à  son  fils,  qui  devait  faire 
prendre  le  même  engagement  à  ses  descendants,  de  père  en 
fils,  que  quiconque  d'entre  eux  obtiendrait  la  couronne  exé- 
cuterait son  serment  et  ferait  périr  les  Ascbkaniens.  Mais  Tem- 
pire  était  resté  entre  les  mains  des  Ascbkaniens,  et  aucun 
des  descendants  de  Sâsân  navait  obtenu  la  couronne,  jus- 
qu'au temps  d'Ardescbîr.  Quand  Ardescbir  apparut,  les  Ascb- 
kaniens* perdirent  renqiire,  ol  aucun  dVux  ne  resia  sur  son 


76  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

trône.  Le  gouvernement  de  T^Iràq  [seulement]  demeura  entre 
les  mains  des  Arabes  et  des  rois  des  Provinces.  Mais  quel- 
ques-uns des  Aschkaniens  avaient  subsisté,  en  s*éloignant  de 
leurs  demeures.  Ardeschir  fit  mettre  à  mort  tous  ceux  d'entre 
eux  qu'il  put  atteindre,  grands  et  petits;  aucun  d'eux  ne  resta 
vivant,  et  le  serment  de  son  aieul  fut  accompli.  Il  mit  dans 
son  trésor  les  biens  de  tous  les  chefs  Aschkaniens  qu'il  tua , 
et  leurs  esclaves  furent  employés  à  son  service.  Un  jour  on 
lui  présenta  les  biens  d'un  Aschkanien  :  de  l'or,  de  l'argent, 
des  hommes  et  des  fenmies  esclaves.  Parmi  ces  dernières  se 
trouvait  une  jeune  fille  telle ,  qu'on  n'en  avait  jamais  vu  de 
plus  belle.  Ardeschir  en  devint  amoureux,  et  pensa  qu'elle 
était  une  des  esclaves  des  Aschkaniens.  Il  l'employa  à  son 
service  et  la  tint  auprès  de  sa  personne.  Il  lui  demanda  [un 
jour]  si  elle  n'avait  jamais  été  touchée  par  un  homme.  Elle 
ré|)ondit  que  non.  Alors  Ardeschir,  ne  pouvant  se  contenir, 
lui  âta  sa  virginité,  et  elle  devint  enceinte  de  lui.  Lorsqu'il 
l'ut  familier  avec  elle,  il  l'interrogea  sur  son  origine  et  lui 
demanda  en  quel  endroit  elle  avait  été  faite  prisonnière.  Elle 
ré|)ondit  :  Je  ne  suis  pas  une  esclave,  je  suis  de  la  famille 
des  Aschkaniens.  Ardeschir  regretta  d'avoir  étendu  sa  main 
sur  elle  ;  il  voulut  la  faire  périr,  afin  qu'aucun  membre  de  la 
famille  des  Aschkaniens  ne  restât  vivant,  et  afin  d'accomplir 
ie  serment  de  son  aïeul.  Mais  il  ne  put  s'y  résoudre,  à  cause 
de  l'amour  qu'il  sentait  pour  elle.  Il  ordonna  de  la  détenir 
pendant  quelque  temps,  afin  que  l'image  de  la  jeune  fille 
s'eiïaçât  de  son  souvenir  et  que  l'amour  qu'il  avait  pour  elle 
disparût  de  son  cœur.  Ensuite  il  prit  la  résolution  de  la  faire 
périr,  pour  accomplir  le  serment  de  son  aïeul.  11  avait  un 
oUicier  plein  de  science  ei  de  sagesse,  qui  était  le  surinten- 
dant de  sa  maison  et  à  qui  il  avait  confié  la  garde  de  ses 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XII.  77 

fenimes,  de  ses  biens  et  de  toute  sa  inaisoii.  Il  fit  appeler  cet 
officier,  lui  raconta  Thistoire  de  la  jeune  fille,  et  lui  dit  :  Je 
préfère  Taccomplissement  du  serment  de  mon  aïeul  à  Tamour 
pour  cette  jeune  fille.  Emmène-la  et  fais-la  périr.  Quand 
le  surintendant  la  prit  pour  la  tuer,  la  jeune  fille  lui  dit:  Je 
suis  enceinte  du  roi.  Il  fit  venir  des  sages-femmes,  qui  de- 
raient  s'en  assurer;  celles-ci  confirmèrent  qu'elle  était  en- 
ceinte. L'officier  la  fit  transporter  dans  sa  maison  et  la  fit 
enfermer  sous  terre.  Puis  il  se  coupa  les  signes  de  la  virilité , 
les  mit  dans  une  boite,  qu'il  scella,  et  alla  trouver  Ârdeschir. 
Celui-ci  lui  dit  :  Qu'as-tu  fait  ?  Il  répondit  :  Je  l'ai  mise  sous 
terre.  Ardeschir  pensa  qu'il  l'avait  tuée.  Puis  l'officier  pré- 
senta à  Ardeschir  la  boite  et  lui  dit  :  Que  le  roi  ordonne  de 
placer  cette  boîte,  scellée  comme  elle  est,  dans  son  trésor, 
et  que  le  trésorier  la  garde  précieusement  jusqu'au  jour  où 
j'en  aurai  besoin.  Le  roi  en  confia  la  garde  au  trésorier. 

La  jeune  fille  donna  le  jour  à  un  fils  dans  la  maison  de 
l'officier.  Celui-ci  n'osa  pas  l'annoncer  au  roi  ni  donner  un 
nom  à  l'enfant  sans  son  ordre.  Il  fit  observer  la  constellation 
de  sa  nativité,  et  trouva,  dans  la  constellation,  que  cet  en- 
fant deviendrait  roi  et  que  l'empire  du  monde  lui  appartien- 
drait. Il  rendit  grâces  à  Dieu  de  ce  qu'il  n'avait  pas  tué  la 
jeune  fille.  Il  songea  à  donner  à  l'enfant  un  nom  qui  fût 
digne  de  sa  naissance  et  il  l'appela  Schâpour,  c'est-à-dire 
(tfils  du  roi.^  Quand  l'enfant  eut  atteint  l'âge  de  dix  ans,  il 
lui  enseigna  les  bonnes  manières,  l'équitalion  et  tout  ce  qu'il 
faut  aux  princes.  Un  jour,  se  présentant  devant  le  roi,  il  le 
trouva  soucieux.  Il  dit  :  Qu'est-il  arrivé  au  roi  ?  Ardeschir 
dit  :  J'ai  conquis  tout  l'univers,  j'ai  anéanti  mes  ennemis  et  je 
me  suis  emparé  de  leurs  royaumes;  mais  je  n'ai  pas  de  fils 
pour  me  remplacer  et  pour  régner  après  ma  mort.  Le  surin- 


7S  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

tcD(lanl  dit  :  Que  le  roi  vive  longtemps  !  Le  roi  ci  chez  moi 
uu  fils  parfait,  sorti  indubitablement  des  reins  du  roi,  qui 
a  grandi  et  qui  est  instruit.  Le  roi  dit:  Comment  cela  est-il  ? 
L'autre  dit  :  Que  le  roi  fasse  ouvrir  la  boîte  qu'il  garde 'depuis 
dix  ans,  elle  en  contient  le  rëcit.  Piiis  il  sortit.  Ardeschîr  fit 
apporter  la  boîte  scellée  et  la  fit  ouvrir.  Il  y  vit  des  signes  vi- 
rils, et  un  écrit  contenant  ceci  :  Le  roi  m'a  livré  cette  jeune 
fille  Aschkanienne  pour  la  tuer;  il  me  fut  assuré  par  les  sagea- 
femmes  qu'elle  était  enceinte,  et  je  ne  me  suis  pas  cru  auto- 
risé à  détruire  le  germe  semé  par  le  roi.  Je  l'ai  placée  au 
sein  de  la  terre  pour  voir  ce  qu'elle  mettrait  au  monde.  J'ai 
coupé  mes  signes  virils,  afin  que  personne  ne  puisse  jeter 
sur  moi  la  calomnie.  Le  roi  fit  appeler  l'olBcier  et  lui  dit  : 
Quel  âge  a  cet  enfant  et  comment  est-il  ?  L'autre  lui  en  fit 
la  description.  Le  roi  dit  :  Si  c'est  mon  fils,  je  le  reconnaî- 
trai enlre  mille.  Amène-le  avec  mille  enfants  du  même  âge, 
de  la  même  taille  et  vêtus  de  la  même  façon  ;  si  mon  cœur 
lui  rend  témoignage,  ton  récit  est  vrai,  et  il  est  mon  fils. 
L'officier  fit  ainsi.  Ardeschîr  jeta  les  yeux  sur  les  enfants,  et 
son  cœur  lui  dit  que  Scbâpour  était  son  fils.  Ensuite  il  fit 
apporter  des  raquettes  et  des  balles  et  fit  jouer  les  enfants. 
Ardeschîr  avait  dans  son  palais  un  mail,  et  sur  le  mail  un 
appartement  où  il  y  avait  une  estrade.  Ardeschîr  s'assit  sur 
cette  estrade;  les  enfants  jouèrent,  et  il  les  regarda.^  La  balle 
vint  à  tomber  du  mail  sur  cette  estrade,  devant  le  trône  d*Ar- 
desèhîr.  Aucun  de  ces  enfants  n'osa  venir  chercher  la  balle. 
Scbâpour  dirigea  son  cheval  sur  l'estrade,  enleva  la  balle  de 
devant  le  trône  et  retourna  dans  le  mail.  Ardeschîr  fut  con- 
vaincu qu'il  était  son  fils,  à  cause  de  la  hardiesse  qu  il  mon- 
trait, et  il  lui  dit  :  Mon  enfant,  (jucl  est  ton  nom?  Uenfanl 
répondit  :  Scbâpour. Le  roi  dit:  En  effet,  iuasfls  du  roi.  C'est 


PARTIE  II.  CHAPITRE  XII.  79 

alors  qu^il  le  reconnut  pour  son  fils,  cl  qu'il  en  instruisit 
le  peuple.  Lorsqu'il  .fit  la  guerre  à  Ardewân,  quil  fut  en 
possession  incontestée  du  royaume  et  que  Tunivers  lui  fut 
soumis,  il  nomma  ce  fils  son  successeur  et  plaça  lui-même 
la  couronne  sur  sa  tête.  Scbàhpour  est  appelé  en  arabe  Schâ- 
pour. 

Lorsque  Ârdeschir  mourut,  Schapour  monta  sur  le  trône. 
Quoiqu'il  eût  montre,  déjà  du  vivant  de  son  père,  beaucoup 
de  qualités  en  fait  de  justice  et  d'humilité,  et  de  bienveillance 
pour  l'armée,  après  la  mort  de  son  père,  lorsqu'il  fut  roi ,  ces 
bonnes  dispositions  s'accrurent  encore,  et  il  montra  des  ver- 
tus supérieures  à  celles  de  son  père.  Après  que  Schapour  eût 
régné  quinze  ans,  il  rassembla  une  armée  et  marcha  contre 
Nisibe,  ville  solidement  fortifiée,  située  vers  la  Syrie.  Le  roi 
de  Nisibe  se  trouva  dans  la  forteresse.  Schapour,  assiégeant 
cette  place  pendant  un  long  espace  de  temps,  fut  informé 
qu'un  ennemi ,  venant  du  Khorâsân ,  avait  envahi  la  Pcrsidc. 
Schapour  retourna  dans  la  Perside,  attaqua  l'ennemi,  le  fit 
prisonnier  et  le  tua  ;  puis  il  revint  à  Nisibe.  L'armée  campa 
sous  les  murs  de  la  ville,  assiégeant  le  roi  de  Nisibe.  Schapour 
plaça  son  armée  sous  la  porte  de  la  forteresse;  elle  y  resta  une 
nuit,  et,  la  nuit  suivante,  le  mur  tomba,  et  Schapour  s'empara 
de  la  forteresse  sans  combat,  et  fit  un  grand  massacre;  il 
s'empara  aussi  des  trésors  immenses  appartenant  au  César 
de  Roum,  qui  étaient  conservés  dans  cette  forteresse!.  Puis  il 
attaqua  la  Syrie.  11  y  avait  dans  la  ville  d'Antioche,  qui  est  si- 
tuée sur  le  littoral ,  un  roi  des  Romains  nommé  Valerianus.  Ce 
roi  s'était  renfermé  dans  la  forteresse  d'Antioche.  Schapour  fit 
tomber  la  forteresse,  fit  prisonnier  le  roi,  et  le  conduisit  dans 
l'Ahwâz.  Là  il  jeta  les  fondements  de  la  ville  de  Schouschter,  et 
donna  cet  ordre  au  roi  de  Roum,  qu'il  avait  fait  prisonnier  : 


80  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

Envoie  quelqu'un  en  Roum,  afin  que  des  Romains  habiles  dans 
la  construction  des  villes  et  dans  les  travaux  de  soubassement 
viennent  et  construisent  cette  ville.  Quand  elle  sera  terminée, 
je  te  donnerai  la  liberté.  Le  roi  de  Roum  envoya  quelqu'un, 
et  les  artistes  romains  arrivèrent.  Schâpour  leur  donna  cet 
ordre  :  Je  désire  que  vous  jetiez  des  soubassements  tout  autour 
de  cette  ville,  de  sorte  que  le  sol  de  la  ville  repose  sur  eux. 
Creusez  les  fondements  jusqu'à  ce  que  vous  arriviez  a  Teau; 
puis  remplissez-les  de  briques,  de  mortier  et  de  pierres,  el 
jetez  dessus  de  la  terre.  Ces  fondements  devront  avoir  mille 
coudées  de  largeur  sur  mille  coudées  de  longueur,  afin  que 
je  puisse  y  construire  les  murs  de  la  ville.  Ils  exécutèrent  tout 
ce  travail ,  dont  les  dépenses  furent  faites  par  le  roi  de  Roum 
qui  était  prisonnier,  jusqu'à  ce  que  le  travail  fât  achevé.  En- 
suite Schâpour  lui  donna  la  liberté,  après  lui  avoir  coupé  le 
nez,  en  disant:  Il  faut  absolument  que  tu  aies  sur  la  figure 
la  marque  de  la  captivité.  Puis  il  le  laissa  partir. 

Entre  le  Tigre  et  l'Euphrate,  en  face  de  la  ville  de  Tikrtt, 
entre  l'*Irâq  et  la  Syrie,  était  une  ville  nommée  *Hadhr.  H  y 
avait  là  un  roi  du  nom  de  Sâtiroun ,  surnommé  Dhaïzan ,  qui 
était  Arabe,  de  la  tribu  de  Qodhâ^  Il  avait  une  nombreuse 
armée,  et  gouvernait,  depuis  de  longues  années,  la  ville 
de  ^Hadhr.  C'était  une  forteresse  que  l'on  avait  rendue  im- 
prenable par  un  charme,  le  jour  oîi  on  l'avait  construite. 
Personne  n'avait  encore  réussi  à  la  faire  tomber,  et  celui  qui 
s'y  renfermait,  ne  pouvait  être  vaincu.  Dhaïzan,  le  roi  de 
^Hadhr,  alors  que  Schâpour  se  rendit  de  T^Irâq  dans  la  Pep- 
side,  pour  en  chasser  l'ennemi  qui  l'avait  envahie  en  venant 
du  Khorâsân ,  avait  attaqué  les  frontières  de  l'^Irâq  et  en  avait 
détaché  une  portion.  Quand  Schâpour  revint  et  qu'il  en  eut 
fini  avec  le  royaume  de  Mossoul,  il  attaqua  'Hadhr  avec  une 


PARTIE  II,  CHAPITRE  \1I.  81 

armée  innombrable,  telle  que  personne  parmi  les  Arabes, 
personne  parmi  les  Persans  n'en  avait  encore  réuni.  C'est  à 
cause  de  cette  nombreuse  armée  que  les  Arabes  lui  donnèrent 
le  nom  de  Schâpour  al-Djonoud.  Dhaîzan,  le  roi  de  *Hadhr, 
s'enferma  dans  la  forteresse,  et  l'armée  de  Schâpour  vint  se 
poster  sous  ses  murs.  Elle  y  resta  quatre  ans,  sans  pouvoir 
prendre  la  forteresse  et  sans  s'en  retourner.  Après  quatre  ans, 
il  arriva  que  la  fille  du  roi  Dhaîzan,  qui  était  avec  lui  dans 
la  forteresse,  et  dont  le  nom  était  Nadhira,  et  qui  était  la 
plus  belle  femme  parmi  les  Arabes,  vint  sur  le  mur  de  la  for- 
teresse et  vit  Schâpour  qui  en  faisait  le  tour  à  cheval.  Schâ- 
pour était  très-beau,  et  cette  fille  en  devint  amoureuse.  Elle 
trouva  un  moyen  de  lui  dépêcher  quelqu'un  et  lui  fil  dire  : 
Cette  forteresse  a  un  charme,  et  quand  môme  tu  y  resterais 
cent  ans,  tu  ne  pourrais  t'en  emparer.  Si  tu  consens  à  me 
prendre  pour  femme,  je  t'informerai  de  quelle  façon  tu  peux 
l'en  rendre  maître.  Schâpour  consentit  el  s'engagea  par 
serment  à  accomplir  les  conditions  posées  par  la  jeune  fille. 
Le  messager  retourna  et  lui  rendit  compte.  La  jeune  fille  fit 
dire  à  Schâpour  :  Celte  forteresse  ne  peut  être  prise  que  si 
on  fait  tomber  sur  le  mur  un  linge  trempé  dans  le  sang  des 
menstrues  d'une  femme.  Mais  le  mur  est  très-élevé  et  personne 
n'en  peut  atteindre  le  sommet.  Il  y  avait  au  haut  du  mur,  sur 
une  des  tours  de  la  forteresse,  un  nid  de  pigeons  ramiers. 
La  jeune  fille  trouva  moyen  de  prendre  un  de  ces  pigeons, 
le  porta  dans  sa  maison,  lui  attacha  au  pied  un  linge  trempé 
dans  du  sang  de  menstrues,  et  le  laissa  s'envoler.  Le  pigeon 
retourna  à  l'endroit  où  était  son  nid,  se  plaça  sur  la  tour,  et 
y  laissa  tomber  le  linge.  Le  mur  s'ébranla,  et  la  forteresse 
s  écroula.  La  jeune  fille  avait  ainsi  accompli  ses  engagements 
envers  Schâpour.  Celui-ci  pénétra  dans  la  forteresse,  s'empara 
II.  G 


82  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

(le  la  place ,  el  commença  le  massacre.  Il  fil  posler  Tarmée  à 
rouverture  du  mur  et  recommanda  aux  soldais  de  luer  tous 
ceux  qui  viendraient  vers  eux.  Lui-même  avec  un  corps  d'armée 
attaqua  Uhaïzan,  et  le  lua.  Il  fit  passer  au  fil  de  Tépée  tous 
ces  milliers  d'Arabes  qui  composaient  la  garnison,  et  pas  un 
seul  n échappa;  Schâpour  les  tua  tous;  et  ceux  qui  cher- 
chèrent à  se  sauver  par  Touvertufe  du  mur  furent  massacrés 
par  les  soldats  qui  y  étaient  postés.  Ces  Arabes  étaient  ceux  du 
désert,  du^IIedjâz,  du  Ba*hraïn ,  du  Yemâma,  de  la  Syrie  et  du 
Yemen  :  il  n'y  avait  pas  une  seule  tribu  qui  n'eût  des  hommed 
dans  la  forteresse  ;  ils  furent  tous  tués.  Ce  fut  une  calamiti^ 
pour  toutes  les  tribus;  et  celte  histoire  est  conservée  dans  les 
chants  des  Arabes,  dans  les  élégies  qu'ils  chantèrent  pendant 
de  longues  années  au  sujet  des  victimes  de  *Hadhr.  De  tous  ces 
chants  le  plus  beau  est  celui  d'A^scha ,  qui  dit  : 

Ne  vois-tu  pas  'Hadbr,  dont  les  habitants  étaient  dans  la  prospérité  ? 
Mais  celui  qui  est  heureux  est-il  étemel  ? 

Schâpour  al-Djonoud  Tatlaqua;  pendant  deux  ans,  il  y  foule  le  sol. 

Mais  son  Dieu  n^ajouta  pas  a  ses  forces,  et  il  ne  put  pas  égaler  (son 
adversaire). 

Et  lorsque  son  Seigneur  vit  son  affaire,  alors  il  tomba  sur  celui  qui  ne 
fut  pas  vengé. 

Le  cri  de  son  peuple  fut  :  A  votre  affaire  !  elle  est  arrangée  I 

Mourez  courageusement  par  vos  glaives!  Je  vois  que  celui  qai  est  brave 
linivc  la  mort. 

Nous  avons  déjà  rapporté  ces  vers,  mais  nous  les  avons 
répétés  [ici],  parce  que  c'est  ici  leur  place.  Une  autre  de  ces 
élégies  arabes  est  celle  d'Abou-Douâd  al-Iyâdi,  qui  dit  : 

Certes,  la  niorl  a  fondu  do  iladhr  siir  le  chef  de  ses  habitants,  sur  le 
SiHiruun.  "^ 


PARTIE  II,  CIIAPITRK  Xil.  83 

Voici  les  paroles  d'^\niroii,  fils  dWI-Yekma  : 

N*e9-tu  pas  attristé  —  la  nouvelle  s'en  est  répandue  —  (l«>  ce  qui  est 
arrivé  aax  cavaliers  des  Benfl- Abld? 

Et  de  la  chute  du  Dliaïzan  et  de  ses  confrères ,  et  des  vaillants  cavafiers 
des  Benf-Yezid? 

Scbâpour  Ai-Djonoud  les  a  attaqués  avec  des  éléphants  caparaçonnés  e4 
avec  des  héros. 

Scbâpour  s'en  retourna  et  fit  détruire  les  murs  de  la  for- 
teresse, les  fit  fouler  sous  les  pieds  des  éléphants  et  complè- 
tement raser.  Puis  il  fit  arracher  les  arbres  et  les  jardins , 
et  dessécher  les  rivières,  de  sorte  que  personne  ne  pût  y  de- 
meurer. Ensuite  il  conduisit  larmée  à  *Aïn-al-Tamar,  ville 
située  dans  la  Mésopotamie  et  qui  faisait  partie  de  son  royaume. 
H  emmena  NadbJra,  la  fille  du  roi  de  *Hadhr,  et  Tépousa.  Une 
Duit,  il  était  couché  avec  elle  sur  un  lit  composé  de  dix  ma- 
telas faits  de  soie  de  Chine.  Cette  femme  si»  plaignit  toute  la 
nuit  que  l'étoffe  était  dure  et  qu  elle  en  éprouvait  des  dou- 
leurs au  côté.  Le  matin,  quand  Scbâpour  se  leva,  il  vit  le 
lit  inondé  de  sang,  et  le  côté  de  la  femme  était  tout  sanglant. 
Il  regarda,  et  vit  qu'il  y  avait,  dans  le  lit,  sous  le  côlé  de  la 
femme,  une  feuille  de  rose  dont  les  bords  l'avaient  blessée. 
Scbâpour  demeura  étonné;  il  regarda  [de  plus  près],  et  vit 
que  la  moelle  des  os  de  la  femme  était  a  découvert.  H  dit  : 
0  femme,  quelle  nourriture  ton  père  t'a-t-il  donnée?  Elle 
répondit  :  Il  a  fait  détacher  la  moelle  des  os  des  moutons, 
des  agneaux  et  des  bœufs;  il  y  a  fait  mettre  du  beurre  frais 
et  du  miel  blanc,  et  une  petite  quantité  de  fleur  de  farine 
très-clair-semée  et  de  telle  sorte  qu'elle  ne  paraissait  pas;  puis 
il  a  fait  donner  [à  ce  composé]  une  forme  ronde,  comme  un 
gâteau,  et  l'a  fait  cuire  dans  un  pot  avec  du  beurre  de  vache. 
Il  m'a  donné  cela  comme  ma  nourrilure  orHinaire.  Au  lieu 

6. 


84  CHRONIQUE  DE  TABARL 

• 

dVau,  il  lua  fait  boire  du  vin  pur  el  vieux  de  cinq  ans; 
je  n'ai  jamais  mange  de  pain  .et  je  n*ai  jamais  bu  d'eau. 
Schâpour  dit  :  Comme  lu  as  trahi  ce  père  qui  t'a  ainsi  élevée, 
et  que  tu  n'as  pas  été  reconnaissante  envers  lui,  personne  ne 
peut  se  fier  à  toi.  Cette  femme  avait  des  cheveux  qui  traînaient 
jusqu'à  terre.  Schâpour  fit  amener  un  cheval  jeune  et  ardent, 
et  ordonna  d'attacher  cette  femme  par  les  cheveux  aux  pieds 
du  cheval,  et  il  le  laissa  prendre  ainsi  sa  course.  Le  cheval 
traîna  Nadhira  sur  les  pierre»  et  la  mit  en  pièces. 

L'hérésiarque  Mâni  apparut  du  temps  de  Schâpour,  et 
répandit  son  hérésie. 

Schâpour  fonda  un  grand  nombre  de  villes  :  l'une  dans  la 
province  de  Perse,  nommée  Schâd-Schâpour;  une  autre  dans 
l'Ahwàz,  nommée  Tchendî-Schâpour,  qui  est  la  plus  floris- 
sante et  la  plus  agréable  de  toutes  les  villes  de  l'Ahwâz;  la 
végétation  y  fleurit  en  hiver  comme  en  été.  On  raconte  qu'il 
y  avait  là  primitivement  un  champ  non  cultivé.  Quand  Schâ- 
pour y  arriva  et  en  vit  les  agréments,  il  désira  y  fonder  une 
ville.  11  aperçut  un  vieux  berger,  l'appela  et  lui  dit  :  Quel  est 
ton  nom  ?  Le  berger  répondit  :  Bîl.  Le  roi  dit  :  Pourrait-on 
construire  ici  une  ville?  L'autre  répondit  :  Si  cet  endroit  peut 
devenir  une  ville,  je  pourrai  devenir  un  notaire.  Il  disait 
cela  pour  exprimer  son  étonnement.  Schâpour  fit  halle  à 
cet  endroit,  envoya  le  vieux  berger  à  son  vizir  et  dit  :  Je  ne 
m'éloignerai  pas  d'ici  avant  que  tu  aies  fait  de  ce  vieillard 
un  notaire.  Le  vizir  demanda  un  an  de  temps.  Le  roi  y  con- 
sentit et  demeura,  avec  son' armée,  un  an  dans  ce  champ. 
Le  vizir  emmena  le  vieillard,  fit  venir  un  maître  et  lui 
dit  :  Reste  ici  el  enseigne  à  ce  vieillard  le  calcul;  ne  lui 
apprends  pas  beaucoup  en  un  jour;  car  il  esl  vieux  et  oublie 
facilement;  apprends- lui  chaque  jour  une  règle  qu'il  pourra 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XIII.  85 

retenir,  et,  à  la  Gn  de  raniiée,  il  saura  trois  cent  suixante-ciiiq 
r^ies,  et,  sachant  cela,  il  sera  savant.  Quand  Tannée  l'ut 
écoulée,  Schâpour  fil  venir  devant  lui  le  vizir  et  le  vieillard.  Il 
dit:  0  vieillard,  une  ville  pourra-t-elle  s'élever  ici?  Le  berger 
répondit:  0  roi,  il  s'y  en  élèvera  autant  {tcliefid)  que  tu  vou- 
dras. Car  tu  as  pu  faire  de  moi  un  notaire,  tu  pourras  aussi 
faire  naître  ici  une  ville.  Ensuite  Schâpour  fonda  cette  ville 
et  l'appela  Tchendt-Schâpour.  Il  y  laissa  le  vieillard  comme 
payeur  et  inspecteur  des  ouvriers.  Lui-même  retourna  à  Ma- 
dâîn.  Le  vieillard  acheva  la  ville  encore  du  vivant  de  Schâpour. 
Les  hommes  appellent  la  ville  Ardbil,  du  nom  de  ce  vieillard. 
Schâpour  régna  trente  et  un  ans,  puis  il  mourut.  Son  fils 
Hormuzd  lui  succéda  sur  le  trône. 


CHAPITRE  Xm. 

HISTOIRE  DU   RÈGNE  D'UORMUZD. 

Schâpour,  de  son  vivant,  avait  nommé  Hormuzd  son  suc 
cesseur.  Quand  Hormuzd  fut  monté  sur  le  trâne  après  son 
père,  il  ceignit  la  couronne,  s'empara  du  gouvernement  et  fut 
CD  possession  assurée  de  l'univers.  Hormuzd  n'avait  qu'une 
seule  main.  Voici  la  cause  pour  laquelle  il  avait  perdu  une  main. 

Du  temps  qu'Ardeschir  fit  périr  les  rois  des  Provinces,  ayant 
son  fils  Schâpour  dans  Tavant-garde,  il  était  arrivé  à  une 
ville  nommée  Ardcschir-Khouré,  dans  la  Perside.  Dans  ceth; 
ville  il  y  avait  un  roi^  nonmié  Mihrak.  Ardeschir  l'attaqua 
et  le  fit  prisonnier.  Les  astrologues  dirent  à  Ardeschir  :  Il 
viendra  un  descendant  de  Mihrak  à  qui  ton  royaume  appar- 
tiendra. Ardeschh*  fit  mettre  à  mort  Mihrak  et  toute  sa  famille  > 
tous  ceux  qu'il  trouva,  grands  et  petits,  hommes  et  femmes. 


86  CHIIONIQLE  DE  TAIURI. 

n  était  assuré  qu  il  n'eu  restait  pas  une  personne  vivante  sur 
la  terre.  Mais  Mihrak  avait  une  fille  âgée  de  dix  ans,  qui  se 
sauva  devant  Ardeschir  et  quitta  la  ville.  Elle  aperçut  dans  la 
campagne  plusieurs  tentes  de  bergers,  elle  se  dirigea  vers  ces 
bergers  et  leur  dit  qu'elle  était  la  fille  de  Mibrak  et  qu'elle 
s'était  enfuie  devant  Ardeschir.  Un  de  ces  bergers,  un  vieillard, 
l'adopta  pour  sa  fille,  la  fit  entrer  dans  sa  tente  et  l'y  garda 
avec  sa  famille.  Cette  jeune  fille  était  fort  belle.  Il  se  passa 
ainsi  quatre  ou  cinq  ans.  Ardeschir  ignorait  qu'il  y  eût  sur 
la  terre  un  membre  de  la  famille  de  Mihrak.  Un  jour,  Schâ- 
pour,  fils  d' Ardeschir,  étant  allé  h  la  chasse,  se  trouva  séparé 
de  sa  suite,  dans  la  plaine.  Il  avait  soif,  et  aperçut  les  tentes 
des  bergers.  Il  s'approcha  et  demanda  de  l'eau.  La  fille  de 
Mihrak  lui  offrit  de  l'eau.  Schâpour  regarda  sa  figure,  dont 
la  beauté  lui  fit  oublier  la  soif.  Il  dit  à  ces  bergers  :  A  qui 
appartient  cette  jeune  fille?  Le  vieux  berger  dit  :  C'est  ma 
fille.  Schâpour  but  et  resta  là  jusqu'à  ce  que  sa  suite  arrivât. 
Puis  il  dit  au  vieillard  :  Donne-moi  ta  fille  en  mariage.  Quand 
le  vieillard  sut  que  c'était  le  prince,  il  n'osa  Heu  lui  dire, 
et  il  lui  accorda  la  jeune  fille.  Schâpour  la  conduisit  dans  sa 
demeure,  la  fit  couvrir  de  vêtements  royaux  et  de  joyaux  d'or 
et  d'argent;  et  il  demeura  avec  elle.  Elle  donna  le  jour  à  un 
enfant,  qu'il  nomma  Hormuzd.  Quand  Ardeschir  en  fut  in- 
formé, il  en  fut  très-charmé;  mais  il  ignorait  quelle  était  la 
mère  de  cet  enfant.  Celte  femme  traitait  les  autres  femmes  de 
Schâpour  avec  hauteur;  un  jour,  Schâpour  lui  dit  :  Que  si- 
gnifie ce  ton  hautain  et  cet  orgueil  que  tu  montres?  Ne  sais-tu 
pas  que  les  enfants  des  bergers  n'ont  rien  de  commun  avec  les 
personnes  de  sang  royal?  Elle  répondit:  Moi  aussi  je  suis  de 
sang  royal  aussi  bien  que  toi.  Je  suis  la  fille  de  Mihrak.  Puis 
elle  lui  raconta  toute  l'histoire.  Schâpour  fut  consterné;  car  il 


PAKTIK  11,  CHVIMTHK  XIII.  87 

bavait  que,  si  Ardej!$ckir  apprenait  cet  événeiueiit,  il  la  l'erait 
périr.  11  le  cacha  donc  à  Anleschir.  llorinuzd  aUei|;int  i  âge 
deciuq  ans,  sans  qu*il  le  présentât  à  Ardescliir,  de  peur  (ju-il 
u^apprit  son  origine.  Un  jour,  Ardescliir,  revenant  de  la  cliai>se, 
passa  près  du  palais  de  Scliàpour.  Horniuzd  avait  alors  six 
auSf  et  était  occupé  à  jouer.  Ardeschir  dit  à  Scliàpour  :  Quel 
est  cet  enfant?  Schâpour  répondit  :  C'est  mon  iils  liorniuzd. 
Ardeschir  Fappela  auprès  de  lui  el  le  regarda  pendant  long- 
temps, et  Tcxamina,  puis  il  dit:  Je  sais  que  c'est  Ion  Iils;  mais 
dis-moi  qui  est  sa  mère.  Schâpour  baisa  la  terre  et  dit  :  ^'ai 
commis  un  crime  que  je  vais  maintenant  avouer  au  roi,  à  la 
condition  que  le  roi  ne  fera  pas  périr  cet  enfant,  ni  sa  mère. 
S'il  faut  tuer  quelqu'un ,  c'est  moi  qu'il  faut  faire  périr,  car 
c'est  moi  qui  ai  connnis  le  crime.  Ardeschir  prit  l'engagemcMil 
qu'il  ne  les  tuerait  point.  Alors  Schâpour  lui  raconta  toute 
Thistoire  de  cette  femme.  Ardeschir  lui  dit:  U  mon  iils,  tu 
m'as  réjoui;  car  les  astrolo{|[ues  m'ont  dit  que  mon  royaume 
passera  à  un  rejeton  de  Milirak  ;  grâces  soient  rendues  à  Dieu 
que  ce  rejeton  soit  sorti  de  tes  reins;  car  celui-ci  a  des  droits 
sur  mon  trône  et  le  tien.  Puis  Ardeschir  donna  à  Ilormuzd  des 
marques  d'aiïection  et  de  grandes  richesses.  Lorsque,  après 
la  mort  d' Ardeschir,  Schâpour  monta  sur  le  trône ,  il  envoya 
Hormuzd  dans  le  Khorâsàn.  Là,  après  dix  ans  de  séjour, 
Ilormuzd  avait  réuni  de  grands  biens  et  une  nombreuse  ar- 
mée. Les  hommes  l'envièrent  et  diiH3nt  à  Schâpour  :  Ilormuzd 
réunit  des  forces  pour  t'attaquer  et  s'emparer  de  ton  trône. 
Schâpour  l'appela  devant  lui;  mais  il  craignit  qu'il  ne  vint 
pas  à  son  appel;  il  tint  secrets  les  rapports  qu'on  lui  avait 
faits,  et  réfléchit  comment  il  procéderait.  Honnuzd  apprit 
cet  état  de  choses.  Il  se  coupa  une  main;  puis  il  guérit  sa 
blessure.  11  est  de  coutume  chez  les  Persans  de  ne  jamais 


88  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

donner  le  Irône  à  quiconque  a  une  infirmité,  soit  qu'il  lui 
manque  une  main,  ou  un  pied,  ou  un  œil;  soit  qu'il  ait 
quelque  autre  infirmité  à  son  corps.  Hormuzd  mit  la  main 
coupée  dans  une  boîte  et  l'envoya  à  Schâpour,  et  lui  écrivit 
une  lettre  ainsi  conçue  :  J'ai  appris  que  l'on  avait  dit  au  roi 
que  je  voulais  m'emparer  de  la  royauté.  Mais  je  n'ai  jamais 
eu  cette  pensée,  et  je  n'ai  jamais  cherché  à  avoir  la  royauté, 
ni  du  vivant  du  roi,  ni  après  lui.  Je  me  suis  donc  coupé 
cette  main,  mutilant  mon  corps,  pour  me  rendre  incapable 
de  régner,  et  le  roi  pourra  nommer  comme  son  successeur 
qui  il  voudra.  Je  désire  revenir  à  la  cour,  mais  je  ne  l'ose 
pas;  j'irai  où  le  roi  m'appellera.  Schâpour  fut  consterné  et 
eut  des  remords.  Il  écrivit  une  lettre  à  Hormuzd,  et,  en  jurant 
par  l'Âme  d'Ardeschir,  il  lui  dit  :  Quand  même  tu  te  couperais 
en  morceaux,  je  te  donnerais  après  moi  ce  royaume.  Il  le  dé- 
clara son  successeur  et  l'appela  à  sa  cour.  Hormuzd  revint  à  la 
cour,  et,  à  la  mort  de  Schâpour,  il  monta  sur  le  trdne  et  cei- 
gnit la  couronne.  Il  exerça  l'équité  et  la  justice,  et  il  conserva 
les  fonctionnaires  de  son  père,  chacun  dans  sa  fonction,  en 
leur  disant  :  Ayez  la  même  conduite  que  du  temps  de  mon 
père.  Parmi  les  officiers  de  son  père  était  Norman,  fils  d'Al- 
Moundsir,  fils  d'*Amrou,  fils  d'*Adî,  gouverneur  des  Arabes. 
'Amrou,  fils  d'^Adi,  est  celui  à  qui  Ardeschir  avait  donné  le 
gouvernement  des  Arabes  et  qu'il  avait  confirmé  dans  cette 
charge.  Lorsque  Ardeschir  mourut,  Schâpour  le  confirina 
également  dans  sa  charge.  Après  que  Schâpour  eut  régné 
huit  ans,  ^Amrou,  fils  d'^Adi,  mourut.  Il  laissa  un  fils,  nommé 
Al-Moundsir,  fils  d'^Amrou,  fils  d'^Adl.  Schâpour  le  confirma 
dans  le  gouvernement,  en  disant  :  Ardeschir  n'a  pas  enlevé  le 
gouvernement  des  Arabes  au^  Naçrites  de  la  famille  de  Rabf  a , 
moi  non  plus  je  ne  le  leur  enlèverai  pas.  Moundsir  régna  sur 


PARTIR  II,  CHAPITRE  \1V.  89 

les  Arabes  pendant  treize  ans;  puis  il  mourut.  H  laissa  un 
fils,  nomme  Norman,  fils  d'Al-Moundsir.  Schâpour  lui  donna 
loat  le  royaume  des  Arabes.  A  la  mort  de  Schâpour,  Honnuzd , 
quand  il  monta  sur  le  trâne,  laissa  à  tous  les  fonctionnaires 
de  son  père  leurs  charges ,  et  accorda  également  à  Norman  le 
gouvernement  des  Arabes. 

Honnuzd  régna  un  an  ;  puis  il  mourut.  Son  fils  Uabrâni 
lui  succéda. 

CHAPITRE  XIV. 

HISTOIRE  DE  BAHRAM,  FILS  D'HORMUZD. 

Quand  Bahrâm,  fils  d'Hormuzd,  monta  sur  le  trône,  il 
confirma  tous  les  officiers  de  son  père  dans  leurs  charges,  et 
accorda  le  gouvernement  des  Arabes  à  Norman,  fils  d'AI- 
Moundsir.  Norman  était  devenu  chrétien ,  et  avait  abandonné 
l'idolâtrie  et  la  religion  des  Arabes.  Norman  tint  le  gouver- 
nement des  Arabes,  du  temps  de  Schâpour,  pendant  quatorze 
ans,  jusqu  à  la  mort  du  roi.  Il  y  eut  pendant  sa  carrière  quatre 
rois  perses  qui  occupèrent  [supcessivemeul]  le  trône  :  le  pre- 
mier fut  Schâpour,  qui  lui  donna  le  gouvernement;  puis 
.  Hormuzd,  fils  de  Schâpour;  ensuite  Bahrâm,  fils  d'IIormuzd 
[et  enfin  Bahrâm,  fils  de  Bahrâm |.  Chaque  roi  qui  monta  sur 
le  trône  laissa  le  gouvernement  des  Arabes  aux  mains  de 
Norman. 

Bahrâm,  fils  d'IIonnuzd,  lut  un  homme  intelligent  et  bien- 
veillant; il  exerça  la  justice  et  l'équité;  à  sa  mort,  ses  sujets 
furent  fort  affligés. 

Mâni,  rhérésiarque,  qui  avait  paru  du  temps  de  Schâpour, 
avait  converti  un  grand  nombre  d'hommes;  de  nu^me  du  temps 
dHornnizd.  Pendant  le  règne  de  Bahrâm,  on  reconnut  que 


90  CHRONIQUE  DE  TABAUI. 

sa  docirine  étail  fausse,  et  Babram  le  ûi  saisir  et  mettre  à 
mort;  il  le  fil  écorcher,  fil  remplir  sa  peau  de  paille  et  la  fit 
suspeudre  à  la  porte  de  la  ville  de  Tchendi-Scbapour.  Il  fit 
tuer  également  tous  ses  sectateurs,  afin  d'en  délivrer  la  terre. 
Bahràm  régna  trois  ans  et  trois  mois;  puis  il  mourut. 
Il  eut  pour  successeur  son  fils,  nommé  Balirâm  fils  de 
Balirâm,  qui  exerça  la  justice  et  Téquité,  confirma  les  offi- 
ciers de  son  père  dans  leurs  charges  et  marcha  dans  les  traces 
de  son  père. 

CHAPITRE  XV. 

inSTOlRE  DU    REGNE   DE   BAHRAM,    FILS   DE  BAHRAM, 
ET  DE  SES  SUCCESSEURS. 

Lorsque  Bahrâm,  fils  de  Bahrâm,  monta  sur  le  trône  et 
mit  la  couronne  sur  sa  tète,  il  prit  le  titre  de  roi  des  rois.  Il 
exerça  la  justice  et  Téquité,  et  régna  quatre  ans.  Il  n'avait  pas 
de  fils;  mais  il  avait  un  frère  nommé  Narsi,  fils  de  Bahrâm, 
qui  lui  succéda,  et  qui  régna  sept  ans.  Celui-ci  eut  un  fils 
nommé  Hormuzd,  fils  de  Narsi,  qui  lui  succéda.  Son  père„ 
de  son  vivant,  Tavait  nommé  son  successeur.  Il  était  d'une 
nature  violente  et  d'un  aspect  dur.  Lorsqu'on  lui  donna  le 
gouvernement,  les  hommes  eurent  de  Taversion  pour  lui. 
L'ayant  appris,  il  réunit  les  hommes  et  leur  dit  :  Je  veux 
renoncer  à  mes  mauvaises  dispositions  et  être  bienveillant 
envers  vous.  Après  cela,  il  répandit  la  justice  et  l'équité;  ses 
sujets  furent  tranquillisés  à  son  égard  et  l'aimèrent.  Il  régna 
sept  ans,  puis  il  mourut.  Avant  de  mourir,  conmie  sa  femme 
était  enceinte ,  il  recommanda  par  son  testament ,  à  ses  su- 
jets :  Si  cette  femme  met  au  monde  un  fils,  je  lui  donne  le 
nom  de  Schâpour  et  lui  destine  le  royaume.  Le  trône  de  Perse 


PAirriE  II,  CllAlMTKi:  \Vl.  ui 

resta  vacant  pondaut  six  mois;  quiconque  reinplissuit  une 
fonction  continua,  pendant  ce  leuq)s,  de  la  remplir,  et  le 
vizir  [de  BahrâmJ  conduisit  les  aHairos,  jusqu'au  jour  où  la 
fcQime  mit  au  monde  un  iils.  Le  peuple  en  fut  Irès-content; 
on  nomma  cet  enfant  Schapour,  on  suspendit  la  couronne  sur 
son  berceau  cl  on  le  fit  roi,  et  le  bruit  s'en  répandit  aux  quatre 
coins  du  monde.  Le  vizir  continuait  de  conduire  les  affaires, 
et  chaque  Cbnctionnaire  {jardail  son  poste.  Ce  prince  était 
Schapour  Dsou'l-Aktaf. 

Hormuzd  avait  envojé  une  armée  en  Syrie,  pour  exiger 
du  tribut  du  [roi  desj  Ghassan.  Celui-ci  demanda  du  secours 
au  César;  mais,  avant  que  Tarmée  romaine  fût  arrivée  en 
Syrie,  [le  roi  des]  Ghassan  avait  été  tué,  et  Tarmée  arabe  dis- 
persée. Quatre  mille  hommes  d'entre  eux' firent  une  invasion 
dans  le  désert.  Hormuzd,  étant  allé  un  jour  à  la  chasse, 
accompagné  de  cinquante  hommes,  ces  Arabes  Fatlaquèrent 
à  la  lisière  du  désert  et  le  blessèrent,  et  il  mourut  de  sa 
blessure.  Ils  revinrent  une  autre  fois,  Schapour  étant  encore 
enfant,  et  s'emparèrent  d'une  partie  du  Sawàd. 


CHAPITRE  XVL 


HISTOIRE  DK  SCIIAPOL^R  DSOU'L- AKTAF. 


La  nouvelle  |de  la  naissance |  de  Schapour  et  de  son  avène- 
ment au  trdne  de  Perse  se  répandit  dans  le  monde.  Les  rois 
des  Turcs,  de  Roum  et  de  l'Inde  apprirent  que  le  Irone  de 
Perse  était  vacant,  que  les  Perses  n'avaient  pas  de  roi,  qu'ils 
avaient  nommé  roi  un  enfant  au  berceau,  et  qu'ils  lui  gar- 
daient le  royaume  jusqu'à  ce  qu'il  fut  devenu  grand,  sans 
savoir  sil  vivrait  ou  non.  Alors  tous  ces  rois  des  Turcs,  dt 


92  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

rinde  et  de  Rouni  attaquèrent  la  Perse,  et  s'emparèrent  de 
ce  pays  :  chacun  prit  la  portion  qui  était  dans  son  voisinage. 
Ce  furent  principalement  les  Arabes  qui  firent  des  tentatives 
sur  la  Perse ,  parce  que  celle-ci  était  plus  rapprochée  d'eux , 
et  aussi  parce  qu'ils  étaient  plus  pauvres  et  dans  le  besoin. 
Des  multitudes  d'Arabes  de  chaque  tribu  et  de  tout  endroit 
s'assemblèrent ,  vinrent  en  Perse  du  côté  de  la  mer,  enlevè- 
rent aux  hommes  leurs  biens ,  emmenèrent  les.  troupeaux , 
et  s'emparèrent  des  villes.  Personne  ne  leur  opposa  de  ré- 
sistance. 

La  première  occasion  dans  laquelle  l'intelligence  et  la 
bonne  éducation  de  Schâpour  se  montrèrent  fut  la  suivante. 
Une  nuit,  étant  endormi  sur  la  terrasse,  il  fut  réveillé,  au 
matin,  par  un  bruit  d'hommes.  Il  dit  :  Quel  est  ce  bruit?  On 
lui  répondit  :  Ce  sont  des  hommes  qui  passent  sur  le  pont; 
les  uns  viennent  d'un  côté ,  les  autres  du  cdté  opposé  ;  il  se 
produit  des  rassemblements  d'hommes  qui  se  poussent  les 
uns  les  autres  et  qui  font  du  bruit.  Le  lendemain ,  il  fit  ap- 
peler le  vizir  et  lui  dit  :  Fais  établir  deux  ponts,  afin  que 
l'on  puisse  passer  sur  l'un  en  venant  de  ce  cdté-ci ,  et  sur 
l'autre  en  venant  du  câté  opposé,  de  sorte  qu'il  n'y  ait  pas 
de  rassemblements  d'hommes  qui  se  pressent.  Les  hommes 
furent  charmés  de  cette  intelligence  et  de  cette  perspicacité. 
Le  même  jour,  on  construisit  un  autre  pont,  et  on  fit  de  telle 
sorte  que,  avant  que  le  soleil  fdt  couché,  le  pont  fut  ter- 
miné, et  les  hommes  passèrent  sur  les  deux  ponts,  et  il  n'y 
eut  plus  d'encombrement.  A  mesure  que  Schâpour  avançait 
en  âge,  le  vizir  lui  exposait  chaque  jour  quelques  affaires  du 
gouvernement,  afin  qu'il  apprit  à  les  connaître.  Or  un  jour, 
le  vizir  lui  exposa  le  fait  suivant  :  Les  soldats  qui  sont  placés 
aux  frontières  du  royaume ,  pour  faire  face  aux  ennemis ,  comme 


PARTIE  II,  CiniMTRK  XVI.  93 

leis  Arabes,  les  Itomaius  et  les  Turcs,  ont  tous  quitlé  leur 
poste  et  Tont  abandonué;  reiincini  a  franchi  la  frontièiv  du 
royaume,  a  tout  pillé  et  ddvasté;  maintenant  rennemi  s'ap- 
proche. Schâpour  dit  :  Ne  t'afflige  pas,  car  cette  aiïain;  est 
facile.  Ecris  une  lettre,  de  ma  part,  aux- troupes  qui  sont 
placées  h  cet  endroit,  et  dis-leur  :  J'ai  pris  des  informa- 
tions à  votre  égard;  il  y  a  longtemps  que  vous  êtes  à  ces 
postes  et  que  vous  êtes  en  face  de  Tennemi.  Quiconque  d'entre 
vous  désire  rentrer  dans  sa  patrie  peut  partir;  je  lui  donne 
son  congé;  mais  celui  qui  restera  là,  afm  que  j'en  dispose 
et  jusqu'à  ce  que  j'aie  envoyé  quelqu'un  à  sa  place,  je  serai 
reconnaissant  envers  lui,  et  je  le  récompenserai.  Le  vizir  el 
toute  la  cour  furent  charmés  de  cet  avis,  et  dirent  :  S'il  avait 
gouverné  et  régné  de  longues  années,  il  n'aurait  pas  Irouvé 
une  plus  grande  clémence  et  un  meilleur  jugement.  On 
écrivit  ces  lettres,  et  les  troupes  eurent  honte,  et  restèrent  à 
leur  poste. 

Quand  Schâpour  eut  atteint  l'âge  de  seize  ans,  et  <{u'il 
put  monter  à  cheval  et  se  servir  des  armes,  il  réunit  les 
grands  de  la  nation,  le  peuple  et  l'armée,  et  leur  lit  la  décla- 
ration suivante  :  Je  suis  disposé  à  suivre  la  même  règle  que 
mes  aïeux,  en  ce  qui  consiste  à  vous  gouverner  avec  jus- 
tice, à  rendre  le  pays  florissant  et  à  chasser  l'ennemi  du 
royaume.  Cet  ennemi  qui  nous  est  venu  du  côté  des  Arabes 
et  qui  a  dévasté  le  royaume  et  qui  a  pillé,  je  vais  l'attaquer. 
De  toute  cette  armée  je  vais  prendre  mille  hommes  que 
j'aurai  choisis ,  et  j'irai  avec  eux  pour  rétablir  le  royaume. 
Je  laisserai  ici  un  lieutenant,  jusqu'à  ce  que  je  revienne.  Les 
hommes  se  levèrent,  récitèrent  des  louanges  sur  Schâpour  et 
dirent  :  Il  ne  faut  pas  que  le  roi  parle,  car  il  a  une  nombreuse 
armée  et  de  vaillants  généraux;  (|u'il  en  place  un  à  la  tiUe 


{ 


94  CIIRONIQUK  DE  TABARI. 

(le  Tarmée,  qu'il  Tenvoio  pour  rétablir  Teinpire,  et  que  lui- 
même  reste  ici  !  Schâpour  n'y  conscutit  pas.  Il  choisit  mille 
hommes  dans  Tarmée ,  tels  que  chacun  d'entre  eux  pût  lutter 
contre  cinq  cents,  et  dit  :  Ce  seront  cent  mille  hommes.  Puis 
il  leur  dit  :  Je  vous  interdis  de  faire  du  butin,  excepté  ce  que 
je  vous  donnerai.  Si  vous  êtes  victorieux  dans  le  combat, 
versez  le  sang,  et  ne  laissez  personne  en  vie,  et  ne  prenez 
aucun  bien.  Ensuite  il  partit  pour  la  frontière  de  la  Perside 
et  attaqua  les  Arabes  qui  y  étaient  entrés",  venant  du  Ba^hraîn , 
vers  le  littoral,  et  qui  s'étaient  emparés  des  villes  des  fron- 
tières. Il  les  tua  tous  et  n'en  laissa  pas  un  seul  vivant.  Puis  il 
alla  par  mer  dans  le  Ba^hraïn.  Il  y  avait  dans  le  Ba'hraïn 
des  Arabes  des  Beni-Temîm ,  des  Benî-Bekr-ibn-Wâïl  et  des 
Benî-^Abdou'1-Qaïs.  Il  les  tua  tous,  de  sorte  que  le  sang 
coula  sur  le  sol  comme  un  fleuve  et  tomba  dans  la  mer;  per- 
sonne ne  pouvait  se  sauver  devant  lui.  De  là  il  se  dirigea 
vers  les  villes  des  ^Abdou'1-Qaïs,  et  tua  tout  Arabe  qu'il  y 
trouva;  ceux  qui  s'enfuirent  dans  le  désert  périrent  dans  les 
sables.  Il  ne  prit  aucun  butin,  craignant  que  l'armée  ne 
fût  trop  chargée.  Ensuite  il  entra  dans  le  désert,  se  dirigea 
vers  Yathrib.  c'est-à-dire  Médine,  et  massacra  tous  les  Arabes 
qu'il  rencontra.  Il  lit  combler  tous  les  puits  du  désert,  dont 
les  Arabes  tiraient  de  l'eau,  et  les  fit  détruire.  De  Yathrib  il 
se  dirigea  vers  la  Syrie ,  arriva  aux  bords  de  la  mer,  et  passa 
à  Alep;  il  massacra  tous  les  ennemis  qu'il  rencontra;  en- 
suite il  poursuivit  sa  marche.  Entre  la  Syrie  et  l"Irâq  est  un 
désert,  dans  lequel  habitaient  un  grand  nombre  d'Arabes. 
Il  massacra  tous  les  Arabes  qu'il  y  rencontra.  Il  s'arrêta  dans 
le  Sawâd  de  l'^Irâq  et  y  fonda  une  ville ,  nommée  Bersakh- 
Schàpour.  Dans  TAhwâz  il  fit  reconstruire  deux  villes  : 
Tune,  qui  avait  été  fondée  par  Dàrab,  fut  nommée  [alors] 


I»\BTIR  IF,  <:HM>FTUK  \VI.  \Ki 

àScliâpour,  i*t  1^111  Iro  fut  npiu^hM*  Srhousrli.  IViis  il  entra  «laiis 
la  Syrie,  y  lit  un  grand  massacre  ol  pilla,  dévasta  lo  pays. 
Ensuite  il  retourna  dans  la  Porsido  cl  y  fonda  une  ville,  cpf  il 
nomma  Beli-Schàpour;  et  il  rentra  dans  rMrâ(|,  a  Madaïii. 

Il  y  avait  dans  Roum  un  roi,  nommé  Kliànus  (Julien),  qui 
Tôt  de  la  famille  de  Constantin,  appartenant  a  la  relijpon 
chrétienne,  à  la  i*eli{pon  de  Jésus.  Ce  Julien  abandonna  ensuite 
le  christianisme  et  rc^tourna  au  pafjanisme,  qui  lut  la  reli{pon 
des  Romains,  avant  Jésus.  11  fit  détruire  toutes  les  é[T|ises 
de  Roum  et  briser  toutes  les  croix.  Lorstpie  SrbApour,  après 
avoir  cnvabi  la  Syrie  et  porté  le  massacre ,  le  pillage  et  la 
dévastation  sur  la  frontière  de  Roum,  fut  rentré  dans  ses 
États,  Julien,  le  roi  de  Roum,  rassembla  une  armée;  et 
comme  le  royaume  des  Kbazars  faisait  partie  de  son  empiiv, 
il  alunit  é{[alemeiit  une  armée  de  Kbazars,  et  fit  \enir  des 
troupes  de  toutes  les  parties  de  son  em|ûre.  Tous  les  Arabes 
qui  s*étaient  sauvés  de  la  main  de  Sclià|)our  et  étaient  venus 
dans  Roum  se  présentèrent  devant  Julien  et  lui  demandèrent 
lautorisalion  d'aller  avec  lui  pour  faire  la  [juerre  à  ScliApour. 
n  leur  donna  la  ])ermission,  et  ils  allèrent  avec  lui.  Ils  envoyè- 
rent des  messa{[ers  en  Arabie,  dans  leBa'liraïu,  dans  le  dé- 
sert, à  Yathrib,  en  Syrie,  et  partout  où  Srliâpour  avait  [lassé 
et  massacré  les  Arabes,  pour  appeler  [tous  les  liabitantsj  à  la 
guerre;  et  ils  réunirent  une  nombreuse  armée.  Le  roi  de  Roum 
sortit  de  son  pays  n\cc  cette  armée,  composée  de  Romains,  de 
Khazars  et  d'Arabes,  et  qui  était  innombrable.  Julien  passa  en 
revue  les  Arabes  :  il  v  avait  cent  soixante  et  dix  mille  liommes. 
H  en  fil  son  avanl-([ardc,  en  plaçant  à  leur  tête  un  de  ses 
généraux  romains,  nonnné  Jovianus.  Lui-même  partit  avec 
l'armée  de  Roum  et  des  Kba/.ars,  et  entra  dans  r'Irîi([. 

Quand  Scbâpour  en  fut  informé,  il  eut  d<'<î  a|iprébensions 


96  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

el  envoya  des  espions  vers  cetle  arinëe  pour  en  connaître  le 
nombre  et  les  armements.  Les  espions  revinrent  et  rappor- 
tèrent des  renseignements  contradictoires;  chacun  d'eux  fai- 
sait un  récit  différent.  Schâpour  ne  se  reposa  pas  sur  eux , 
quitta  l'armée  et  alla  lui-même  avec  cent  hommes  pour  faire 
une  reconnaissance  et  prendre  des  informations.  Lorsqu'il 
fut  arrivé  près  de  l'armée  romaine,  là  où  Jovianus  était 
campé  avec  son  avant-garde,  Schâpour  envoya  dix  hommes 
de  ceux  qui  l'accompagnaient  vers  l'armée  de  Jovianus,  pour 
y  faire  une  reconnaissance.  Les  Romains  firent  prisonniers  ces 
dix  hommes  et  les  amenèrent  devant  Jovianus.  Il  les  fit  in- 
troduire auprès  de  lui  un  à  un  et  leur  dit  :  Si  vous  avouez 
qui  vous  êtes  et  dans  quelle  intention  vous  êtes  venus,  je  vous 
traiterai  bien;  si  vous  n'avouez  pas,  je  vous  ferai  mettre  à 
mort.  Il  examina  chacun  en  particulier  et  lui  dit:  Si  tu  n'a- 
voues pas ,  il  se  peut  que  ton  camarade  avoue  ;  celui-ci  sera 
mis  en  liberté,  et  toi  tu  seras  mis  à  mort.  Un  seul  parmi 
eux  avoua,  et  fit  la  déclaration  suivante  :  Nous  sommes 
envoyés  par  Schâpour  pour  faire  une  reconnaissance.  Schâ- 
pour est  venu  lui-même,  sans  armée;  il  reste  à  tel  endroit 
avec  quatre-vingt-dix  autres  hommes  el  nous  attend.  Schâ- 
pour apprit  ce  résultat,  quitla  le  poste  et  retourna  à  l'ar- 
mée. Jovianus  envoya  mille  cavaliers  contre  Schâpour,  à 
l'endroit  indiqué  par  cet  homme,  mais  ilç  ne  le  trouvèrent 
pas  et  retournèrent.  Jovianus  fit  mettre  à  mort  les  espions 
envoyés  par  Schâpour,  les  neuf,  [qui  n'avaient  pas  avoué] 
et  également  le  dixième,  en  disant:  Ils  ont  tous  menti.  En- 
suite il  dépêcha  une  personne  vers  Julien  pour  le  préve- 
nir. Julien  quitta  son  campement,  vint  rejoindre  Jovianus, 
et  les  deux  armées  se  réunirent  et  se  préparèrent  à  attaquer 
Schâpour.  Tous  les  Arabes  de  l'armée  se  réunirent  et  allé- 


PARTIK  II,  <:iIA!MTnK  \\  I.  97 

reut  trouver  Julien  et  dcmandtTent  ù  attaquer  Srliàpour,  di- 
Haut  :  Accorde-nous  de  livrer  ce  combat;  car  nous  avons  à 
nous  venger  de  Schâpour.  Julien  y  consentit,  et  cent  soixante 
et  dii  mille  Arabes  allèrent  au-devant  de  Scliàpour,  lui  li- 
vrèrent un  combat  et  Tc^crasèrent.  Schâpour  s'enfuit  de  Ctési- 
phon  et  se  sauva  dans  T^ràq.  Los  Arabes  tuèrent  un  grand 
nombre  de  ses  soldats  et  firent  beaucoup  de  prisonniers.  Ju- 
lien arriva  et  s'empara  de  tous  les  magasins  et  des  trésors 
de  Schâpour,  et  resta  à  Clésiphon. 

Schâpour  envoya  des  lettres  dans  toutes  les  parties  de  son 
empire  et  appela  des  troupes  de  T^Irâq ,  de  la  Perside  et  du 
Khorâsân,  les  réunit  toutes  et  vint  attaquer  Julien.  Il  le  mit 
en  fuite  et  lui  reprit  Ctésiphon  et  Madâïn.  Julien  revint,  s'ar- 
rêta aux  bords  du  Tigre,  et  Schâpour  fit  marcher  son  armée 
contre  lui,  s'arrêta  en  face  de  lui,  et  resta  ainsi  [>endant  un 
mois.  Des  envoyés  allèrent  et  vinrent  [d^in  côté  à  Tautre] 
jiour  négocier  la  paix.  Un  jour,  dans  l'après-midi,  Julien  se 
tenait  à  cheval  devant  sa  tente  avec  ses  familiers,  en  face  de 
l'armée  de  Schâpour,  et  il  la  regardait.  Une  flèche  vint  du 
camp  de  Schâpour  et  pénétra  dans  le  foie  de  Julien,  qui  tomba 
et  mourut.  Ses  troupes  en  restèrent  stupéfaites.  Le  lendemain, 
tous  les  gens  de  Roum  et  des  Khazars  se  réunirent  et  allèrent 
trouver  Jovianus  pour  le  proclamer  roi.  Mais  lui  n'accepta  pas, 
disant:  Je  suis  chrétien,  et  Julien  vous  a  fait  abandonner  le 
christianisme;  je  n'accepte  pas  d*<}tre  votre  roi.  Ils  déclarèrent 
tous  par  serment  ceci  :  Nous  ne  l'avons  abandonné  qu'en 
apparence,  notre  religion  à  tous  est  le  christianisme.  Alors 
Jovianus  accepta  la  royauté. 

Lorsque  Schâpour  fut  informé*  que  Julien  était  mort,  il 
l^ensa  que  l'année  s'en  retournerait.  Mais  quand  il  apprit  que 
les  Itomains  avaient  proclamé  Jovianus,  il  en  fut  très-étonné, 

II.  7 


98  CHRONIQUE  DE  TABAHI. 

et  il  leur  envoya  le  message  suivant  :  Dieu  a  l'ail  périr  votre  roi , 
et  vous  en  avez  nonmië  un  autre.  J'ai  Te^poir  que  Dieu  vous 
fera  périr  également  dans  T'Irâq  par  la  faim ,  de  sorte  qu'aucun 
de  vous  ne  rentrera  dans  Roum  ni  dans  le  pays  des  Khazars,  et 
mon  armée  n'aura  pas  besoin  de  tirer  Fépée  contre  vous.  Et 
puisque  vous  avez  établi  un  autre  roi,  qu'il  envoie  ici  un  offi- 
cier habile  dans  les  négociations,  afin  que  nous  débattions 
avec  lui  :  s'il  faut  la  paix,  nous  ferons  la  paix,  et  s'il  faut  la 
guerre,  nous  ferons  la  guerre.  Jovianus  dit:  J'irai  moi-même. 
Les  autres  dirent  :  Il  ne  faut  pas.  Mais  il  n'obtempéra  pas  k 
leur  désir  et  s'en  alla  lui-même  avec  quatre-vingts  officiers  de 
Roum  pour  trouver  Schâpour.  Quand  celui-ci  entendit  que  le 
roi  de  Roum  arrivait  de  sa  personne,  il  fut  enchanté  et  alla  au- 
devant  de  lui  avec  cimjuante  officiers  perses.  Quand  ils  furent 
en  présence  l'un  de  l'autre,  ils  descendirent  tous  les  deux  de 
cheval,  se  saluèrent,  baisèrent  la  terre  et  s'arrêtèrent  au  mi- 
lieu de  leurs  suites.  Schâpour  fit  étendre  un  tapis  de  brocart, 
ils  s'assirent;  on  apporta  le  service  de  Schâpour,  et  ce  jour-là 
ils  mangèrent  ensemble  et  se  réjouirent.  Le  lendemain ,  Schâ- 
pour dit  à  Jovianus  :  Moi,  je  voudrais  faire  la  guerre;  mais  à 
cause  de  toi  je  veux  faire  la  paix.  J'avais  attaqué  les  Arabes, 
parce  que,  pendant  mon  enfance,  ils  ont  pillé  et  dévasté  mon 
royaume;  je  les  avais  poursuivis  et  avais  passé  dans  Roum. 
Maintenant  je  vais  faire  la  paix  avec  vous  et  j'ai  fait  cesser  la 
guerre.  Cependant,  vous  avez  commis  dans  ce  pays,  qui  est 
mon  empire,  des  dégâts.  Donnez  une  indemnité  pour  cela,  ou 
donnez -moi  la  ville  de  Nisibe.  Cette  ville  était  située  dans 
l'Ahwâz  et  appartenait  aux  Perses,  mais  les  Romains  s'en 
étaient  emparés.  Jovianus  et  les  quatre-vingts  hommes  qui 
l'accompagnaient  consentirent;  ils  conclurent  la  paix  et  stipu- 
lèrent que  les  Romains  ne  garderaient  pas  avec  eux  les  Arabes 


•      PAHTIK  II.  <;ilAI>ITRK  XM.  99 

el  qu*il8  lie  les  souiïriraii'iil  pas  dans  le  pays  de  Itouni.  Ils  con- 
durent  donc  la  paix,  et  les  Romains  so  retirèrent.  Ils  livrèrent 
la  ville  de  Nisibe  à  Schâpour,  et  éloignèrent  les  Arabes  du  n\j- 
lieu  d'eui.  Quand  les  habitants  de  Nisibe  le  surent,  ils  se  ren- 
dirent tous  dans  le  pays  de  Roum  et  évacuèrent  la  ville.  Alors 
Schâpour  y  transporta  douze  mille  familles  de  ses  sujets  de  la 
Perside  el  dlçtakhr,  et  les  y  établit.  Puis  il  attaqua  les  Arabes, 
et,  partout  où  il  trouva  un  Arabe,  il  le  tua  ou  il  lui  fit  percer 
le8  deux  épaules  :  c'est  pour  cela  qu'ils  rappellent  Schâpour 
aux  épaules  (DsouM-Aktâf).  Il  voulut  ({ue  pas  un  seul  Arat)e  ne 
restât  vivant.  Ensuite  il  s'en  retourna  et  demeura  en  |)aix. 

Lie  roi  de  Roum  vécut  encore  cinq  ans,  puis  il  mourut, 
et  les  Romains  proclamèrent  un  autre  roi.  Alors  les  Arabes 
qui  avaient  échappé  à  Schâpour  s'enfuirent  dans  le  pays  de 
Roum.  Schâpour  envoya  un  messager  à  Roum  avec  le  mes- 
sage suivant  :  J'ai  conclu  la  paix  avec  vous,  à  la  condition  que 
vous  ne  donnerez  pas  asile  au  milieu  de  vous  aux  Arabes. 
Si  vous  éloignez  les  Arabes,  ce  sera  bien;  sinon  préparez- 
vous  à  la  guerre,  l^e  roi  de  Roum  ne  lui  livra  pas  les  Arabes. 
Schâpour  rassembla  l'armée  de  Perse  pour  lui  porter  la 
guerre.  Mais  il  voulut  d'abord  connaître  le  roi  de  Roum ,  son 
extérieur  et  la  mesure  de  son  intelligence.  11  partit  et  se  rendit 
a  Roum,  seul  et  dans  les  habits  d'un  pauvre  qui  va  de  ville 
en  ville;  il  alla  ainsi  à  Roum  pour  apprendre  ce  qu'il  dési- 
rait savoir.  Le  roi  de  Roum  fut  informé  par  des  espions  que 
Schâpour  avait  dispani  du  milieu  de  ses  sujets  et  de  son  en- 
tourage, et  que  personne  ne  savait  où  il  était.  Le  roi  de  Roum 
eut  des  appréhensions  à  l'égard  de  ce  prince,  et  il  ne  savait 
pas  qu'il  était  dans  Roum.  Or  le  roi  de  Roum  donna  un  banquet 
auquel  se  rendirent  tous  les  grands  du  rovaunie.  Schâpour 
y  alla,  |^rmi  les  pauvres,  pour  voir  la  ligure  du  roi.  In  des 


100  CHROMOl >K  DE  TVBAIil 

gi-ands  ie  reconnut;  car  il  Tavait  vu  lors  de  la  conclusion  de 
la  paix,  il  dit  au  roi  que  c'était  Schâpour.  I^  roi  Gt  apporter 
1%  peau  encore  humide  d'un  bœuf,  et  avec  cette  peau  on  enve- 
loppa Schâpour  depuis  les  pieds  jusqu'au  cou ,  ne  laissant  libn* 
que  la  tétc.  Cette  peau  sécha  sur  lui,  et  il  ne  pouvait  plus  se 
remuer.  Alors  le  roi  de  Roum  rassembla  une  armée,  partit 
pour  le  royaume  de  Schâpour  et  enunena  avec  lui  Schâpour 
toujours  enveloppé  de  cette  peau.  11  détruisit  les  villes,  lit 
un  grand  massacre,  et  fit  arracher  les  arbres.  Puis  il  quitta  la 
Perside  et  envahit  FAhwâz;  il  y  fit  de  même.  De  là  il  vint  dans 
la  ville  de  Tchendi-Schâpour,  et  y  agit  de  la  même  façon.  Des 
gardiens  veillaient  jour  et  nuit  sur  Schâpour,  et  si  quelque 
prisonnier  arrivait ,  ces  gardiens  de  Schâpour  le  tenaient  éga- 
lement. Or,  une  nuit,  les  gardiens  s'étaient  relâchés  de  leur 
surveillance  sur  Schâpour.  Il  y  avait  là,  posées  près  de  lui, 
des  outres  remplies  d'huile.  Schâpour  dit  aux  prisonniers  de 
l'Ahwâz  :  Versez  ces  outres  sur  moi.  Us  firent  ainsi ,  et  la  peau 
s'amollit,  et  Schâpour  en  sortit  et  se  sauva  vers  la  ville  de 
Tchendi-Schâpour.  II  dit  aux  gardiens  de  la  porte  :  Je  suis 
Schâpour.  Ceux-là  le  reconnurent  et  le  firent  entrer.  Le  peuple 
se  réunit  autour  de  lui,  se  réjouit  et  poussa  des  cris  de  joie. 
Le  roi  de  Roum  apprit  que  Schâpour  s'était  enfui  et  avait 
pénétré  dans  la  ville.  Schâpour  réunit  toutes  les  troupes  qui 
se  trouvaient  dans  la  ville  et,  quand  il  fut  jour,  il  sortit  de 
la  ville,  tomba  sur  l'armée  de  Roum,  la  mit  en  fuite,  tua  un 
grand  nombre  d'hommes,  et  fit  prisonnier  le  roi  de  Roum.  Il  le 
lit  charger  de  lourdes  chaînes  et  exigea  de  lui  qu'il  ftt  recons- 
truire tout  ce  qu'il  avait  détruit  dans  son  royaume,  qu'il  fit 
planter,  à  la  place  de  chaque  arbre  qu'il  avait  fait  arracher, 
deux  arbres,  et,  à  la  place  d'un  palmier,  un  olivier.  Le  roi  ap- 
pela des  gens  de  Roum  et  fit  tout  rétablir;  et  les  arbres  de- 


PAirriK  II,  <:nAi>rnu:  x\i.  loi 

\iiireiil  grands  et  portèrent  des  fruits.  Le  roi  de  Uouiii  resUi 
dii  ans  dans  la  captivité  de  Schâpour.  Quand  tout  l'ut  ter- 
naînéy  Schâpour  luidta  lesliens,  lui  lit  couper  les  deux  talons, 
le  plaça  sur  un  âne  et  le  renvoya  à  Roum. 

Tous  les  Arabes  vinrent  se  mettre  sous  la  protection  de 
Scbâpour;  il  la  leur  accorda  et  les  envoya  dans  le  kirniân. 
Tous  les  Arabes  qui  aujourd'hui  sont  dans  le  Kiruiân  sont 
[les  descendants]  des  tribus  de  Tha'lab,  de  Bakr-ben-Wâïl  (>t 
d*Abdou*l-Qaïs,qui  y  furent  envoyées. 

Le  gouvernement  des  Arabes  et  de  ^Hira ,  qui  avait  été  donné 
à  ^Amrou,  fils  d'^Adi,  ne  lui  fut  pas  enlevé  par  Schâpour,  qui 
le  lui  laissa,  comme  avaient  fait  ses  pères.  Puis'Amrou,  fils 
d**Adi,  mourut  et  laissa  un  fils,  nommé  Imrou'l-Qaïs.  Schâ- 
pour accorda  à  ce  prince  le  royaume  de  son  père,  et  il  eut  le 
gouvernement  des  Arabes,  de  ^llira  et  du  désert,  de  même 
que  ses  aïeux.  Imrou1-Qaïs  mourut ,  et  laissa  un  fils  nommé 
^Amrou,  à  qui  Schâpour  donna  le  gouvernement,  de  même 
qu'il  Tavait  donné  à  son  père,  et^\mrou  le  conserva  pendant 
loul«  la  vie  de  Schâpour.  Après  cela,  Schâpour  resta  encore 
trente  ans  sur  le  trône  du  Perse.  Aucun  de  ceux  qui  occu- 
pèrent le  trône  de  Perse  n'ôta  le  gouvernement  à  *Amrou. 

Schâpour  resta  sur  le  trône  pendant  soixante  et  douze  ans, 
puis  il  mourut.  11  avait  un  jeune  fils,  nommé  Schâpour  fils 
de  Schâpour,  et  un  autre,  plus  âgé,  nommé  Bahrâm  fils  de 
Schâpour.  Il  avait  aussi  un  frère  aine,  nommé  Ardeschir. 
Son  père  Tavail  chassé ,  et ,  à  cause  de  cela ,  il  avait  laissé  le 
trône  â  Schâpour,  qui  était  encore  dans  le  sein  de  sa  mère. 
Quand  Hormuzd  mourut,  Ardeschir  pensa  que  les  grands  do 
la  Perse  et  les  mobeds  lui  donneraient  le  gouvernement, 
parce  que  Schâpour  était  encore  dans  le  sein  de  sa  mère. 
Mais  ils  ne  h»  tirent  pas;  ils  respectèrent  la  volonté  d'Ilor- 


v\nia  n.  <  lui-iiitt  \n  lui 

Miireiil  gMua:'  -1  prtiT*-iil  <li-  Ifiiits.  U  roi  .l.'  llnii t.i 

ili\  ails  dan*  la  fapti«itO  il-'  Silià|HHir.  Ounml  l<iiil  fiil  h-i- 
niitii-.  Si^liàiHjur  luiijla  U-slii-iis.  lui  lit  riiuj»Tii--il.-ii\  Uimi-. 
le  i)laïa  sur  un  àui-  «.-l  I'.'  ivimija  à  H'Hiiu. 

Tous  It!  Arabe:'  »iui*nl  si-  iiu-ltre  >ous  la  jinili-ili !■■ 

Srliàpour;  il  U  k-ur  aiTonla  ft  li-s  i-inuja  dall^  le  kiniiàii. 
Tiiui  les  AraWî-  ijui  aujouiilliuî  xnit  ilaii>  If  kirinàii  -mil 
[les  ilesrenilaiib]  •le>  Irilus  Jf  Tliu'iub.  ilt-  ItaLrlxii-W  liil  "I 
ir\biioul-',)al*,tlui  )  riiri'iil  i-iiMiuVs. 

Le  gouicriieinmil  <ie>  Arabi'stt  ilu'llir» ,  i|iii  avait  rlr  il»tiii<'- 
ii'.\iui'OU,filsd''\<lî,  nu  Im  fui  |ia»  eiili'ti-  [laiSiliùiinui'.  >{iii 
11-  lui  laissa,  tommi;  a*aieiil  fail  m's  [>vns.  Piii!>'.Viiiniii.  liU 
■r.yî,  mourui  e\  laissa  un  liU.  iiomiué  liiiruu'I-IJui».  Silià 
jiour  accunla  à  ce  (iriiirt;  le  mauuu:  ili-  siin  [lèiT ,  r\  W  cul  ii- 
guuveniei»ei;t  des  Arabes,  de  'Hira  et  du  di-M-rl,  di-  uu'im- 
tjue  »e!>  aïvu\.  linnm'I'IJais  uimirul,  et  lai^sa  un  tils  iiiiuiuié 
'Amruu,  à  qui  Scbùixmr  duiiua  le  );ouveruemi-iit ,  (1><  inriiii' 
tiuil  lavail  Jouiiv  àsou  [lèie.  i-l'Amioii  le  eoiiseiva  {icudaiil 
IuuIë  la  \ic  de  Sebàiiour.  \\nv»  cula,  Sibàjiuur  ivsta  emure 
Ireiite  ans  sur  le  trôue  (le  l'ei'se.  Aucun  de  ceuï  <)ui  oiru- 
l'wenl  le  Irùne  de  Perse  n'ùta  le  {.'ouHriieiueul  à  'Auirou. 

Scliàimuv  ivsla  sur  le  trône  pendant  soixante  el  doua-  an», 
puis  il  uiuunil.  U  avait  nu  jeune  lils,  uuimiié  .Srliàpour  Ëls 
de  Schàpour,  el  un  autre,  plus  ùyû,  uuiiimé  Balirini  IJI»  4e 
SeMpuï.  U  avait  aussi  u«  frère  ainv,  nomme  AnJoeifr 
■■  a  père  l'avait  cbassi- ,  el ,  à  cause  de  cela ,  il  ■tuI  ji^^  i, 
l^àpour,  qui  ëuil  uucon:  daus  \e  làn  iê  u  mèn. 
'■"l,Ardmhîrpe„«,„i,  ^ 
>  mobeds  lui  donneniMi  k  p^ 
encore  diw  te  (BB  *  s 


le  Urcut  II 


'""'**^*'^^n* 


102  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

muzd,  aUciidircnl  la  naissance  de  Schâpour  et  lui  douuèrciit 
le  royaume.  Ardeschir  garda  rancune  aux  Perses.  Quand  Schâ- 
pour fut  grand,  il  traita  Ardeschir  avec  bonté;  et  lorsque 
Schâpour  mourut,  son  frère  Ardeschir  monta  sur  le  trône  de 
Perse,  et  les  hommes  le  reconnurent,  parce  que  les  fds  do 
Schâpour  étaient  encore  jeunes. 

CHAPITRE  XVII. 

HISTOIRE    D'ARDESCHIR  ,    FILS    D'UORMUZD. 

Après  qu*Ardeschir,  fils  d'Hormuzd  et  frère  de  Schâpour, 
fut  monté  sur  le  trône,  qu'il  eut  mis  la  couronne  sur  sa 
tête,  et  qu'il  eut  été  reconnu  par  le3  habitants,  il  exerça 
la  justice  pendant  un  an.  Puis,  quand  il  fut  en  possession 
incontestée  du  gouvernement,  il  fit  mettre  à  mort  nn  à  un 
les  grands  de  la  province  de  Perse  et  aussi  des  mobeds  du 
royaume  de  Perse,  et  poursuivit  sa  vengeance.  II  fut  roi  pen- 
dant quatre  ans;  ensuite  on  le  chassa  du  royaume,  et  Ton  mit 
sur  le  trdne  Schâpour,  fils  de  Schâpour. 

CHAPITRE  XVIII. 

HISTOIRE    DE    SCHAPOUR,    FILS    DR    SCHAPOUR. 

Or,  quand  Schâpour,  fils  de  Schâpour,  monta  sur  le  trône, 
il  exerça  la  justice  et  Téquité,  et  les  habitants  furent  contents 
et  se  reposèrent  sur  lui.  Son  oncle  Ardeschir  se  soumit  à  lui. 
Il  régna  pendant  cinq  ans.  Puis,  un  jour,  qu'il  était  assis  dans 
sa  tente,  les  troupes  se  révoltèrent  et  jetèrent  la  tente  sur  sn 
tête,  et  il  en  mourut.  Son  frère  Bahrâni,  fils  de  Sclia|K)ur, 
monta  sur  le  trône  à  sa  place. 


VAIITIK  II,  <:IIAIMTHK  \\.  103 


CHAPITRE  \IX. 

lUSTOIIIK    DE    UAimÂM  ,  FILS    DR   Sc'llÀPOUH. 

Ou  rappela  Bahrâiii  Kirinàiischàli,  parce  (jue  Srliàpour  lui 
avait  donne  le  gouvernenicnl  de  Kirniaii  pendant  sa  jeunesse. 
Les  bonunes  reconnurent  son  autorité,  el  il  fut  en  possession 
incontestée  du  royaume.  Il  régna  onze  ans.  Ensuite  les  troupes 
se  révoltèrent,  se  réunirent,  Tentourèrent  et  le  frappèrent 
d'une  flèche;  il  en  mourut.  Personne  ne  sut  qui  avait  lancé 
celte  flèche.  Après  lui,  son  fils  Yezdedjerd  al-Athîm  (le  Mé- 
chant) monta  sur  le  trône.  Il  commit  beaucoup  de  violences, 
et  c'est  pour  cela  qu'on  l'appelle  al-Athim,  el,  en  persan, 
Bezègâr. 

CHAPITRE  XX. 

UISTOIRE  DE  YEZDEDJERD   AL-ATHIU. 

Quelques-uns  disent  que  Yezdedjerd  élait  fils  de  Schâpour 
et  frère  de  Bahràm.  CY^tait  un  honnne  intelligent  et  raison- 
nable. Lorsque  la  couronne  lui  échut,  il  se  départit  de  ces 
bonnes  dispositions  et  commit  des  violences;  il  était  orgueil- 
leux, dédaignait  la  sciences  et  les  hommes  de  science,  et 
méprisait  ses  sujets.  Il  ne  pardonnait  aucune  faute,  et  punis- 
sait les  fautes  légères  comme  des  fautes  graves;  il  n admet- 
tait pas  les  personnes  qui  voulaient  intercéder  [auprès  de  lui 
en  faveur  de  quelqu'un],  ni  aucune  sollicitation  ;  il  ne  se  fiait 
*  à  personne,  et  si  quelqu'un  lui  rendait  un  service,  il  ne  lui 
donnait  pas  de  récompense.  Il  ne  recevait  aucune  recomman- 
dation, el  disait  au  solliciteur  :  Combien  as-tu  pris  [pour  ce 


104  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

service]?  El  ii  suspectait  tout  le  monde.  Il  établit  un  vizir 
nommé  Narsi,  un  homme  sage  et  noble.  Mais  il  n'écoulait 
jamais  sa  parole.  II  versait  beaucoup  de  sang,  et  scjs  sujets, 
complètement  réduits  entre  ses  mains,  invoquèrent  Dieu 
dans  leur  affliction.  Il  s'en  alla  de  Madâïn  dans  la  Perside, 
et  de  là  dans  le  Kirmàn  pour  se  rendre  dans  le  Khorâsan, 
et  partout  où  il  allait,  il  commettait  plus  de  cruautés.  Alors 
on  rappela  Yezdedjerd  al-Athîm  (le  Méchant),  et  quelques- 
uns  rappelaient  Yezdedjerd  al-Khaschn  (le  Dur),  à  cause  de 
son  injustice.  Il  régna  vingt  et  un  ans.  Quand  son  terme  fut 
arrivé,  un  cheval  indompté  vint  et  s'arrêta  devant  son  palais. 
On  n'avait  jamais  vu  un  cheval  aussi  beau.  On  en  informa  le 
roi,  qui  ordonna  de  seller  et  de  brider  le  cheval.  Mais  per- 
sonne n'osait  l'approcher.  On  le  dit  à  Yezdedjerd.  Il  sortit, 
caressa  le  cheval,  lui  mit  la  selle  et  la  bride,  et  le  sangla.  Il 
voulut  aussi  arranger  la  croupière;  alors  le  cheval  lui  lança 
une  ruade  et  l'atteignit  au  cœur;  et  Yezdedjerd  mourut.  Le 
cheval  prit  sa  course ,  rejeta  la  bride  et  la  selle  et  déchira  la 
sangle.  Personne  ne  sut  d'oiî  il  dtait  venu  ni  où  il  alla.  On 
dit  :  C'est  un  ange  que  Dieu  a  envoyé  pour  nous  délivrer. 
Après  lui,  Bahrâmgour  monta  sur  le  trône.  Au  moment  de  la 
mort  de  Yezdedjerd,  Bahrâmgour  n'était  pas  présent.  Nous 
allons  raconter  la  cause  de  son  absence;  ce  récit  est  très- 
curieux.  Lie  nom  de  ce  roi  était  Bahrâmdjour  en  arabe,  et  eu 
persan  Bahrâmgour, 

CHAPITRE  XXI. 

HISTOIRE  DE  BAHRÂMGOUR,  FILS  DE  YEZDEDJERD. 

On  raconte  qu'aucun  enfant  (|ui  naissait  à  Yezdedjerd  n'é- 
tail  viable,  et  que  tous  mouraient  aussildl.  Or  le  gouverne- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXI.  105 

ineot  des  Arabes  était  d'abord  entre  les  mains  d'^\inrou,  fils 
d'Imrou'l-Qais.  Lorsque  ^Amrou  mourut,  il  laissa  un  fils, 
nomme  Imrou'1-Qaïs,  qui  tint  le  gouvernement  des  Arabes 
de  Schâpour.  Imrou*l-Qaïs  mourut  du  temps  de  Bahràm, 
fils  de  Schâpour,  qui  conféra  le  gouvernement  à  Norman, 
fik  dlmrou'1-Qaïs.  Quand  Yezdedjerd  monta  sur  le  trône, 
le  gouvernement  des  Arabes  était  entre  les  mains  de  ce 
Norman,  et  Yezdedjerd  le  lui  laissa.  Comme  tous  les  en- 
fants de  Yezdedjerd  mouraient,  ayant  eu  un  fils,  qui  devait 
être  son  successeur  sur  le  trône,  et  quil  nomma  Bahràm, 
il  pensa  qu'il  fallait  Téloiguer  de  la  Perse  et  Tenvoyer  dans 
un  endroit  de  ^Hlra,  où  il  aurait  un  air  plus  sain.  Il  dépé- 
cha un  messager  vers  le  roi  des  Arabes  et  Tappela  de  Ullra. 
Norman,  fils  d'Imrou  1-Qaïs,  vint;  Yezdedjerd  le  traita  avec 
distinction  et  lui  dit:  Je  veux  te  confier  mon  fils,  emporte-le 
et  élève-le  dans.Tair  de  4Iira  et  du  désert.  Norman  prit 
Bahràm  et  Temmena  à  ^Hira.  Il  lui  donna  trois  nourrices  : 
il  en  choisit  une  parmi  les  femmes  de  Perse,  et  il  l'em- 
mena avec  lui,  afin  qu'elle  pût  nourrir  l'enfant  pendant  le 
voyage.  C'était  une  femme  d'une  grande  famille  de  Perse, 
de  noble  origine,  trcs-entendue  et  d'une  bonne  constitution. 
Quand  il  fut  arrivé  à  ^Hira,  il  choisit  deux  nourrices  arabes, 
de  grande  et  noble  origine;  il  les  chargea  toutes  les  trois  d'é- 
lever Tenfant,  de  le  surveiller  jour  et  nuit  et  de  l'allaiter  suc- 
cessivement. L'air  de  Mlira  est  le  plus  pur  et  le  meilleur  du 
monde  entier. 

Ensuite  Norman  ordonna  qu'on  cherchât  un  très-habile 
architecte ,  pour  construire  un  palais ,  sur  la  terrasse  duquel 
on  tiendrait  cet  enfant,  où  il  y  aurait  un  air  plus  agréable  et 
plus  pur.  Et  il  voulut  que  ce  palais  AU  rond  comme  un  pa- 
villon et  élevé  comme  un  phare,  v[  n^nfermât  des  habitations 


!06  CHHONIQUE  DE  TABARl. 

et  uu  chàleau.  On  appelle  un  tel  palais  kkawaniè  en  persan , 
et  khawamaq  en  arabe.  On  chercha  dans  tous  les  pays  arabes 
et  dans  la  Syrie,  et  Ton  trouva  eu  Syrie  un  homme,  du  pays 
de  Roum,  qui  y  faisait  des  constructions  de  diiïérents  genres, 
telles  qu  étaient  les  constructions  de  Roum.  Son  nom  était  Si- 
nimmâr.  On  Tamena  auprès  de  Norman,  qui  lui  dit  :  J'ai  chez 
moi  le  fils  du  roi  de  Perse;  je  veux  construire  pour  lui  un 
édifice  plus  élevé  que  tout  autre,  au  haut  duquel  je  puisse 
faire  demeurer  cet  enfant,  pour  qu  il  respire  un  air  plus  sain , 
et  pour  qu'il  soit  plus  éloigné  de  la  surface  de  la  terre.  Je  dé- 
sire donc  que  tu  me  construises  un  khawamèy  au  haut  duquel 
il  y  ait  une  habitation  où  des  hommes  puissent  demeurer 
en  hiver  comme  en  été,  et  où  je  puisse  tenir  Tenfant.  Je 
veux  que  tu  fasses  tout  autour  un  mur  rond,  d*une  exactitude 
et  d'une  beauté  telles,  que  personne  ne  puisse  dire  que  Ton 
ait  fait  une  construction  pareille  en  Syrie  ou  dans  Roum. 
Sinimmâr  dit  :  Je  te  ferai  un  édifice  tel,  que  personne  n'en 
aura  possédé  sur  la  terre ,  de  l'orient  à  l'occident. 

Ensuite  Sininmiâr  demanda  des  ouvriers,  des  outils  et  du 
mortier;  il  prépara  le  mortier  comme  il  l'entendait,  et  le 
liquéfia  avec  du  lait.  Il  travailla  pendant  cinq  ans,  et  cons- 
truisit un  édifice  qui,  dans  la  nuit,  brillait  comme  la  lune; 
et  quiconque  le  regardait,  le  jour,  ne  pouvait  en  détacher  ses 
yeux;  Arabes  et  Perses  en  furent  dans  le  ravissement.  Norman 
vint,  et  quand  il  le  vit,  il  dit  à  Sinimmâr:  Tu  as  produit 
une  chose  telle  que  moi  je  n'aurais  su  te  la  demander.  Si- 
nimmâr dit  :  Si  j'avais  su  que  tu  serais  reconnaissant  envers 
moi  et  que  ma  peine  ne  serait  pas  perdue,  j'aurais  fait  un 
édifice  qui  aurait  changé  de  couleur  avec  le  soleil  :  le  matin, 
quand  le  soleil  se  lève,  il  aurait  eu  la  même  couleur  que  le  so- 
leil; puis,  quand  le  soleil  esl  plus  élevé  et  devient  plus  rongr, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  X\I.  107 

rédiiice  serait  devenu  t^galenient  rouge;  et,  au  milieu  du  jour, 
quand  le  soleil  est  jaunâtre,  Tédilice  aurait  eu  la  même  cou- 
leur; et  quand  le  soleil  devient  jaune,  il  serait  également 
devenu  plus  jaune;  et  quand  la  lune  se  lève,  il  serait  devenu 
blanc  comme  la  lune.  Norman  dit  :  Tu  peux  faire  une  cons- 
truction supérieure  à  celle-ci  ?  L'autre  dit  :  De  beaucoup 
supérieure  et  plus  élevée.  Le  roi  Norman  pensa  :  Si  quelque 
roi  de  la  terre  lui  donne  des  richesses  immenses,  et  si  cet 
homme  fait  un  édifice  supérieur  et  plus  beau  que  celui-là, 
qu'en  sera-t-il  alors?  Puis  il  dit  :  Puisque  tu  pouvais  faire 
mieux  que  cela,  pourquoi  ne  Tas-lu  pas  fait?  Y  a-t-il  un  roi 
plus  juste  que  moi?  Réponds-moi.  Ensuite  il  se  mit  en  co- 
lère et  ordonna  de  conduire  Sinimmâr  au  haut  de  Tédifice 
et  de  le  précipiter  en  bas,  afin  que  son  corps  se  brisât.  Chez 
les  Arabes,  quand  un  homme  paye  un  autre  d'ingratitude, 
on  dit:  trLa  récompense  de  Sinimmâr,?)  proverbe  arabe  qui 
est  employé  dans  le  langage  ordinaire,  par  exemple  comme 
dit  un  poète  : 

H  m*a  récompense  (que  Dieu  le  récompense  de  ia  plus  mauvaise  de  ses 
récompefites ! )  de  la  récompense  qu'eut  Sinimmâr,  quoiqu'il  fût  innocent. 

Ou  ne  connaît  pas  fauteur  de  ce  vers,  et  Ton  ne  sait  pas  à 
quelle  occasion  il  a  été  composé.  II  fait  partie  d'un  poème  de 
dix  vers  qui  se  trouve  dans  le  recueil  des  proverbes.  Mo^ham- 
med,  fils  de  Djarir,  n'en  a  pas  rapporté  l'histoire  dans  son 
ouvrage;  je  vais  la  raconter,  parce  qu'elle  est  curieuse;  la 
voici  : 

Il  y  avait  un  roi  d'entre  les  rois  Ghassânides,  nomnm 
'Hârith,  fils  de  Maria  le  Ghassânide.  Un  homme  de  la  tribu 
de  Kelb  était  venu  le  trouver  et  lui  avait  apporté  eu  cadeau 
un  cheval.  Le  nom  do  cet  homme  était  'Abdou  i-'Aziz,  fils 


108  CHIIONIQLE  DE  TABAUl. 

dlmrou  1-Qaïs  ;  il  ëtait  uu  des  grands  et  puissants  de  la  tribu 
de  Kelb.  Ce  roi  Ghassânide  agréa  le  cadeau  et  se  moutra 
reconnaissant  envers  ^Âbdou'l-^Aziz,  qui  avait  avec  lui  deux 
Gis,  Tun  nommé ^Abdou'l-^Hâritli,  et  Tautre  Scherâ^bil;  le  roi 
le  garda,  lui  et  ses  deux  fils,  à  sa  cour,  et  leur  donna  chaque 
jour  leur  entretien.  Le  roi  Ghassânide  avait  un  fils,  qu'il  avait 
donné  en  nourrice  dans  la  tribu  de  Kelb,  à  laquelle  appar- 
tenait SVbdou'i-^Azi'z,  pour  Ty  faire  élever.  Les  rois  avaient 
[alors]  la  coutume  de  confier  leurs  fils  aux  chefs  des  tribus 
ou  des  villes,  afin  quils  les  élevassent  et  leur  donnassent 
une  éducation  complète  ;  ensuite  ils  les  ramenaient.  Or  on 
informa  le  roi  Ghassânide  que  son  fils  avait  été  mordu  par 
un  serpent  et  quii  était  mort.  Le  roi  eut  le  soupçon  que 
les  gens  de  la  tribu  de  Kelb  avaient  tué  son  fils.  Il  fit  venir 
^AbdouPAziz,  et  lui  dit  :  Va,  enchaipe  tes  fils  et  les  fils  de 
tous  les  grands  de  ta  tribu  et  amène-les.  L'autre  dit  :  Puis-je 
enchainer  mes  fils  et  les  fils  de  mes  proches?  Le  roi  déclara 
par  serment  :  Si  tu  ne  les  amènes  pas,  je  te  ferai  mettre  à 
mort.  ^Abdou  PAziz  dit  :  Je  reçois  de  toi  la  même  récom- 
pense que  Siuimmâr  reçut  de  Norman,  le  seigneur  du  kha- 
warnaq  :  il  s'attendait  de  sa  part  à  des  actes  de  générosité, 
et  il  fut  tué  par  lui.  Ensuite  "Abdou'l-^Aziz  envoya  ses  deux 
fils  vers  la  tribu  de  Kelb,  pour  informer  les  hommes  de  ce  que 
le  roi  méditait  contre  eux,  afin  qu'ils  pussent  prendre  leurs 
précautions;  et  il  écrivit  le  poëme  suivant,  qu'il  leur  envoya 
par  ses  fils  : 

li  m'a  récompensé  (que  Dieu  le  récompense  de  la  plus  mauvaise  de  ses 
récompenses  I  )  de  la  récompense  qu'eut  Sinimmâr,  quoiqu'il  fût  innocent  : 

11  avait  travaillé  pendant  vingt  années  à  construire  un  édifice  qui  était 
couvert  de  tuiles  et  de  plomb. 

Or,  quand  il  eut  vu  Tédifice  dont  l'élévation  «'lait  terminée  et  qui  était 
comme  une  monla|pic  haute  et  escarpée  ; 


PAIiTIE  II,  CIIAIMTRE  XXI.  lOÎ) 

Et  il  Ta vail  terminé  après  vingt  années,  et  il  avait  excité  rudiiiiralion  ilis 
gens  de  TOrient  et  de  TOcddonl  ; 

Et  que  Sinimmâr  y  eut  fondé  des  espérances  d''en  être  récompensé ,  et 
d*avoir  obtenu  son  afl(>ction  et  son  amitié , 

Alon  [No'mân]  dit  :  Précipitez  le  barbare  du  haut  de  son  chAleau  !  Et 
cela,  par  Dieu!  fut  le  plus  grand  des  crimes. 

Or  moi,  je  nVais  pas  envers  Ihn-'Haqba,  sachez-le,  do  faute  qui  vienne 
aoof  la  forme  d^un  serment  contre  Kelb. 

Certes,  il  viendra  fouiller,  avec  la  cavalerie,  les  fonds  de  leurs  |)ay8.  Tu 
aéras  dégagé,  d  prince,  de  ton  serment  extravagant. 

Quanta  la  choae  à  laquelle  Ibn-'llaqba  s'ost  engagé,  les  hommes  repous- 
seront la  tyrannie  de  la  tribu. 

Déjà,  avant  toi,  Thomme  lIArith  nous  avait  inquiétés;  mais  il  fut  ramené, 
les  mains  attachées  au  cou ,  auprès  des  collines  rouges. 

Norman  fit  conduire  Balirâin  sur  la  terrasse  de  ce  klia- 
wamaq  et  Ty  Gt  élever.  Eu  face  de  ce  château  il  y  avait  un 
village  nommé  Sedir,  qui  était  également  sur  le  territoire  de 
'Htra.  Sur  la  terrasse  de  ce  khawarnaq,  on  avait  d'un  colé 
le  désert;  Tair  [qui  souillait  de  ce  côté]  est  le  meilleur  air 
du  monde;  de  Tautre  côté,  le  Sawàd  de  T'Irâq,  des  villages, 
des  sommets  de  montagnes,  le  fleuve  Euphrale  :  c'était  la  plus 
belle  chose  et  le  plus  beau  spectacle  que  Tœil  pAl  voir.  Les 
.  Arabes  appelaient  Norman  irle  seigneur  du  kbawarnaq  et  du 
SedJr.7)  Il  éleva  donc  Bahrâm  au  haut  du  khawarnaq  jusqu'à 
ce  qu'il  fût  grand  et  qu'il  eût  accompli  sa  dixième  année. 

Norman  avait  la  religion  des  Arabes  et  adorait  les  idoles. 
Il  avait  im  vizir  originaire  de  la  Syrie,  qui  élait  chrétien  et 
suivait  la  religion  de  Jésus,  fils  de  Marie.  Un  jour,  No'mân, 
étant  assis  avec  lui  sur  la  terrasse  du  khawarnaq,  regarda 
autour  de  lui;  c'était  dans  la  saison  du  printemps;  il  vit  de 
droite  et  de  gauche  la  verdure,  la  beauté  du  [])aysage],  le 
fleuve  Euphrate,  le  Sawâd  ot  Tlrâq,  tout  autour.  Il  y  avait 


no  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

vingl-dcux  ans  que  No^iiiàii  était  sur  te  trône.  [Â  ce  moment- 
là]  il  dit  au  vizir  :  Y  a-t-il  dans  le  monde  un  endroit  dont 
Taspect  soit  plus  agréable  que  celui-ci?  Le  vizir  répondit  : 
Il  est  très-beau ,  mais  il  a  un  défaut ,  il  ne  dure  pas.  Le  roi 
dit  :  Qu'y  a-t-il  de  durable?  L'autre  dit  :  La  religion  de  Dieu  et 
son  culte  et  Tautre  monde.  Norman  descendit  du  khawarnaq, 
adopta  la  religion  de  Jésus,  se  revêtit  d'un  froc  et  se  retira 
du  monde,  en  abandonnant  la  royauté.  La  môme  nuit  il 
partit  ;  personne  ne  Ta  plus  revu  et  personne  ne  sait  ce  qu  il 
est  devenu.  Il  avait  un  fils,  nommé  Moundsir  fils  de  Norman, 
([ui  monta  sur  le  trône,  et  Yezdedjerd  lui  confia  le  gouverne- 
ment des  Arabes.  Il  est  appelé  Moundsir  Mâ-es-Semâ.  Mâ-es- 
Semâ  était  le  nom  de  sa  mère,  et  le  nom  de  son  père  était 
No'mân,  fils  dlmrou'l-Qaïs.  Il  éleva  le  fils  de  Yezdedjerd, 
Bahrâm,  de  môme  que  son  père  l'avait  élevé,  jusqu'à  l'âge 
de  dix  ans.  Quelques-uns  des  traditionnistes  rapportent  que 
Yezdedjerd  avait  confié  son  fils  à  Moundsir  lui-môme,  après 
la  mort  de  Norman  et  «(près  l'avènement  de  Moundsir  au 
trône;  mais  la  vérité  est  qu'il  l'avait  confié  à  No^àn,  le  père 
de  Moundsir,  le  seigneur  du  khawarnaq  et  du  Sedir.  Moundsir 
avait  aussi  un  fils  nommé  Norman,  fils  de  Moundsir,  fils  de 
Norman,  qui  prit  le  gouvernement  des  Arabes  après  la  mort 
de  son  père.  Ce  Norman  avait  le  mômo  âge  que  Babrâm,  et  ils 
grandissaient  ensemble. 

Quand  Bahrâm  eut  atteint  l'âge  de  dix  ans,  il  dit  à 
Moundsir  :  Amène  des  maîtres  qui  m'apprennent  la  science, 
les  bonnes  manières,  l'art  de  monter  à  cheval  et  de  tirer  l'arc. 
Moundsir  dit  :  Tu  es  encore  jeune  et  un  enfant,  il  faut  t'amuser 
et  jouer.  Bahrâm  dit  :  Si  je  suis  jeune  en  âge,  je  suis  grand 
en  intelligence:  si  je  nai  pas  encore  l'âge  d'apprendre  la 
science,  quand  scra-t-il  temps?  Il  faut  l'acquérir  maintenant, 


PARTIE  M,  CHAPITRE  XXf.  lit 

aCfi  que,  au  nioincnt  d'a|;ir,  je  possède  la  science  ;  car  la  chose 
que  tu  ne  cherches  pas  avant  le  temps ,  tu  ne  la  trouveras  pas 
en  son  temps,  et  ce  que  tu  cherches  avant  le  temps  tu  le  trou- 
Yerasen  son  temps.  Quand  Moundsir  entendit  ces  paroles,  il 
fut  charmé  de  Tintelligence  de  Bahrâm  et  de  son  désir  d^  sa- 
voir. Ensuite  il  fit  venir  des  savants  et  des  mobeds,  afin  qu  ils 
enseignassent  à  Bahrâm  la  science  et  les  bonnes  manières.  On 
amena  des  hommes  sages  de  Roum  et  de  TArabie,  de  chaque 
viHe,  et  on  les  mit  à  la  disposition  de  Bahrâm,  afin  qu'il 
apprit  ce  qu'il  désirait.  Quand  il  eut  quinze  ans,  il  renvoya 
les  lettrés  et  les  mobeds,  et  Moundsir  les  récompensa  tous. 
Puis  Bahrâm  ordonna  :  Procure-moi  des  cavaliers  qui  m'en- 
seignent réquitation,  et  amène-moi  des  archers,  aHn  que 
j'apprenne  à  tirer  de  l'arc.  Moundsir  fit  ainsi.  Lorsque  Bahrâm 
sut  qu'il  était  complètement  instruit,  il  dit  à  Moundsir  :  Il  me 
faut  un  cheval  qu'aucun  autre  cheval  ne  surpasse  en  beauté, 
pour  que  j'en  fasse  ma  monture  que  je  monterai  [toujours]. 
Moundsir,  charmé  de  sa  grande  capacité,  ordonna  de  faire 
sortir  tous  les  chevaux  qu  il  possédait  et  de  les  présenter  à 
Bahrâm.  Balirâm  dit  :  On  ne  peut  connaître  un  cheval  qu'en 
l'essayant.  Il  fit  conduire  tous  ces  chevaux  en  dehors  de  la 
ville  et  ordonna  que  des  cavaliers  les  montassent  et  les  fissent 
courir,  pour  voir  lequel  courrait  le  plus  vite.  On  conduisit 
tous  ces  chevaux  hors  de  la  ville.  Moundsir  et  Bahrâm  sortirent 
tous  les  deux,  et  on  fit  courir  les  chevaux.  Moundsir  avait  un 
cheval  roux ,  qui  était  le  plus  rapide  de  tous  les  chevaux  arabes 
qui  se  trouvaient  là.  Bahrâm  le  choisit,  et  Moundsir  le  lui 
donna.  Bahrâm  en  fut  charmé;  il  le  prit,  et  le  montait  quand 
il  allait  à  la  chasse. 

Or,  un  jour,  Bahrâm  était  allé  à  la  chasse,  accompagné 
d'une  suite  composée  d'Arabes  et  de  Moundsir.  Il  vit  de  loin 


112  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

un  onagre  courant  dans  le  désert.  Baliràm  le  poursuivit,  et 
Moundsir  et  sa  suite  allèrent  aveclui.  Bahrâni  tenait  Tare  tendu 
avec  la  flèche  préparée,  quand,  s'approchant  de  Tonagre,  il 
vit  un  lion  qui  s'était  jeté  sur  le  dos  de  Tonagre,  Tavait  saisi 
de  ses  dents  et  allait  lui  briser  la  nuque.  Bahrâm  fit  partir  la 
flèche,  qui  alla  frapper  le  dos  du  lion,  sortit  de  son  ventre, 
entra  dans  le  dos  de  Tonagre  et  sortit  du  ventre  ;  puis  la  flèche 
entra  dans  la  terre,  jusqu'au  centre,  de  sorte  quelle  trembla 
pendant  une  heure.  Moundsir  et  les  Arabes  restèrent  étonnés. 
Moundsir  ordonna  que  Ton  représentât  Bahrâm  tenant  Tare 
et  monté  sur  son  cheval,  Tonagre  et  le  lion,  et  la  flèche  qui 
pénètre  dans  la  terre;  que  Ton  représentât  tout  cela  par  la 
peinture  sur  les  murs  du  khawarnaq,  là  où  se  trouvait  le 
lieu  des  banquets  de  Bahrâm.  Ce  jour-là,  on  lui  donna  le 
nom  de  Bahrâmgour;  les  Arabes  l'appelaient  Bahrâmdjour. 

Quand  Bahrâm  reconnut  qu'il  était  devenu  tout  à  fait 
homme,  il  dit  à  Moundsir  :  U  faut  absolument  que  je  cherche 
à  acquérir  le  trône;  je  pourrai  acquérir  le  trône  en  allant 
auprès  de  mon  père  et  en  me  tenant  à  son  service  aussi 
longtemps  qu'il  vivra,  afin  d'obtenir  le  trône  après  lui. 
Moundsir  lui  prépara  un  magnifique  équipage  et  Tenvoya 
vers  son  père.  Quand  Bahrâm  arriva  auprès  de  Yezdedjerd, 
celui-ci,  par  suite  de  sa  méchanceté,  ne  le  regarda  pas  et 
ne  le  traita  pas  comme  on  traite  ses  enfants.  Bahrâm  se  tint 
pendant  un  an  à  son  service  avec  grande  tristesse.  Ensuite, 
le  César,  le  roi  de  Boum ,  envoya  son  frère  vers  Yezdedjerd , 
avec  de  nombreux  présents,  pour  conclure  avec  lui  un  traité 
de  paix.  Yezdedjerd  le  traita  avec  distinction,  et  comme  il 
allait  partir,  Bahrâm  lui  demanda  d'obtenir  [pour  lui]  de 
son  père  l'autorisation  de  retourner  auprès  du  roi  des  Ara- 
bes, parce  qu'il  s'était  habitué  à  ce  pays,  et  qu'en  Perse  il 


PARTIE  II,  CIIAPITHE  XXI.  113 

se  trouvail  mal  à  son  aise.  Yczdedjerd  lui  «mi  accorda  Taii- 
torisalion,  cl  Baliiàin  retourna  auprès  de  Moundsir  et  des 
Arabes,  et  resta  avec  eux. 

Quand  Yezdedjerd  eut  été  frappé  et  tué  par  le  cheval ,  pen- 
dant que  Bahrâni  était  auprès  de  Moundsir  dans  le  pays  des 
Arabes,  les  habitants  de  la  Perse  se  réunirent  et  dirent  :  Nous 
sommes  délivrés  de  l'oppression  de  Yezdedjerd  ;  maintenant,  il 
lui  est  resté  un  fds,  qui  a  grandi  parmi  les  Arabes,  qui  a  pris 
leurs  habitudes,  et  qui  a  la  violence,  Torgueil  et  la  cruauté  de 
son  père.  Si  nous  le  proclamons  roi,  il  viendra  et  agira  envers 
nous  plus  mal  que  son  père.  Ils  tombèrent  tons  d'accord  de 
ne  pas  donner  la  royauté  à  Bahrâm;  et  ils  nommèrent  roi  un 
homme  de  Tannée,  de  la  famille  d'Ardeschir,  fils  de  Bâbek, 
nommé  Kesra  (Kliosrou).  Ils  le  reconnurent  comme  roi,  le 
portèrent  à  Madaïn,  le  firent  monter  sur  le  trône,  et  le  mobed 
suprême  mit  la  couronne  sur  sa  tète.  Lorsque  Bahrâm  apprit 
que  Ton  avait  agi  de  cette  façon  ,  il  en  donna  avis  à  Moundsir, 
réunit  tous  les  Arabes  et  leur  dit  :  Vous  savez  que  j'ai  le  droit 
de  succéder  à  mon  père  sur  le  trône.  Les  Perses  ont  donné 
la  royauté  à  un  autre.  Vous  savez  aussi  combien  les  rois  de 
Perse,  mes  pères,  quels  qu'ils  fussent,  et  en  particulier  mon 
père,  vous  ont  favorisés.  Maintenant  ils  ont  donné  le  trône  à 
un  autre,  parce  que  j'habite  au  milieu  de  vous  :  vous  devez  i 
présent  me  prêter  votre  concours  pour  reconquérir  la  royauté. 
Moundsir  et  tous  les  Arabes  le  saluèrent  du  titre  de  roi  et  lui 
dirent  :  La  domination  des  Arabes  et  des  Perses  t'appartient, 
tu  es  notre  maitre,  et  nous  exécuterons  tous  tes  ordres;  notre 
corps  et  notre  âme  et  nos  biens  sont  ta  rançon.  Moundsir  les 
approuva  et  ajouta  :  Je  n'aurai  pas  de  repos  que  je  ne  t'aie 
rendu  la  couronne.  Bahrâm  en  fut  charmé,  leur  dit  des  pa- 
roles gracieuses  et  remercia  Moundsir. 

n.  8 


114  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

Le  lendemain,  Moundsir  contia  à  son  (ils  Norman  dix  mille 
cavaliers  arabes,  et  lui  donna  ces  ordres  :  Va  à  Madâïn,  vers 
les  villes  où  le  roi  Kesra  réside,  et  envoie  vers  ces  villes  des 
avant-postes.  S'ils  ne  sortent  pas  à  ta  rencontre,  ne  t'avance 
pas;  mais  s'ils  sortent  à  ta  rencontre  et  qu'ils  t'offrent  le  com- 
bat, livre-leur  le  combat,  évite  de  devenir  leur  prisonnier, 
mais  fais-leur  des  prisonniers  et  ne  manque  pas  de  massacrer 
autant  de  monde  que  tu  pourras.  Norman,  fils  de  Moundsir, 
arriva  avec  l'armée  arabe  devant  Madâïn  et  Ctésiphon ,  la  ré- 
sidence du  roi ,  et  campa  à  la  frontière  du  Sawàd.  Les  Perses 
dépéchèrent  quelqu'un  vers  lui  pour  lui  demander  pour  quelle 
raison  il  était  venu.  Norman  dit  :  On  me  l'a  ainsi  ordonné. 
Yezdedjerd  avait  eu  un  chef  des  missions ,  un  homme  d'une 
grande  intelligence,  nommé  Djewâni,  qu'il  envoyait  partout 
où  il  y  avait  une  mission  à  remplir.  Les  Perses  résolurent  d'un 
commun  accord  de  l'envoyer  vers  Moundsir,  sur  le  littoral, 
afin  qu'il  vit  pour  quelle  raison  il  avait  envoyé  Norman.  Quand 
l'envoyé  arriva  auprès  de  Moundsir,  celui-ci  lui  dit  :  Ce  n'est 
pas  moi  qui  ai  envoyé  Norman,  c'est  le  roi  Bahràih  qui  l'a  en- 
voyé, parce  que  vous  avez  donné  son  royaume  et  son  héri- 
tage à  un  autre,  contre  tout  droit;  maintenant  il  cherche  à 
reconquérir  son  droit.  Puis  il  lui  dit  :  Rends-toi  auprès  de 
lui,  pour  voir  ce  qu'il  dira.  Puis  il  l'envoya,  avec  quelqu'un 
des  siens,  auprès  de  Bahrâm.  Quand  l'ambassadeur  vit  Bah- 
râm,  il  fut  étonné  de  son  extérieur  et  de  ses  manières.  Bah- 
râm avait  alors  vingt-trois  ans.  L'ambassadeur  en  fut  dans  le 
ravissement.  Bahrâm  causa  avec  lui ,  lui  fit  des  reproches  et 
lui  dit  :  Vous  avez  méconnu  mes  droits  et  donné  mon  héri- 
tage à  un  autre;  vous  saviez  [cependant]  que  j'y  avais  plus  de 
titres  que  tout  autre.  Puis  il  lui  fit  de  bonnes  promesses  et 
lui  dit  :  Je  ne  ferai  pas  attention  k  votre  conduite  passée  et 


PAHTIE  II,  CHAPITRE  \XI.  115 

je  vous  Irailerai  bien.  Vous  avez  ou  la  crainte  do  Yozdodjord , 
et  vous  avez  cru  que  mes  dispositions  étaient  comme  les 
siennes.  Cependant,  quand  je  nie  suis  rendu  auprès  de  lui, 
je  n'ai  pas  pu  supporter  de  rester  avec  lui;  je  Tai  quitté  et  je 
suis  venu  ici,  cl  jai  fait  à  Dieu  le  vœu  solennel  que,  si  j'ob- 
tiens la  royauté,  je  ne  suivrai  pas  son  exenq)le,  et  qu'en  toute 
chose  où  il  a  fait  le  mal  je  ferai  le  bien,  ei  que  là  où  il  a 
exercé  Toppression  j'exercerai  la  bienveillance.  Aussitôt  l'am- 
bassadeur le  quitta,  vint  auprès  de  Moundsir  et  lui  dit:  Si 
les  Perses  avaient  su  combien  sont  grandes  les  ({ualités  de  ce 
roi,  ils  n'auraient  jamais  établi  un  autre  roi  que  lui.  Moun- 
dsir dit  :  Retourne  et  dis-leur  tout  ce  que  lu  as  entendu  de 
la  bouche  du  roi.  L'envoyé  retourna  en  Perse,  et,  trois  jours 
après,  Moundsir  avec  cent  mille  Arabes  et  avec  Bahrâm  Je 
suivirent.  Quand  iMoundsir  et  Babrâni  et  l'armée  arrivèrent 
à  la  i)orte  de  la  ville,  les  anciens  des  Perses,  les  mobeds, 
les  savants  et  les  lettrés  sortirent  de  la  ville  et  allèrent  trou- 
ver Moundsir.  Celui-ci  leur  dit  :  Uendez-vous  auprès  du  roi, 
pour  savoir  ce  qu'il  dit  et  ce  qu'il  ordonne.  Ils  vinrent  auprès 
de  Bahrâm,  et  Moundsir  vint  avec  eux.  Bahrâm  dit  :  J'ai  amené 
une  nombreuse  armée,  mais  non  pas  pour  faire  la  guerre; 
car  vous  êtes  mes  frères,  mes  oncles,  mes  concitoyens;  vous 
n'êtes  pas  des  étrangers  pour  moi,  mais  des  parent.s.  J'évite- 
rai autant  que  je  pourrai  de  faire  la  guerre,  et  ne  verserai  le 
sang  de  personne.  Je  suis  venu  pour  recouvrer  mon  droit,  et 
vous  savez  que  j'ai  des  titres  au  trône.  Demain ,  réunissez  les 
Perses,  les  chefs  de  l'armée  et  du  peuple,  afin  que  je  leur 
parle,  à  eux  et  à  l'homme  qui  tient  [maintenant]  le  gouver- 
nement. Si  la  royauté  lui  revient,  je  la  lui  abandonnerai; 
mais  si  elle  m'appartient,  vous  m'obéirez.  J'aurai  une  bonne 
conduite,  et  en  toute  chose  on  Yezdedjerd  a  exercé  l'oppres- 

8. 


ttO  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

sion  j'exercerai  la  bienveillance.  Si  je  ne  justifie  pas  mes  litres, 
je  m'en  retournerai.  Les  hommes  furent  charmés  de  son  in- 
teiligence,  et,  après  avoir  entendu  ces  paroles,  ils  s'en  retour- 
nèrent. 

Le  lendemain ,  Bahrâm  avec  Moundsir  et  l'armée  allèrent 
camper  à  la  porte  de  la  ville.  Tous  les  Perses  sortirent  de  la 
ville,  de  même  que  Kesra.  On  apporta  le  trdne  d'or,  et  le  nio- 
bed  suprême,  celui  dans  la  main  duquel  était  la  couronne, 
apporta  la  couronne.  Bahram,  sans  demander  la  permission 
à  Kesra,  s'assit  sur  le  trône,  et  fit  asseoir  à  sa  droite  le 
mobed  suprême  et  Moundsir.  liCS  Perses  et  Kesra,  à  qui 
ils  avaient  donné  la  royauté,  s'assirent  à  ses  pieds.  Bahram 
dit  :  Que  ceux  qui  savent  prendre  la  parole  dans  cette 
assemblée  parlent.  Les  sages  parmi  les  Perses  prirent  la  pa- 
role, les  uns  après  les  autres;  et  quiconque  parla  commença 
par  rappeler  le  mauvais  gouvernement  de  Yezdedjerd,  sa  mé- 
chante nature  et  sa  dureté  envers  les  hommes,  le  nombre 
d'hommes  qu'il  avait  fait  mettre  à  mort,  le  nombre  d'hommes 
qui  avaient  péri  sous  son  gouvernement,  et  le  pays  qui  était 
en  ruines.  [Puis  les  orateurs  ajoutèrent]  :  tr Lorsque  le  peuple 
frfut  délivré  de  lui,  il  se  réunit  et  dit  :  Nous  ne  donnerons 
f^pas  le  gouvernement  à  ses  fils,  qui  suivraient  la  voie  de  leur 
rrpère.  Ils  amenèrent  un  homme  également  du  sang  royal,  et 
(T  lui  confièrent  le  gouvernement  et  la  royauté,  y*  Moundsir  dit  : 
Nous  avons  entendu  vos  paroles;  il  appartient  au  roi  d'y  ré- 
pondre. Ensuite  Bahram  dit  :  Je  trouve  que  vous  avez  raison 
en  ce  que  vous  avez  dit  de  la  conduite  de  Yezdedjerd  ;  car, 
pendant  la  seule  année  que  j'ai  passée  avec  lui,  j'ai  appris 
à  connaître  ses  manières.  J'ai  pardonné  à  ses  sujets,  et  j'ai 
fait  à  Dieu  le  vœu  que,  si  ce  royaume  m'échoit,  je  ne  sui- 
vrai pas  la  voie  de  mon  père,  et  qu'en  toute  chose  où  il  a 


PAIITIE  II,  CHAPITRE  XXI.  117 

fait  le  mal  je  ferai  le  bien.  J'en  prends  à  lëmoin  Dieu  el  les 
anges  du  ciel  el  de  la  terre,  tous  les  mobeds  et  le  niobed 
suprême,  entre  les  mains  duquel  est -la  couronne.  Je  veux 
occuper  pendant  un  an  le  trône;  si  je  réalise  mes  paroles 
et  que  vous  soyez  satisfaits  de  ma  conduite ,  ce  sera  bien  ; 
sinon,  je  le  quitterai,  je  rendrai  la  couronne  à  ce  mobed, 
pour  qu  il  la  place  sur  la  tête  de  qui  vous  voudrez,  et  vous 
serez  libres  de  tout  engagement  et  de  toute  obéissance  en- 
vers moi.  Quant  à  ce  Kesra,  que  vous  avez  nommé  roi  et  à 
qui  vous  avez  conféré  mes  droits,  je  veux  me  mesurer  avec 
lui  en  fait  de  vaillance.  Vous  placerez  cette  couronne  entre 
deux  lions  affamés.  S'il  s'avance  [entre  eux]  et  qu  il  prenne 
la  couronne,  il  l'aura  légitimement,  et  je  me  retirerai  et  lui 
abandonnerai  la  couronne  et  le  trône.  Si  c'est  moi  qui  la 
prends^  la  royauté  m'appartiendra  légitimement.. Puis,  si  vous 
acceptez  mon  engagement,  et  si  après  un  an  mon  régime  ne 
vous  convient  pas,  je  vous  rendrai  mes  droits  et  je  me  dé- 
pouillerai du  pouvoir,  pour  que  vous  le  donniez  à  qui  vous 
voudrez.  Les  bommes  restèrent  dans  l'étonnement  de  ces  pa- 
roles, consentirent  à  ses  propositions  et  se  dispersèrent. 

Le  lendemain,  les  Perses  se  réunirent  tous.  Kesra  vint, 
et  le  mobed  suprême  apporta  la  couronne.  Il  y  avait  un  gé- 
néral,  nommé  Boslâm,  qui  avait  la  cbarge  des  lions  des 
rois  de  Perse.  Le  mobed  lui  ordonna  d*ameuer  des  lions 
affamés,  non  habitués  aux  hommes,  avec  des  chaînes  au 
cou,  et  de  les  attacher  l'un  d'un  côté,  l'autre  de  l'autre  côté, 
et  de  poser  la  couronne  par  terre,  au  milieu,  entre  les  deux 
lions.  Bahrâm  dit  à  Kesra  :  Avance  le  premier.  Kesra  dit  : 
Avance  d'abord,  toi,  puisque  tu  prétends  à  la  royauté,  et  tu 
veux  l'ôter  de  mes  mains.  Bahrâm  prit  une  massue  très-grande 
el  s'avança  vers  les  lions.  Le  mobed  suprême  dit  :  Crains  Dieu 


118  CHRONIQUE  DE  TABAKl. 

et  oe  te  perds  pas  pour  le  pouvoir;  lais  pénitence  des  péchés 
dont  Dieu  te  punira  a  cet  endroit;  si  ces  lions  te  font  périr, 
nous  serons  innocents  de  ton  sang.  Baliràui  dit  :  Vous  êtes 
innocents  de  mon  sang.  Puis  il  s'avança  vers  les  lions,  sauta 
sur  le  dos  de  Tun  d'eux  et  s'y  assit.  L'autre  lion  l'attaqua. 
Lorsqu'il  fut  près,  Bahràm  leva  la  main,  frappa  d'une  main 
le  lion  sur  lequel  il  était  assis,  et  de  l'autre  le  deuxième  lion, 
et  les  tua  tous  les  deux.  Leur  cervelle  jaillit  par  la  bouche 
et  par  le  nez;  ils  tombèrent  sur  le  sol  et  expirèrent.  Ensuite 
Babrâm  étendit  la  main,  prit  la  couronne,  la  plaça  sur  sa 
tête,  s'en  alla  et  monta  sur  le  trône,  sans  demander  la  per- 
mission à  personne. 


CHAPITRE  XXIL 

HISTOIRE  DU  RÈGflE  DE  BAURAMGOUR. 

Le  premier  qui  le  salua  du  titre  de  roi  fut  ce  kesra  qui 
tenait  le  pouvoir.  Il  dit  :  0  roi ,  le  pouvoir  l'appartient.  Alors 
le  mobed  suprême  le  salua,  ainsi  que  tous  les  Perses,  (|ui  le 
reconnurent.  Babrâm  saisit  le  pouvoir,  resta  sur  le  trône 
pendant  sept  jours,  et  chaque  jour  il  donnïiit  audience  au 
peuple  et  lui  faisait  de  bonnes  promesses.  Ce  jour-là ,  Bahràm 
avait  vingt-trois  ans.  Le  huitième  jour,  il  renvoya  Moundsir 
avec  son  armée,  et  lui  donna  d'immenses  richesses.  Moun- 
dsir eut  le  gouvernement  des  Arabes,  et  après  lui  son  iil» 
Norman.  Bahràm  exerçait  la  justice  envers  ses  sujets,  les 
laissait  venir  librement  à  loi  et  faire  ce  qu'ils  voulaient.  Il 
n'imposa  aucune  obligation  à  aucun  des  sujets  et  des  soldats , 
et  il  passait  son  temps  dans  le  plaisir  et  dans  la  joie,  et  le 
gouvernement  chêmnit. 


PARTIE  II,  CHAPITUË  \XII.  119 

Les  rois  qui  rëgnaicnt  autour  de  ia  Perse  convoitaient  le 
royaume  de  Bahrâm.  Au  bout  de  sept  ans,  le  roi  des  Turcs v 
nommé  .Khàqân,  vint  avec  une  armée  de  deux  cent  cin<^ 
quanle  mille  Turcs,  franchit  la  frontière  de  la  Perse  et  y 
commit  de  grands  ravages.  Quand  il  s'approcha  de  la  Per- 
side,  les  grands,  les  mobeds,  les  savants  et  les  sages,  en 
grand  nombre,  allèrent  trouver  Bahrâm,  lui  tirent  des  re-* 
proches  et  dirent  :  Tu  es  adonné  au  plaisir,  à  la  chasse  et 
aux  divertissements,  de  façon  que  ton  royaume  est  ruiné.  Le 
roi  des  Turcs  est  venu ,  s'est  emparé  des  frontières  de  ton 
royaume,  massacrant  et  pillant.  Maintenant  il  faut  absolu- 
ment; réunir  Tarmée  et  aller  au-devant  de  Tennemi  en  toute 
hâte.  Bahrâm  leur  dit  :  Dieu  est  miséricordieux,  il  ne  me 
livrera  pas  aux  mains  de  Tennemi.  Et  il  ne  fit  pas  ce  qu'ils 
demandaient.  Ils  sortirent  d'auprès  de  lui  et  dirent  :  Cet 
homme  a  perdu  la  raison,  par  suite  de  la  peur  qu'il  a  de 
l'ennemi  qui  est  venu.  Bahrâm  continua  de  se  livrer  à  la 
joie  et  au  plaisir.  Puis,  quand  l'armée  turque  approcha,  il 
établit  son  frère  Narsi  lieutenant  de  l'armée,  et  lui-même 
partit  pour  la  chasse  avec  trois  cents  cavaliers,  et  se  dirigea 
vers  l'Aderbidjân  et  TArménie,  vers  l'occident,  et  laissa  l'en- 
nemi à  l'orient.  Il  emmena  avec  lui  tous  les  faucons,  les 
panthères  de  chasse,  les  chiens  et  tous  les  quadrupèdes  em- 
ployés à  la.chasse,  et  il  laissa  le  gouvernement  à  son  frère. 
Les  hommes  dirent  :  Il  s'est  enfui  du  royaume  et  abandonne 
le  pays  à  l'ennemi.  Ensuite  ils  résolurent  d'envoyer  un  am- 
bassadeur vers  le  Khâqân  pour  lui  dire  qu'ils  consentaient 
à  payer  tribut,  afin  qu'il  s'en  retournât  et  ne  ravageât  pas  le 
royaume.  Des  espions  informèrent  le  Khâqân  que  Bahrâm 
s'était  enfui,  qu'il  avait  abandonné  le  pouvoir  et  que  les  ha- 
bitants avaient  résolu  d'ofl'rir  de  payer  tribut.  Le  Khâqân 


120  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

laissa  son  armée  à  rcndroil  où  eite  se  trouvait,  et  y  resta  tran- 
quille et  en  sécurité.  Bahrâm,  tout  eu  faisant  la  chasse,  s'a- 
vança du  cdté  de  TÂrménie  et  envoya  vers  Tarmée  du  Khâqân 
un  espion,  qui  lui  en  rapporta  Tavis  suivaut  :  Le  Khâqân 
est  campé  en  sécurité  et  croit  que  tu  as  pris  la  fuite  devant 
lui.  Bahrâm  franchit  la  frontière  de  TÂrménie,  entra  dans 
la  Perside  et  tomba  sur  Tarmée  du  Khâqân  pendant  la  nuit; 
le  Khâqân  fut  mis  en  fuite  avec  son  armée,  laissant  son 
camp  avec  toutes  ses  richesses  et  sa  couronne,  dans  laquelle 
étaient  fixées  plusieurs  milliers  de  perles.  Bahrâm  saisit  tous 
ces  trésors  et  les  envoya  à  son  frère  par  cinquante  hommes. 
Lui-même,  avec  deux  cent  cinquante  guerriers,  poursuivit 
Farmce  turque  et  lui  tua  un  grand  nombre  d'hommes  par- 
tout où  il  la  rencontra ,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  franchi  la  fron- 
tière de  T'Irâq  et  qu'il  fût  arrivé  dans  le  Khorâsân ,  aux  bords 
du  Djrhoun. 

Lorsque  l'armée  de  Bahrâm  eut  appris  ces  événements, 
elle  alla  le  rejoindre,  et  le  rencontra  aux  bords  du  Djfhoun. 
Bahrâm  ordonna  à  l'un  de  ses  plus  grands  généraux  de  tra- 
verser le  Djrhoun  avec  une  armée  et  d'attaquer  les  Turcs 
dans  la  Transoxane.  Ce  général  y  fit  un  grand  massacre. 
Enfin  les  Turcs  se  rendirent  à  discrétion,  reconnurent  l'au- 
torité de  Bahrâm  et  lui  envoyèrent  des  ambassadeurs,  avec 
ce  message  :  11  faut  qu'il  y  ait  entre  notre  empire  et  le  tien 
une  frontière  que  nous  devrons  respecter  et  ne  pas  fran- 
chir. Bahrâm  fit  construire  à  l'extrémité  de  la  frontière  une 
colonne,  et  s'en  retourna  et  se  rendit  dans  l'^Irâq,  dans  son 
empire.  Toutes  les  peries  et  toutes  les  pierres  précieuses  qui 
se  trouvaient  dans  la  couronne  du  Khâqân  et  dans  ses  trésors 
qu'il  avait  conquis,  il  les  fit  porter  dans  le  temple  du  feu  de 
TAderbidjân  et  les  y  fit  suspendre.  Ce  temple  était  le  plus 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXIK  121 

vénëré  de  U)U8.  Bahrâm  reprit  lui-même  le  gouvernement 
el  envoya  son  frère  Narsi  avec  une  armée  dans  le  Khorâsân. 
II  lui  ordonna  de  résider  à  Baikh,  de  surveiller  la  frontière 
des  Turcs  et  de  les  empocher  de  franchir  le  Dji^houn.  Il  en- 
voya [aussi]  la  femme  du  Khâqân,  la  grande  Khâtoun,  qui 
était  tombée  entre  ses  mains  et  qui  était  sa  prisonnière,  dans 
te  temple  du  feu  de  rAderbidjâu,  pour  quelle  servit  dans 
le  temple.  Il  ne  garda  pour  lui  rien  de  tout  le  butin ,  des 
joyaux  et  des  trésors  qu  il  avait  conquis. 

Bahrâm  fit  expédier  des  lettres  dans  toutes  les  villes  de 
Fempire,  annonçant  sa  victoire  sur  le  Khâqân  et  le  grand 
triomphe  qu'il  avait  remporté,  avec  trois  cents  hommes,  sur 
deux  cent  cinquante  mille,  de  sorte  que  le  bruit  s'en  ré- 
pandit dans  le  monde.  Ensuite  il  rassembla  ses  sujets,  fit 
venir  tous  les  grands  [de  Tempire],  prononça  une  allocution, 
adressa  des  louanges  et  des  actions  de  grâces  à  Dieu ,  donna 
aux  honunes  de  bonnes  paroles,  et  leur  dit  :  Vous  pensiez 
que  j'étais  adonné  à  la  chasse  et  au  plaisir,  tandis  que  je 
songeais  aux  affaires  de  l'empire  et  que  je  ne  restais  pas 
oisif.  Cependant,  je  n'ai  pas  obtenu  le  gouvernement  par  votre 
vaillance,  ni  par  vos  conseils,  mais  par  ma  propre  vaillance 
et  par  mes  propres  conseils;  et  Dieu  m'a  favorisé,  parce  qu'il 
savait  que  j'étais  propre  à  cette  affaire.  J'ai  moi-môme  assez 
de  savoir-faire  et  de  vaillance ,  et  je  n'ai  que  faire  de  votre  vail- 
lance et  de  votre  savoir-faire.  Quand  je  suis  absi>nt,  c'est  tou- 
jours pour  songer  aux  affaires  de  Tempirc.  Vous  dites  alors  :  Il 
est  allé  se  divertir  [à  la  chasse]  ;  ou  :  11  s'est  enfui  et  il  a  aban- 
donné le  trône.  C'est  ce  que  j'ai  entendu  quand  je  suis  arrivé 
dans  l'Âderbidjân;  vous  disiez  :  Il  a  fui  devant  l'ennemi;  et 
vous  vouliez  envoyer  un  délégué  pour  payer  tribul  [à  l'en- 
nemi J.  Mais  je  vous  excuse,  espérant  que  vous  rentrerez  dans 


122  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

Tobëissance.  Mais  s'il  arrive  un  jour  que  vous  soyez  irrévé- 
rencieux, la  punition  que  je  vous  infligerai  sera  plus  sévère 
que  celle  que  vous  a  infligée  mon  père.  Dans  les  commence- 
ments, Yezdedjerd  a  agi  avec  bienveillance;  quand  vous  avez 
changé  et  que  vous  avez  montré  de  Tirrévérence,  il  a  égale- 
ment changé.  Si  je  m'absente  de  nouveau  et  que  vous  mon- 
triez de  l'irrévérence,  je  vous  punirai  plus  sévèrement  que  ne 
la  fait  mon  père. 

Après  cela,  Bahrâm  occupa  le  trône  pendant  deux  ans. 
11  distribua  beaucoup  d'argent  aux  pauvres,  et  donna  Tordre 
suivant  :  Voyez  combien  il  reste  dans  les  registres  de  l'impôt 
à  exiger  des  habitants  du  royaume.  On  examina  :  il  était  dû 
soixante  et  dix  millions  de  dirhems.  Bahrâm  en  fit  remise  à 
ses  sujets,  et  fit  brûler  les  comptes,  en  reconnaissance  de  cette 
grande  victoire  que  Dieu  lui  avait  accordée.  Aux  pères  de  fa- 
mille et  à  tous  ceux  qui  avaient  possédé  de  la  fortune  et  qui 
l'avaient  perdue  il  donna  des  sommes  considérables. 

Il  y  avait  en  Perse  un  homme  nommé  Mihr-Narsi,  très- 
considérable  et  de  grande  famille,  descendant  d'Isfendiâr, 
fils  de  Gouschtasp,  de  la  maison  royale.  C'était  un  homme 
très-savant,  et  il  n'y  avait  personne  en  Perse  de  plus  illustre 
que  lui  :  on  le  considérait  cohime  un  roi  et  un  souverain.  On 
l'appelait  par  un  surnom  Hezârbeiuiè,  à  cause  du  grand  nom- 
bre de  serviteurs  qu'il  avait.  Son  père  avait  été  le  vizir  de 
Yezdedjerd,  et  lui-même  fut  choisi  pour  vizir  par  Bahrâm,  qui 
lui  confia  toutes  les  afi*aires.  Le  peuple  en  était  content.  Bah- 
râm demeura  donc  deux  ans  au  milieu  du  peuple,  puis  il  dit 
au  vizir  :  Je  désirerais  posséder  celles  des  contrées  de  Tin- 
dostan,  du  pays  de  Sind  et  de  Tlnde  qui  entourent  mon 
empire.  Je  veux  donc  me  rendre  dans  l'Indostan,  seul,  et 
inspecter  ces  contrées,  leurs  armées  et  leurs  armements,  et 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXII.  123 

je  veux  voir  leur  roi;  puis  je  reviendrai.  En  conséquence,  il 
confia  Tarmée  et  le  gouvernement  au  vizir,  qI  se  rendit  seul , 
avec  son  cheval  et  son  armure ,  dans  Tlndostan ,  et  vint  dans 
la  résidence  du  roi.  Chaque  jour,  il  allait  seul  à  la  chasse,  et 
tirait  et  prenait  les  onagres  du  désert.  Les  Indiens  ne  le 
connaissaient  pas,  mais  ils  voyaient  sa  bravoure  et  admiraient 
sa  vaillance;  car  les  Indiens  ne  savent  pas  tirer  de  Tare.  On 
informa  le  roi  qu  il  était  venu  de  la  Perse  un  cavalier,  beau 
dévisage  et  de  taille  élevée,  qui  se  distinguait  par  sa  grande 
bravoure  et  sa  grande  force.  Le  roi  le  fit  appeler  auprès  de 
lui  et  lui  montra  de  la  bienveillance.  Bahrâm  vit  le  roi  el 
séjourna  là  pendant  une  année.  Or  on  fut  informé  dans  la 
ville  que,  dans  une  certaine  foret,  il  y  avait  un  éléphant  plus 
grand  que  tous  les  autres ,  auquel  les  éléphants  du  voisinage 
s'étaient  réunis.  Ils  attaquaient  et  tuaient  tous  ceux  qui  ve- 
naient de  Roum  dans  Tlnde,  de  sorte  que  cette  route  deve- 
nait impraticable  pour  les  hommes.  De  tous  les  soldats  que 
le  roi  de  Tlndostan  y  envoya  aucun  n  osa  les  approcher. 
Bahrâm  dit  :  Qu'un  seul  homme  vienne  avec  moi,  j'irai  seul 
combattre  cet  éléphant.  On  annonça  au  roi  que  ce  cavalier 
persan  voulait  aller  combattre  Téléphant.  Le  roi  envoya  avec 
lui  un  de  ses  hommes,  afin  qu'il  rapportât  des  renseigne- 
ments. Ils  partirent.  Quand  ils  furent  arrivés  dans  cette  forêt  ^ 
rhomme  du  roi  monta  sur  un  arbre  élevé,  pour  voir  ce  que 
Bahrâm  ferait  de  Téléphaut.  Bahrâm  s'approcha  de  l'éléphant, 
ajusta  une  flèche  sur  son  arc  et  poussa  un  cri  [pour  le  pro- 
voquer]. L'éléphant  venant  l'attaquer,  Bahrâm  dirigea  entre 
les  deux  yeux  de  l'animal  une  flèche  qui  entra  complètement. 
Pendant  que  l'éléphant  était  occupé  de  cette  flèche,  Bahrâm 
mit  pied  à  terre,  saisit  de  ses  deux  mains  la  trompe  de  l'élé- 
phant, la  tira  en  bas,  jusqu'à  ce  que  1  éléphant  tombât  sur  le 


MA  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

devaDt.  Puis  Balirâm  lui  frappa  le  cou  avec  son  épée,  lui 
trancha  la  tête,  ia  saisit  par  la  trompe,  la  mit  sur  son  dos, 
la  porta  hors  de  la  forêt  et  la  jeta  sur  la  route.  Le  peuple  le 
regarda  et  fut  dans  l'admiration.  L'envoyé  revint  et  raconta 
[tout  cela]  au  roi.  Le  roi  fut  très-étonné  et  fit  appeler  devant 
lui  Bahrâm.  Il  vit  en  lui  un  homme  de  bonnes  manières,  de 
haute  stature  et  d'une  grande  force.  Il  lui  dit  :  0  jeune 
homme,  qui  cs-tu?  Bahràm  dit  :  Je  suis  un  hahitant  de  la 
Perse,  descendant  des  grands  de  la  Perse.  Le  roi  de  Perse 
étant  irritiî  contre  moi,  j'ai  eu  peur  et  je  suis  venu  dans  la 
résidence,  pour  y  être  en  sûreté.  Le  roi  lui  témoigna  de  h 
bienveillance,  lui  donna  de  grandes  sommes  d'argent  et  or- 
donna (le  l'adjoindre  à  ses  familiers  ;  et  Bahràm  fut  dans  l'en- 
tourage du  roi  à  ta  chasse,  dans  les  expéditions  guerrières, 
et  partout;  et  chaque  jour  le  roi  vit  des  preuves  de  sa  bra- 
voure, de  sorte  qu'il  en  était  dans  l'admiration. 

Or  il  advint  qu'un  ennemi,  le  roi  de  Chine,  avec  une  nom- 
breuse armée,  vint  attaquer  le  roi  de  l'Inde.  Celui-ci  voulut 
lai  oITnrde  payer  tribut.  Babràm  lui  dit  :  Je  te  suffirai  à  moi 
seul.  Alors  le  roi  de  l'Inde  réunit  l'armée  et  alla  combattre 
l'ennemi;  et  Babràm  partit  avec  lui.  Ensuite  Babràm  alla 
seul  au-devant  de  l'euuemi  :  de  chaque  coup  d'epée  il  coupa 
en  deux  uu  bomme;  chaque  flèche  qu'il  lança  lit  lombcr 
quelqu'un,  et  chaque  coup  d'épée  qu'il  porta  abattit  pue 
trompe  d'éléphant;  de  sorte  qu'il  mit  en  fuite  l'armée  enne- 
mie et  que  le  roi  de  l'Inde  remporta  la  victoire.  Quand  il 
fut  de  retour,  il  donna  à  Bahràm  sa  lille  en  mariage  et  de 
grandes  richesses,  et  il  voulut  lui  transmettre  le  gouverne- 
ment et  le  faire  reconnaître  par  le  peuple.  Bahràm,  se  fai- 
sant connaître,  dit  au  roi  :  ie  sub  Bahràm,  roi  de  Perse.  La 
renommée  de  Bahràm  était  venue  jusqu'au  roi  de  l'Inde,  el 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXII.  125 

celui-ci  avait  vu  sa  bravoure  :  il  eut  des  appréhensions  à  son 
égard.  Bahrâm  lui  dit  :  Je  n'ai  que  faire  de  Fempire;  mais 
j'ai  voulu  te  voir,  et  voir  tes  sujets ,  tes  armements  et  ton  ar- 
mée. Maintenant  j'ai  vu  tout  cela  et  j'en  ai  connaissance,  et 
je  vais  retounier  dans  mon  propre  royaume;  donne-moi  les 
contrées  de  ton  royaume  qui  touchent  au  mien.  Le  roi  de 
l'Inde  accorda  à  Bahrâm  le  pays  de  Sind ,  le  Mekrân  et  toute 
la  contrée  voisine  de  la  Perse;  il  prit  pour  témoins  de  celte 
cession  les  grands  de  son  royaume.  Ensuite  Bahrâm  remit 
ces  contrées  à  ce  roi,  en  disant  :  Sois  mon  lieutenant  dans 
ces  contrées  et  envoie -moi  le  tribut.  Lui-même  prit  la  fille 
du  roi  et  retourna  dans  son  royaume.  Après  [une  absence 
de]  deux  ans,  il  trouva  le  pays  en  sécurité  entre  les  mains 
de  Narsi. 

Ensuite  Bahrâm  envoya  Narsi  avec  une  armée  en  Roum, 
pour  faire  la  conquête  des  villes  de  Roum  ou  forcer  le  roi  de 
Roum  à  lui  payer  tribut.  Narsi  avait  trois  fils,  capables  et 
fort  intelligents.  Bahrâm  en  fit  ses  ministres,  et  chacun  était 
à  la  tète  des  affaires  dans  sa  spécialité.  Le  premier  s'appelait 
Zerâwend;  il  avait  une  haute  science  et  était  très-savant  en 
théologie  :  Bahrâm  le  nomma  mobed  suprême,  en  élevant 
son  rang.  Le  nom  du  second  était  Bâdjinas;  il  connaissait  le 
calcul  et  la  chancellerie  :  Bahrâm  lui  donna  un  rang  élevé  et 
lui  attribua  la  cour  des  impôts  de  tout  l'empire.  Le  troisième 
s'appelait  Asmangân;  il  était  versé  danâ  l'art  militaire  et  avait 
de  la  bravoure  :  Bahrâm  le  nomma  général  de  l'armée.  Narsi 
partit  donc  avec  l'armée.  Le  roi  de  Roum  fit  la  paix  avec  lui 
et  consentit  à  payer  tribut.  Narsi  ramena  l'armée  en  parfait 
état  vers  Bahrâm ,  qui  en  fut  très-satisfait  et  le  combla  de 
distinctions.  Bahrâm  occupait  le  trône  et  possédait  l'empire 
sans  être  inquiété,  ayant  imposé  un  tribut  au  roi  des  Turcs, 


136  CHRONIQUE  DR  TABARL 

au  roi  Ae  l'Inde  et  au  roi  de  Rouir.  Naraî  demniida  ù  Ttalirilni 
t'aulorlsation  [de  se  relirer],  en  disant  :  J'ai  atteint  un  ilge 
avancé  et  je  suis  vieux;  maintenant  je  veux  m'adonneràu  ser- 
vice de  Dieu  et  m'occupcr  de  l'autre  monde.  Bahrâin  lui  ac- 
corda l'autorisalion,  et  Narst  se  retira  dans  sa  ville,  à  Arde- 
schtr-Khourè ,  où  il  s'adonna  au  culle  de  Dieu,  il  fonda  quatre 
bourgs ,  et  dans  chaque  bourg  un  temple  du  feu ,  un  pour  lui 
et  trois  pour  ses  fils.  Dans  chaque  bourg,  il  établit  quatre 
jardins,  et  dans  chaque  jardin  il  planta  mille  cyprès,  mille 
oliviers  ol  mille  palmiers,  et  légua  tous  ces  jardins  aux 
temples  du  feu.  Cest  là  qu'il  pratiquait  le  culte  de  Dieu.  Ses 
fits  étaient  en  grand  bonneur  auprès  de  Bahrâm,  qui  gouver- 
nait ainsi,  recevant  chaque  année  le  tribut  des  rois  (ci-dessus 
nommés),  jusqu'à  ce  qu'il  eût  régne'  pendant  vingt-trois  ans. 
Or,  un  jour,  il  était  allé  à  la  chasse;  il  poursuivit  un  onagre. 
Sur  sa  route  se  trouvait  un  puils  à  (leur  de  t«rre,  qui  ne  pa- 
raissait pas,  de  sorte  que  ni  lui  ni  son  cheval  ne  l'aperçurent. 
Les  pieds  du  cheval  ayant  touché  le  puilii,  Bahrâm  tomba  du 
cheval  dans  le  puits.  Pi'rsonne  n'osa  y  pénétrer,  à  cause  de 
sa  profondeur,  et  Bahrâm  périt.  On  en  informa  sa  mère,  qui  - 
se  rendit  à  l'orifice  de  ce  puits  avec  des  monceaux  d'argent, 
afin  de  faire  retirer  Bahram  et  de  l'ensevelir.  Elle  y  passa 
quarante  jours,  jusqu'à  ce  qu'on  eût  retiré  toute  l'eau  qui  se 
trouvait  dans  le  puits  ;  mais  on  ne  trouva  pas  Bahrâm  ;  alors 
elle  s'en  retourna.  Babrâm  avait  un  fils  nommé  Yczdedjerd, 
qui  monta  sur  le  trâne  après  son  père.  Il  pratiqua  la  justice 
et  l'équité  envers  ses  sujets  et  envers  l'armée. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXIII.  127 


CHAPITRE  XXIII. 

HISTOIRR  DE  YEZDEDJRRD,  FILS  DE  BAHRAM. 

Ensuite  Yezdedjcrd,  (ils  de  Balirâm,  monta  sur  le  trône, 
s'engagea  à  bien  traiter  ses  sujets ,  pratiqua  la  justice  et  Téquité 
et  rendit  le  monde  florissant.  Les  rois  lui  payèrent  tribut ^ 
comme  à  son  père.  11  rappela  Mihr-Narsi,  qui  avait  été  le  vizir 
de  son  père  et  de  son  grand-père,  de  sa  retraite  religieuse,  et 
en  fit  son  vizir,  dont  les  conseils  imprimèrent  une  marche 
heureuse  à  ses  aflaires.  Après  quelque  temps,  le  roi  de  Roum 
refusa  de  payer  le  tribut.  Yezdedjerd  envoya  Mihr-Narsî  avec 
une  armée  contre  lui,  de  même  qu'avait  fait  son  père,  pour 
ramener  le  roi  de  Roum  à  la  soumission.  Yezdedjerd  régna 
dix-huit  ans.  On  l'appelait  d'un  surnom  le  dénient.  Il  avait 
deux  fils  :  Tainé,  appelé  Firouz;  le  puîné,  Hormuzd.  Il  avait 
envoyé  Firouz  dans  le  Seïstân  et  gardé  Hormuzd  auprès  de 
lui.  Quand  Yezdedjerd  mourut,  Hormuzd  saisit  le  gouverne- 
ment. Firouz,  quand  il  en  fut  informé,  quitta  le  Seïstân  et 
se  rendit  auprès  du  roi  des  Heyàtelites  (Euthalitcs),  nommé 
Khouschnewàz,  vers  le  Ghardjistân,  le  Tokhâristân,  Balkh, 
le  Bedekbschân,  etc.  11  lui  fit  connaître  sa  condition  et  lui 
dit  :  Mon  frère,  plus  jeune  que  moi,  s  est  emparé  du  trône  de 
mon  père,  qui  m'appartient  de  droit,  comme  à Tainé.  Donne- 
moi  une  armée  et  aide-moi  à  recouvrer  le  royaume  sur  mon 
frère.  Le  roi  des  Heyàtelites  lui  accorda  un  commandement 
et  lui  donna  la  ville  de  Tàleqân;  il  lui  prodigua  ses  faveurs, 
mais  il  ne  lui  permit  pas  de  faire  la  guerre  à  son  frère  Hor- 
muzd. Firouz  demeura  là.  Après  plusieurs  années,  Hormusd 
commença  h  opprimer  ses  sujets  et  à  exercer  l'injustice.  Les 


128  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

habitaiiU  de  la  Perse  s'eiifuircnt  et  se  rendirent  auprès  de 
Firouz,  à  Tâleqân,  où  ils  se  réunirent  en  nombre  considé- 
rable. Quand  le  roi  des  Heyâteiites  en  fut  instruit,  il  dit  : 
Dieu  n  aime  pas  l'oppression  des  sujets,  et  un  royaume  ne 
peut  pas  subsister  par  la  tyrannie.  Ensuite  il  donna  à  Firouz 
une  armée.  Firouz  partit,  combattit  son  frère  Hormuzd  et  le 
tua,  ainsi  que  trois  personnes  de  sa  famille.  Il  s'empara  du 
gouvernement  de  Perse,  et  Tarmée  de  Perse  se  soumit  à  lui. 
Puis  il  renvoya  Taimée  beyâtelite  en  son  pays,  après  lavoir 
comblée  de  marques  de  sa  reconnaissance. 

Le  nom  de  Heyâtelè  est  le  pluriel  de  Hattâl,  qui,  dans  la 
langue  de  Bokhara,  désigne  trun  homme  fort?).  La  «r forcer, 
dans  la  langue  de  Bokhara,  se  dit  hattâl;  ce  mot  a  été,  dans 
la  langue  arabe,  changé  eu  hattâl. 


CHAPITRE  XXIV. 

HISTOIRE  DE  FIROUZ,  FILS  DE  TEZDEDJERD. 

Quand  Firouz ,  fils  de  Yezdedjerd ,  fut  monté  sur  le  trône 
et  qu'il  eut  saisi  les  rênes  du  gouveniement,  il  se  conduisit 
avec  sagesse  et  gouverna  avec  justice.  Il  régna  vingt-sept 
ans,  ou,  selon  d'autres,  vingt-six  ans.  On  l'appelle  en  persan 
Pîf^uz.  Après  qu'il  eut  régné  sept  ans,  la  pluie  du  ciel  vint 
à  manquer  en  Perse,  et  il  y  eut,  cette  année,  dans  tout  le 
royaume,  une  famine,  et  les  vivres  manquèrent.  Alors  Firouz 
envoya  dans  chaque  ville  des  ordres,  afin  que  l'on  prit  des 
vivres  de  la  main  des  riches  pour  les  donner  aux  pauvres.  II 
écrivit  aux  chefs  de  toutes  les  villes ,  en  leur  disant  :  Donnez 
de  la  nourriture  aux  pauvres  ;  n'en  transportez  pas  d*une  villç 
dans  uneautre  ;  et  si  dans  une  ville  quelqu'un  meurt  de  faim , 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXIV.  129 

je  ferai  mettre  à  mort  |>our  lui  un  riche.  Les  hommes  ne 
laissèrent  manquer  en  aucune  façon  les  pauvres  de  nourri- 
ture; et  Firouz  tint  la  main  à  Tcxécution  de  ce  mode  d'ad- 
ministration et  de  ce  bien.  La  famine  dura  ainsi  deux  ans  : 
la  pluie  ne  tomba  pas,  et  la  terre  ne  produisit  aucune  espèce 
de  plante.  I^a  troisième  année,  Firouz  renonça  à  son  revenu 
pour  tout  le  royaume  et  ne  prit  rien  de  ses  sujets;  il  distri- 
bua toute  la  fortune  qu  il  possédait  aux  pauvres,  et  écrivit  à 
ses  lieutenants  d'en  faire  autant,  et  il  suspendit  tout  impôt 
et  toutes  contributions;  il  ordonna  aux  riches  de  venir  en 
aide  aux  pauvres.  Pendant  les  sept  années  que  dura  la  fa- 
mine, il  ne  mourut  personne  de  faim  dans  son  royaume, 
sauf  un  seul  homme,  et  Firouz  ordonna  que,  en  expiation 
de  ce  malheur,  on  donnât  cent  mille  dirhems  aux  pauvres ,  à 
cause  [de  la  mort]  de  cet  homme.  Dans  les  commencements, 
Firouz  avait  été  oppresseur  et  avait  fait  le  mal.  Quand  cette 
famine  survint,  il  se  repentit.  Alors  Dieu  agréa  son  repentir: 
les  fruits  devinrent  abondants,  la  pluie  commença  à  tomber 
et  les  sources  à  jaillir.  A  cette  époque,  la  coutume  de  payer 
rimpdt  n'existait  pas  encore;  elle  ne  s'introduisit  que  sous  le 
règne  de  Qobâd,  (ils  de  Firouz,  qui  lit  mesurer  les  champs; 
et,  après  Qobiid,  ce  fut  Nouschirwân  qui  exigea  du  peuple 
l'impôt.  Nous  raconterons  dans  l'histoire  du  règne  de  chacun 
d'eux  quelle  fut  l'origine  [de  cette  innovation].  Mais  du  temps 
de  Firouz,  il  existait  la  coutume  que  des  produits  de  tout 
champ,  en  fait  de  grains,  de  raisin  ou  de  fruits,  le  roi  prenait 
une  partie,  soit  un  dixième,  soit  un  cinquième  ou  même 
un  quart,  selon  que  l'eau  était  près  ou  loin,  selon  la  plus 
ou  moins  grande  fertilité  du  sol  et  selon  l'abondance  ou  le 
manque  d'eau.  Or,  dans  la  troisième  année  de  la  stérilité  et 
de  la  famine,   Firouz  renonça  aux  contributions  en  nature 
n.  9 


130  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

pour  tous  ses  sujets,  qui,  par  suite,  se  trouvèrent  dans  le 
bien-être.  Dans  la  quatrième  année,  le  roi,  sachant  qu'il  ne 
restait  plus  rien  au  peuple,  ouvrit  ses  trésors  et  y  prit  tout 
ce  qu'il  y  avait  en  fait  d'or,  d'argent  et  de  joyaux.  Il  envoya 
des  charges  d'or  et  d'argent  aux  autres  rois ,  aux  rois  de  Roum , 
de  l'Inde,  au  roi  des  Turcs  et  au  roi  d'Âbyssinie;  et  l'on  rap- 
porta de  tous  ces  endroits  des  charges  de  vivres  dans  son  em- 
pire, et  il  les  distribua  aux  hommes.  Cette  famine  dura  sept 
ans  dans  le  royaume  de  Perse,  et  pendant  ces  sept  années, 
il  ne  mourut  dans  tout  le  royaume  personne  de  faim,  ni 
homme,  ni  fenmie,  ni  grand,  ni  petit,  par  suit«  des  bonnes 
dispositions  que  Firouz  avait  prises.  Les  rois  de  l'univers 
étaient  dans  l'admiration  de  ces  bonnes  dispositions.  La  sté- 
rilité augmenta  d'année  en  année,  et  devint  telle  qu'il  n'y 
eût  plus  d'eau  dans  le  Djrhoun  et  dans  le  Tigre;  toutes  les 
sources  et  fontaines,  tous  les  fleuves  et  les  ruisseaux  tari- 
rent; il  ne  poussait  aucune  espèce  d'herbe;  les  bétes  de  la 
plaine  et  les  oiseaux  dans  l'air  périrent;  de  façon  que  dans 
cet  empire  il  ne  resta  plus  et  qu'on  ne  voyait  plus  voler  aucun 
oiseau;  il  ne  resta  ni  béte  fauve,  ni  reptile.  Mais  Firouz  veilla 
sur  la  vie  de  ses  sujets,  leur  distribua  de  la  nourriture,  et 
aucun  d'eux  ne  quitta  le  pays. 

Firouz  fut  instruit  que  ses  sujets  disaient  :  Ce  roi  est  un 
infortuné,  et  tout  ce  malheur  provient  de  sa  mauvaise  fortune; 
depuis  que  le  monde  existe,  il  n'y  a  jamais  eu  une  adversité 
pareille.  Plus  les  sujets  parlaient  ainsi,  moins  Firouz  se  lassait 
de  distribuer  des  vivres  et  d'accomplir  la  bienfaisance  et  de 
donner  Taumdne.  Enfin  Dieu  exauça  les  prières  et  les  suppli- 
cations des  hommes,  et,  après  sept  années  entières,  il  fil  tom- 
ber de  la  pluie  du  ciel;  les  sources,  les  fontaines  et  les  fleuves 
se  remplirent  d'eau;  des  plantes  sortirent  de  la  terre,  les 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXV.  131 

arbres  pousseront  des  feuilles,  et  il  parut  des  fruits.  Le  monde 
rentra  dans  son  état  normal  et  les  hommes  vécurent  dans 
Tabondance.  Après  deux  ou  trois  ans,  partout  où  il  y  avait 
dans  Tempire  une  ville  ou  un  bourg  ou  un  endroit  quelconque 
qui,  pendant  les  années  de  la  disette,  était  tombé  en  ruines 
et  qui  n  avait  pas  pu  être  reconstruit,  on  le  rétablit;  et  là  où 
le  propriétaire  n'était  pas  en  état  de  le  faire ,  Firouz  le  fit  de 
ses  propres  ressources,  jusqu'à  ce  que  tout  son  royaume  fût 
florissant.  Firouz  fonda  dans  le  royaume  trois  villes  :  une  sur 
le  teiTÎtoire  de  Reï,  nommée  Râm-Pîrouz;  une  autre  sur  le 
territoire  de  Gorgân,  nommée  Rouschen-PiVouz;  et  il  fonda 
une  ville  dans  rAderbidjân,  nommée  également  Ràm-Pîrouz. 
Quand  ces  villes  furent  terminées,  un  autre  roi  monta  sur  le 
trône. 

CHAPITRE  XXV. 

IIISTOIRB   DE   FIROUZ   ET   DE   KHOUSCUNEWÂZ,  ROI   DBS  HEYATELITSS. 

Mo'hammed,  fils  de  Djarir,  dit  :  Lorsque  les  affaires  de 
Firouz  furent  en  bonne  voie  et  que  le  peuple  eut  confiance 
en  lui,  il  advint  que  le  roi  des  Heyâtelites,  dans  le  Balkh, 
le  Tokhâristân,  le  Gbardjistan  et  dans  tout  son  empire,  exer- 
çait une  grande  oppression  sur  ses  sujets.  Il  se  mit  à  suivre  la 
coutume  du  peuple  de  Lot;  et  quiconque  de  ses  sujets,  entre 
les  grands  ou  les  petits,  avait  un  fils  de  belle  figure,  il  le  lui 
enleva,  en  fit  son  esclave  et  eut  commerce  avec  lui.  Alors 
beaucoup  de  personnes  quittèrent  son  royaume,  s'enfuirent 
auprès  de  Firouz  et  se  plaignirent  de  lui.  Firouz  lui  envoya 
un  messager  et  lui  fit  dire  :  J'ai  des  obligations  envers  toi, 
mais  j'ai  des  obligations  plus  grandes  envers  Dieu.  Ces  gens 

9- 


132  CHRONIQUE  DE  TABAKI. 

sont  venus  auprès  de  moi  pour  implorer  mon  assistance.  Re- 
nonce à  cette  mauvaise  conduite  et  à  cette  tyrannie,  sinon 
j'enverrai  une  armée  contre  toi.  Firouz  envoya  ainsi  un  ou 
deux  messagers;  mais  le  roi  ne  prêta  pas  attention  à  ses 
paroles.  11  se  passa  ainsi  quatre  ans,  et  les  hommes  heyâte- 
lites  furent  très-nombreux  à  la  cour  de  Firouz.  Firouz  ras- 
sembla une  armée  perse  et  déclara  la  guerre  au  roi  des  Heyâ- 
telites.  Quand  il  arriva  près  du  territoire  de  Balkh,  et  qu'il 
ne  fut  séparé  des  Heyâtelites  que  par  le  désert  de  Merw,  que 
Ton  appelle  le  disert  intérieur,  le  roi  des  Heyâtelites  convoqua 
ses  généraux  et  leur  dit  :  Que  faut-il  faire?  Car  notre  armée 
ne  peut  pas  se  mesurer  avec  Tarmée  perse  et  ne  peut  pas  la 
vaincre  dans  le  combat.  L'un  des  généraux,  un  homme  con- 
sidéré et  âgé,  se  leva  et  dit  :  0  roi,  si  tu  t'engages  envers 
moi  à  bien  traiter  ma  famille  et  mes  enfants  après  ma  mort, 
et  à  leur  donner  des  biens,  afin  qu'ils  soient  rièhes,  je  veux 
sacrifier  ma  vie,  faire  périr  Farmée  ennemie  et  te  débarrasser 
d'elle.  Le  roi  dit  :  Comment  feras-tu?  L'autre  répondit  :  Fais- 
moi  couper  les  mains  et  les  pieds  et  fais-moi  jeter  sur  le  bord 
du  désert,  là  oi^  Firouz  doit  passer,  pour  que  lui  et  son 
armée  me  rencontrent.  Je  lui  dirai  que  tu  m'as  mis  dans  cet 
état,  je  me  plaindrai  de  toi,  puis  je  lui  dirai  :  Je  te  mon- 
trerai un  chemin  pour  parvenir  jusqu'à  lui,  à  travers  le  dé- 
sert, afin  que  tu  puisses  l'attaquer  et  le  prendre  à  l'impro- 
viste.  De  cette  façon,  je  l'amènerai,  lui  et  toute  son  armée, 
dans  le  désert,  je  les  égarerai,  et  tous  périront;  et  si  je  péris 
avec  eux,  cela  n'importe.  Le  roi  des  Heyâtelites  lui  dit  :  Si 
tu  trouves  la  mort,  quel  avantage  auras-tu,  si  je  triomphe? 
L*autre  répondit  :  Je  suis  un  honmie  âgé  et  j'ai  vu  pendant 
longtemps  le  monde  ;  je  veux  le  quitter  par  une  action  par 
laquelle  j'y  laisserai  une  trace,  et  qui  fera  que  ma  famille, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXV.  133 

• 

après  moi ,  ne  restera  pas  dans  le  besoin.  Le  roi  lui  donna  de 
Targent,  lui  fit  couper  les  mains  el  les  pieds  et  le  fit  jeter 
sur  la  lisière  du  désert,  à  Tendroit  où  Firouz  devait  passer. 
Quand  Firouz  y  arriva  avec  son  armée,  on  l'avertit  qu'il  y  avait 
là  un  homme  à  qui  on  avait  coupé  les  mains  et  les  pieds.  Ff- 
rouz  le  fit  venir  devant  lui  et  l'interrogea  sur  son  état;  l'autre 
lui  dit  qui  il  était.  Il  y  avait  auprès  de  Firouz  quelques-uns 
de  ceux  qui  étaient  venus  lui  demander  son  secours.  Ils  co'tH 
naissaient  cet  homme  et  dirent  :  C'est  un  grand  général  de 
Khouschnewâz.  Cet  homme  raconta  :  J'ai  dit  au  roi  des  Heyâ- 
telites  :  N'opprime  pas  tes  sujets;  crains  Dieu  et  le  roi  de 
Perse,  qui  viendra  t'attaquer  avec  une  armée  et  contre  lequel 
tu  ne  pourras  lutter.  Alors  il  m'a  fait  traiter  ainsi,  et  m'a  fait 
jeter  sur  cette  lisière  du  désert,  afin  que  j'y  meure.  Firouz 
eut  pitié  de  lui  et  lui  dit  :  Ne  t'afflige  pas;  car  je  te  mènerai 
avec  moi;  je  lui  ferai  la  guerre  el  le  tuerai,  et  puis  je  te 
ramènerai  dans  ma  propre  maison.  L'homme  aux  pieds' et 
aux  mains  coupés  rendit  beaucoup  de  grâces  à  Firouz  et  dit  : 
0  roi,  si  Khouschnewâz  n'a  pas  agréé  mon  conseil,  accepte- 
le,  toi,  car  je  te  dois  de  la  reconnaissance  pour  les  bonnes 

.        

intentions  que  tu  as  à  mon  égard.  Tu  es  séparé  de  Khousch- 
newâz par  une  distance  de  vingt  jours  de  route.  Quand  tu 
l'auras  atteint,  il  aura  préparé  une  nombreuse  armée,  il 
engagera  la  lutte  avec  toi,  et  la  guerre  est  une  chose  risquée; 
tu  ne  sais  pas  à  qui  sera  la  victoire.  Je  connais  dans  ce  désert 
une  route  non  tracée,  par  laquelle  tu  pourras  l'atteindre  en 
cinq  jours;  tu  le  surprendras  et  t'empareras  de  lui,  sans 
qu'il  puisse  faire  aucune  résistance.  Il  n'y  a  dans  ce  chemin 
aucune  diflicuilé,  sauf  qu'il  faut  prendre  avec  toi  de  l'eau 
pour  cinq  jours;  le  sixième  jour,  tu  auras  atteint  la  terre  cul- 
tivée. Ce  conseil  plut  à  Firouz.  Il  avait  avec  lui  cinquante  mille 


134  CHRONIQUE  DE  TABARf. 

• 

soldais;  il  leur  ordouna  de  se  pourvoir  d'eau  el  de  nourri- 
ture pour  cinq  à  dix  jours  environ.  I^s  hommes  Tavertirent, 
en  lui  disant  :  0  roi,  ce  dessein  est  mauvais,  le  désert  est 
qn  grand  danger.  Mais  lui  ne  les  écouta  pas.  Ils  lui  dirent 
encore  :  Cest  un  endroit  suspect,  et  il  se  peut  que  Khousch- 
newàz  ait  usé  de  ruse  avec  nous  et  qu'il  ait  envoyé  perlide- 
meut  cet  homme  ici,  pour  qu'il  nous  détourne  du  droit  che- 
min, afin  que  nous  périsëions  dans  le  désert  Firouz  dit  :  Cela 
ne  peut  pas  être;  car  si  Khouschnewâz  usait  de  ruse  avec 
moi,  cet  homme  n'aurait  pas  consenti  à  être  estropié  des 
mains  et  des  pieds  à  cause  de  lui;  et  si  nous  périssons  et  que 
Khouschnewâz  garde  son  pouvoir,  quel  avantage  en  aura  cet 
homme  après  être  mort?  Firouz  ne  crut  à  personne,  et  il 
entra  avec  toute  son  armée  dans  ce  désert.  L'homme  le  mena 
par  le  chemin  le  plus  long  et  le  plus  difficile,  dépourvu 
d'eau.  Il  se  passa  ainsi  cinq,  six  et  s(q)t  jours.  Chaque  jour, 
il  disait  :  Encore  un  peu  de  temps,  demain  nous  arriverons 
à  l'eau;  puis,  le  lendemain,  il  disait  de  même,  jusqu'à  ce 
qu'il  se  fût  passé  quinze  jours.  Leur  eau  était  consommée,  les 
hommes  commencèrent  à  mourir,  et  les  animaux  tombèrent 
de  soif.  Cet  homme  disait  chaque  jour  :  Nous  allons  arriver. 
FJrouz  voulut  le  tuer;  mais  il  se  dit  :  Qu'adviendrait-il  de  sa 
mort?  Il  ne  serait  pas  bon  de  le  tuer;  car,  même  pour  la  con- 
servation de  sa  propre  vie,  il  cherchera,  n'importe  comment, 
un  moyen  de  nous  faire  sortir  quelque  part;  si  je  le  fais  tuer, 
nous  resterons  errants  dans  ce  désert.  Cet  homme  les  conduisit 
donc  ainsi;  chaque  jour,  il  disait  :  Nous  avons  manqué  telle 
station ,  c'est  pour  cela  que  le  chemin  est  si  long,  et  il  s'excu- 
sait. A  chaque  halte,  il  mourait  un  grand  nombre  d'hommes; 
après  vingt  jours,  l'homme  aux  pieds  et  aux  mains  coupés 
mourut  également.  Firouz  fut  désolé  et  songea  à  mourir.  Il 


PARTIE  IL,  CHAPITRE  XXV.  135 

rëunit  tous  les  hommes  de  son  armée  qui  avaient  subsisté  et 
il  leur  dit  :  Quoique  je  n'aie  pas  suivi  votre  volonté,  ne  me 
refusez  pas  votre  conseil  ;  car  ce  malheur  atteint  tous;  il  n'est 
pas  ainsi  que,  si  je  mourais,  vous  en  échapperiez;  mais  vous 
péririez  également.  Alors  ils  répondirent:  0  roi,  nous  avions 
bien  dit  que  c'était  une  ruse ,  mais  tu  ne  nous  as  pas  suivis  ; 
maintenant  que  nous  y  sommes  en{;agés,  notre  moyen  de 
salut  est  que  nous  marchions  en  avant;  car  si  nous  restons 
sur  place,  la  mort  n'est  point  douteuse,  et  si  nous  retour- 
nons, nous  n'échapperons  pas  non  plus  à  la  mort,  parce  que 
nous  ne  pouvons  plus  faire  tout  ce  chemin.  11  faut  donc  mar- 
cher en  avant,  où  nous  avons  également  la  mort  à  redouter, 
mais  en  même  temps  l'espoir  du  salut,  de  sortir  quelque  part 
sur  la  terre  cultivée.  Si  nous  mourons,  au  moins  aurons-nous 
fait  notre  possible.  Firouz  marcha  encore  trois  jours  ainsi, 
et  arriva  enfin  à  la  terre  cultivée,  à  la  frontière  du  royaume 
de  Khouschnewâz.  Des  cinquante  mille  hommes  qu'il  avait 
eus  avec  lui,  il  en  restait  moins  de  mille;  les  autres  étaient  tous 
morts.  Arrivés  sur  la  terre  cultivée,  ils  mangèrent  et  burent, 
et  se  reposèrent  pendant  trois  jours.  Puis  ces  hommes  dirent 
à  Firouz  :  0  roi ,  il  ne  nous  reste  d'autre  moyen  que  de  nous 
rendre  à  discrétion  à  Khouschnewâz;  car  nous  sommes  pri- 
sonniers dans  son  pays;  il  nous  prendra,  n'importe  où  nous 
puissions  nous  enfuir,  il  faut  nous  rendre  à  lui;  peut-être 
nous  laissera-t-il  la  vie.  Firouz  consentit.  Il  envoya  un  mes- 
sager à  Khouschnewâz,  avoua  sa  faute,  en  demanda  pardoo 
et  se  mit  sous  sa  protection.  Khouschnewâz  lui  fit  d^s  repro- 
ches, en  disant  :  Je  fai  fait  tant  de  bien;  tu  es  venu,  cher- 
chant du  secours  contre  ton  frère,  auprès  de  moi;  je  t'ai  bien 
reçu,  je  t'ai  rendu  le  pouvoir,  je  t'ai  confié  une  armée,  afin  que 
tu  pusses  soumettre  ton  frère  et  reprendre  la  couronne.  Or  tu 


136  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

a'as  pas  été  reconuaissaut  envers  moi  el  tu  m'as  attaqué  avec 
une  armée.  Des  hommes  se  sont  enfuis  d'auprès  de  moi,  ils 
sont  allés  te  trouver,  ils  t'ont  trompé,  et  tu  as  été  pris  par  leurs 
paroles  et  tu  as  mis  de  côté  la  reconnaissance  que  tu  me  de- 
vais. Mais  Dieu  t'a  frappé  :  cet  homme  qui,  d'après  ce  que  vous 
racontez,  t'a  amené  dans  le  désert,  je  ne  le  connais  pas,  je 
ne  sais  pas  qui  il  est.  C'était  peut-être  un  ange  que  Dieu  avait 
envoyé  du  ciel  sous  la  forme  de  cet  homme,  pour  qu'il  te 
frappât  à  cause  de  ton  ingratitude  envers  moi.  Maintenant 
que  tu  conviens  de  ta  faute,  je  te  pardonne  et  je  t'accorde  ma 
protection,  je  t'adopte  comme  mon  (Ils.  Je  te  renverrai  dans 
ton  pays,  à  cette  condition  que  tu  feras  avec  moi  un  traité 
et  que  tu  t'engageras  par  serment  à  ne  jamais  venir  me  faire 
la  guerre,  à  ne  pas  envoyer  contre  moi  une  armée  et  à  ne 
pas  t'allier  à  un  de  mes  ennemis.  Je  vais  faire  ériger,  à  l'en- 
droit qui  sépare  mon  royaume  du  tien,  une  colonne  de  pierre. 
Je  vais  t'y  conduire,  afin  que  tu  jures  que  jamais,  ni  toi,  ni 
aucun  des  tiens ,  ne  viendrez  de  ce  côté-ci  de  la  colonne ,  qui 
sera  la  frontière.  Mais  si  tu  romps  les  engagements  ou  si  tu 
uses  de  ruse,  ta  propre  armée  se  détournera  de  toi,  et  Dieu 
t'accablera  de  malédictions,  parce  que  tu  auras  fait  un  faux 
serment. 

Khouschnewâz  congédia  le  messager  avec  bonté  el  envoya 
à  Firouz  de  la  nourriture  et  beaucoup  de  cadeaux  en  fait  de 
vêtements ,  de  tapis ,  de  vases  et  d'animaux.  11  lui  fit  dire  : 
Reste  à  l'endroit  où  tu  te  trouves;  j'y  enverrai  quelqu'un  et 
ferai  élever  à  cette  frontière  une  colonne  ;  on  te  conduira  au 
pied  de  cette  colonne,  on  t*y  fera  prêter  serment,  et  Ton 
prendra  ton  engagement  et  ta  foi.  Quand  le  messager  revint 
et  rapporta  ce  message,  et  que  Ftrouz  vit  les  cadeaux,  il  fut 
charme  de  ce  qu'il  lui  laissait  la  vie  ei  qu'il  lui  accordait  sa 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXV.  187 

proleciion.  H  consentit  à  prêter  le  serment.  Le  roi  des  Heyâ- 
lelites  lit  venir  des  montagnes  une  pierre,  la  lit  transporter 
au  déseit,  et  lit  ériger  à  Textréme  frontière  une  colonne,  tout 
entière  d'une  seule  pierre,  afin  quelle  durât  éternellement. 
On  y  travailla  six  mois.  Fîrouz  et  ses  compagnons  y  demeu  • 
rèrent,  et,  chaque  mois,  Khouschnewàz  lui  envoya  un  nou- 
veau cadeau. 

Quand  la  colonne  fut  terminée,  Khouschnewàz  délégua 
les  officiers,  les  commandants  de  son  armée  et  des  conseil- 
lers du  Tokhâristân  vers  Firouz ,  afin  qu  ils  l'amenassent  de- 
vant la  colonne  et  lui  fissent  jurer  de  ne  jamais  franchir  la 
limite  de  cette  colonne,  de  ne  jamais  la  déplacer  ni  la  dé- 
truire. Quand  Firouz  eut  prêté  le  serment,  ils  rédigèrent  un 
acte,  prirent  tous  ces  vieillards  comme  témoins  et  y  insé- 
rèrent leur  témoignage.  Ensuite  Khouschnewàz  lui  fit  des 
cadeaux  et  lui  donna  de  grands  biens,  et  Firouz  partit. 

Firouz  sentit  de  la  honte  de  retourner  de  là  de  cette  ma- 
nière. Ses  soldats  lui  dirent  :  Ce  roi  a  très-bien  agi  en  Rac- 
cordant la  vie,  ainsi  qu'à  nous.  Mais  lui  il  garda  le  silence. 
11  reprit  le  gouvernement,  et  il  se  passa  ainsi  trois  ou 
quatre  ans,  et  ses  affaires  reprirent  leur  cours  régulier.  Puis, 
ne  pouvant  pas  supporter  la  honte  plus  longtemps ,  il  fit  ve- 
nir le  mobed  suprême,  lui  exposa  tout  ce  qu'il  avait  sur  le 
cœur,  et  lui  dit  :  Je  ne  peux  plus  endurer  cette  ignominie,  et 
je  veux  faire  marcher  une  armée  contre  le  roi  des  Heyâte- 
lites.  Le  mobed  suprême  lui  répondit  :  11  ne  faut  pas  rompre 
le  traité  et  ton  engagement,  et  te  parjurer;  Dieu  n  agrée 
pas  cela  et  ne  le  favorise  pas.  L'armée  ne  te  secourra  pas, 
et  si  tu  veux  la  conduire  à  commettre  l'injustice,  elle  ne 
combattra  pas.  Firouz  dit  :  Je  saurai  employer  un  strata- 
gème, pour  que  je  ne  sois  pas  parjure.  Le  mobed  dit:  Le 


138  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

parjure  ne  devient  pas  louable  par  un  stratagème.  Firoux  ne 
tint  pas  compte  des  paroles  du  mobed;  il  rassembla  son  ar- 
mée et  lui  exposa  cette  affaire.  Les  soldats  lui  donnèrent  la 
même  réponse  que  le  mobed  suprême;  mais  il  n'écouta  per- 
sonne, et  fit,  pendant  une  année,  des  préparatifs  de  guerre. 
Il  y  avait  un  homme  en  grand  honneur  en  Perse,  nommé 
Souferaï;  il  descendait  de  Menoutschehr,  et  les  Perses  le  te- 
naient en  grande  estime.  Il  é(ait  gouverneur  du  Seîstàn ,  et 
avait  été  nommé  à  ce  poste  par  Firouz.  (Tétait  un  homme 
âgé,-  intelligent  et  sûr.  Firouz  avait  mis  sa  confiance  en 
lui  ;  il  le  rappela  du  Seîstân ,  l'institua  lieutenant  sur  tout  le 
royaume  et  lui  confia  la  garde  de  sa  maison,  de  sa  famille, 
de  ses  trésors  et  de  toute  Tarmée  qui  y  restait ,  afin  qu  il  con- 
duisit les  affaires.  Firouz  avait  deux  fils,  dont  Tun  s'appelait 
Balâsch ,  et  l'autre  Qobâd.  11  avait  aussi  une  fille  très-belle , 
nommée  Firouz-Dokht,  douée  d'intelligence  et  de  discerne- 
ment, qu'il  affectionnait  particulièrement  et  qu'il  avait  l'ha- 
bitude de  consulter.  11  emmena  cette  jeune  fille  avec  lui  et 
laissa  ses  deux  fib  sous  la  garde  de  Souferaï.  Les  chefs  de 
l'armée  et  le  mobed  dirent  à  Firouz  :  Cette  manière  d'agir 
n'est  pas  juste  ;  tu  mènes  à  la  guerre  une  femme ,  et  tu 
laisses  tes  fils  à  la  maison.  Firouz  n'écouta  personne  et  ne 
tint  aucun  compte  de  l'avis  du  mobed.  Il  emmena  donc  sa 
fille  avec  lui,  ainsi  que  le  mobed,  et  rassembla  une  armée  de 
cent  mille  hommes  et  cinq  cents  éléphants,  et  marcha  vers 
la  frontière  où  était  érigée  la  colonne,  et  là  il  fit  halte.  Cette 
colonne  était  de  pierre,  sur  laquelle  on  avait  versé  du  cuivre 
liquide ,  de  façon  qu  elle  devint  toute  d'une  pièce.  Firouz  dit  : 
l'ai  pris  l'engagement  de  ne  jamais  dépasser  la  limite  de  cette 
colonne,  et  il  ne  faut  pas  non  plus  la  détruire  :  arrachei-la 
et  étendez-la  par  terre.  Ils  firent  ainsi ,  et  la  colonne  tomba 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXV.  139 

de  loute  sa  longueur  sur  le  sol.  Ensuite  il  fit  amener  des  cha- 
riots et  placer  la  colonne  sur  ces  chariots ,  et  y  fit  atteler  des 
éléphants  qui  devaient  les  trajner,  cinquante  éléphants,  quil 
fit.  diriger  par  trois  cents  hommes,  et  il  dit  :  Il  m'est  défendu 
par  serment  de  franchir  cette  colonne;  trainez-la  devant  moi, 
afin  que  je  la  suive  avec  toute  mon  année,  et  que  le  serment 
ne  soit  pas  rompu.  Quelques-uns  disent  que  c^est  Bahrâm- 
gour  qui  avait  érigé  cette  colonne  entre  le  Khoràsàn  et  le 
Turkestan. 

Quand  Firouz  exécuta  cette  ruse,  le  mohed  lui  dit  :  0  roi, 
cette  ruse  ne  sert  de  rien;  tu  seras  parjure;  si  ces  sortes  de 
ruses  étaient  justes,  on  ne  ferait  jamais  de  traité  de  paix.  Fi- 
rouz ne  tint  pas  compte  des  paroles  du  mobed,  et  il  fit  mar- 
cher Tarmée  derrière  la  colonne. 

Lorsque  Khouschnewàz  reçut  cette  nouvelle,  il  rassembla 
son  armée  et  marcha  vers  la  frontière  de  fialkh  et  du  To- 
khàristân,  et  y  établi!  un  camp.  Il  savait  quil  ne  pourrait 
pas  lutter  contre  Firouz  et  Farmée  perse;  alors  il  fit  creuser 
un  énorme  fossé  autour  de  son  camp,  profond  de  dix  cou- 
dées et  large  de  vingt.  On  le  remplit  d'eau,  on  le  couvrit 
de  faibles  branches  et  de  terre,  et  on  cacha  entièrement  le 
fossé.  Ensuite  il  fit  pratiquer  une  route  étroite,  par  laquelle 
il  passa  avec  son  armée,  et  se  tint  dans  son  camp.  Quand 
Firouz  et  son  armée  arrivèrent  en  vue  du  camp,  et  que 
Khouschnewàz  vit  cette  armée  et  la  colonne,  il  eut  peur.  Le 
lendemain,  il  monta  à  cheval  et  se  rendit  seul  hors  de  son 
camp.  Il  se  plaça  entre  les  deux  armées,  et  cria  :  Je  suis  le 
roi  Khouschnewàz;  dites  à  Firouz,  roi  de  Perse,  de  venir  ici 
seul,  afin  que  je  lui  parle;  car  cette  hostilité  est  en  dehors  des 
deux  armées.  L'armée  perse  avait  de  la  répugnance  à  com- 
battre et  n'était  venue  que  malgré  elle.  Les  soldats  dirent  à 


UO  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

FIrouz  :  Sors,  pour  voir  ce  que  dira  cet  homme;  il  est  seul, 
va  Clément  seul.  Firouz  moota  à  cheval,  sortit  tout  seul, 
et  se  plaça  en  face  de  Khouschoevifàz,  et  dit  :  Je  suis  Firouz . 
roi  de  Perse.  Khouschoevifâz  le  reggria;  car  il  oe  Tavait  ja- 
mais vu,  lorsqu'il  était  venu  deux  fois  à  sa  cour,  et  il  n'avait 
jamais  été  ensemble  avec  lui.  U  vit  un  homme  de  belle 
figure,  un  cavalier  d'une  stature  parfaite,  qui  lui  inspira  du 
respect.  U  dit  :  0  fils,  tu  es  mon  enfant,  et  si  tu  étais  sorti 
de  mes  reins,  je  n'aurais  pas  pu  agir  mieux  envers  toi  que 
je  n'ai  fait  jusqu'ici.  Deux  fois  je  t'ai  donné  la  vie  et  t'ai 
renvoyé  dans  ton  pays,  et  deux  fois  tu  n'as  pas  reconnu  ton 
obligation  envers  moi,  et  tu  as  montré  de  l'ingratitude  pour 
mes  bienfaits.  Tu  as  pratiqué  la  ruse,  rompu  ton  engage- 
ment et  tu  t'es  parjuré;  Dieu  te  saisira  cette  fois-ci,  et  la  ruse 
que  tu  as  exécutée  avec  la  colonne  ne  sert  de  rien.  Mainte- 
nant retourne,  reviens  à  la  raison  et  ne  t'abuse  pas  à  cause 
du  grand  nombre  de  tes  soldats,  qui  n'ont  pas  le  même  sen- 
timent que  toi;  Dieu  ne  te  donnera  pas  la  victoire.  Je  sais 
que  tu  as  fait  cela  par  honte,  les  deux  fois  que  tu  as  quitté 
ma  cour  en  paix;  car  je  t'avais  donné  la  vie.  Si  j'avais  voulu, 
alors  que  tu  es  venu  du  désert,  j'aurais  pu  te  tuer,  toi  et  ton 
armée;  mais  comme  tu  avouais  ta  faute,  j'agréai  tes  excuses 
et  t'accordai  la  vie.  Ce  n'était  pas  là  une  humiliation.  Main- 
tenant, tu  as  rompu  le  traité,  tu  t'es  parjuré;  et  moi  je  te 
considère  comme  mon  fils.  Et  ne  sais-tu  pas  que  la  honte 
vient  du  parjure?  Et  ne  sais-tu  pas  que  toujours  les  rois  se 
quittent  l'un  l'autre ,  tantôt  eu  faisant  la  paix,  tantôt  en  s'en- 
fuyant?  Quant  à  moi,  j'ai  invoqué  Dieu  comme  témoin  contre 
toi,  et  je  t'ai  donné  un  conseil;  si  tu  l'acceptes,  tu  t'en  trou- 
veras bien.  Firouz  n'écouta  pas  sa  parole  et  dit  :  Il  faut  ab- 
solument combattre.  Puis  ils  s'en  retournèrent  l'un  et  l'autre. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXV.  141 

Kliouscliuewâz  ne  voulut  pas  que  ses  soldats  eussent  connais- 
sance quil  ëtait  aile  pour  chercher  la  paix,  et  que  Tautre 
n'avait  pas  consenti.  Il  leur  dit  :  Ce  Firouz  est  venu  deux 
fois  à  ma  cour,  mais  je  ne  Tavais  pas  vu.  Maintenant  je  l'ai 
vu.  Je  savais  que  Dieu  le  ferait  périr;  j'ai  donc  demandé  la 
permission  de  le  voir,  avant  qu  il  périsse. 

Le  lendemain,  Firouz  rangea  son  armée  en  bataille,  et 
Khouschnewâz  fit  de  même,  et  ils  placèrent  leurs  armées  en 
l'ace  Tune  de  Tautre.  Khouschnewâz  fit  fixer  au  bout  d'une 
lance  le  traité  de  paix  que  Firouz  avait  écrit  et  qu'il  avait 
donné  pour  gage  de  sa  personne,  alla  au  milieu  entre  les 
deux  armées  et  dit  :  0  hommes  de  Perse,  craignez  le  Dieu 
du  ciel  et  de  la  terre,  que  vous  avez  appelé  comme  témoin 
contre  vous  dans  cet  écrit,  dans  lequel  est  contenu  le  traité. 
Puis  il  lut  le  texte  du  traité  de  paix,  de  façon  que  tous  l'en- 
tendissent; ensuite  il  dit  :  Je  lui  avais  accordé  la  vie  sauve, 
à  lui  et  à  ces  mille  hommes  qui  étaient  veous  avec  lui  du  dé- 
sert ;  j'avais  pris  ces  hommes  et  Dieu  comme  témoins  contre 
lui;  il  a  prêté  le  serment,  et  aujourd'hui  il  pratique  une  ruse 
et  se  fait  parjure;  il  est  hors  de  doute  que  Dieu  le  fera  périr 
par  ma  main  dans  le  combat;  car  jamais  un  roi  des  anciens 
temps  n'a  rompu  un  traité  et  employé  la  ruse  sans  qu'il  ait 
péri.  Quiconque  d'entre  vous  craint  Dieu,  qu'il  quitte  l'armée, 
je  lui  donnerai  ma  protection.  Ceux  qui  ne  s'en  iront  pas  et 
qui  combattront.  Dieu  les  donnera  entre  mes  mains,  et  ils 
ne  trouveront  pas  grâce  auprès  de  moi;  leur  sang  sera  versé 
légitimement.  La  moitié  de  l'armée  perse  s'en  retourna. 

Lorsque  Firouz  vit  que  ses  soldats  s'en  allaient,  il  fit  halte 
à  l'endroit  oii  il  se  trouvait  avec  cette  partie  de  l'armée  qui 
lui  restait  attachée.  Khouschnewâz ,  voyant  cela,  fit  également 
halte;  et  quand  la  nuit  fut  venue,  il  prit  toute  son  armée  et 


142  CHRONIQI  E  DE  TABARI. 

sortit  en  dehors  du  fossé,  par  le  chemin  étroit  qu  il  avait  fait, 
et  s'éloigna  de  ce  fossé  à  la  distance  d'une  parasange,  et  là  il 
fit  halte.  Firouz,  ne  voyant  plus  khouschnewâz ,  pensa  qu^il 
avait  pris  la  fuite.  Il  monta  à  cheval,  laissant  Tarmée,  et  par- 
tit avec  sa  suite,  pour  poursuivre  Khouschnewâz.  Quand  il 
arriva  au  fossé  couvert,  qu'il  ne  connaissait  pas,  il  s'y  préci- 
pita, les  branches  se  rompirent  et  s'enfoncèrent,  et  Fîrouz 
avec  beaucoup  de  monde  tombèrent  dans  le  fossé,  et  ils  pé- 
rirent tous.  Khouschnewâz  revint  par  le  c)iemin  étroit  vers  le 
fossé  et  massacra  ou  fit  prisonniers  un  grand  nombre  de  sol- 
dats perses.  Le  grand  mobed  et  Ftrouz-Dokht  furent  égaie- 
ment  faits  prisonniers.  Il  s'empara  de  toutes  les  richesses  que 
Ffrouz  avait  avec  lui,  et  tous  ses  soldats  furent  tués  ou  faits 
prisonniers  et  réduits  en  esclavage.  Ensuite  Khouschnewâz 
retourna  au  bord  du  fossé,  en  fit  retirer  le  cadavre  de  Firouz 
et  le  fit  enterrer.  Il  trouva  au  bras  de  Firouz  un  amulette 
encadré  d'or,  sur  lequel  étaient  mentionnés  tous  ses  trésors. 
Khouschnewâz  retira  cet  écrit  du  bras,  le  prit  et  fit  chercher 
ces  richesses,  pour  les  emporter. 

Firouz  avait  occupé  le  trône  pendant  vingt-six  ans  et  cinq 
mois. 

CHAPITUE  XXVI. 

HISTOIRE  DE  Là  GUERBE  DE  SOUFERAÎ  CONTRE  KHOUSCHNEWAZ. 

Lorsque  Souferaï  fut  informé  de  ce  qui  était  arrivé  à  Fi- 
rouz, il  réunit  l'armée  de  Perse  et  dit  :  Il  faut  absolument 
aller  venger  la  mort  de  Ftrouz  et  délivrer  le  grand  mobed  et 
Ftrouz-Dokht.  L'armée  y  consentit  II  laissa  les  deux  fils  de 
Ftrouz,  Qobâd  et  Balâsch,  dans  le  pays,  et  abandonna  le 
gouyemement,  et  ne  le  confia  à  personne,  disant  :  Mon  de- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXVI.  143 

voir  de  venger  la  mort  du  roi  est  plus  impérieux  que  celui 
de  veiller  sur  le  royaume.  Il  arriva  auprès  de  Khouschnéwâz 
avec  une  armée  innombrable.  Khouschnéwâz  savait  qu'il 
ne  pourrail  pas  résister;  il  rassembla  son  armée  et  resta  en 
place,  et  fit  sortir  ses  avant-postes.  Souferaï  envoya  égale- 
ment son  avant -garde.  Or  un  cavalier  de  Khouschnéwâz 
s'avança  vers  Souferaï.  Celui-ci  lança  une  flèche  contre  le 
front  du  cheval,  qui  tomba  et  mourut.  Souferaï  fit  prisonnier 
rhomme  et  lui  demanda  qui  il  était.  Celui-ci  répondit  qu'il 
était  de  Tavant-garde  de  Khouschnéwâz.  Souferaï  lui  dit  : 
Va,  et  dis  à  Khouschnéwâz  qu'il  se  tienne  prêt  pour  demain 
à  ces  coups  de  flèche.  Puis  il  le  laissa  partir,  et  retourna  vers 
son  armée.  Cet  homme  alla  trouver  Khouschnéwâz,  à  qui  on 
apporta  aussi  la  tête  du  cheval  et  la  flèche.  Khouschnéwâz, 
voyant  ce  coup  de  flèche,  eut  peur  :  car  les  Heyâtelites  com- 
battent avec  Tépée;  ils  ne  savent  pas  tirer  de  l'arc.  Il  envoya 
un  messager  à  Souferaï  et  demanda  la  paix,  disant  :  C'était  la 
faute  de  Firouz,  qui  a  voulu  employer  la  ruse,  qui  a  manqué  h 
son  serment  et  a  rompu  le  traite,  de  sorte  que  Dieu  l'a  frappé. 
C'est  pour  cette  raison  que  l'armée  perse  s'en  est  retournée; 
car  il  était  évident  pour  tous  qu'il  accomplissait  l'injustice  et 
la  ruse.  L'armée  perse  dit  à  Souferaï  :  Fais  la  paix.  Souferaï  fit 
la  paix,  en  mettant  pour  condition  que  Khouschnéwâz  ren- 
drait tous  les  prisonniers  perses  qui  étaient  vivants  entre  se» 
mains;  qu'il  rendrait  également  le  corps  de  Fîrouz,  afin  qu'on 
le  transportât  dans  sa  ville.  Khouschnéwâz  consentit  à  tout, 
et  il  rendit  aussi  tout  le  butin.  Quand  il  livra  le  corps  de  Fi- 
rouz, Souferaï  dit  :  Il  y  avait  attaché  au  bras  de  Firouz  un 
écrit  encadré  d'or;  c'était  son  inventaire,  dans  lequel  étaient 
marquées  toutes  les  richesses  qu'il  possédait,  en  fait  d'or,  de 
joyaux,  de  vêtements,  de  tapis,  d'animaux  et  d'armes,  tout  ce 


\àà  CHRONIQUE  DE  TABAHI. 

qu*ii  avait  avec  lui  quand  il  partit  avec  Tarmëe,  et  les  autreïi 
trésors  :  c'est  le  compte  de  sa  fortuue,  et  nous  ne  connais- 
sons pas  maintenant  Tétat  de  sa  fortune,  à  moins  d'avoir  ce 
registre.  Nous  ne  retournerons  pas  avant  que  tu  nous  Taies 
rendu.  Khouschnewâz  le  lui  renvoya.  Souferaï  dit  :  Nous  ne 
partirons  pas  d'ici  que  tu  n'aies  rendu  tout  ce  que  tu  as  pris 
dans  son  camp,  même  la  moindre  corde.  Khouschnewâz  ren- 
voya tout  cela.  On  conclut  la  paix ,  et  Souferaï  s'en  retourna. 
Les  Perses  lui  témoignèrent  beaucoup  d'estime  et  voulurent 
lui  donner  la  couronne,  mais  il  ne  l'accepta  pas,  disant: 
Placez  sur  le  trône  l'un  des  fils  de  Firouz.  Les  hommes  choi- 
sirent Balâsch.  Alors  Qobâd  s'enfuit  auprès  duKhâqân,pour 
lui  demander  une  armée,  afin  de  recouvrer  le  trdne  sur  son 
frère. 

CHAPITRE  XXVIL 

HISTOIRE  DU  RÈGNE  DE  BALASCH,  FILS  DE  fIrOUZ. 

Balâsch  s'assit  sur  le  trdne  et  mit  la  couronne  sur  sa  tête; 
il  tint  une  cour  pour  ses  sujets,  leur  fit  un  discours  et  leur 
donna  les  meilleures  assurances.  11  nomma  Souferaï  lieu- 
tenant sur  tout  le  royaume,  et  lui  confia  toute  l'administra- 
tion. Il  répandit  sur  tout  l'univers  la  civilisation  et  la  justice, 
et  ne  souffrit  point  que  dans  son  royaume  il  y  eût  un  lieu  dé- 
sert. Quand  il  y  avait  quelque  part  une  maison  en  ruine  dont 
le  propriétaire  élait  parti,  il  punissait  les  chefs  de  l'endroit, 
disant  :  Pourquoi  n'avez-vous  pas  fait  attention  à  cet  homme, 
ou  :  Pourquoi  ne  m*avez-vou8  pas  averti,  afin  que  je  lui  don- 
nasse un  secours?  Il  fonda  dans  le  Sawâd  une  ville,  qu'il 
nomma  Balâsch-Abâd.  Il  occupa  le  trdne  pendant  quatre  ans, 
puis  il  mourut. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXVH.  145 

Qobâd  était  parti  pour  aller  chez  le  Khâqân,  afin  d*y  cher- 
cher le  secours  d'une  armée.  Il  était  accompagné  de  cinq 
personnes  des  grands  de  la  Perse  qui  lui  étaient  attachés. 
Le  nom  de  l'un  d'eux  était  Zer-Mihr,  fils  de  Souferaï.  En  voya- 
geant,  ils  arrivèrent  dans  un  village,  sur  le  territoire  de  Nischà- 
bour,  et  descendirent  dans  la  maison  d'un  paysan  de  ce  vil- 
lage. Qobâd  était  fort  beau,  et  toute  personne  qui  le  voyait 
comprenait  que  c'était  un  prince  de  sang  royal.  Ce  paysan 
avait  une  fille,  également  fort  belle.  Qobâd  devint  amou- 
reux de  celte  jeune  fille  et  ne  put  se  résoudre  à  quitter 
la  maison  de  cet  homme.  Après  qu'il  y  fut  resté  trois  jours, 
Zer-Mihr  dit  :  0  roi,  il  faut  partir  d'ici.  Qobâd  lui  fit  part 
de  son  aventure  et  lui  dit  :  Aujourd'hui  je  ne  me  soucie  ni 
de  la  royauté,  ni  du  monde,  sauf  de  cette  jeune  fille.  Zer- 
Mihr  craignit  que  Qobâd  ne  restât  là,  et  que  son  dessein 
d'aller  chez  le  Khâqân  ne  fât  abandonné.  Quelques-uns  di- 
sent que  cela  se  passa  sur' le  territoire  d'Ispahân.  Zer-Mihr 
alla  trouver  le  paysan  et  la  mère  de  la  jeune  fille,  et  leur 
dit  :  Notre  chef  est  un  personnage  considérable;  c'est  un 
prince  royal,  et  il  est  en  voyage  pour  une  certaine  affaire.  Il 
désire  épouser  votre  fille;  donûez-la-lui,  pour  qu'il  reste  ici 
un  certain  t«mps  et  qu'il  aille  après  à  son  affaire.  Quand  il 
l'aura  menée  h  bien ,  il  reviendra  et  conduira  votre  fille  dans 
sa  maison.  Les  parents  de  la  jeune  fille  dirent  :  Qui. est-il, 
quelle  affaire  a-t-il  et  où  veut-il  aller?  Zer-Mihr  répondit: 
Je  ne  peux  pas  dire  son  histoire,  mais  c'est  un  grand  per- 
sonnage, supérieur  à  vous,  et  vous  ne  pourriez  trouver  un 
gendre  comme  lui;  quand  son  affaire  sera  menée  à  bien,  vous 
en  conviendrez  vous-mêmes.  Il  les  persuada  peu  à  peu, 
si  bien  qu'ils  consentirent  :  ils  donnèrent  leur  fille  h  Qobâd 
en  mariage,  et  la  lui  remirent.  Qobâd  donna  à  la  jeune  fille 

II.  10 


146  CHBONIQUK  DE  tABARF. 

une  bague  dont  ie  chaton  (Uail  un  rubis  rouge,  gui,  dans  la 
nuit,  brillait  comme  le  soleil,  et  dont  personne  ne  put  ap- 
précier la  valeur.  Qobâd  resta  là  quelque  temps;  puis  il  alla 
avec  Zer-Mihr  auprès  du  Khaqiin.  Le  père  et  la  mère  de  la 
jeune  fille  dirent  :  C'est  un  roi  ou  le  fils  d'un  roi;  nous  aurons 
par  lui  beaucoup  de  joie  quand  il  reviendra.  La  jeune  fille 
mit  au  jour,  après  neuf  mois,  un  enfant;  ils  l'appelèrent 
Nouscfairwân,  et  relevèrent.  Qobâd  resta  quatre  ans  auprès 
du  Khâqân,  qui,  ensuite,  lui  donna  une  armée,  afin  qu'il 
rentrât  dans  son  royaume.  Quand  il  passa  par  ce  village,  le 
père  de  la  jeune  fille  l'informa  de  la  naissance  de  son  fils, 
qu'on  avait  nommé  Nouschirwân.  Qobâd  en  fut  charmé;  il 
86  le  fit  présenter;  l'enfant  ressemblait  beaucoup  à  Qobâd. 
Le  lendemain,  Qobâd  reçut  la  nouvelle  que  Balâsch  était 
mort,  que  la  Perse  se  trouvait  sans  roi  et  que  les  habi- 
tants l'attendaient.  Qobâd  en  eut  une  nouvelle  joie  et  dit  : 
Cette  femme  et  cet  enfant  m'ont  porté  bonheur.  Il  emmena 
Tcqfant  et  sa  mère  avec  lui  à  Madâïn,  et  occupa  le  trône  .^ans 
combat.  Il  renvoya  l'armée  du  Khâqân  turc  avec  beaucoup 
de  présents,  et  fut  en  possession  tranquille  du  royaume  de 
Perse. 

CHAPITRE  XXVIH. 

HISTOIRE  DU  RÈGNE  DR  QOBAD,  FILS  DR   FIROUZ. 

Après  que  Qobâd  fut  monté  sur  le  trdne ,  il  nomma  Sou- 
feraï  lieutenant  du  royaume  et  lui  ordonna  de  gouverner  avec 
justice.  Il  lui  dit  :  Quoique  tu  n'aies  pas  été  avec  moi,  ton  fils 
a  été  avec  moi ,  et  il  a  acquis  des  droits  à  ma  reconnaissance 
par  les  services  qu'il  m'a  rendus  pendant  mon  voyage.  J*ai 
aussi  des  obligations  envers  toi-même;  car  mon  père  avait 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XWHI.  147 

Diis  sa  conliaiice  en  toi,  il  t'avait  chargé  du  gouvornement; 
eo  outre ,  tu  as  veogé  la  mort  de  mon  père  et  reconquis  tout 
son  bien.  Qobâd  se  démit  de  toutes  les  affaires  et  en  chargea 
Souferaï,  qui  en  prit  la  direction.  Qobâd  fonda  plusieurs 
villes;  aucun  roi  n'en  avait  fondé  autant  que  lui.  Près  des 
frontières  de  la  province  de  Perse  et  de  TAhwàz,  il  fonda 
une  ville  nommée  Awdjân.  Dans  la  Perside  il  fonda  une 
ville  nommée  Kàzeroun.  La  ville  de  ^Holwân  a  été  également 
fondée  par  lui.  11  fonda,  sur  le  territoire  de  Khodân,  une 
autre  ville,  nommée  Qobàd-Abâd,  qu'on  appelle  aujourd'hui 
Qowâdyân.  II  fonda  aussi  Termed  et  une  ville  mentionnée  ' 
dans  le  Dictionnaire  des  villes,  nommée  Wazm;  on  l'appelle 
aussi  Zemm,  et  on  devrait  l'appeler  Qobâd- Abàd;  elle  est 
située  sur  les  bords  du  Djrhoun. 

Quand  Qobâd  eut  régné  pendant  cinq  ans,  Souferaï  eut 
en  main  toutes  les  affaires  :  les  sujets  et  Tarmée  lui  étaient* 
soumis,  et  aucune  affaire  du  royaume  n'était  restée  entre  les 
mains  de  Qobad.  Souferaï  lui-même  ne  lui  avait  rien  laissé 
entre  les  mains.  Qobâd  ne  pouvait  s'en  consoler;  cependant 
il  ne  pouvait  pas  faire  saisir  Souferaï,  parce  que  celui-ci 
avait  toute  Tarmée.  Alors  Qobâd  eut  recours  à  une  ruse.  Il  y 
avait  un  homme  nommé  Schâpour,  qui  était  sipehbed  d'un  vil- 
lage nommé  Mihrân.  Sipehbed,  en  Jangue  persane,  veut  dire 
(T  général  d'armée,  y*  Qobâd  appela  Schâpour,  qui  vint  du  terri- 
toire de  Reï  avec  toute  son  armée.  Qobâd  le  combla  d'hon- 
neurs, et  délibéra  avec  lui  en  secret,  et  se  plaignit  de  Sou- 
feraï. Le  général  dit  :  J'en  délivrerai  le  roi.  Le  lendemain, 
Souferaï  étant  chez  le  roi,  le  général  se  présenta  et  fit  au  roi 
un  rapport.  Il  eut  une  discussion  avec  Souferaï,  se  mit  en 
colère  et  l'injuria.  Qobâd  garda  le  silence.  Alors  le  général 
déploya  une  corde,  la  jeta  au  cou  de  Souferaï,  le  traîna  de- 


10. 


148  CHRONIQUE  DE  TABARÏ. 

hors  et  le  mit  en  prison.  Il  était  jeune,  et  Souferaï,  diant  un 
homme  âgé,  ne  pouvait  lui  faire  aucune  résistance.  Le  len- 
demain, il  le  tua,  et  Qobâd  on  fut  délivré.  Ensuite  le  générai 
prit  lui-même  en  mains  les  affaires  du  royaume  et  les  diri- 
gea eu  répandant  la  justice.  On  a  dit  qu  il  avait  tué  égale- 
ment Zer-Mihr,  mais  cette  opinion  est  erronée.  On  appelle 
aussi  le  général  Miliran;  mais  Milirân  est  le  nom  du  village 
dont  il  était  gouverneur. 

Qobâd  rassembla  une  armée  de  cent  mille  hommes  et 
marcha  contre  le  roi  des  Khazars.  Il  nomma  le  sipehbed  gé- 
néral en  chef.  Il  fit  la  gueiTe,  fut  victorieux,  pilla  et  mas- 
sacra, et  revint  avec  un  énorme  butin.  11  fonda,  à  la  frontière 
de  rArménie,  une  ville  nommée  Amid;  puis  il  rentra  dans  sa 
résidence  et  exerça  Téquité  et  la  justice.  Il  avait  dix  fils,  parmi 
lesquels  il  aimait  le  plus  Nouschirwân,  qui  était  le  plus  ins- 
truit et  le  plus  intelligent  et  doué  d'un  parfait  bon  sens,  d'une 
grande  pénétration  et  de  bonnes  manières. 


CHAPITRE  XXIX. 

■ 

HISTOIRE  DE  HAZDAK. 

Après  que  Qobâd  eut  régné  douze  ans,  il  vint  auprès  de 
lui  un  homme  nommé  Mazdak,  du  pays  de  Khorâsân,  de  la 
ville  de  Nischâbour.  Il  se  prétendit  prophète,  mais  il  n'établit 
pas  une  religion  nouvelle,  si  ce  n'est  précisément  la  religion 
mazdéenne  et  la  doctrine  qui  permettait  d'avoir  commerce 
avec  sa  mère  et  sa  sœur  :  il  avait  donc  la  religion  des  Perses, 
sauf  qu'il  abolit  le  mariage  et  la  propriété,  disant:  Le  Dieu 
de  l'univers  a  fait  «m  partage  égal  entre  les  hommes;  il  n'a 
pas  donné  h  l'un  plus  qu'à  l'autre.  Il  faut. faire  en  sorte  que 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXIX.  149 

chacun  ait  en  égal  partage  les  femmes  et  les  biens.  Celui  qui 
possède  des  biens  ne  pourra  pas  dire  :  Je  ne  veux  rien  donner 
k  Tautre.  De  même  en  ce  qui  concerne  les  femmes  :  toutes 
les  femmes  sont  communes;  la  femme  de  celui-ci  appar- 
tient à  celui-là,  et  la  femme  de  celui-là  appartient  à  celui-ci; 
celui  qui  la  désire  peut  la  prendre.  Cette  doctrine  plut  aux 
jeunes  gens,  aux  débauchés  et  à  la  populace,  et  beaucoup 
Tadoptèrent.  Qobâd  en  fut  informé;  il  fit  appeler  Mazdak 
et  rinterrogea  sur  sa  religion.  Qobâd  aimait  beaucoup  les 
femmes  :  cette  doctrine  lui  plut  également;  il  Tadopta,  et 
il  protégea  Mazdak  et  ses  adhérents.  Enfin  cette  doctrine 
se  répandit.  Ceux  qui  ne  possédaient  rien  prirent  le  bien 
des  autres,  ainsi  que  les  femmes,  qu'ils  gardèrent  aussi  long- 
temps qu'ils  voulurent  et  qu'ils  renvoyèrent  ensuite.  Les  mo- 
beds  et  les  chefs  du  peuple  dirent  à  Qobâd  :  Cette  religion 
est  fausse.  Mais  il  n'agréa  pas  leur  avis;  il  soutint  les  adhé- 
rents de  Mazdak ,  et  cette  secte  s'accrut  tous  les  jours,  tandis 
que  les  autres  habitants  avaient  à  en  souffrir.  Ils  allèrent 
trouver  le  gi*and  mobed  et  lui  dirent:  Ces  hommes  sont  fort 
nombreux,  et  personne  ne  peut  les  contenir;  le  roi  lui- 
même  en  fait  partie.  Le  grand  mobed  dit:  Je  ne  vois  pas 
d'autre  moyen  pour  nous  que  de  déposer  le  roi  et  de  mettre 
à  sa  place  un  autre  qui  saura  réprimer  ces  hommes.  Les 
autres  dirent:  Il  n'y  a  pas  d'autre  reniiède.  Ils  se  rendirent 
auprès  de  Qobâd,  prirent  la  couronne  de  dessus  sa  tête,  le 
firent  descendre  du  trône,  le  mirent  eu  prison  et  le  firent 
surveiller  par  un  général  avec  sa  troupe. 

Qobâd  avait  un  frère,  nommé  Djâmâsp.  Les  Perses  le  firent 
monter  sur  le  trône,  et  placèrent  la  couronne  sur  sa  tête. 
Puis  ils  s'emparèrent  de  Mazdak,  pour  le  mettre  à  mort; 
mais  ses  sectateurs  se  rassemblèrent  et  le  délivrèrent.  L'ar- 


150  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

mëe  dit:  A  moins  de  tuer  Qobàd,  les  choses  ne  seront  pas 
dans  un  meilleur  état.  Qobâd  avait  une  sœur  qui  n  avait  pas 
sa  pareille,  en  fait  de  beauté,  dans  tout  le  royaume  de  Perse. 
Qobâd  avait  eu  d'elle  un  fils.  Cette  femme,  ayant  été  informée 
[des  propos  de  Tarmée  concernant  Qobâd],  se  rendit  dans  la 
prison,  pour  le  voir.  Le  gardien  de  la  prison  devint  amou- 
reux d'elle  et  lui  dit  :  Si  tu  t'abandonnes  à  moi  et  que  tu 
m'accordes  tes  faveurs,  je  te  ferai  voir  Qobâd.  La  femme  lui 
promit  de  lui  accorder  ses  faveurs,  et  il  la  fit  pénétrer  auprès 
de  Qobâd,  quelle  informa  que  les  hommes  se  proposaient 
de  le  tuer.  Qohâd  dit:  Que  puis-je  faire?  Sa  sœur  lui  dit: 
Je  suis  venue  pour  t'aider.  Elle  passa  cette  nuit  avec  Qobâd, 
envoya  quelqu'un  chercher  des  lits  et  des  couvertures  pour 
la  nuit,  et  demanda  au  gardien  la  permission  de  rester.  Ce- 
luinri ,  pensant  qu'elle  voulait  rester  à  cause  de  la  promesse 
qu'elle  lui  avait  faite,  donna  la  permission.  On  apporta  les 
lits,  et  Qobâd  se  coucha.  Quand  la  nuit  fut  un  peu  avancée, 
le  gardien  envoya  une  personne  pour  appeler  la  fenmie.  Celle- 
ci  lui  dit  :  Je  suis  toujours  dans  les  mêmes  dispositions, 
comme  je  t'ai  dit;  mais  je  suis  dans  mon  état  impur;  je 
deviendrai  pure  cette  nuit,  et  demain  je  passerai  la  nuit 
avec  toi.  Les  Perses  n'avaient  pas  commerce  avec  les:  femmes 
quand  elles  étaient  dans  cet  état.  Le  gardien  ajouta  foi  à 
ses  paroles;  ils  causèrent  quelque  temps  ensemble,  puis  In 
femme  alla  se  coucher  avec  Qobâd.  Quand  le  jour  parut,  elle 
cacha  Qobâd  au  milieu  des  lits,  les  donna  à  un  esclave  ro- 

• 

buste  et  lui  dit  de  les  emporter  a  la  maison  ;  elle-même  h; 
suivit.  Le  gardien  lui  demanda  ce  que  Teaciave  portait  sur  la 
tête.  Elle  lui  dit.:  Ce  sont  les  bardes  de  nuif,  sur  lesquelles 
j'ai  dormi  cette  nuit.  Qobâd  m'a  dit  de  les  emporter  à  la 
maison,  parce  qu^il  ne  veut  pas  que  les  effets  d'une  femme 


PARTIE  il,  CHAPITRE  XXIX.  151 

.impure  reslent  dans  son  habitalion.  Je  les  remporte;  je  me 
purifierai  aujourd'hui  et  je  reviendrai  la  nuit.  Le  gardien  la 
laissa  partir.  Elle  emporta  donc  Qobâd,  qui  resta  caché  avec 
sa  sœur,  et  personne  ne  sut  ce  qu'il  était  devenu.  Quand  les 
soldats  apprirent  sa  fuite,  ils  tuèrent  le  g9rdien  et  se  mirent 
à  la  recherche  de  Qobâd;  mais  ils  ne  le  découvrirent  pas. 
Qobâd  resta  caché  pendant  un  an.  Mazdak  le  vit  dans  sa  re- 
traite et  lui  dit:  Mes  adhérents  sont  devenus  très-nombreux; 
Tarmée  ne  saura  leur  résister;  je  les  assemblerai  tous,  afin 
qu'ils  te  fassent  sortir  et  qu'ils  combattent  l'armée.  Qobâd 
dit  :  Tes  sectateurs  sont  tous  des  gens  de  la  populace,  qui 
ne  peuvent  pas  lutter  contre  les  soldats  ;  il  me  faut  une  ar- 
mée pour  les  réduire.  Il  reconduisit,  et  lui-même  resta  caché 
jusqu'à  ce  qu'il  sût  qu'on  ne  le  recherchait  plus.  Ensuite  il 
sortit  de  sa  retraite  et  partit.  Quelques-uns  prétendent  que 
c'est  lors  de  ce  voyage  qu'il  épousa  la  mère  de  Nouschirwàn. 
Il  se  rendit  auprès  du  roi  des  Turcs.  Lorsque  Qobâd  partit, 
tout  l'empire  obéissait  à  Djâmâsp.  Mais  il  était  jeune  et  né 
savait  pas  exercer  la  justice,  et  les  hommes  s'étaient  habitués 
à  la  justice  de  Qobâd,  et  il  leur  vint  le  désir  de  le  ravoir. 
Qobâd  resta  cinq  ans  auprès  du  roi  des  Turcs,  qui,  au  bout 
de  ce  temps,  lui  donna  trente  mille  hommes.  Alors  il  revint  ; 
les  hommçs  le  désirèrent,  lui  remirent  le  gouvernement  et 
lui  firent  des  excuses.  Qobâd  agréa  leurs  excuses,  pardonna 
à  Djâmâsp  et  réoccupn  le  trône.  Djâmâsp  avait  gouverné  six 
ans.  Qobâd  régna  avec  justice,  et  personne  ne  fut  puni  de 
mort  par  lui.  il  ne  Soutint  plus,  comme  par  le  passé,  les 
sectateurs  de  Mazdak,  quoiqu'il  leur  adhérât  en  secret.  Son 
règne  dura  quarante -trois  ans,  y  compris  les  six  ans  du  gou- 
vernement de  son  frère  Djâmâsp.  Quand  sa  fin  approcha, 
avant  de  mourir  il  nomma  Nouscbirwân  son  successeur,  et 


152  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

lui  en  délivra  le  diplôme;  car  Nouscliirwân  était  le  plus 
parfait,  le  mieux  élevé  et  le  plus  sage  de  ses  fils.  Après  la 
mort  de  Qobâd,  Nouschirwân  s  assit  sur  le  trône,  exerça  la 
justice,  établit  Tirnpôt  sur  le  peuple,  et  triompha  des  en- 
nemis. 


CHAPITRE    XXX. 

ÉTABLISSEMENT  DR  LMHPÔT  DU  TEMPS  DE  QOBAD  ET  DE  NOUSCHIRWAN. 

Avant  Qobâd  Timpôt  n^existait  pas  sur  la  terre,  sauf  que 
Ton  payait  le  dixième,  ou  le  cinquième,  ou  le  quart,  ou,  dans 
certains  endroits,  le  vingtième  [des  produits  du  sol],  en  pro- 
portion de  Tétat  de  culture  du  pays  et  de  la  plus  ou  moins 
grande  distance  de  Teau.  Or  Qobâd  ordonna  que  Ton  mesu- 
rât tout  le  royaume,  afin  d'établir  Timpôt  et  d'abolir  la  levée 
du  cinquième,  du  quart  et  du  dixième.  Quand  le  mesurage 
fuit  commencé,  Qobâd  mourut,  en  ordonnant  par  son  testa- 
ment à  Nouschirwân  d'achever  le  mesurage  et  de  délivrer 
les  hommes  du  lourd  impôt  de  la  dime  et  du  cinquième. 
Cette  ordonnance  de  Qobâd  avait  une  cause,  que  Mo^hammed 
ben-Djarîr  n'a  pas  rapportée  et  que  je  vais  dire  : 

Un  jour,  Qobâd,  étant  monté  à  cheval,  passa  par  un  bourg 
du  Sawâd,  accompagné  du  grand  mobed  et  de  ses  vizirs;  il 
resta  seul  en  arrière  de  la  chasse.  C'était  à  l'époque  des  ven- 
danges. 11  arriva  sur  le  sommet  d'une  montagne  et  regarda  la 
vallée.  11  y  vit  un  village,  et  ses  yeux  tombèrent,  au  milieu 
des  vignes,  sur  une  vigne  fort  belle,  auprès  de  laquelle  il  vit 
une  femme  qui  faisait  cuire  du  pain  dans  un  four,  et  devant 
elle  un  petit  garçon  d'à  peu  près  trois  ans.  Tout  d*un  coup, 
cet  enfant  entra  dans  le  jardin,  prit  une  grappe  de  raisin  et 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXX.  153 

voulut  la  manger.  La  femme  frappa  fenfani,  lui  enleva  la 
grappe  el  la  rattacha  à  la  vigne.  Qobâd  fut  étonné  de  TavariGe 
de  celte  femme;  il  descendit  de  la  montagne,  se  rendit  dans 
celle  vigne  et  demanda  à  la  femme  :  A  qui  appartient  cette 
vigne?  Elle  répondit  que  c'était  à  elle.  Il  lui  demanda  ensuite  à 
qui  était  le  petit  garçon.  Elle  lui  dit  que  c'était  le  sien.  Alors 
il  dit  :  Pourquoi  donc  lui  as-tu  enlevé  la  grappe  de  raisin,  et 
pourquoi  Tas-lu  frappé,  en  refusant  à  ton  propre  fils  une 
grappe  de  mince  valeur?  La  femme  répondit:  Nous  n'avons 
pas  la  libre  disposition  de  notre  bien,  car  le  roi  y  a  une 
part,  et,  avant  que  quelqu'un  vienne  de  la  part  du  roi  en 
défalquer  ce  qui  lui  revient,  nous  n  osons  pas  y  mettre  la 
main.  Qobâd  dit  :  Est-ce  loi  seule  qui  agis  ainsi,  ou  tous? 
La  femme  répondit  :  Non,  cela  se  passe  ainsi  dans  tout  le 
royaume  de  Qobâd.  Qobâd  eut  grande  pitié  de  ses  sujets.  Il 
retourna  sur  la  montagne  et  y  attenjdit  que  sa  suite  et  le  grand 
mobed  vinssent  le  rejoindre.  Alors  il  raconta  ce  qui  s'était 
passé  et  dit  :  Je  ne  veux  pas  qu'un  homme  n'ose  toucher  à 
sou  bien  de  peur  de  moi ,  et  que  l'on  plante  et  élève  un  arbre 
vers  lequel  on  n'ose  étendre  la  main,  à  cause  de  la  part  qui 
m'en  revient.  Cherchez  un  moyen  par  lequel  je  puisse  lever 
mon  revenu  sur  les  sujets,  de  façon  qu'ils  fassent  de  leurs 
biens  l'usage  qu'il  leur  plaira.  Le  grand  mobed  et  les  vizirs 
dirent  :  Ce  moyen  est  de  faire  mesurer  les  terres  de  tout  le 
royaume,  ainsi  que  les  vignes,  pour  en  connaître  le  nombre 
de  charrues ,  et  de  faire  compter  le  nombre  des  arbres  frui- 
tiers. Ensuite  on  imposera  chaque  charrue  d'un  dirhem,  ou 
de  deux,  ou  de  trois,  plus  ou  moins,  en  raison  de  la  fertilité 
du  sol,  de  l'éloignemenl  du  terrain  et  de  la  distance  de  l'eau, 
de  telle  sorte  que  chacun  pourra  faire  ce  qu'il  voudra.  Ton 
revenu  sera  l'argent,  que  l'on  exigera  quand  on  voudra.  Qobâd 


154  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

dit  :  Faites  ainsi.  11  rentra  dans  sa  résidence  et  lit  exécuter  le 
mesurage  du  royaume  tout  entier.  Cela  se  passa  vers  la  Gn 
de  sa  vie.  Comme  il  était  vieux  et  qu  ii  sentit  approcher  sa 
fin  avant  que  ce  mesurage  fât  terminé ,  il  recommanda  par 
testament  à  Nouschirwân  de  l'achever  et  d'établir  cet  impôt; 
ce  que  Nouschirwân  accomplit.  Nous  rapportons  dans  l'his- 
toire de  Nouschirwân  de  quelle  façon  il  établit  cet  impôt, 
après  la  mort  de  Qobâd. 


CHAPITRE  XXXI. 

RELATION  DR  LA  MORT  DE  QOBAD. 

Dans  rhisloire  de  Nouschirwân  nous  rapportons  comment 
Qobâd  mourut.  Mo^hammed  ben-Djarir  dit  qu  il  fut  tué  par 
les  Arabes.  La  cause  de  sa  mort  fut  qu  il  s'était  livré  à  la 
dévotion,  qu'il  ne  versait  pas  de  sang  et  qu'il  ne  faisait  la 
guerre  à  personne.  C'est  Mazdak  qui  l'avait  amené  dans  cette 
voie.  Alors  il  ne  fut  plus  respecté  par  personne,  et  comme  on 
était  sâr  de  n'élrc  pas  combattu  par  lui,  tous  les  rois  firent 
des  tentatives  sur  son  empire.  Le  roi  des  Arabes  était  sou 
vassal  ;  c'était  Norman,  fils  de  Moundsii',  qui  résidait  à  ^Hira. 
En  Syrie,  il  y  avait  un  roi,  nommé  ^Hârith,  fils  d'^Amrou, 
fils  de  ^Hodjr,  le  Kindien,  vassal  des  Tobba^  qui  régnaient 
dans  le  Yemen.  Ce  'Hârith  vint  de  la  Syrie  à  Koufa  et  à 
^Hlra,  tua  Norman  et  s'empara  du  gouvernement  des  Arabes. 
Qobâd  dépécha  quelqu'un  vers  lui  avec  ce  message  :  Tu  t'es 
emparé  de  ce  royaume  sans  mon  aveu.  Cependant  je  veux  te 
le  conférer;  mais  il  faut  que  tu  aies  une  entrevue  avec  moi, 
afin  que  je  t'impose  les  mêmes  conditions  que  j'ai  imposées 
à  Norman,  que  je  le  fasse  connaitre  les  limites  dy  pays  des 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXI.  155 

AitUbes  cl  de  ton  gouvernement^  que  les  Arabes  ne  devront 
pas  franchir.  ^Hâritii  vint  et  se  rencontra  avec  Qobàd  à  ia 
frontière  du  Sawâd  de  Tlrâq,  à  proximité  de  Madâïn,  et  ils  y 
eurent  une  conférence  ensemble.  Qobâd  dit  à  un  esclave  :  Ap- 
porte-nous quelque  douceur  à  manger,  afin  que  nous  soyons 
commensaux.  L'esclave  apporta  un  plat  de  dattes  et  le  plaça 
devant  eux.  Le  côté  du  plat  qui  était  tourné  vers  Qobad  con- 
tenait des  dattes  dont  les  noyaux  avaient  été  enlevés  et  rem- 
placés par  des  amandes,  tandis  que  les  dattes  du  côté  de 
^Hârith  étaient  avec  leurs  noyaux.  Qobâd,  prenant  ces  dattes 
et  les  mettant  dans  sa  bouche,  ne  crachait  aucun  noyau, 
et  ^Hârilh,  en  mangeant,  rejetait  les  noyaux.  Qobâd  lui  dit: 
Qu'est-ce  que  tu  rejettes  de  ta  bouche?  ^Hârith  dit  :  Il  ny 
a  que  les  chameaux,  chez  nous,  qui  mangent  les  noyaux  de 
dattes;  moi,  je  suis  un  homme  et  non  un  chameau.  Qobâd 
fut  confondu  de  honte.  Lorsqu'ils  eurent  fini  de  manger 
les  dattes,  Qobâd  traça  à  ^Hârith  la  frontière  du  pays  des 
Arabes,  qui  devait  s'étendre  du  désert  jusqu'à  Koufa  et  jus- 
qu'à TEuphrate;  de  l'autre  cdté  serait  le  Sawâd  de  PIrâq; 
il  ne  serait  permis  à  aucun  Arabe  de  passer  de  ce  côté-ci  de 
TEuphrale.  ^Hârith  accepta ,  puis  ils  se  séparèrent. 

Or  ^Hârith  ne  respecta  pas  les  dispositions  de  Qobâd  et  ne 
contint  pas  les  Arabes,  qui  passèrent  de  ce  côté-ci  de  l'Eu- 
phrate  et  ravagèrent  les  villes  du  Sawâd.  Quand  Qobâd  en  fut 
informé,  il  envoya  un  message  à  ^Hârith  et  lui  fit  dire  :  Tu 
n'as  pas  veillé  à  la  limite  que  je  t'ai  tracée.  ^Hârith  répondit  : 
(^e  sont  des  maraudeurs  arabes  qui  courent  jour  et  nuit  de 
tous  côtés,  cl  que  je  ne  peux  pas  surveiller,  à  moins  d'avoir 
le  revenu  cl  la  force  nécessaires  pour  les  contenir.  Alors  Qo- 
bâd donna  à'Hârilh  six  grands  bourgs  du  Sawâd,  situés  sur 
le  bord  de  l'Euplirale.  Après  les  avoir  reçus,  *Hârilh  surveilla 


ISe  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

lea  Arabes  et  ae  les  laissa  plus  franchir  l'Euphrate  et  i)énéti-er 

en  Perse. 

Après  quelque  temps, 'Hârith  envoya  un  messager  auTobba' 
du  Yemcu  et  lui  fît  dire  :  Ce  roi  de  Pei^e  est  très-faible  et 
point  redoutable;  j'ai  agi  avec  lui  de  telle  et  tetie  façon.  Si 
tu  veux  venir  du  Yemen  avec  une  armée ,  tu  pourras  t'empa- 
rer  de  ce  royaume  de  Perse,  Le  Tobba'  rassembla  une  grande 
armée  et  vint  aux  bords  de  l'Euphrate,  oii  il  Ht  halte.  H  éta- 
blit sa  résidence  à  'Hîra;  mais  il  ne  put  rcsier  là,  k  cause  du 
grand  nombre  de  ses  soldats.  Il  se  rendit  alors  dans  un  bourg 
du  territoire  de  Koufa,  nommé  Nadjaf,  dériva  un  bras  de 
l'Euphrate  et  le  lit  passer  à  'Hfra  et  à  Nadjaf,  et  il  s'y  éta- 
blit. Le  Tobba'  avait  un  neveu  nommé  Schamar,  qu'il  envoya , 
avec  trois  cent  mille  bomines,  au-devnot  de  Qobâd,  qui  fut 
mis  en  furie  et  qui  se  réfugia  à  Reï.  Schamar  le  poursuivit, 
l'atteignît  à  Heï  et  le  tiïa.  Quand  il  eut  informé  par  une 
lettre  le  Tobba'  de  cet  événement,  celui-ci  lui  ordonna  de 
marcher  avec  son  armée  vei's  le  Khorâsân ,  d'en  faire  la  con- 
quête et  de  prendre  pos.session  de  ce  pays,  car  il  le  lui  des- 
tinait; de  franchir  le  Djfhonn,  d'envahir  le  Turkestàn  et  de 
s'emparer  de  la  Chine.  Le  Tobba'  avait  aussi  un  fds,  nommé 
'Hassan,  qu'il  envoya  également  en  Chine,  avec  trois  cent 
vingt  mille  cavaliers,  parla  voie  de  mer.  Il  le  Qt  marcher 
de  l'']ràq  dans  l''Omân  et  lui  dit  :  Dans  t"Omân  embarque- 
toi  pour  la  Chine;  celui  de  vous  deux,  de  loi  el  de  Schamar, 
qui  y  arrivera  le  premier  l'aura  en  partage.  11  avait  un  autre 
neveu,  nommé  YaTar,  qu'il  envoya  avec  cent  mille  cavaliers 
dans  le  pays  de  Roum,  en  lui  disant  :  Chaque  viHe  que  tu 
prendras  sera  ajoutée  à  ton  territoire.  Ya'far  partit  et  fit  la 
conquête  d'un  grand  nombre  de  villes;  il  parvint  jusqu'à 
Gonstantînopte  et  se  rendit  maître  de  tout  Ifl  royaume  de 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXI.  157 

Uouin.  ^Hassan  s'embarqua  dans  l'^Omân  pour  la  Chine  el 
eu  Gt  la  conquête. 

Schamar,  de  son  cdté,  franchit  le  Djfhoun  et  marcha  sur 
Samarcande,  ville  qui  était  défendue  par  une  forteresse  très- 
solide,  dans  laquelle  s^était  renfermé  le  roi.  Schamar  as- 
siégea la  forteresse  pendant  un  an  sans  obtenir  le  moindre 
avantage.  Enfin,  une  nuit,  il  fit  lui-même  le  tour  de  la  for- 
teresse, fit  prisonnier  Tun  des   gardiens  des  portes  de  la 
forteresse  et  Femmena  dans  son  camp.  Il  lui  dit  :  Le  roi  de 
cette  ville ,  quel  homme  est-ce  pour  faire  preuve  de  tant  de 
valeur  et  d'intelligence  que,  depuis  un  an,  j'emploie  tous 
les  moyens  et  ne  peux  réussir  à  prendre  la  forteresse?  Cet 
homme  répondit:  Ce  roi  n'a  aucune  espèce  d'intelligence, 
il  est  complètement  abruti,  et  ne  s'occupe  d'autre  chose  que 
de  boire  du  vin  et  de  s'amuser,  et,  jour  et  nuit,  il  est  ivre; 
mais  il  a  une  fille,  et  c'est  elle  qui  prend  toutes  les  mesures 
et  a  la  direction  de  la  forteresse  et  de  l'armée.  Schamar  pensa 
en  lui-même  que  des  mesures  exécutées  par  des  femmes 
étaient  faciles  à  déjouer;  puis  il  dit  :  Cette  fille  a-t-elle  un 
époux?  L'autre  dit  que  non.  Alors  Schamar  donna  à  l'homme 
un  cadeau  et  lui  dit  :  J'ai  besoin  de  toi  pour  que  tu  portes 
un  message  à  cette  jeune  fille  de  ma  part.  L'autre  y  consen- 
tit. Schamar  apporta  une  boite  d'or,  la  remplit  de  perles, 
de  rubis  et  d'émeraudes ,  et  dit  :  Donne  cela  à  la  jeune  fille 
et  dis-lui  de  ma  part  :  Je  suis  venu  du  Yemen  pour  te  re- 
chercher; je  n'ai  que  faire  de  ce  pays,  car  tout  le  Khorâsân 
et  toute  la  Perse  sont  à  moi  ;  il  faut  que  tu  sois  ma  femme. 
Dis -lui  encore  que  j'ai  avec  moi  quatre  mille  de  ces  boites 
d'or,  que  je  lui  enverrai;  que  je  laisserai  cette  ville  à  son  père, 
quand  celte  affaire  sera  terminée,  et,  si  j'ai  d'elle  un  fils,  il 
aura  le  gouvernement  de  la  Perse  el  de  la  Chine.  Je  com- 


158  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

mencerai  par  lui  envoyer  |)ciidant  la  nuit  ces  boites,  ensuite  je 
la  chercbcrai.  L'homme  retourna  la  même  nuit  à  Samarcando 
et  rendit  compte  de  tout  à  la  jeune  fille.  Celle-ci  futvsatisfaite , 
renvoya  sur-le-champ  Thomme  avec  son  consenfement,  et  Ton 
convint  que,  la  nuit  suivante,  les  boites  seraient  envoyées  et 
introduites  dans  la  ville,  en  secret.  Samarcande  avait  quatre 
portes,  et  la  jeune  fille  fit  savoir  quelle  porte  elle  ferait 
ouvrir. 

Le  lendemain,  Schamar  fil  apporter  quatre  mille  boites, 
et  dans  chaque  boite  il  plaça  deux  hommes  tout  armés.  Quand 
la  nuit  fut  .venue,  il  fit  charger  chaque  botte  sur  un  âne  sous 
la  conduite  d'un  homme  armé;  il  fit -entrer  ainsi  un  corps 
de  douze  mille  hommes  dans  Samarcande.  H  leur  dit  :  Je 
ferai  poster  Tarmée  entière  tout  autour  de  la  forteresse. 
Quand  vous  serez  dans  la  ville,  ouvrez  le  dessus  des  boites, 
sortez  et  sonnez  les  clochettes  dont  vous  êtes  munis,  pour  m'a- 
vertir,  et  ouvrez  les  portes  de  la  forteresse,  afin  que  j'y  entre. 
Au  milieu  de  la  nuit,  l'envoyé  de  la  jeune  fille  vint  pour 
ouvrir  la  porte  de  la  ville  et  pour  laisser  entrer  les  boites. 
Schamar  les  fit  placer  sur  les  ânes  et  se  mit  à  la  tète  de  ses 
troupes.  Arrivés  à  rintérieur  de  la  forteresse,  ces  hommes 
sortirent  des  boites,  sonnèrent  les  clochettes  et  ouvrirent  les 
portes  de  la  forteresse.  Schamar  avec  ses  soldats  se  jeta  dans 
la  ville;  ils  mirent  l'épée  à  la  main  et  commencèrent  un 
massacre  qui  dura. jusqu'au  jour,  de  sorte  que  le  sang  cou- 
lait comme  un  fleuve.  Schamar  fit  tuer  le  roi  et  fit  sa  fille 
prisonnière.  Il  y  resta  un  an. 

Dans  le  Dictionnaire  des  villes  il  est  dit  que  Samarcande, 
a  celte  époque ,  était  appelée  Chine ^  et  qu'elle  était  habitée  par 
les  Chinois,  qui  y  ont  inventé  le  papier.  Schamar  donna  à  la 
ville  son  nom,  et  Tappela  Sehamarhand,  en  langue  persane; 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXII.  159 

kaml,  cil  turc,  veut  dire  (t ville ;^  enfin,  transcrit  en  arabe,  ie 
nom  est  Samarqand, 

Ensuite  Schamar  fit  marcher  ses  troupes  vers  le  Turkes- 
((in,  passa  dans  le  Tibet  et  se  rendit  en  Chine.  Il  y  trouva 
'Hassan,  qui  y  était  arrivé  trois  ans  auparavant  et  qui  s'était 
emparé  du  pays.  Ils  y  demeurèrent  encore  quelque  temps 
tous  les  deux,  ensuite  ils  retournèrent  vers  Toccident,  dans 
le  Yemen.  On  dit  que,  quand  ils  rentrèrent  dans  le  Yemen» 
le  Tobba^  y  était  également  déjà  rentré.  Voici  comment  la  re- 
traite du  Tobba^  eut  lieu.  Lorsqu'il  eut  envoyé  Schamar  à  Reï 
et  que  celui-ci  eut  tué  Qobâd  et  marcha  sur  Samarcande,  et 
qu'il  eut  envoyé  son  fils  par  mer  en  Chine,  et  Ya^far  dans  ie 
pays  de  Roum,  il  voulut  prendre  pour  lui-même  le  royaume 
de  Perse,  et  se  mettre  à  la  place  de  Qobâd.  Les  habitants  de 
la  Perse  se  réunirent  et  mirent  sur  le  trâne  Nouschirwân. 
Celui-ci,  avec  l'armée  perse,  attaqua  le  Tobba\  qui  se  retira 
dans  le  Yemen.  'Hàrith  ben-*Amrou  retourna  en  Syrie,  et 
Nouschirv^ân  fit  venir  Moundsir,  fils  de  Norman  al-Akbar, 
à  qui  il  confia  le  gouvernement  des  Arabes.  L'empire  tout 
entier  obéissait  à  Nouschirwân ,  qui  chassa  tous  les  ennemis 
du  voisinage. 

CHAPITRE  XXXn. 

RÈGNE  DE  NOUSCHIRWÂN  ,  FILS  DR  QOBAD. 

Or  Nouschirwân  s'assit  sur  le  trdne,  plaça  la  couronne 
sur  sa  tête  et  exerça  la  justice.  Déjti  du  temps  de  son  père, 
les  hommes  avaient  remarqué  sa  sagacité  et  son  aptitude, 
et,  quand  il  arriva  au  trône,  ils  en  furent  remplis  de  joie. 
La  première  chose  qu'il  ordonna  fut  de  mettre  à  mort  les 
adhérents  de  Mazdak.  Tous  les  biens  qui  étaient  entre  leur» 


160  CHRONIQUE  DR  TABARI. 

mains  furent  i^cndus  à  leurs  propriétaires,  et  tout  ce  qui 
n*avait  point  de  propriétaire  fut  donné  aux  pauvres;  et  toutes 
les  femmes  qui  étaient  avec  eux  furent  également  rendues  à 
leurs  époux.  Il  dit  aux  pauvres  :  Travaillez ,  et  ne  mendiez 
pas.  A  tous  ceux  qui  éUiient  bien  constitués  il  ordonna  de 
cultiver  la  terre;  et  à  tous  ceux  qui  étaient  infirmes  ou  aveu- 
gles il  donna  des  secours  de  sa  bourse,  disant  :  Je  ne  veux 
pas  qu'il  y  ait  dans  mon  pays  un  pauvre.  Il  prescrivit  en- 
core aux  cultivateurs  de  ne  laisser  aucune  partie  du  sol  sans 
culture,  et  il  donna  de  la  semence  de  ses  magasins  à  ceux 
qui  n'en  avaient  pas;  partout  où  il  y  avait  une  terre  non 
cultivée,  il  ordonna  d'en  entreprendre  la  culture.  11  fit  ma- 
rier toutes  les  femmes  qui  ne  l'étaient  pas  et  qui  devaient 
l'être;  celles  qui  étaient  pauvres  reçurent  des  secours  de  sa 
bourse.  Il  fit  aussi  marier  les  hommes  et  les  fit  établir  à  ses 
frais.  Ensuite  Nouschirwân  tourna  ses  regards  vers  l'armée, 
et  donna  aux  soldats  leur  solde  et  leur  distribua  des  provi- 
sions. Il  fit  réparer  les  pyrées,  fit  des  largesses  aux  prêtres, 
et  y  plaça  des  gens  sages  et  expérimentés.  Enfin  il  rétablit 
la  vertu,  la  confiance,  les  aiïaires  de  la  religion  et  les  affaires 
du  monde.  Il  ordonna  ainsi  les  affaires  de  son  royaume  pen- 
dant cinq  ans.  11  fit  copier  tous  les  écrits  provenant  d'Arde- 
schir,  fils  de  Râbek,  ses  bonnes  maximes,  ses  recommanda- 
tions et  ses  dernières  volontés. 

Après  ce  temps,  Nouschirwân  fit  marcher  son  armt'e  contre 
Antioche  de  Syrie,  qui  était  sous  la  domination  du  roi  de 
Roum.  Il  prit  la  ville  et  la  désola.  Puis  il  dit  :  Cette  ville 
est  fort  belle;  et  il  ordonna  de  prendre  le  plan  de  la  ville  et 
de  ses  édifices.  Ensuite  il  fit  construire  dans  son  royaume 
une  ville  en  tout  point  semblable,  près  de  Madâin,  et  l'ap- 
pela Raumia.  Il  y  transféra  tous  les  habitants  d' Antioche;  les 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXII.  \6\ 

places  et  les  rues  de  Roumia  étaient  construites  d'une  façon 
si  belle  et  si  parfaite,  que  ceux  qui  y  arrivaient  d'Antioche 
crurent  que  c'était  cette  ville  elle-même,  et  chacun  entra  et 
s'établit  dans  [sa]  maison,  comme  s'il  était  à  Antioche. 

Ensuite  Nouschirwân  alla  attaquer  Héraclius,  le  roi  de 
Roum,  fit  la  conquête  du  pays  et  attaqua  et  prit  Alexandrie. 
Le  roi  de  Roum  s'enfuit  à  Constantinople,  envoya  à  Nou- 
schirwân un  messager  et  offrit  de  lui  payer  tribut.  Alors 
Nouschirwân  évacua  le  pays  de  Roum  et  se  dirigea  contre 
les  Khazars,  en  massacra  un  grand  nombre,  pilla  et  saccagea 
leur  pays,  en  punition  des  actes  qu'ils  avaient  commis  en 
Perse,  du  temps  de  son  père.  De  là  il  se  rendit  dans  le 
Yemen,  le  long  de  la  côte,  vint  à  ^Aden,  au  bord  de  la  mer, 
et  fit  également  dans  le  Yemen  un  grand  massacre,  de  sorte 
que  le  roi  de  ce  pays  se  soumit  à  lui  et  consentit  à  payer 
tribut. 

Nouschirwân  revint  à  Madâïn  et  trouva  son  royaume  dans 
le  plus  grand  ordre.  Après  qu'il  eut  mené  à  bonne  fin  toutes 
ses  affaires,  le  désir  lui  vint  d'aller  à  Ralkh  et  de  tuer  le  roi 
des  Heyâtelites,  celui  qui  avait  fait  périr  Firouz,  et  de  faire  la 
conquête  du  Tokhâristân  et  du  Ghordjistân.  Le  territoire  de 
Balkh  touchait  au  pays  des  Turcs,  et  le  roi  des  Heyâtelites  et 
le  roi  des  Turcs  vivaient  en  amitié  et  en  paix.  Nouschirwân 
envoya  donc  d'abord  un  messager  au  Khâqân ,  pour  deman- 
der sa  fille  en  mariage.  Il  fit  de  grands  frais  pour  faire  amener 
la  jeune  fille  et  conclut  un  traité  avec  le  Khâqân.  Après  un 
intervalle  d'un  an,  il  lui  écrivit  une  lettre,  et  ijii  demanda  le 
secours  d'une  armée  contre  le  roi  des  Heyâtelites.  Le  Khâqân 
dirigea  du  Turkestân  une  forte  armée  contre  Balkh,  et  Nou- 
schirwân y  fit  également  marcher  la  sienne,  de  sorte  qu'ils 
prirent  les  troupes  heyâtelites  entre  deux  feux.  Nouschirwân 
II.  1 1 


J62  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

tua  le  roi  des  Ileyàtelites,  pilla  ses  trésors  et  ravagea  sou  pays. 
De  là  il  se  rendit  dans  le  Turkestân  et  dans  le  Ferghâuè,  et 
retourna  ensuite  dans  son  pays.  Il  resta  sur  le  trône  quarante- 
huit  ans.  11  donna  le  gouvernement  des  Arabes  à  Moundsir, 
fils  de  No'nian  al-Akbar,  et  le  fit  résider  à  ^HJra,  où  il  régna 
pendant  sept  ans.  Ensuite  il  institua  son  fils  Moundsir,  fils  de 
Moundsir,  fils  de  Norman ,  nommé  Ben  Mâ-es-Semâ,  parce  que 
sa  mère  s'appelait  Mâ-es-Semâ.  Moundsir  fut  attaqué  par  deux 
ennemis,  par  Tun  du  côté  de  Toricnt,  par  l'autre  à  loccident. 
Il  leur  fit  la  guerre  et  remporta  la  victoire.  Il  prit  le  nom 
de  Dsoul-Çamaïriy  et  les  Arabes  l'appelaient  ainsi.  Quand 
il  mourut,  son  fils  ^Amrou,  fils  de  Moundsir,  fut  investi  par 
Nouschirwâu  du  gouvernement  des  Arabes.  La  mère  d'^Am- 
rou  s'appelait  Hind  :  c'est  pour  cela  qu'il  était  nommé  par  les 
Arabes  ^Amrou  ben-Hind.  Après  sa  mort,  son  frère  Norman, 
fils  de  Moundsir,  reçut  le  gouvernement  des  Arabes.  Tous  ces 
rois  arabes,  vassaux  des  rois  de  Perse,  résidaient  à* ^Hlra,  et 
leur  domination  s'étendait  de  ^Hira  jusqu'à  Mossoul  et  la  Mé- 
sopotamie, une  partie  de  la  Syrie  et  du  désert,  jusqu'au  ter- 
ritoire de  Ba'hraïn.  Le  'Hedjâz ,  la  Mecque  et  la  ville  de  Médine , 
ainsi  que  tout  le  territoire  jusqu'au  Yemen,  ne  faisaient  pas 
partie  des  possessions  des  rois  arabes,  ni  de  celles  de  Nou- 
schirwâu; ces  contrées  n'appartenaient  à  aucun  roi,  jusqu'au 
moment  oh  Nouschirwàn  s'en  empara.  Nous  rapporterons  com- 
ment cet  événement  eut  lieu ,  de  quelle  façon  le  gouvernement 
du  Yemen  passa  des  rois  ^himyarites  aux  Abyssins;  comment 
Saïf-Dsou-Yezen  se  rendit  auprès  de  Nouschirwàn,  pour  lui 
demander  le  secours  d*une  année ,  et  comment  il  prit  posses- 
sion du  gouvernement  du  Yemen  avant  que  les  déiéguén  de 
Nouschirwàn  y  vinssent.  Avant  cette  époque,  le  Yemen  était 
gouverné  par  les  rois  *hîmy«rites,  qui  sont  les  mômes  que  les 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXII.  1«3 

• 

Tohba^;  car  chacun  de  leurs  rois  ëlail  appelé  Tobba".  Quant 
à  la  Mecque ,  dont  le  territoire  s'appelait  Tihâma ,  et  à  Mëdine , 
dont  le  teiritoire  s'appelait  ^Hedjâz,  ces  contrées  n'avaient 
point  de  roi  ;  leurs  habitants  témoignaient  du  respect  à  Nor- 
man, ie  roi  des  Arabes;  mais  ils  ne  lui  payaient  aucune  rede- 
vance et  n'acceptaient  aucun  gouverneur.  [A  cette  époque,] 
la  Mecque  avait  pour  chef  ^Abdou'l-Mottalib,  el  Médine  était 
en  la  possession  des  deux  grandes  tribus  Aous  et  Khazradj , 
qui  donnaient  un  chef  à  la  ville.  Quant  aux  Arabes  du  désert, 
chaque  tribu  avait  un  chef  particulier.  Tous  les  habitants  du 
Ycmen  et  du  ^Hedjâz  étaient  idolâtres.  Les  villes  de  la  Mecque 
et  de  Médine  ne  furent  inquiétées  par  aucun  des  rois  voisins, 
ni  par  les  rois  de  Syrie,  ni  par  ceux  du  Yemen,  ni  par  les 
rois  d'Abyssinie,  ni  par  ceux  de  ^Hira,  ni  parles  rois  de  Perse; 
car  leurs  habitants,  ainsi  que  ceux  du  désert,  étaient  pauvres 
et  avaient  peu  de  ressources.  Us  se  rendaient,  pour  faire  le 
commerce,  en  Syrie  et  en  Abyssinie,  et  rapportaient  de  ces 
pays  des  provisions.  Ils  assuraient  chaque  roi  en  particulier 
de  leur  amitié,  et  les  rois  leur  faisaient  des  cadeaux.  De  temps 
en  temps,  quand  il  y  avait  dans  le  Yemen  un  roi  Miimyarite 
puissant  à  la  tète  d'une  nombreuse  armée,  qui  venait  aux 
confins  du  ^Hedjâz,  ils  l'assuraient  de  leur  soumission  et  al- 
laient avec  lui  dans  le  pays  de  Roum  et  en  Syrie.  Aucun  roi 
ne  venait  les  attaquer  dans  leur  pays. 

Dans  la  vingtième  année  du  règne  de  NouschirwAn ,  il  na- 
quit à  ^Abdou'l-Mottalib  un  fils,  qu  il  nomma  ^Abdallah,  qui 
fut  père  de  notre  Prophète.  Quand  'Abdallah  eut  vingt-deux 
ans,  notre  Prophète  naquit  de  lui,  dans  la  quarante-deuxième 
année  du  règne  de  Nouschirwân.  Ce  fut  dans  la  même  année 
que  le  roi  Abraha  l'Abyssin  amena  l'éléphant  et  une  armée 
pour  détruire  la  Ka'ba.  'Abbâs,  fils  d'Abdou'I-Mottalib,  avait 


1 1 


164  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

• 

alors  deux  ans,  et  ^Hamza,  (ils  d'^Abdou'I-Mottalib,  naquil  dans 
Ja  première  année  de  Tère  de  rÉIëphanl.  Nous  allons  rappor- 
ter maintenant  les  causes  qui  amenèrent  Abraha  et  Téiëphant 
à  la  Mekke,  et  comment  le  Yemen  passa  des  mains  des  rois 
^himyarites  aux  Abyssins,  ce  qui  eut  lieu  du  temps  d*Ar- 
dewân,  avant  Tépoque  de  Nouschirwân;  car,  de  son  temps, 
les  Abyssins  possédaient  déjà  le  royaume  du  Yemen,  qu'ils 
avaient  conquis  sur  les  rois  ^himyarites ,  les  Tobba^ 


CHAPITRE  XXXIII. 


LR  TOBBA^  FAIT  L'N  PELERINAGE  À  LA  KA^BA  ET  LA  PAIT  COUVRIR, 


Ce  récit  est  nécessaire  pour  faire  connaître  de  quelle 
façon  le  Yemen  passa  des  mains  des  ^Himyarites  aux  rois 
abyssins  et  pour  quelle  cause  les  Abyssins,  qui  étaient  dans 
le  Yemen,  vinrent  attaquer  le  temple  de  la  Ka^ba  avec  Télé- 
phant.  Or  il  y  avait  dans  le  Yemen  un  roi  'himyarite,  nommé 
As^ad,  appelé  Tobba*  le  Dernier,  parce  que,  après  lui,  il  n'y 
eut  pas  d'autre  Tobba%  et  que  le  gouvernement  du  Yemen 
lui  échappa.  Il  avait  réuni  dans  le  Yemen  une  forte  armée, 
et  se  proposait  de  faire  au  dehors  une  expédition  et  d'at- 
taquer la  Perse,  pour  se  faire  redouter  des  rois  de  Boum,  de 
Syrie  et  de  Perse,  et  pour  soumettre  l'Arabie  et  le  ^Hedjàz, 
comme  avaient  fait  les  Tobba^  antérieurs.  Il  sortit  donc  du 
Yemen ,  à  la  tête  de  sa  nombreuse  armée,  et  se  dirigea  vers  le 
^Hedjâz.  Il  était  adonné  à  l'idolâtrie,  de  même  que  toute  l'Ara- 
bie, le  ^Hedjâz,  la  Mecque  et  Médine;  seulement,  dans  le  voi- 
sinage de  la  Mecque  et  de  Médine,  il  y  avait  des  Juifs,  dont  les 
ancêtres  étaient  venus  s'établir  dans  le  ^Hedjâz ,  lors  de  leur  fuite 
devant  Nabuchodoiiosor.  Ils  y  avaient  fondé  quelques  bourgs, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXIII.  165 

comme  Khaïbar,  Fadak,  Qoraïzha ,  Wàdri-Qora ,  Nazhir  et  Yan* 
bou^  qui  étaient  tous  en  la  possession  des  Juifs,  qui  suivaient 
la  religion  de  Moïse.  En  dehors  de  ceux-ci ,  il  n  y  avait  per- 
sonne dans  toutes  ces  contrées  qui  adorât  Dieu.  A  cette  époque, 
le  judaïsme  était  tombé,  et  c'était  la  religion  de  Jésus,  la  foi 
de  FEvangile,  qui  dominait,  mais  seulement  dans  la  terre  de 
Roum  et  vers  TOrient  :  tous  les  autres  pays  étaient  plongés 
dans  ridolàtrie.  Cette  expédition  du  Tobba^  eut  lieu  longtemps 
avant  Qobàd,  le  père  de  Nouschirwân,  et  longtemps  avant 
les  rois  de  Perse  [de  la  dynastie  des  Sassanides]  et  avant  Dja- 
dsima  al-Abrasch.  Quand  le  Tobba^  arriva  sur  le  territoire  da 
^Hedjâz,  et  qu'il  passa  près  de  la  Mecque ,  et  qu'il  vit  que  cé^ 
tait  une  ville  située  au  milieu  des  montagnes,  sans  eau  et  sans 
arbres,  il  ne  l'attaqua  point.  Quand  il  arriva  à  Médine,  il  vit 
une  ville  charmante,  avec  de  nombreux  jardins,  des  palmiers 
et  d'autres  arbres.  Le  chef  de  la  ville  était  un  homme  de  la 
famille  des  Beni-Naddjâr,  de  la  tribu  de  Khazradj,  nommé 
^Amrou,  fils  d'AUZhoUa.  Le  Tobba^  fut  charmé  de  Médine, 
et  il  y  établit  son  fils  comme  gouverneur.  Lui-même  continua 
sa  marche  vers  la  Syrie.  Quand  il  fut  sur  le  sol  de  la  Syrie, 
loin  de  Médine,  les  habitants  de  cette  ville  tuèrent  son  fils. 
Quand  le  Tobba^  reçut  cette  nouvelle  en  Syrie,  il  prit  la  réso- 
lution de  détruire  la  ville,  lors  de  son  retour,  et  d'en  tuer 
tous  les  habitants.  Il  porta  ses  armes  dans  tous  les  pays  qu'il 
pouvait  atteindre,  puis  il  s'en  retourna,  et  établit  son  camp 
autour  de  Médine.  Les  habitants  fortifièrent  la  ville.  Un  sol- 
dat de  Farmée  du  Tobba^  pénétra  dans  l'enclos  d'un  habitant^ 
monta  sur  un  palmier  et  cueillit  àes  dattes.  Le  propriétaire 
de  l'enclos  tua  le  soldat  et  le  jeta  dans  un  puits.  Le  TobbaS 
informé  de  ce  fait,  conduisit,  le  lendemain,  son  armée  au 
combat.  Pendant  un  mois,  il  combattit  contre  les  habitants, 


166  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

sans  résultat.  La  lutte  recommençait  chaque  jour  et  durait 
jusqu'à  la  nuit;  alors  ils  rentraient  dans  leur  camp.  La  nuit, 
les  habitants  de  Médiiie  ouvraient  les  portes  de  la  ville  et 
envoyaient  à  Yarmée  ennemie  des  charges  de  dattes.  Après 
un  mois,  les  soldats  dirent  au  Tobba^  :  Combien  de  temps 
lutterons-nous  contre  des  hommes  qui  nous  combattent  pen- 
dant le  jour  et  qui  nous  traitent  en  hôtes  pendant  la  nuit? 
'Le  Tobba^  dit  :  Ces  hommes  sont  très-généreux  envers  nous. 
H  n'était  plus  aussi  ardent  à  leur  faire  la  guerre. 

Alors  deux  hommes  d'entre  les  docteurs  juifs  se  présentèrent 
devant  le  Tobba^  et  lui  dirent  :  0  roi ,  tu  ne  peux  pas  détruire 
cette  ville.  Il  demanda  :  Pourquoi?  Us  répondirent  :  Parce 
qu'il  surgira  d'entre  les  Qoraïschites  un  prophète  nommé 
Mo^hammed,  sur  le  territoire  de  la  Mecque;  les  Qoraïschites 
le  chasseront  de  la  ville;  il  viendra  à  Médine,  y  séjournera  et 
il  y  aura  sa  maison  et  sa  famille.  C'est  en  son  honneur  que 
Dieu  garde  la  ville;  nous  l'avons  ainsi  trouvé  dans  le  Penta- 
teuque.  Le  roi  dit  :  Qu'est-ce  que  le  Pentateuque?  Ils  répon- 
dirent :  C'est  le  livre  de  Dieu  que  Moïse  a  reçu  du  ciel.  En- 
suite ils  exposèrent  au  Tobba*  la  religion  de  Moïse.  Cette 
religion  lui  plut,  et  il  adopta  le  judaïsme,  en  cessant  d'adorer 
les  idoles.  Il  engagea  toutes  ses  troupes  à  embrasser  le  ju- 
daïsme; ce  qu  elles  firent.  Puis  il  dit  à  ces  deux  Juifs  :  Il  faut 
que  vous  veniez  avec  moi  dans  le  pays  de  Yemen,  afin  de 
convertir  tout  le  pays  à  cette  religion.  Ils  consentirent  à  l'ac- 
compagner, et  il  les  combla  de  marques  de  bienveillance  et  de 
cadeaux.  Il  leur  dit  :  Pourquoi  n  appelei-vous  pas  les  gens  de 
Médine  k  cette  religion?  0s  répondirent  :  Ces  hommes  croi- 
ront par  Mahomet. 

Le  roi  rassembla  ses  troupes  et  se  dirigea  vers  le  Yemeu , 
en  emmenant  avec  lui  ces  deux  docteur».  Quand  ii  arriva  à 


PARTIE  H,  CHAPITRE  XXXIIL  t67 

la  Mecque,  les  Arabes  hodsaïlites  voulurent  le  faire  périr,  parce 
qu  ils  ne  pouvaient  pas  lui  résister  par  la  force.  Ils  vinrent 
auprès  de  lui  et  lui  dirent  :  0  roi ,  si  tu  désires  avoir  d'énormes 
richesses,  des  joyaux ,  de  Tor  et  de  l'argent ,  les  habitants  de  la 
Mecque  eu  possèdent  plus  que  qui  que  ce  soit  au  monde  ;  détruis 
la  ville  et  la  Ka^ba  el  fais  tuer  les  habitants;  de  cette  manière 
tu  en  seras  le  maître.  Ils  voulurent  par  leur  discours  renga- 
ger à  entreprendre  cette  action,  afin  qu'il  périt.  Le  Tobba' 
fit  appeler  les  docteurs  juifs  et  leur  soumit  les  paroles  des 
Hodsaïlites.  Les  docteurs  dirent  :  0  roi,  ceux-là  veulent  te 
faire  périr  par  là;  car  ce  temple  est  un  temple  de  Dieu,  qui 
ne  permet  à  personne  de  s'en  emparer.  Ne  suis  pas  leurs  pa* 
rôles;  entre  dans  la  Mecque;  accomplis  les  processions  autour 
du  temple;  rase-toi  la  tête,  et  témoigne  au  temple  ton  respect; 
ensuite  éloigne-toi  d'ici.  Le  roi  suivit  leur  conseil.  Il  fit  ame- 
ner les  Hodsaïlites  et  leur  fit  couper  les  mains  et  les  pieds. 
Lui,  ainsi  que  son  armée,  entra  dans  la  ville,  fit  la  proces- 
sion autour  du  temple,  se  rasa  la  tête  et  offrit  des  sacrifices. 
Puis  il  donna  ordre  d'enlever  les  idoles  qui  étaient  dans  le 
temple  et  de  le  purifier,  et  il  le  fit  couvrir  d'étoffes,  kxani 
lui,  on  n'avait  jamais  fait  couvrir  le  temple  d'étoffes;  c'est 
lui  qui  a  inauguré  cette  coutume. 

Le  Tobba^  partit  de  là  avec  les  docteurs  juifs,  et  se  dirige 
vers  le  Yemen.  Les  habitants  se  réunirent  et  lui  dirent  :  Nous 
ne  te  permettons  pas  de  rentrer  dans  le  Yemen  ;  car  tu  as  re- 
noncé au  culte  des  idoles.  Le  Tobba'  était  hors  d'état  de  lutter 
contre  le  pays  tout  entier.  Il  y  avait  dans  le  Yemen  un  feu  qui 
servait  d'arbitre  dans  les  différends  des  hommes.  Il  se  trou- 
vait dans  une  montagne  sur  le  territoire  de  Çan^à,  dans  une 
grande  caverne.  Chaque  fois  que  deux  personnes  avaient  une 
contestation  et  qu'il  n'était  [mlh  possible  de  discerner  le  vrai 


168  CURONIQLE  DE  TABARi. 

du  faux,  le  roi  eoToyait  les  deoi  adfersaiires  avec  ses  gens 
à  cette  caf erne.  Us  se  tenaient  la ,  le  feu  sortait  de  la  caverne 
et  dévorait  relui  qui  avait  tort;  la  partie  lésëe  n'en  recevait 
aucun  mal.  Ensuite  le  feu  rentrait  dans  la  caverne,  et  personne 
ne  savait  d'où  il  venait  ni  ou  il  dbparaissait.  Le  roi  dit  aux 
Yéménites  :  Allons  vider  notre  différend  aupràs  du  feu;  si 
vous  avez  raison,  nous  accepterons  votre  croyance;  si  la  vérité 
est  avec  nous,  vous  embrasserez  notre  religion.  Les  habitants 
y  consentirent  Le  roi  fit  appeler  les  docteurs  juifs  et  leur  fit 
part  de  celte  affaire.  Ils  se  déclarèrent  satisfaits.  Alors  les 
Yéménites  portèrent  toutes  leurs  idoles  a  Tentrée  de  cette  ca- 
verne, et  le  roi  s'v  rendit  avec  toute  son  armée.  Les  docteurs 
suspendirent  à  leur  cou  le  livre  de  la  Loi,  s'assirent  k  l'entrée 
de  la  caverne  et  se  mirent  à  réciter  la  Loi.  Une  flamme  comme 
ou  n'en  avait  jamais  vu  sui^t,  se  précipita  sur  les  idoles  et 
les  dévora;  le  feu  dura  depuis  le  matin  jusqu'au  milieu  du 
jour,  et  la  fumée  s'éleva  dans  Tair,  de  sorte  que  l'univers  fut 
obscurci.  T^orsque  la  flamme  se  retira,  toutes  les  idoles  étaient 
consumées,  ainsi  que  ceux  des  hommes  qui  s'étaient  trouvés 
au  milieu  d'elles;  les  docteurs  juifs  sortirent  de  la  fumée 
sains  et  saufs  avec  leurs  livres.  Alors  les  habitants  du  Yeroen 
embrassèrent  le  judaïsme;  ridolâtrie  disparut  et  le  judaïsme 
se  répandit. 

I^s  Yéménites  avaient  un  temple  d'idoles  d'où  sortait  une 
voix  qui  conversait  avec  eux  et  qui  donnait  réponse  à  tout  ce 
qu'ils  deoiandaieiil;  cependant  on  n'y  voyait  personne.  Le  roi 
fit  part  aux  docteurs  juifs  des  particularités  de  ce  temple. 
Ceux-ci  dirent  :  C'est  un  div  qui  les  ^are.  Ils  se  rendirent 
à  la  porte  du  temple  et  récitèrent  la  Loi  pendant  longtemps. 
Le  roi  les  avait  accompagnés  liojs  de  la  ville.  Après  qud- 
que  temps,  ils  virent  se  précipiter  hors  du  temple  un  chien 


PARTIE  H,  CHAPITRE  XXXIV.  169 

noir,  qui  poussa  des  hurlemeuts  et  disparut  sous  terre.  Les 
Juifs  dirent  :  Voilà  le  div  qui  avait  parlé  aux  hommes.  Ensqile 
le  roi  fit  détruire  ce  temple.  Tout  le  Yemen  embrassa  le  ju- 
daïsme, et  le  roi  y  persévéra  jusqu'à  sa  mort.  Le  nom  de  ce 
roi  était  As^ad,  son  surnom  Abou-Karib,  et  son  titre  Tobba^; 
il  fut  Tun  des  rois  ^himyarites.  Dans  la  langue  ^himyarite,  \è 
Tobba^  était  appelé  Tibhân^  ce  que  les  Arabes  prononcent 
Tobba^.  On  appelle  aussi  As^ad  TobbaMe  Dernier:  aucun  roi 
^himyarite  n  a  eu  un  aussi  long  règne  que  lui,  si  ce  n'est  son 
fils  ^Hassan ,  que  les  Arabes  appellent  Tobba^  le  Jeune.  Ce  fui 
donc  As^ad  qui  introduisit  dans  le  Yemen  le  judaïsme,  que 
tous  les  habitants  embrassèrent.  Il  laissa  trois  fils  :  ^Hassan, 
^Amrou  et  Zor^a,  tous  les  trois  en  bas  âge  et  incapables  de  ré- 
gner. Alors  surgit  un  homme  de  Béni -Lakhm,  nommé  Rabfa, 
fils  de  Naçr,  qui  s'empara  de  la  couronne  du  Yemen.  Il  pro- 
fessait également  le  judaïsme  et  le  pays  se  soumit  à  lui.  Ce 
fut  ce  roi  qui  eut  un  songe  dont  il  demanda  l'interprétation 
à  Satf  h  et  à  Schiqq. 

CHAPITRE  XXXIV. 

RÈGNE  DB  BABrA,  PILS  DE  NAÇB,  LE  LAKHMITB,  BOI  DU  YEHBIf. 

Kabfa,  fils  de  Naçr,  occupa  le  trône;  il  professait  aussi  le 
judaïsme.  Les  enfants  du  Tobba^  précédent  étaient  encore  jeu- 
ues«  et  Rabf  a  avait  également  des  fils.  Après  plusieurs  années 
de  règne ,  il  arriva  que  le  roi  eut  un  songe.  Il  fit  appeler  tous 
les  docteurs,  interprètes  de  songes  et  devins  {kdhin).  Un  deYÎn 
est  un  homme  qui  prédit  l'avenir,  qui  fput  revenir  les  objets 
volés,  qui  sait  répondre  à  toutes  les  questions  que  l'on  veut 
lui  adresser  et  qui  connaît  d'avance  la  demande  ;  qui  peut  ra- 
conter un  songe  qu'une  personne  a  eu ,  avant  que  celle-ci  l'ait 


170  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

raconte,  et  qui  en  donne  Texplication;  et  si  un  homme  a 
disparu,  il  connaît  Tendroit  où  il  se  trouve.  Un  homme  qui 
réunit  toutes  ces  facultés  est  appelé  par  les  Arabes  kâhin.  Il  y 
avait  des  devins  qui  prétendaient  recevoir  leurs  communica- 
tions d'un  péri ,  de  même  que  les  possédés ,  hommes  et  femmes , 
disent  que  c*est  un  péri  qui  vient  leur  dire  les  choses  qu'ils 
doivent  communiquer  aux  hommes.  Il  y  avait  un  grand  nombre 
de  ces  gens  dans  le  Yemen  ;  mais  parmi  eux  se  distinguaient 
deux  hommes,  Satf  h  et  Schiqq,  tous  les  deux  possédés  et  de- 
vins. Quand  Rabf  a  eut  son  songe,  il  réunit  tous  les  devins  et 
leur  dit  :  Racontez-moi  le  songe  que  j'ai  eu.  Ils  répondirent  : 
Il  n*y  a  que  Satfh  et  Schiqq  qui  puissent  le  faire.  Alors  il  en> 
voya  chercher  ces  deux  hommes.  Satf  h  arriva  le  premier,  et 
le  roi  lui  dit  :  Raconte-moi  le  songe  que  j'ai  eu  et  donne-m'en 
Texplicalion.  Satf  h  dit  :  Tu  as  vu  un  nuage  duquel  -est  tombé 
sur  la  terre  un  charbon ,  qui  s'est  enflammé,  et  le  feu  a  dévoré 
et  réduit  en  cendres  tous  les  habitants  du  Yemen.  Le  roi  dit  : 
Tu  dis  vrai;  c'est  ce  que  j'ai  vu.  Maintenant  donne-m'en  l'ex- 
plication. SatiMi  reprit  :  Il  viendra  un  roi  de  TAbyssinie  qui 
s'emparera  du  royaume  du  Yemen,  en  soumettra  les  habitante 
et  abolira  la  religion  juive;  le  Yemen  sera  annexé  à  l'Abys- 
sinie,  et  les  Abyssins  y  domineront.  Le  roi  dit  :  0  Sairh, 
qu'arrivera -t-il  après?  L'autre  dit  :  Après  cela  viendra  un 
homme,  nommé  Saïfben-Dsou-Yezen,  qui  enlèvera  le  pou- 
voir aux  Abyssins,  puis  il  sera  tué.  Il  surgira  dans  l'Arabie 
un  prophète  qui  établira  une  religion  nouvelle,  que  tous  les 
habitants  du  Yemen  embrasseront  et  qui  durera  jusqu'au 
jour  de  la  résurrection.  Le  lendemain,  l'autre  devin,  nommé 
Schiqq,  arriva;  le  roi  l'interrogea  sur  son  songe,  et  l'autre 
lui  donna  exactement  la  même  interprétation  que  Satj^h ,  sans 
en  différer  d'un  seul  mot. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXV.  171 

Le  roi ,  dans  ses  appréhensions ,  envoya  ses  fils  hors  du  Ye- 
men ,  dans  le  pays  de  TMrâq,  auprès  du  roi  de  Perse,  et  adressa 
une  lettre  à  Schâpour,  fils  de  ^Hazâd.  Cela  se  passait  avant 
répoque  d'ArdeschIr.  Cest  de  ces  fils  de  Babf  a,  fils  de  Naçr, 
que  descendait  ^Adi,  fils  de  Rabfa,  qui  fut  enlevé  par  Dja* 
dsima  al-Abrasch ,  dont  il  épousa  la  sœur,  et  qui  engendra  avee 
elle  ^Amrou ,  fils  d'^Adi.  Après  Djadsima,  le  gouvernement  des 
Arabes  avait  passé  aux  mains  de  ces  princes,  comme  nous 
Tavons  rapporté  plus  haut.  Tous  ces  rois /Amrou ,  fils  d*^Adl, 
et  ses  descendants,  Imroul-Qaïs  aUKindi,  et  Moundsir,  et 
Norman,  et  tous  les  autres  descendants  d'^Amrou,  fils  d'^Adi, 
tiraient  leur  origine  des  fils  de  Rabfa,  fils  de  Naçr,  les  Lakh- 
mites,  que  celui-ci  avait  envoyés  à  *Hira,  par  suite  du  songe 
qui  lui  avait  été  interprété  par  Satrh. 

Rabi^a,fils  de  Naçr,  régna  encore  un  certain  nombre  d'années 
dans  le  Yemen  ;  puis  il  mourut,  tandis  que  ses  fils  demeurèrent 
à  ^Hira;  aucun  d'eux  n  était  resté  dans  le  Yemen.  Les  habitants 
se  concertèrent  et  ramenèrent  les  trois  fils  du  Tobba*  As^ad, 
qui  avaient  grandi  :  ^Hassan ,  ^Anirou  et  Zor^a.  L'ainé,  ^Hassan , 
lut  uommé  roi,  et  il  occupa  le  trône.  Plus  tard,  il  fut  tué  par 
son  frère  ^Amrou ,  qui  s'empara  du  trdne,  et  Zor^a  lui  succMa. 
Nous  allons  raconter  l'histoire  de  chacun  d'eux. 


CHAPITRE  XXXV. 


RBONR  DE  ^HASSAN  BT  DE  SES  PRERES. 


Après  que  'Hassan  fut  monté  sur  le  trâne,  il  fut  acclamé 
par  l'armée  et  en  possession  incontestée  du  pouvoir,  de  même 
que  sou  père.  Il  prit  le  titre  deTobba",  et  on  l'appelait  Tobba^ 
le  Jeune.  Après  cinq  ans  de  règne,  il  voulut  faire  une  expédi- 


172  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

tion  hors  dn  Yemen,  sur  les  territoires  de  1* Arabie,  du  ^Hed- 
jâz  et  de  la  Syrie,  comme  avaient  fait  les  autres  Tobba*  et 
aussi  son  père.  Les  habitants  du  Yemen  et  les  troupes  lui  di- 
rent :  Il  ne  faut  pas  entreprendre  d'expëdition,  car  les  expédi- 
tions qu'ont  faites  les  rois  du  Yemen  au  dehors  n^ont  pas  été 
heureuses.  Hassan  ne  tint  pas  compte  de  leur  observation; 
il  fit  marcher  son  armée  hors  du  pays  et  emmena  avec  lui  son 
frère  ^Amrou,  tandis  qu'il  laissait  dans  le  Yemen,  à  cause 
de  sa  grande  jeunesse,  son  autre  frère,  nommé  Zor^a.  ^Hassan 
envahit  la  Syrie.  Mais  ses  soldats  étaient  très-mécontents  de 
cette  expédition,  et  ils  craignaient  qu*il  ne  leur  arrivât  quel- 
que accident  du  fait  des  rois  de  Syrie,  de  Roum  ou  de  Perse. 
Quand  ils  arrivèrent  sur  le  territoire  de  la  Mésopotamie ,  entre 
Mossoul  et  la  Mésopotamie  [proprement  dite],  dans  le  voisi- 
nage de  la  Syrie,  tous  les  soldats  de  ^Hassan  vinrent  trouver 
son  frère  ^Amrou  et  lui  dirent  :  Tue  ton  frère  ^Hassan ,  nous 
te  donnerons  la  couronne  et  nous  te  reconnaîtrons  comme 
roi,  puis  nous  retournerons  dans  le  Yemen.  ^Amrou,  d'après 
ces  paroles,  tua  son  frère;  Tarmée  tout  entière  le  reconnut 
comme  roi ,  et  il  retourna  dans  le  Yemen ,  où  il  fut  dans  la 
possession  incontestée  du  pouvoir.  Mais ,  quoi  qu  il  pât  faire , 
il  ne  trouvait  pas  de  sommeil  ;  le  sommeil  le  fuyait  jour  et  nuit. 
Dans  cette  peine,  il  fil  venir  les  médecins;  mais  aucun  remède 
que  quelqu'un  connaissait  et  qu'il  employait  ne  lui  servit. 
Alors  il  appela  auprès  de  lui  les  devins,  les  savants  et  les  Juifs 
qui  se  trouvaient  dans  le  Yemen,* et  les  interrogea  [sur  son 
état].  Ils  lui  répondirent  unanimement  :  C'est  là  le  châtiment 
de  Dieu,  parce  que  tu  as  tué  ton  frère  innocent  et  que  tu  lui 
as  enlevé  la  couronne  par  le  crime.  ^Hassan  fit  mettre  à  mort 
tous  ceux  des  soldats  et  des  officiers  de  son  armée  qui  l'avaient 
poussé  à  tuer  son  frère.  Mais  cela  ne  servit  de  rien  :  il  ne  put 


I7â  CHRONÎQUE  DE  TABARî. 

belvëdère,  Zor^a  y  fut  introduit,  et  les  gardiens  en  fermèrent 
ia  porte.  Le  roi  voulut  se  jeter  sur  lui;  mais  Zor^a  dit  :  O  roi , 
ne  me  déshonore  pas  et  ëpargne-moi  seul  de  tous  les  jeunes, 
gens  du  royaume,  car  je  suis  de  famille  royale;  mon  père 
el  mes  frères  ont  été  rois,  et  moi  j'ai  plus  de  droits  sur  le 
trône  que  toi-même;  je  te  Tai  abandonné;  toi,  h  ton  tour, 
laisse-moi  ma  personne  et  fais-moi  grâce.  Le  roi  ne  se  rendit  ^ 
pas  à  ses  supplications  et  dit  :  Fais  ce  que  je  désire,  ou  j^ap- 
pdle  le  gardien 9  afin  qu  il  te  coupe  la  tète  et  la  suspende  à 
ce  belvédère.  Alors  Zor^a  tira  son  couteau ,  Tenfonça  dans  le 
ventre  du  roi  et  le  tua,  lui  trancha  la  tète  et  la  main  droite, 
mit  le  cure-dent  dans  cette  main  et  plaça  la  tête  à  la  fenêtre. 
Lorsque  les  gardiens  aperçurent  la  tête  et  le  cure-dent,  ils 
pensèrent  que  le  roi  avait  accompli  son  action,  comme  il 
avait  fait  avec  les  autres  jeunes  gens,  et  ils  ouvrirent  la  porte 
du  belvédère.  Zor^a  en  descendit  et  sortit  Ensuite,  quand 
loi  gardiens  entrèrent  et  trouvèrent  le  roi  dans  cet  état,  ils 
reconnurent  que  c'était  Zor^a  qui  avait  commis  le  meurtre.  Ils 
descendirent  et  avertirent  Farmée  et  le  peuple.  Les  habitants 
étaient  dans  la  joie;  ils  allèrent  trouver  Zor'a  et  lui  dirent  : 
Tu  es  le  plus  digne  d'occuper  le  trône;  car  tu  es  de  la  maison 
royale,  et  tu  nous  as  délivrés  de  ce  misérable.  Une  grande  foule 
accourut;  Zor^a  fut  proclamé  et  on  l'investit  du  gouvernement 
du  Yemen.ll  monta  sur  le  trône,  et  l'armée  le  reconnut. Il  pro- 
fessa le  judaïsme,  et  on  lui  donna  le  surnom  de  Dsou-Nowâs. 
Il  fut  le  plus  respecté  de  tous  les  rois  du  Yemen.  H  prit  le 
nom  de  Yousouf  et  régna  un  grand  nombre  d'années,  réunis- 
saut  dans  sa  main  le  pouvoir  du  Yemen*  et  de  ^Uimyar,  qui 
passa  ensuite  aux  Abyssins.  Ce  fut  lui  qui  fit  une  expédi- 
tion contre  Nadjrân,  dont  les  habitants  étaient  tous  chré- 
tiens et  suivaient  ia  religion  de  Jésus.  Il  vint  les  appeler  au 


PARTIE  II,  €HAP1TRE  \XXV1.  175 

judaïsme  ;  mais  ils  refusèrent.  Dsou-Nowâs  fit  creuser  dans  ia 
terre  une  longue  excavation ,  comme  un  fossé,  y  fit  allumer 
un  feu  et  y  fit  précipiter  tous  ceux  qui  ne  voulurent  pas  em- 
brasser le  judaïsme.  Ce  fossé  est  appelé  en  arabe  Okhdaud;  il 
eu  est  question  dans  le  Coran  en  ces  termes  :  ft  Périssent  les 
gens  du  fossé  rempli  d'un  feu  constamment  entretenu  Ii)  (Sur. 
LxxxY,  vers.  5-6.)  INadjrân  est  une  ville  située  entre  Mossoul 
et  le  Yemen,  dont  les  habitants  étaient  chrétiens,  tandis  que 
tous  ceux  qui  demeuraient  autour  d'elle  étaient  idolâtres* 
Maintenant  il  faut  faire  connaître  pour  quelle  raison  Dsou- 
Nowâs  vint  à  Nadjrân,  et  comment  il  arriva  que  les  habitants 
de  cette  ville,  seuls  entre  tous  les  Arabes,  furent  chrétiens. 


CHAPITRE  XXXVl. 

HISTOIRE  DE  LA  CONVERSION   DES  IIARITANTS  DE  NADJrIn 


AU  CHRISTIANISME. 


Les  habitants  de  Nadjrân  étaient  tous  Arabes,  des  Béni- 
ThaMab.  Tandis  que  tous  les  Arabes  qui  les  entouraient  étaient 
idolâtres,  ils  étaient  chrétiens;  mais  primitivement ib avaient 
été  également  idolâtres.  Voici  comment  ils  étaient  devenus 
chrétiens.  Ils  avaient  en  dehors  de  la  ville  un  arbre,  un  grand 
palmier.  Une  fois,  chaque  année,  ils  célébraient  une  fête,  et, 
ce  jour-là,  tout  le  peuple  se  réunissait  autour  de  cet  arbre; 
on  le  couvrait  de  brocart,  on  plaçait  toutes  les  idoles  sous 
Tarbre,  on  faisait  des  processions  autour  et  des  invocations. 
Un  div  se  tenant  dans  Tarbre  parlait  aux  hommes.  En- 
suite ils  offraient  à  Tarbre  des  sacrifices,  et  rentraient.  Or  un 
homme  du  pays  dé  Syrie,  descendant  des  disciples  de  Jésus, 
nommé  Flmioun  (Euphémion),  vint  en  Arabie.  Il  trouva  ce 


176  CHRONIQUE  DE  TABARL 

pays  plongé  dans  fidoiitrîe,  et  n'osa  pas  professer  sa  religion , 
craignant  qe'Qs  ne  le  fissent  périr.  11  loyageait  donc  de  ville 
en  ville,  gagnant  sa  fie;  cbaqiie  soir  il  recevait  le  prii  de  son 
trafail,  en  achetait  de  la  noorritnre  et  mangeait;  ensuite  il 
se  mettait  à  loaer  Dieu  et  à  prier.  Quand  les  kommes  s'aper- 
cevaient qa  il  n'adorait  pas  les  idoles,  il  qoittait  son  séjour 
et  se  rendait  ailleurs,  sur  le  territoire  de  MossooL  de  la  Mé- 
sopotamie, du  Sawâd  ou  de  Plràq.  Un  jour,  comme  il  mar- 
chait seul,  il  (ut  rencontré  par  des  brigands,  qui  lui  dirent  : 
Tu  es  [sans  doute]  un  esclave,  et  tu  Tes  enfui  d'auprès  de 
ton  maître.  Ils  le  firent  captif,  le  conduisirent  à  Nadjran  et 
le  vendirent.  Il  était  donc  aux  ordres  de  rhomme  qui  favail 
acheté;  mais,  le  soir,  il  entrait  dans  une  chambre  et  passait 
toute  la  nuit  en  prières,  tenant  la  porte  de  la  chambre  fermée. 
Son  maître,  Tavant  vu  faire  ainsi  une  nuit  ou  deux,  voulut 
savoir  ce  qu  il  faisait  dans  la  chambre.  Il  y  entra  donc  vers  mi- 
nuit et  vit  la  chambre  éclairée  par  une  lumière.  Il  pensait  que 
Fimioun  avait  un  flambeau;  regardant  de  plus  près  et  voyant 
qu'il  n'en  avait  pas,  il  fut  épouvanté.  Le  lendemain,  il  appela 
Fimioun  et  lui  dit  :  Je  t'ai  vu  hier  soir  quand  tu  priais;  toute 
la  chambre  était  éclairée,  et  tu  récitais  quelque  chose;  quelle 
religion  as-tu?  L'autre  répondit  :  Je  professe  la  religion  de 
Jésus,  fils  de  Marie,  et  c'était  l'Evangile,  le  livre  de  Dieu,  que 
je  récitais.  L'homme  dit  :  Cette  religion  est-elle  supérieure 
à  la  nôtre?  Fimioun  répondit  :  Assurément,  ma  religion  est 
supérieure  à  la  vdtre;  car  celle-ci  est  fausse,  ces  idoles  et  cet 
arbre  ne  sont  pas  des  dieux.  Cet  homme,  le  maître  de  Fi- 
mioun ,  fit  part  de  cette  histoire  à  ses  concitoyens.  Ceux-ci 
firent  venir  Fimioun  et  le  questionnèrent  II  leur  exposa  la 
religion  de  Jésus,  et  elle  leur  plut  Us  lui  dirent  :  Qui  nous 
garantit  que  ta  religion  est  la  vraie  et  la  ndtre  fausse?  L'autre 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXVI.  177 

(lil  :  Je  vais  invoquer  luou  Dieu,aCn  qu'il  détruise  cet  arbre. 
Us  promirent  que,  si  cela  avait  lieu,  ils  embrasseraient  sa 

• 

religion.  Fimioun  sortit  de  la  ville  et  se  rendit  auprès  de  Tar- 
bre;  il  se  plaça  au  pied  de  Tarbre  et  pria.  Dieu,  devant  les 
yeux  de  tout  le  peuple,  donna  ordre  au  vent,  Tarbre  fut  arra- 
ché et  complètement  déraciné.  Alors  les  habitants  brisèrent 
leurs  idoles  et  embrassèrent  la  religion  de  Jésus;  Thomme  qui 
avait  acheté  Fimioun  lui  rendit  la  liberté.  Tous  les  habitants 
de  Nadjrân  furent  donc  chrétiens  et  apprirent  TÉvangiie. 
Fimioun  y  restait,  leur  enseignant  TËvangile,  et  les  hommes 
lui  envoyaient  leurs  enfants  pour  l'apprendre.  Voilà  comment 
les  habitants  de  Nadjrân,  seuls  parmi  les  Arabes,  devinrent 
chrétiens. 

Il  y  avait  à  Nadjrân  un  chef  nommé  Thâmir,  à  qui  naquit 
un  Cls,  qu'il  nomma  ^Abdallah.  Quand  celui-ci  fut  grand,  son 
père  l'envoya  à  Fimioun,  afin  qu'il  lui  enseignât  l'Evangile. 
L'enfant  fut  pendant  plusieurs  années  son  écolier.  Fimioun 
connaissait  le  grand  nom  de  Dieu,  et  tout  ce  qu'il  demandait 
à  Dieu,  il  l'obtenait.  Quand  on  lui  apportait  un  malade, 
Fimioun  demandait  le  secours  de  Dieu,  et  le  malade  était 
guéri  par  la  puissance  de  ce  nom.  ^Abdallah ,  fils  de  Thâmir, 
demanda  à  Fimioun  avec  beaucoup  d'instances  de  lui  ap- 
prendre ce  nom;  mais  Fimioun  ne  voulut  pas  et  dit  :  Ce  nom 
est  l'un  des  noms  de  Dieu  et  se  trouve  dans  l'Evangile;  mais 
je  crains  de  te  l'apprendre,  de  peur  que  tu  ne  puisses  le 
supporter;  car  lu  n'es  encore  qu'un  enfant,  et  tu  pourrais 
adresser  à  Dieu  une  demande  inconvenante,  et  par  là  périr. 
^Abdallah,  désespérant  d'obtenir  quelque  chose  de  Fimioun, 
s'enferma  dans  sa  chambre,  et  songea  à  un  moyen  pour  arri- 
ver par  lui-même  à  la  connaissance  de  ce  nom.  Il  avait  en- 
tendu dire  à  Fimioun  que,  si  l'on  jelait  le  grand  nom  de  Dieu 

II.  ta 


178  CHRONIQUE  DE  TABAHÏ. 

dans  le  feu,  il  ne  brillerait  pas.  ^Abdallah  (ira  de  ri!ivangile 
tous  les  noms  de  Dieu  qui  s'y  trouvaient,  les  écrivit  ensemble; 

• 

ensuite  il  écrivit  chaque  nom  sur  un  morceau  de  bois,  et  les 
jeta  au  l'eu.  Tous  les  morceaux  de  bois  brûlèrent,  excepté  celui 
sur  lequel  était  écrit  le  grand  nom  de  Dieu.  De  cette  façon 
^Abdallah  en  eut  connaissance.  li  alla  trouver  Fimioun  et  lui 
dit  ce  qu'il  avait  l'ail.  Celui-ci  lui  dit:  0  mon  enfant,  mainte- 
nant que  lu  Tas  trouvé,  prends  garde  de  ne  pas  te  perdre,  en 
invoquant  Dieu  par  ce  nom  dans  une  intention  criminelle 
ou  pour  une  chose  inconvenante ,  que  Dieu  désapprouve. 

Lorsque  Ftmioun  mourut,  ^Abdallah  prit  sa  place  à  Nadj- 
rân,  et  maintint  la  religion  de  Jésus.  Quand  on  lui  amenait 
un  malade  ou  un  aveugle,  il  invoquait  Dieu  par  ce  nom,  et 
le  malade  était  guéri.  Le  christianisme  prit  racine  à  Nadjrân 
et  s'y  établit  si  solidement,  qu'il  n'y  eut  plus  personne  qui 
ne  fût  chrétien;  quiconque  entrait  dans  la  ville  embrassait  le 
christianisme  ou  était  mis  à  mort.  Or  un  des  juifs  du  Yemen 
vint  à  Nadjran  avec  ses  deux  fils.  Les  habitants  les  saisirent 
et  leur  dirent  :  Embrassez  le  christianisme,  ou  nous  vous 
tuerons  tous  les  trois.  Les  deux  fils  refusèrent,  et  furent  tués; 
le  père  embrassa  le  christianisme,  et  on  lui  laissa  la  vie;  en- 
suite il  termina  les  affaires  de  commerce  pour  lesquelles  il 
élait  venu ,  et  rentra  dans  le  Yemen ,  oii  il  reprit  le  judaïsme. 
Il  alla  trouver  le  roi  Dsou-Nowâs  et  lui  raconta  tout  ce  qui 
concernait  les  habitants  de  Nadjrân  et  le  sort  de  ses  propres 
fils.  Dsou-Nowâs  entra  dans  une  grande  colère,  et  jura  solen- 
nellement sur  le  Penlateuque  et  la  religion  de  Moïse  de  con- 
duire une  armée  à  Nadjràn ,  d'en  détruire  les  églises,  de  briser 
les  croix  et  de  faire  brûler  tous  ceux  qui  ne  voudraient  pas 
abandonner  le  christianisme  et  se  convertir  i  la  religion  juive. 
Il  sortit  du  Yemen  avec  cinquante  mille  hommes,  et  se  dirigea 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXVII.  179 

vers  Nadjràii,  en  emporlant  avec  lui  le  Penlaleiiquc.  Et  là  il 
fit  creuser  pour  les  habilanU  de  cette  ville  un  fossc^  et  les  fit 
brûler.  C'est  ce  roi  Dsou-Nowâs  et  les  juifs  du  Yemen  qui 
sont  appelés  geiis  du  fossé  dans  le  Coran,  où  Dieu  les  a  mau- 
dits en  ces  termes  :  tr  Périssent  les  gens  du  fossé !i>  etc.  c'est- 
à-dire  maudits  soient  ces  hommes  du  fossé,  qui  vinrent, 
creusèrent  une  fosse,  s'assirent  au  bord  et  précipitèrent  le 
peuple  dans  le  feu. 

CHAPITRE  XXXVII. 

HISTOIRE    DBS    GENS    Dr    FOSSÉ. 

Arrivé  sur  le  territoire  de  Nadjràn  avec  sa  nombreuse 
armée,  le  roi  Dsou-Nowâs  y  fit  détruire  toutes  les  églises,  et 
les  croix  furent  abattues  et  brûlées;  ensuite  il  invita  les  ha- 
bitants à  embrasser  le  judaïsme;  mais  ceux-ci  refusèrent. 
^Abdallah ,  fils  de  Thâmir,  fut  également  engagé  à  professer  la 
religion  juive ,  et  il  s'y  refusa  également.  Le  roi  le  fit  porter 
sur  le  sommet  d'une  montagne  e(  précipiter  en  bas.  ^\bdallah 
se  releva  sain  et  sauf;  son  coips  n'avait  point  souffert.  II  se 
présenta  devant  le  roi  et  l'appela  au  christianisme.  Le  roi  tenait 
dans  sa  main  un  bâton;  il  en  frappa  'Abdallah  sur  la  tête  et 
la  brisa;  le  sang  coula,  et  'Abdallah  mourut  et  fut  enterré. 

Ensuite,  Dsou-Nowâs  fit  creuser  un  énorme  fossé,  long 
comme  un  abime,  de  la  profondeur  d'une  lance,  et  très- 
large,  le  fit  remplir  de  matières  combustibles  et  y  fit  mettre 
le  feu.  Il  fit  venir  les  habitants  un  à  un,  et  fit  jeter  dans  ce 
feu  tous  ceux  qui  ne  voulurent  pas  embrasser  le  judaïsme. 
Environ  vingt  mille  hommes  furent  tués  de  cette  manière;  les 
autres  s'enfuirent.  Le  roi  fit  détruire  tout  ce  qui  était  encore 

ig. 


IhO  CIIBONKilR  DK  TABUîf. 

resié  del)Out  dans  la  ville;  il  fil  brûler  les  rroiv  el  les  Kvaii- 
giles;  ensuite  il  retourna  dans  le  Yemen. 

Il  arriva,  du  temps  d'^Omar  ben-ai-Khatlâk,  lorsqu'il  ap- 
pela les  gens  de  Nadjrân,  qui  étaient  chrétiens,  à  Tislaniisme, 
que  ceux-ci  ne  voulurent  pas  l'accepter.  Mais  ils  s'engagè- 
rent à  payer  une  capitation  double  de  celle  que  payaient 
les  musulmans.  ^Omar  leur  accorda  la  paix  et  envoya  un 
agent  îi  Nadjràn  pour  recevoir  celte  contribution.  Celui-ci 
adressa  n  'Omar  une  lettre  dans  laqueiie  il  lui  raconte  le  fait 
suivant:  Un  paysan  de  Nadjran,  creusant  une  fosse,  y  a 
trouvé  le  cadavre  d'un  homme  en  parfait  état  de  conserva- 
tion ,  la  main  posée  sur  la  tête.  Chaque  fois  que  ce  paysan 
soulevait  cette  main  en  l'éloignant  de  la  tête,  il  voyait  an- 
dessous  une  blessure  dont  il  coulait  du  sang;  et  quand  il  re- 
plaçait la  main,  le  sang  cessait  de  couler.  Les  hommes  en 
furent  étonnés  et  ne  savaient  ce  que  c'était.  'Omar  ne  le  sut. 
pas  non  plus  et  interrogea  'AU  ben-Abou-Tâlib.  Celui-ci  dit  : 
C'est  'Abdallah ,  fils  de  Thamir,  que  le  roi  du  Yemen,  Yousouf 
Dsou-Nowâs,  l'Homme  du  Fossé,  a  tué  en  le  frappant  avec 
le  bâton  et  lui  brisant  la  tête;  son  sang  s'est  répandu  par  la 
blessure.  Yousouf  le  fit  enterrer  en  cet  endroit.  C'est  le  Pro- 
phète qui  l'avait  ainsi  raconté  à  'Ali.  'Omar  ordonna  de  lais- 
ser la  main  de  cet  homme  posée  sur  sa  télé,  de  le  remettre 
en  terre  et  d'ériger  au-dessus  de  lui  un  monument,  afin  que 
personne  n'ouvrit  plus  sa  tombe.  Ils  firent  ainsi. 

Après  avoir  massacré  et  brûlé  tout  ce  peuple,  le  roi  You- 
souf retourna  de  Nadjrân  dans  le  Yemen.  Le  pays  tomba 
entre  les  mains  des  Abyssins,  qui  vinrent  s'emparer  du  Ye- 
men, comme  nous  allons  le  rapporter. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXVIll  181 


CHAPITRE  XXXVIII. 

HISTOIRE  DE  LA  CONQUETE  DU  ROYAUME  DU  YEMEN  PAR  LES  ROIS 

D'ABYSSINIE. 

Voici  comment  le  royaume  du  Yemen  tomba  des  mains  de 
Dsou-Nowàs  et  des  'Himyarites  en  général  : 

Yousouf  retourna  de  Nadjràn  dans  le  Yemen.  Un  des 
chrétiens  de  cette  ville,  nommé  Dous,  avait  sauvé  sa  vie  en 
s'enfuyant  sur  un  cheval  qui  était  nommé  ThaMab,  à  cause 
de  la  grande  rapidité  de  sa  course  :  c'est  pour  cela  que,  dans 
les  chroniques,  cet  homme  est  appelé  Dous  Dsou-Tlio^labàn, 
étant  désigné  par  le  nom  du  cheval  sur  lequel  il  s'est  enfui. 
Après  le  départ  de  Dsou-Nowâs,  Dous  rentra  dans  Nadjrân  et 
ht  sortir  de  leur  retraite  les  hommes  qui  étaient  restés  en  vie, 
et  leur  dit  :  Reconstruisez  vos  églises  et  rétablissez  le  culte 
chrétien;  moi,  je  n'aurai  pas  de  repos  avant  d'avoir  obtenu 
vengeance.  Il  monta  sur  son  cheval  et  alla  trouver  le  César, 
qui  était  chrétien,  en  prenant  avec  lui  un  Evangile  à  demi 
brûlé,  qui  lui  appartenait.  Le  roi  de  Perse,  à  cette  époque, 
était  Nouschirwân,  qui  s'occupait  à  régler  les  alFaires  de  son 
pays  et  qui  était  adorateur  du  feu.  Quand  on  lui  rapporta 
que  le  roi  du  Yemen  était  venu  à  Nadjrân  et  avait  brûlé  les 
chrétiens,  il  ne  s'en  soucia  pas.  Dous  Dsou-ThoMaban  vint 
donc  auprès  de  l'empereur,  lui  ht  le  récit  de  Nadjrân  et  mit 
devant  ses  yeux  l'Evangile  détérioré  par  le  l'eu.  L'empereur  fut 
très-afRigé,  pleura  et  dit  :  Si  tu  étais  venu  plus  tôt,  quand 
il  n'était  pas  encore  rentré  dans  le  Yemen,  je  serais  allé  lui 
l'aire  la  guerre  et  aurais  vengé  la  religion  chrétienne;  mais 
maintenant  qu  il  est  de  retour  dans  le  Yemen,  je  suis  séparé 


182  CHRONIQUE  DK  TABARI. 

de  liîi  par  uuo  (rop  jjrande  dislance ,  par  le  désert,  le  *Hedjàz  cl 
l'Arabie,  où  la  marche  d'une  armée  est  très-difficile.  Mais  le 
roi  d'Abyssinie  en  est  plus  rapproché,  et  il  est  chrétien;  je  te 
donnerai  une  lettre  pour  lui,  afin  qu'il  t'accorde  une  armée 
et  que  vous  preniez  vengeance.  L'empereur  écrivit  donc  au 
Nedjâschi,  le  roi  d'Abyssinie,  et  envoya  vers  lui  Dous  Dsou- 
ThoMabân  avec  son  Évangile  qui  avait  souffert  du  feu.  Dous 
vint  en  Abyssinie,  remit  au  Nedjàschî  la  lettre  du  César,  lui 
présenta  le  livre  détérioré  et  lui  rapporta  le  récit  des  gens  de 
Nadjrân.  Le  roi  versa  des  larmes.  II  fit  convoquer  les  habi- 
tants de  l'Abyssinie,  et  tous  pleurèrent  et  s'affligèrent  sur  le 
sort  de  la  religion  chrétienne;  il» résolurent  d'attaquer  Dsou- 
Nowâs  avec  une  nombreuse  armée,  et  d'agir  avçc  les  juifs 
d'une  plus  rude  façon  que  ceux-ci  n*avaient  fait  avec  les  chré- 
tiens. 

Le  Nedjâschi  passa  son  armée  en  revue,  et  fit  marcher 
soixante  et  dix  mille  hommes  sur  le  Yemen.  Il  choisit  parmi 
ses  généraux  un  homme  nommé  Aryât,  qu'il  plaça  à  la  tète  de 
cette  armée.  Dous  Dsou-ThoMabân  l'accompagna.  II  y  a  entre 
l'Abyssinie  et  le  Yemen  une  mer  très-vaste.  Le  Yemen  ren- 
ferme un  grand  nombre  de  villes  et  est  le  plus  beau  pays  du 
monde,  car  il  est  en  même  temps  montagneux  et  plat,  terre 
ferme  et  pays  riverain;  il  y  a  des  villes  qui  sont  situées  sur 
le  sommet  d'une  montagne,  d'autres  dans  les  vallées,  d'autres 
dans  l'intérieur  des  terres  et  d*autres  sur  le  bord  de  la  mer; 
certaines  villes  ont  une  température  assez  chaude;  d'autres, 
une  température  assez  froide.  Parmi  les  villes  de  la  côte  se 
trouvent  *Aden  et  *Hadhramaut.  L'armée  abyssine  traversa 
la  mer  et  débarqua  à  *Hadhramaul- 

Quand  Dsou-Nov^âs  en  fut  informé,  il  envoya  des  messa- 
gers aux  rois  de  toutes  les  villes  du  Yemen  et  couvoiiua   les 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXVIII.  18J 

ariuées;  il  leur  Cl  dire  :  L'euuemi  qui  vienl  nous  allaquer  est 
très-lbrl;  nous  ne  sommes  pas  en  élat  de  nous  mesurer  avec 
lui  et  de  le  combattre.  Il  faut  le  perdre  par  une  ruse.  Que 
chacun  de  vous  reste  dans  sa  ville  avec  ses  troupes;  je  ferai 
en  sorte  que  Tennemi  envoie  dans  chaque  ville  une  partie 
de  ses  troupes,  et  alors  que  chacun  de  vous  tombe  avec  son 
armée  sur  ces  hommes  qui  y  viendront,  et  qu'il  les  fasse 
périr.  Les  rois  consentirent,  et  les  troupes  du  Yemen  restèrent 
tranquilles;  Dsou-Nowàs  demeura  avec  environ  cinq  mille 
hommes  à  Çan'a.  Ensuite  Dsou-Nowâs  fit  faire  cent  mille  clés, 
et  lorsque  le  chef  de  Tarmée  abyssine,  Âryàt,  débarqua  à 
^Hadhramaut,  Dsou-Nowâs  lui  adressa  une  lettre  dans  la- 
quelle il  lui  disait  :  Je  ne  veux  pas  lutter  contre  toi ,  car  je  sais 
que  le  \edjâschi  ne  nourrit  pas  d'hostilité  envers  moi;  si  le 
roi  le  désire,  je  lui  enverrai  les  clés  de  tous  mes  trésors,  et 
je  me  rendrai  moi-même  auprès  de  toi  avec  les  quelques 
hommes  qui  sont  avec  moi;  je  n'ai  pas  rassemblé  d'armée, 
afin  que  tu  saches  que  je  ne  veux  pas  te  combattre.  Je  me 
rendrai  auprès  de  toi,  je  te  remettrai  ces  clés  et  le  royaume. 
Si  tu  l-ordonnes,  je  ferai  ma  soumission  à  toi,  ou  si  tu 
veux,  je  me  rendrai  auprès  du  Nedjâschi.  Aryât  répondit: 
Je  ne  peux  rien  faire  par  moi-même,  sans  Tautorisation  du 
Nedjâschi.  Il  resta  donc  à  ^Hadhramaut,  écrivit  au  Nedjâschi 
et  lui  rendit  compte  de  cette  proposition,  eu  lui  envoyant 
la  lettre  de  Dsou-Nowâs.  Le  Nedjâschi,  après  avoir  lu  ces 
lettres,  fut  très-content  et  écrivit  à  Aryât  de  recevoir  les  tré- 
soi*s  et  de  les  envoyer  a  la  cour.  Aryât  envoya  une  lettre  à 
Yousouf,  lui  disant  :  Le  Nedjâschi  ordonne  que  tu  te  rendes 
auprès  de  moi  et  me  livres  les  trésors.  Dsou-Nowâs  partit  de 
Çan'â,  chargea  les  clés  sur  des  ânes  et  vint  à  ^Hadhramaut, 
auprès  d  Aryât,  qu'il  conduisit,  lui  et  son  armée,  à  Ça  n'a,  et 


184  CHRONIQUE  DE  TABARL 

lui  remit  toutes  les  richesses  qui  se  trouvaient  dans  cette  ville, 
en  lui  disant  :  Les  autres  trésors  sont  dans  les  autres  villes; 
envoie  dans  chaque  ville  un  officier  avec  quelques  troupes,  à 
qui  je  remettrai  la  clé  du  trésor  de  la  ville;  quil  aille  en 
prendre  possession.  Aryât  fit  ainsi.  Lorsque  l'armée  abyssine 
fut  ainsi  dispersée,  Dsou-Nowâs  envoya  dans  chaque  ville 
Tordre  de  tuer  les  troupes  abyssines  :  elles  furent  toutes  mas- 
sacrées. 

Quand  Aryàt  en  lut  informé,  il  en  eut  une  grande  dou- 
leur. Il  quitta  Çan^à,  se  rendit  à  ^Hadhramaut,  s'embarqua 
et  vint  rendre  compte  au  Nedjâschî.  Celui-ci  fut  très-cour- 
roucé;  il  arma  cent  mille  hommes,  cavaliers  et  fantassins, 
et  mit  à  leur  télé  un  officier  nommé  Abraha  ben-aç-Cebà*h , 
surnommé  Abou-Yaksoum;  il  était  de  la  famille  des  rois 
d'Abyssinie;  on  l'appelle  aussi  Abraha  al-Aschram,  nom  qui 
désigne  en  arabe  quelqu'un  qui  a  le  nez  coupé.  Il  eut  le  nez 
coupé  dans  la  guerre  du  Yemen,  comme  nous  le  rapporte- 
rons plus  loin. 

Abraha  vint  donc  avec  cent  mille  hommes  dans  le  Yemen. 
Lorsqu'il  débarqua  à  ^Iladhramaut,  Dsou-Nowâs  reconnut 
qu'il  ne  pourrait  pas  lui  résister  et  que  son  armée  ne  l'aide- 
rait pas.  Il  avait  un  cheval  qui  savait  nager;  il  monta  en  toute 
hâte  sur  ce  cheval  et  le  poussa  dans  la  mer;  le  cheval  nagea 
pendant  quelque  temps,  ensuite  il  se  noya.  Abraha  vint  dans 
la  ville  de  Çan^â,  saisit  les  rênes  du  gouvernement  et  auto- 
risa l'armée  abyssine  à  tuer  dans  chaque  ville  du  Yemen 
autant  de  personnes  que  les  Yéménites  avaient  tué  des  leurs. 
Le  sang  coula  à  flots  dans  chaque  ville.  Abraha  soumit  les 
habitants  du  Yemen,  s'empara  de  la  couronne,  proclama  le 
christianisme  et  construisit  des  églises.  Il  engagea  le  peuple 
ù  abandonner  la  religion  juive  et  à  embrasser  le  christia- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXVIII.  185 

nisme;  quiconque  refusait  de  le  faire  ou  de  payer  la  capita* 
tion  eut  la  tête  tranchée. 

Or  le  Nedjâschi  pensa  qu'Abraha  lui  enverrait  une  partie 
des  trésors  du  Yemen.  Abraha  n'en  fit  rien ,  et  Ton  disait  au 
Nedjàschi  :  11  s'est  révolté  contre  toi  et  s'est  emparé  du 
royaume  du  Yemen  pour  son  propre  compte.  Le  Nedjàscht 
lui  adressa  une  lettre  et  l'appela  auprès  de  lui.  Abralia  ré- 
pondit :  Je  suis  l'esclave  du  roi,  et  j'ai  conquis  ce  royaume 
pour  lui  avec  beaucoup  de  peine  et  en  versant  beaucoup 
de  sang.  Si  je  m'absente  d'ici,  ce  pays  sera  perdu  pour 
nous  ;  il  faut  que  le  roi  envoie  ici  une  armée  et  quelqu'un  à 
qui  je  puisse  remettre  le  gouvernement,  ensuite  j'irai  me 
présenter  devant  lui.  Le  Nedjischi  envoya  Aryât,  le  même 
général  qu'il  avait  envoyé  le  premier  dans  le  Yemen,  avec 
quatre  mille  hommes,  pour  prendre  le  gouvernement  du 
Yemen,  avant  ordonné  à  Abraha  de  venir  à  sa  cour.  Lors- 
que  Aryât  vint  dans  le  Yemen,  Abraha  alla  à  sa  rencontre  et 
lui  dit  :  Pour  quelle  affaire  es-tu  venu?  L'autre  dit  :  Le  roi 
m'a  ordonné  de  prendre  de  tes  mains  l'armée  et  le  gouverne- 
ment et  de  t'envoyer  à  sa  cour.  L'autre  dit  :  Et  si  je  ne  te  les 
remets  pas,  que  feras-tu?  Aryât  répondit  :  Alors  nous  te 
combattrons,  moi  et  mes  troupes,  jusqu'au  dernier  homme. 
Abraha  lui  dit  :  A  quoi  servirait  de  tuer  les  soldats?  Viens 
combattre  seul  avec  moi  ;  celui  de  nous  deux  qui  sera  vain- 
queur prendra  le  gouvernement.  Aryât  consenîit,  et  ils  con- 
vinrent d'un  jour  et  d'un  lieu  où  ils  combattraient  seuls. 
Abraha  avait  un  serviteur  abyssin  très-brave,  nommé  Gha- 
noud.  Les  Abyssins  combattent  tous  avec  la  lance.  Le  jour 
du  combat  convenu,  Abraha  dit  à  son  esclave  :  Quand  je 
serai  au  niomenl  de  le  combattre,  tiens  toi  en  embuscade, 
puis  élance-toi  subitement  sur  lui,  frappe-le  de  ta  lance  et 


l86  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

lue-lc.  Ensuite  Abraha  et  Aryâl  commencèrent  la  lutte,  eu 
présence  des  deux  armées,  et  Fesclave  se  tint  caché  derrière 
Aryât.  Quand  ils  furent  en  train  de  luller,  l'esclave  fra|)pa 
subitement  Aryât  d'un  coup  de  lance;  mais,  avant  qu'il  l'al- 
leignit,  Aryât  dirigea  sa  lance  sur  la'  tète  d' Abraha ,  qui  était 
couverte  d'un  heaume  de  fer.  La  lance  traversa  le  heaume, 
toucha  la  figure  d'Abraha  et  enleva  une  partie  de  son  nez. 
C'est  depuis  ce  jour  qu'on  l'appela  Abraha  al-Asckram  (le 
Balafré).  L'esclave  frappa  donc  Aryât,  le  démonta  et  le  tua. 
Quant  aux  soldats  d'Aryât,  les  uns  furent  tués,  d'autres  se 
jetèrenldans  la  mer  et  se  noyèrent,  quelques-uns  s'enfuirent 
auprès  du  Nedjâschi.  Abraha  se  saisit  du  gouvernement.  Il 
avait  promis  à  l'esclave  que,  s'il  tuait  Aryât,  il  lui  accorderait 
tout  ce  qu'il  lui  demanderait.  Quand  Abraha  fut  installé  sur 
le  trône ,  Fesclave  lui  rappela  sa  promesse.  Abraha  lui  de- 
manda ce  qu'il  désirait.  L'esclave  dit  :  Ordonne  qu'aucune 
jeune  fille  ne  soit  conduite  dans  la  maison  de  son  époux 
avant  de  m'avoir  été  amenée,  pour  que  je  lui  oie  sa  virginité. 
Abraha  dit  :  C'est  une  vilaine  chose;  fais  une  autre  demande. 
L'esclave  dit  :  Je  n'ai  pas  d'autre  désir  que  celui-là.  Alors 
Abraha  donna  l'ordre  que  l'on  fit  ainsi  qu'il  l'avait  dit.  Pen- 
dant un  an,  aucune  jeune  fille  du  Yemen  ne  fut  remise  à 
son  époux  avant  d'avoir  été  conduite  à  cet  esclave.  Au  bout  de 
ce  temps,  un  homme  vint  et  tua  l'esclave;  les  habitants  du 
Yemen  craignirent  le  ressentiment  d'Abraha.  Mais  celui-ci 
les  convoqua  et  leur  dit  :  La  mort  de  cet  esclave  a  été  Irès- 
désirable  pour  moi;  mais  je  ne  pouvais  pas  manquer  à  ma 
parole,  et  je  savais  que  vous  le  tueriez  vous-mêmes.  Les 
hommes  furent  très- contents  de  ces  paroles  d'Abraha  et  le 
prirent  eu  affection. 

Quand  le  roi  d'Abyssinie  fut  informé  de  la  mort  d'Aryât, 


PARTIE  II,  CIIAPITIIE  XWVIII.  187 

il  jura  par  Dieu,  par  JiFsus,  TEvangite  et  la  croix,  qu'il  u'au- 
raii  pas  de  repos  qu  il  n  edt  versé  le  sang  d'Abraha  sur  la 
lerrc,  et  quil  neiU  foulé  le  sol  de  la  ville  dans  laquelle  il 
se  trouvait;  ensuite  il  se  mit  à  rassembler  une  armée.  A  ceUe 
nouvelle,  Abraha  sentit  qull  devait  succomber,  que  Farmée 
abyssine  ne  ferait  pas  la  guerre  à  son  roi ,  auquel  elle  était 
attachée,  et  que  lui-même  n aurait  pas  de  secours  à  espérer 
des  habitants  du  Yemen.  Il  envoya  donc  un  messager  au  roi 
pour  lui  présenter  se»  excuses,  et  lui  fit  dire  :  Je  suis  l'es- 
clave du  roi,  de  même  que  le  fut  Aryat.  Mais  celui-ci  n'exé- 
cuta pas  mes  ordres.  Je  lui  avais  dit  de  prendre  patience,  afin 
que  je  lui  confiasse  Tarmée  et  le  gouvernement;  il  n  attendit 
pas,  et  il  ne  m'accorda  pas  le  temps  nécessaire.  Ensuite  il 
imagina  un  guet  apens  :  il  m'appela  à  une  conférence  et  jeta 
sa  lance  contre  moi  pour  me  luer.  Alors  mon  esclave  le 
frappa  d'un  coup  de  lance,  et  Aryàt  fut  tué.  Si  donc  deux 
esclaves  du  roi  combattent  l'un  contre  l'autre  et  que  Dieu 
fasse  périr  l'un  des  deux,  il  ne  faut  pas  que  le  roi  se  dérange. 
Je  suis  son  esclave  comme  je  l'ai  été;  toujours,  quand  tu  l'or- 
donneras, j'irai;  mais  je  crains  que  le  royaume  du  Yemen 
ne  soit  perdu  et  qu'il  soit  impossible  de  le  reprendre;  il 
faudra  beaucoup  de  troupes  et  beaucoup  d'argent  pour  faire 
de  nouveau  la  guerre;  mais  moi  je  suis  aux  ordres  du  roi. 
Il  présenta  ainsi  sa  justification.  Le  Nedjàschi  savait  qu'il 
lui  faudrait  beaucoup  d'argent  pour  transporter  des  troupes 
dans  le  Yemen,  et,  craignant  les  dangers  de  la  mer,  il  agréa 
cette  justification.  11  envoya  à  Abraba  un  messager  et  lui  fil 
dire  :  J'ai  juré  de  verser  ton  sang  sur  la  terre  et  de  fouler  le 
sol  de  ton  pays.  Abraha  se  coupa  une  veine  et  fit  couler  le 
sang  dans  une  fiole;  puis  il  remplit  une  bourse  de  terre,  et 
envoya  les  deux  objets  au  Nedjàschi',  avec  ce  message  :  Voilà 


188  CHRONrQlE  DE  TABARI 

mon  sang,  verse-le  sur  la  terre;  el  voilà  la  tern*  de  mou  pa)s, 
mets-la  sous  ton  pied,  aCa  que  ton  sermeut  soit  accompli. 
Le  Nedjâschi  fut  content,  se  dégagea  de  son  serment  et  fui 
^lisfait  d  Abraha  :  il  lui  laissa  le  royaume  du  Yemen.  Abraha 
établit  le  christianisme  dans  le  Yemen.  Ce  fut  lui  qui  amena 
une  armée  et  des  éléphants  à  la  Mecque,  pour  y  détruire  le 
temple  de  la  Ka'^ba.  Dieu  le  fit  périr;  il  Ta  mentionné  dans 
le  Coran  eu  ces  termes  :  rr  As-tu  vu  comment  ton  Seigneur  a 
agi  avec  les  hommes  de  l'éléphantiD  (Sur.  cv,  vers,  i.) 


CHAPITRE  XXXIX. 


lilSTOIRB  DE  L'EXPKDIT105  D'ABRAHA  CO?ITRR  LA  Ka'bA. 


l/originc  de  cet  événement  fut  celle-ci  :  Lorsque  Abraha  fut 
rentré  en  grâce  auprès  du  Nedjâschi,  et  que  celui-ci  Teut 
confirmé  dans  le  gouvernement  du  Yemen,  il  fut  très- heu- 
reux, il  en  rendit  grâces  à  Dieu,  donna  des  aumônes  aux 
))auvres  et  fit  construire  des  églises  dans  chaque  ville  du 
Yemen.  Il  fit  élever  à  Çan'â,  au  nom  du  Nedjâschi,  une  église 
qui  n'avait  pas  sa  pareille  sur  toute  la  terre  eu  grandeur,  en 
beauté  et  en  ornements.  On  mit  quatre  ans  à  la  terminer. 
Abraha  la  nomma  Qalis.  Sa  réputation  se  répandit  dans  le 
monde  entier.  Abraha  adressa  une  lettre  au  Nedjâschi,  dans 
la({uelle  il  lui  disait  :  J'ai  fait  construire  pour  le  roi  une  église 
comme  le  monde  n'en  possède  pas ,  par  reconnaissance  de  ce 
que  Dieu  ma  rendu  la  grâce  du  roi.  Il  lui  envoya  en  même 
temps  le  plan  de  1  église.  On  y  vint  de  Roum,  de  la  Syrie  et 
de  tous  les  pays  oit  il  y  avait  des  chrétiens,  et  Ton  voyait  là 
quelque  chose qu on  n'avait  jamais  vu  ni  entendu,  et  chacun 
y  fit  de  riches  offrandes.  La  nouvelle  en  vint  aussi  au  César 


PARTIE  H,  CHAPITRE  XXXIX.  189 

• 

(h'  Houm,  (|iii  y  envoya  éjjalement  des  présents,  de  i'albàtre 
el  des  éloffes  de  Rouni.  11  écrivit  au  Nedjàschl  une  lettre  ainsi 
conçue  :  Ton  lieutenant  a  fait  dans  le  Yemen  une  chose 
comme  on  nen  a  jamais  fait;  la  gloire  en  revient  à  toi;  il  n'y 
a  nulle  part  dans  le  monde  un  édifice  pareil  et  une  église  pa- 
reille. Le  roi  d'Abyssinie  en  fut  charmé  et  adressa  à  Abralia 
une  lettre  pleine  de  compliments  el  d'éloges.  Abraha  écrivit  au 
roi  :  Les  Arabes  ont  à  la  Mecque  un  temple  quils  appellent 
lemple  de  Dieu;  ils  y  vont  en  pèlerinage,  et  font  des  proces- 
sions autour  de  ce  lemple.  L'église  que  j\ii  fait  construire  est 
cent  mille  fois  supérieure  en  beauté  à  ce  temple.  Je  veux  or- 
donner aux  habitants  du  Yemen  de  faire  des  pèlerinages^ el 
des  processions  journalières  à  cette  église,  d'y  adorer  Dieu . 
et  de  lui  adresser  en  ce  lieu  leurs  prières.  Je  veux  ordon- 
ner aux  Arabes  de  se  rendre  ici,  au  lieu  de  faire  leur  pèle- 
rinage à  leur  temple.  Cela  sera  à  l'éternelle  gloire  du  roi. 
Le  Nedjàschi  en  fut  content.  Alors  Abraha  proclama  dans  le 
Yemen  que  chrétiens  el  juifs  devaient  venir  prier  dans  celle 
église,  y  faire  des  processions  et  des  pèlerinages.  Deux  frères 
arabes,  de  la  IriLu  de  Solaïm,  élaient  venus  auprès  d'Abraha. 
L'ainé  s'appelait  Mo'hammed  ihn-Khozà'a  al-Dsikràni;  le  nom. 
de  Taulre  était  Qaïs  ibn-Khozâ'a.  C'étaient  des  chefs  arabes; 
ils  avaient  été  réduits  par  les  Arabes  et  ils  s'étaient  trouvés 
embarrassés  dans  le  'Iledjâz,  le  Tihama  et  à  la  Mecque,  et 
étaient  venus  auprès  d'Abraha  avec  une  partie  de  leur  tribu. 
Celui-ci  les  avait  bien  reçus,  et  ils  demeuraient  là.  Lorsque 
Abraha  résolut  d'inviter  les  Arabes  à  faire  leurs  pèlerinages 
à  l'église,  et  de  les  détourner  du  temple  de  la  Ka'ba,  il  mon- 
tra beaucoup  d'amitié  à  Mo'hauuned,  lui  donna  le  gouverne- 
ment des  Arabes  du  désert  el  du  41edjàz,  el  la  souveraineté 
de  la  Mecque;  il  mit  une  couronne  sur  sa  lele  el  l'envoya  h  la 


190  CHRONIOÏIE  DE  TABARI. 

Merqiie,  en  lui  recommandant  do  forcer  les  Arabes  à  faire 
leurs  pèlerinages  à  Tëglise ,  de  les  persuader  que  cette  <?glisn 
ëlait  plus  belle  que  la  Ka^ba,  plus  illustre  et  plus  pure;  qu'ils 
avaient  dans  leur  temple  des  idoles,  et  qu'ils  le  souillaient,  et 
que  jamais  cette  église  n'avait  été  souillée.  Mo^hammed  partit 
avec  son  frère  Qaïs  et  les  gens  de  sa  tribu.  La  nouvelle  s'en  ré- 
pandit h  la  Mecque.  La  souveraineté  delà  Mecque  appartenait 
aux  Qoraïschites  et  aux  différentes  branches  de  cette  famille, 
de  la  tribu  des  Kinâna.  Le  chef  des  Qoraïschites  et  de  la 
Mecque  était  alors  ^Abdou'l-Motlalib.  Quand  Mo^hammed  ar- 
riva sur  le  territoire  de  la  tribu  des  Kinâna,  ceux-ci  postèrent 
sur  son  chemin  un  homme  nommé  *Orwa,  fils  d'^yâdh,  qui 
Je  tua  d'un  coup  de  lance.  Son  frère  Qaïs  se  réfugia  auprès 
d'Abraha,  dans  le  Yemen,  et  lui  fit  part  de  cet  événement. 
Abraha  dit  :  Me  faut-il  donc  envoyer  quelque  autre  pour  les 
engager  à  venir  ici?  J'irai  moi-même  et  détruirai  leur  temple; 
alors  ils  seront  embarrassés,  et  ils  viendront,  s'ils  veulent; 
ou  ils  ne  viendront  pas;  puis  je  tuerai  tous  les  Kinâniens. 
Abraha  rassembla  une  armée  de  cinquante  mille  hommes 
dan$  le  Yemen,  et  se  disposa  à  marcher  sur  la  Mecque. 

Les  Arabes  du  désert,  informés  de  son  dessein,  envoyè- 
rent un  homme  de  la  tribu  des  Kinâna  pour  se  rendre  dans 
le  Yemen  et  voir  l'église  qu'Abraha  avait  fait  construire. 
Cet  homme  parlit;  quand  il  y  arriva,  les  gardiens  le  recon- 
nurent comme  étranger,  et,  sachant  qu'il  n'était  pas  chré- 
tien, ils  lui  demandèrent  ce  qu'il  voulait.  Il  dit  :  Nous  avons 
appris  que  le  roi  a  fait  élever  ipi  une  église ,  et  qu'il  veut  nous 
engager  à  y  venir  en  pèlerinage  ;  mes  compatriotes  m'ont  en- 
voyé ici  pour  la  voir,  et  je  viens  pour  examiner  ce  temple, 
savoir  comment  il  est,  et  pour  leur  en  rendre  compte,  afin 
qu'ils  y  viennent  en  pèlerinage.  On  informa  de  ce  fait  Abraha, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXiX.  191 

({ui  donna  ordre  de  conduire  cet  homme,  de  lui  montrer  toute 
réalise  et  de  Fy  introduire.  Cet  homme  y  vit  des  choses  qu'il 
n'avait  jamais  vues  auparavant,  en  fait  de  peintures  et  de 
pierreries,  qui  y  élaient suspendues.  Il  demeura  tout  étonné, 
se  mit  à  prier  et  à  pleurer;  il  demanda  la  permission  d*y 
rester  la  nuit  pour  prier.  On  lui  en  accorda  la  permission,  et 
il  y  passa  toute  la  nuit  en  prières.  Au  matin,  il  remplit  ses 
mains  d'ordures  et  les  porta  sur  Tautel  de  l'église,  puis  il 
sortit,  demanda  la  permission  d'aller  faire  ses  ablutions  et 
s'enfuit.  Quand  on  vint  à  l'église  pour  la  prière,  on  vil  cet 
état  de  choses.  On  avertit  Abraha  de  ce  qu'avait  fait  cet 
homme ,  que  les  Arabes  eux-mêmes  avaient  envoyé  dans  ce 
but.  Abraha  jura  qu'il  partirait  et  ne  retournerait  [>as  avant 
d'avoir  détruit  la  Ka^ba,  et  que,  après  l'avoir  détruite,  il  la 
ferait  profaner  par  des  souillures. 

Le  Nedjâschi  avait  un  éléphant  qu'on  appelait  Ma^hmoud, 
et  qu'on  n'avait  jamais  emmené  dans  une  guerre  sans  rem- 
porter la  victoire,  et  qui  n'était  jamais  revenu  d'aucun  en- 
droit si  ce  n'est  en  triomphe;  il  était  très-grand,  plus  grand 
qu'aucun  autre  éléphant  de  l'Abyssinie.  Abraha  avait  avec  lui 
dans  le  Yemen  treize  de  ces  éléphants  abyssins;  il  écrivit  une 
lettre  au  Nedjàscht,  lui  raconta  l'attentat  des  Arabes,  tout  ce 
qui  s'était  passé ,  lui  Gtpart  de  son  entreprise  et  lui  demanda 
l'éléphant  Ma'hmoud.  Le  roi  le  lui  envoya,  et  Abraha  fil 
réunir  une  armée  nombreuse,  et  partit  du  Yemen  avec  les 
éléphants.  L'armée  arriva  sur  le  territoire  du  'Hedjâz.  Il  y 
avait  parmi  les  Arabes  un  homme,  nommé  Dsou-Nafar,  qui 
était  si  brave,  qu'il  se  jetait  à  lui  seul  sur  mille  cavaliers.  Les 
Arabes  lui  prêtaient  obéissance.  Il  était  de  la  race  des  *Hi- 
myarites,  qui  avaient  eu  le  gouvernement  du  Yemen  avant 
les  Abyssins,  et  il  entretenait  de  l'amitié  avec  'Abdou'I-Mot- 


19'i  CHROMQLE  DE  TABARl. 

lalib.  Dsou-iSafar  rassembla  les  Arabes  et  se  jeta  ao-deTant 
d'Abraba  avec  dix  mille  hommes.  Abraba  ie  mit  en  fuite  et 
tua  un  grand  nombre  dWrabes;  il  lit  prisonnier  Dsou-Nafar 
et  donna  ordre  de  le  mettre  à  mort.  Dsou-.Nafar  lui  demanda 
grâce,  disant  :  Ne  me  fais  pas  tuer,  tu  n'en  tireras  aucun 
avantage;  garde-moi  avec  toi,  a6n  que  je  te  serve;  tu  as 
appris  ma  réputation  et  mon  courage;  il  se  peut  que  je 
t  aide  à  accomplir  ton  dessein  et  que  tu  sois  content  de  moi. 
Abraba  lui  fit  grâce,  Temmena  avec  lui  et  le  fit  garder  par 
les  troupes;  puis  il  s*avança.  Un  bomme  nommé  Nofaîl,  fib 
de  'Habib,  était  chef  des  Beni-Khath'am.  Les  Beni-khath'am 
étaient  deux  tribus,  dont  Tune  s'appelait  Schahràn,  et  Tautre 
Nâhis,  et  qui  avaient  ensemble  cinquante  mille  hommes.  No- 
faîl en  choisit  dix  mille  combattants  et  attaqua  Abraha,  qui 
les  mil  en  fuite.  Nofaîl  fut  également  fait  prisonnier  et  de- 
manda grâce,  en  disant  :  0  roi,  accorde-moi  la  vie  sauve; 
car  tu  connais  mon  influence  parmi  les  Arabes;  derrière  moi 
sont  cinquante  mille  tentes  ;  en  nrépargnant,  tu  reçois  le  gage 
d'obéissance  de  tous  ces  hommes.  H  te  faut,  pour  aller  à  la 
Mecque,  un  guide;  car,  dans  ce  pays  des  Arabes,  une  armée 
ne  peut  pas  s'avancer  sans  guide  ;  je  te  guiderai.  Abraha  l'épar- 
gna également,  et  le  retint  prisonnier  avec  Dsou-Nafar;  ensuite 
il  continua  sa  marche.  Quand  les  Arabes  apprirent  l'issue 
de  ces  deux  batailles,  ils  eurent  des  appréhensions,  et  aucun 
d'eux  n'osa  plus  l'attaquer.  Abraha  arriva  h  TcàïF,  qui  était 
sous  le  pouvoir  des  Beni-Thaqîf,  dont  le  chef  était  Maç'oud, 
fils  de  Mo^atlib  ie  ThaqiTite.  Celui-ci  et,  à  sa  suite,  les  habitants 
de  Tâïf  vinrent  faire  leur  soumission  à  Abraha,  qui  les  reçut 
en  grâce  et  leur  demanda  un  guide ,  pour  s'avancer  jusqu'à 
la  Mecque.  Ils  lui  donnèrent  un  homme  nommé  Abou-Righâl, 
et  Abraha  fit  avancer  son  année  sur  la  Mecque.  Les  habitants 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXIX.  193 

• 

de  celte  ville  furent  dans  la  crainte;  ils  allèrent  trouver 
^Abdoul-Motlalib,  pour  connaître  son  avis.  ^Abdoul-Mottalib 
dit  :  Nous  ne  sommes  pas  de  force  à  résister  à  ces  liommes; 
quand  Abraha  s^approcliera ,  nous  nous  en  irons  tous,  avec 
nos  femmes  et  nos  enfants ,  «dans  les  montagnes.  Abraha  sait 
à  quoi  s'en  tenir  en  ce  qui  concerne  ce  temple^  dont  le  maî- 
tre est  plus  puissant  que  nous  et,  selon  sa  volonté,  en  éloi- 
gnera cet  ennemi  ou  le  lui  abandonnera.  Abraba  quitta  Tâïf 
et  vint  camper  à  une  station  nommée  Moghammes ,  éloignée 
de  deux  stations  de  la  Mecque.  Abou-Rigbâl  mourut  à  cet 
endroit,  où  se  trouve  son  tombeau.  Encore  aujourd'bui,  tous 
ceux  qui  y  passent  le  maudissent  et  jettent  des  pierres  conti^e 
son  tombeau,  qui  est  devenu  une  montagne,  par  le  grand 
nombre  de  pierres  amassées. 

Delà  station  de  Moghammes,  Abraba  envoya  un  des  offi- 
ciers abyssins,  nommé  Aswad,  fils  de  Maqçoud,  avec  cinq 
mille  hommes,  et  lui  recommanda  de  ne  pas  entrer  dans  la 
Mecque,  mais  de  saisir  autour  de  la  ville  tous  les  animaux  des 
habitants,  bœufs,  moutons,  chevaux  et  chameaux,  et  de  faire 
prisonniers  tous  les  hommes  qu  il  rencontrerait.  L'officier  alla 
et  prit  tout  le  bétail  et  tous  les  pâtres  de  la  Mecque  qu'il 
trouva  sur  son  chemin;  parmi  les  animaux,  il  y  avait  deux 
cents  chameaux  appartenant  à  ^\bdou  I-Mottalib.  Abraha  lit 
demander  aux  prisonniers  ce  que  les  habitants  de  la  Mecque 
se  proposaient  de  faire.  Les  pâtres  répondirent:  Les  hommes 
sont  d'accord  d'abandonner  la  ville  au  roi,  afin  qu'il  en  fasse 
ce  qu'il  voudra,  et  leur  chef  ^Abdou'l-Mottalib  leur  a  recom- 
mandé de  ne  pas  combattre.  Abraha  envoya  a  la  Mecque  un 
homme  Ml  imy  a  ri  te,  qui  était  avec  lui,  l'un  des  rois  du  Yemen, 
nommé  ^Honâta,  et  lui  donna  pour  instruction  de  dire  aux 
Mecquois  :  Je  ne  veux  pas  attenter  ù  votre  vie;  je  suis  venu 


194  CIIHONfQUK  DE  TABAIU. 

pour  d  1*1  ru  ire  ce  temple,  comme  j'ai  juré  de  le  faire;  soyez 
tranquilles  pour  votre  vie  et  pour  vos  biens.  Abraha  recom- 
manda aussi  h  son  envoyé  de  lui  amener  le  chef  des  habitants, 
qu'il  voulait  voir.  'Honata  vint  dans  la  ville,  transmit  aux  ha- 
bitants le  message  d'Abralia  etamena^Abdoul-Mottalib  auprès 
<lu  roi.  Ils  arrivèrent  quand  le  jour  avait  baissé;  on  avertit 
Abraha  que  Ton  amenait  le  chef  de  la  Mecque;  mais  ils  ne 
purent  pas  voir  Abraha  cette  nuit.  On  fit  demeurer  *Abdou'l- 
Mottalib  avec  Dsou-Nafar  et  Nofaïl,  les  deux  chefs  arabes  qui 
avaient  combattu.  Dsou-Nafar  et  *Abdoul-Mottalib  étaient 
amis.  ^Abdou'l-Mottalib  dit  à  Dsou-Nafar  :  Ne  peux-tu  me  ren- 
dre aucun  service?  L'autre  répondit  :  Quel  service  pouirais-je 
rendre,  moi  qui  suis  prisonnier  et  enchaîné,  et  qui  m'at- 
tends à  chaque  instant  à  être  mis  à  mort?  Cependant  le  gar- 
dien qui  prend  soin  du  grand  éléphant  et  qui  est  le  chambel- 
lan d' Abraha,  et  qui  se  nomme  Onaïs,  est  un  brave  homme 
et  mon  ami;  je  lui  dirai  de  représenter  au  roi  ta  position.  *Ab- 
doul-Mottalib  était  le  premier  de  tous  les  Arabes;  car  les 
principaux  d'entre  les  Arabes  étiiient  les  Qoraïschites,  et  il  était 
le  chef  des  Qoraïschites.  Il  n'y  avait  pas  d'homme  plus  géné- 
reux que  lui  dans  toute  l'Arabie.  Sa  libéralité  était  telle  qu'elle 
triomphait  du  vent  du  nord  :  quand  le  vent  du  nord  soufflait, 
il  tuait  un  chameau  et  en  donnait  la  chair  à  manger  aux 
hommes;  si,  le  lendemain,  le  venl  soufflait  encore,  il  tuait 
encore  un  chameau  ;  et  si,  pendant  cent  jours,  le  venl  souf- 
flait, il  tuait  chaque  jour  un  chameau  et  en  donnait  la  chair 
aux  hommes;  et  il  faisait  jeter  tous  les  intestins  des  chameaux 
dans  les  montagnes,  pour  servir  de  pâture  aux  bétes  sauvages  ; 
et  il  faisait  détacher  les  os  pour  les  jeter  è  manger  aux  chiens. 
On  l'avait  surnommé  rrle  nourrisseur  des  hommes  et  des 
bétes.-»)  Dsou-Nafar  parla  la  même  nuit  à  Onaïs,  le  cham- 


1»\RÏIE  II,  CHAPITRE  XXXIX.  *  195 

bcllan,  et  lui  fil  Télogo  d'^Abdoiri-Mottalib,  et  lui  demanda 
de  faire  coiinailre  au  roi  sa  position,  sa  dignilé  et  sa  situation 
actuelle.  Le  lendemain,  Onaïs  en  informa  le  roi,  qui  décida 
de  donner  à  ^Âbdou  1-Moltalib  une  audience.  Quand  Abraha 
donnait  audience  à  Tarmée  et  au  peuple,  il  ëtait  assis  sur 
un  trône,  n'ayant  personne  à  coté  de  lui,  à  cause  de  son  rang. 
Abraha  ne  voulut  pas  faire  asseoir  ^Abdoul-Mottalib  sur  le 
trône,  en  présence  de  Parmée  abyssine,  qui  aurait  pu  dire  que 
le  roi  le  craignait;  mais  il  voulut  le  traiter  avec  plus  de  dis- 
tinction que  les  autres  hommes,  et  ne  pas  le  faire  asseoir  à 
ses  pieds,  pour  ne  pas  faire  tort  à  sa  dignité.  II  descendit  donc 
de  son  trône,  s  assit  sur  un  tapis,  sur  la  terre,  et  donna  au- 
dience aux  troupes  et  à  *Abdou'l-Mottalib.  Quand  celui-ci 
entra,  Abraha  le  fil  asseoir  à  côté  de  lui.  ^Abdoul-Mottalib 
était  un  homme  d'une  taille  élevée,  d'un  extérieur  imposant 
et  très-beau;  il  plut  à  Abraha,  qui  ordonna  à  l'interprète  de 
lui  parler;  et  quand  il  entendit  aussi  qu'il  s'exprimait  avec 
éloquence,  l'idée  lui  vint  de  lui  abandonner  la  Ka^ba  et  de 
s'en  retourner.  Il  dit  à  ^Abdou'I-Moltalib  :  Fais-moi  une  de- 
mande. Il  pensa  qu'^Abdou'l-Mottalib  demanderait  grâce  pour 
le  temple.  Mais  celui-ci  dit  :  On  m'a  pris  deux  cents  chameaux; 
que  le  roi  ordonne  de  me  les  rendre.  Abraha  dit  :  Je  regrette 
de  m'être  trompé  à  ton  égard  ;  je  croyais  ton  esprit  plus  élevé. 
Je  suis  venu  pour  détruire  ce  temple  de  la  Ka^ba,  qui  est  l'ob- 
jet de  ton  culte  et  de  celui  de  tous  les  Arabes;  tu  aurais  dû 
me  demander  de  m'en  retourner  et  de  ne  pas  le  détruire.  Je  te 
l'aurais  accordé  et  j'aurais  ramené  l'armée.  Ce  temple  serait 
resté,  jusqu'au  jour  de  la  résurrection,  l'objet  de  ton  culte  et 
de  celui  de  tes  descendants.  Mais  tu  n'as  été  préoccupé  que 
de  deux  cents  chameaux;  est-ce  là  une  grande  aiïaire?  Si 
j'avais  abandonné  mon  dessein  sur  ta  demande,  je  t'aurais 


1%  •  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

donné  cent  fois  ia  valeur  de  ces  chameaux.  Tu  m'as  àié  la 
bonne  opinion  que  gavais  de  loi.  ^Alidoui-MoUaiib  dit  :  Je 
suis  le  propriétaire  de  ces  chameaux;  il  faut  que  je  fasse  des 
démarches  pour  les  recouvrer.  Ce  temple  a  un  maître  plus 
puissant  que  moi,  qui,  s'il  veut  le  préserver  de  ton  attaque, 
saura  le  faire.  Abraha  donna  ordre  de  restituer  les  chameaux 
à  'Abdou  1-Moltalib,  qui  les  ramena  et  rentra  à  la  Mecque.  Il 
dit  aux  habitants  de  prendre  le  chemin  de  la  montagne,  en 
abandonnant  la  ville  et  leurs  maisons;  et  lui-même,  avec  sa 
famille  et  ses  chameaux ,  se  retira  dans  la  montagne.  La  ville 
fut  ainsi  complètement  abandonnée  par  les  habitante. 

Abraha  arriva  a  la  porte  de  la  Mecque.  Le  lendemain,  il  fit 
avancer  Téléphant  Ma'hmoud.  On  avertit  Abraha  qu'il  n'y 
avait  plus  personne  dans  la  ville.  Il  ordonna  de  faire  entrer 
les  éléphants  qui  devaient  détruire  la  Ka^ba,  pour  s'en  re- 
tourner ensuite.  On  conduisit  le  grand  éléphant  dans  l'en- 
ceinte sacrée;  arrivé  là,  l'éléphant  s'arrêta  et  ne  voulut  plus 
avancer  d'un  seul  pas.  Malgré  les  coups  qu'ils  lui  donnèrent, 
il  n'avança  pas  son  pied;  on  le  frappa  sur  la  tête  avec  des 
bâtons  de  bois  et  de  fer;  tout  fut  en  vain.  Les  autres  éléphants 
s'arrêtèrent  également.  Alors  Dieu  envoya  une  espèce  d'oi- 
seaux ressemblant  h  l'hirondelle,  à  celle  qu'on  appelle  pères- 
tak,  qui  volèrent  au  bord  de  la  mer,  où  chacun  prit  dans  ses 
serres  et  dans  son  bec  quelques  grains  de  sable;  ensuite  ils 
s'envolèrent  dans  la  direction  de  la  Mecque  et  se  tinrent  au- 
dessus  dos  troupes  abyssines.  On  raconte  que  Dieu  fit  sortir 
de  l'enfer  une  vapeur  par  laquelle  le  sable  dans  les  serres  et 
ie  bec  des  oiseaux  se  changea  en  pierres,  que  les  oiseaux 
laissèrent  tomber  sur  les  soldais.  Chaque  soldat  fut  frappé 
d*une  pierre  à  la  tête,  et  aussitôt  le  feu  entra  dans  son  corps, 
la  chair  se  détacha  des  os,  et  le  corps  entier  ne  devint  qu'une 


I 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXIX.  197 

plaie.  ChacuQ  u  eut  souci  que  de  sa  personne.  Après  avoir 
jeté  toutes  les  pierres,  les  oiseaux  s'envolèrent.  Le  corps  de 
tout  homme  atteint  par  une  de  ces  pierres  fut  couvert  de 
pustules.  Quant  à  Téléphant,  on  avait  beau  le  frapper,  il 
n'avançait  pas;  quand  on  lui  tournait  la  tète  vers  le  Yenicn 
ou  vers  Torient,  il  marchait;  si  on  le  tournait  vers  le  sanc- 
tuaire, il  ne  marchait  pas.  Alors  toute  rannée  revint  sur  ses 
(las,  et  on  ramena  les  éléphants.  Tous  ceux  qui  avaient  été 
atteints  par  les  pierres  eurent  cette  éruption,  qui  s'étendait 
sur  tout  le  corps;  la  peau  et  la  chair  se  détachèrent.  Arrivés 
dans  le  Yemen,  ils  moururent, 

Dsou-Nafar  et  Nofaïl,   qui  étaient  prisonniers  entre  les 

mains  d'Abraha,  s'enfuirent,  se  rendirent  dans  la  montagne 
de  Tihàma  et  avertirent  de  ce  qui  s'était  passé  ^Abdou'1-Mot- 
taiib  et  les  gens  de  la  Mecque.  Ceux-ci  rentrèrent  dans  la  ville, 
et,  depuis  lors,  ils  témoignèrent  à  ^Abdou'l-Mottalib  plus  de 
respect  qu'auparavant,  disant  :  C'est  lui  qui  est  le  maitre  du 
temple  de  Dieu,  qui,  à  cause  de  lui,  en  a  éloigné  l'ennemi. 
Voilà  le  récit  tel  qu'il  se  trouve  rapporté  dans  cet  ouvrage 
et  auquel  se  rapporte  cette  surate  du  Coran  :  (t  N'as-tu  pas  vu 
comment  ton  Seigneur  a  traité  l'homme  de  l'éléphant??)  etc. 
Mais  dans  les  commentaires  il  est  dit  que  les  troupes  abys- 
/?ines,  frappées  par  les  pierres,  périrent  au  même  instant, 
et  que  leurs  effets  devinrent  le  butin  de&  habitants  de  la 
Mecque.  J'ai  lu  dans  les  commentaires  ce  qui  suit,  qui  ne 
se  trouve  pas  dans  l'ouvrage  de  Mo'hammed  ben-Djarir 
Tal)ari  :  Le  roi  qui  vint  attaquer  la  Mecque  avec  l'armée 
abyssine,  et  qui  y  périt,  fut  le  Nedjàschi  lui-même,  nommé 
Aswad  ben-Maqçour..  Dans  la  langue  abyssine,  Nedjàschi 
veut  dire  (t grand  roi.r»  Le  Nedjàschi  était  venu  avec  son  ar- 
mée, et  Abraha  était  son  lieutenant  dans  le  Yemeu.  Le  ipotif 


198  CHHONIQUK  DE  TAJJAKI. 

de  celle  exi>édilioii  u'étail  pas  qii'Abraha  aurait  iiivile  les 
Arabes  à  se  rendre  en  pèlerinage  à  Téglise.  Le  motif  fut  le 
suivant  :  Quand  Abraha  eut  élevé  cette  église  de  Çan^â,  il 
se  trouva  que  c'était  )e  plus  bel  édifice  du  monde.  L'église 
n'était  pas  dans  la  ville  elle-même,  mais  en  dehors  de  la 
ville,  dans  la  plaine.  Abraha  ordonna  que  tous  les  chrétiens 
y  fissent  des  pèlerinages  et  des  processions.  La  réputation  de 
cette  église  parvint  jusqu'au  roi  de  Roum,  qui  y  envoya  éga- 
lement beaucoup  de  personnes  en  pèlerinage.  Le  Nedjâschi 
en  fut  très^beureux,  et  ordonna  aux  chrétiens  d'Abyssinie 
d'aller  aussi  là  pour  le  pèlerinage  et  les  processions.  Le  bruit 
de  ces  faits  se  répandit  dans  le  monde  entier,  et  de  tous  les 
lieux  où  il  y  avait  des  disciples  de  Jésus,  ii  venait  tous  les  ans 
à  Çan^à  eu  pèlerinage  des  personnes  qui  y  exécutaient  des 
processions  et  faisaient  des  offrandes,  de  même  que  les  Arabes 
au  temple  de  la  Mecque.  Abraha  et  tous  les  chrétiens  de  Çan^à 
allaient  chaque  jour  prier  à  l'église,  et  la  nuit  on  y  mettait 
des  gardiens  et  des  inspecteurs.  Cela  se  passa  ainsi  pendant 
plusieurs  années.  Or,  un  jour,  une  caravane  arabe  vint  pour 
le  commerce  dans  le  Yemen.  Ces  Arabes  avaient  avec  eux  un 
grand  nombre  de  chameaux  ;  ils  firent  halle  aux  portes  de  Çan^â , 
derrière  l'église;  les  chameliers,  tous  réunis  près  du  mur  de 
l'église,  y  portèrent  une  grande  quantité  de  bois  et  allumèrent 
du  feu.  Vers  minuit  ils  chi^rgèrent  les  chameaux  et  partirent, 
laissant  près  du  mur  beaucoup  de  bois  enflammé.  Alors  le  vent 
porta  les  flammes  sur  l'enceinte  de  l'église  et  dans  l'église  elle- 
même;  les  bois  et  les  peintures  enduites  d'huile  prirent  feu  et 
forent  consumés.  Les  hommes  sortirent  de  la  ville,  mais,  mal- 
gré tous  leurs  efforts,  ils  ne  purent  se  rendre  maîtres  du  feu  : 
le  matin,  toute  l'église  était  brûlée.  Abraha  envoya  des  cava- 
liers pour  poursuivre  les  gens  de  la  caravane,  qui  furent  rame- 


PAKTIE  II,  CHAPITRE  XXXIX.  199 

nés.  Abraha  leur  dit  :  Vous  avez  fail  cela  de  propos  délibéré, 
vous  avez  été  envoyés  pour  cela.  H  les  lit  tous  mettre  à  mort  et 
lit  briller  leurs  chameaux  et  leurs  biens.  Loi^que  cette  nouvelle 
arriva  au  Ncdjàschi,  il  en  eut  un  grand  chagrin,  et  juraquii 
détruirait  le  temple  de  la  Mecque.  Il  amena  dans  le  Yemeu 
son  armée  et  Téléphant  nommé  Ma^hmoud,  et  Abraha,  avec 
toutes  les  troupes  abyssines  qu  il  avait,  se  joignit  à  lui.  Quand 
ils  arrivèrent  près  de  la  Mecque,  ^Abdo'u'l-Mottalib  se  pré- 
senta devant  eux  pour  réclamer  ses  chameaux;  les  Mecquois 
évacuèrent  la  ville,  et  le  roi  vint  camper  aux  portes  de  la 
ville.  Il  y  avait  un  chef  de  Tâïf,  des  Beni-Thaqif,  nommé 
Mas^oud;  c'était  un  homme  âgé,  devenu  aveugle,  doué  d'une 
haute  intelligence  et  d'une  grande  expérience.  11  était  lié 
d'amitié  avec  ^Abdou'l-xMottalib ;  chaque  fois  qu'il  venait  à  la 
Mecque,  il  descendait  dans  la  maison  d"Abdou'l- Mottalib. 
Lorsque  les  Mecquois  se  furent  retirés  dans  les  monlagnes 
du  Tihâma,  de  'llira,  de  Thabir  et  d'^Arafa,  il  ne  resta  per- 
sonne dans  la  ville,  excepté  'Abdou'l-Motlalib  et  Mas^oud. 
^Abdou'l-Mottalib  dit  à  ce  dernier  :  Tous  les  habilanls  ont 
quitté  la  ville;  je  suis  resté  à  cause  de  toi;  décide-toi  sur  ce 
que  tu  veux  faire.  Si  tu  veux  aller  avec  moi  dans  ces  mon- 
tagnes, je  t'y  conduirai;  si  (u  veux  retourner  chez  loi,  je  te 
ferai  monter  sur  un  chameau,  et  enverrai  quelqu'un  avec  loi. 
Mas^oud  répondit  :  Moi  aussi  je  veux  me  rendre  avec  toi  sur 
le  sommet  de  cette  montagne,  pour  voir  ce  que  Dieu  fera  de 
ces  ennemis.  Je  crois  que  Dieu  oe  leur  abandonnera  pas  la 
maison  qu'Abraham,  son  ami,  avait  construite  par  son  ordre. 
J'ai  vu  et  entendu  que  beaucoup  de  rois  et  de  Tobba^  ont  eu 
de  mauvais  desseins  contre  ce  temple;  mais  Dieu  les  en  a 
éloignés.  Us  allèrent  donc  tous  Ip3  deux  au  haut  du  mont 
Bou-Qabis,  au  pied  duquel  se  trouvait  le  camp  abyssin;  et 


200  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

ils  entendaient  les  voix  des  hommes  qui  étaient  en  bas.  Ce 
fut  le  matin  qa  ils.  se  rendirent  à  la  montagne.  Pendant  H 
nuit,  les  Abyssins  étaient  arrivés^ pour  y  camper  ce  joar  et  la 
nuit  suivante,  entrer  le  lendemain  dans  la  ville  et  détruire 
le  temple.  Ils  savaient  qu'il  n'était  resté  personne  dans  la  ville. 
Au  sommet  de  la  montagne,  Mas^oud  dit  à  ^Abdoul-Motlalib  : 
Fais  un  don  de  cent  de  tes  chameaux  au  temple,  en  disant: 
Si  Dieu  préserve  le  'temple  de  l'ennemi,  je  fais  offrande  au 
temple  de  cent  chameaux.  Ensuite  fais  sortir  ces  chameaux 
du  territoire  de  la  ville  vers  le  camp  des  ennemis,  afin  que 
ceux-ci  tuent  ces  chanfieaux  destinés  à  l'offrande,  et  Dieu  sera 
irrité  contre  eux.  ^Abdou'I-Mottalib  alla  choisir  cent  de  ses 
chameaux,  qui  n'étaient  pas  éloignés  de  cet  endroit,  et  les 
consacra  par  un  vœu  au  temple  ;  puis  il  les  poussa  dans  la 
direction  des  Abyssins.  Les  chameaux  prirent  leur  course 
et  tombèrent  entre  les  mains  des  Abyssins,  qui  les  tuèrent. 
^Abdou'l-Mottalib  vit  tout  cela  du  haut  de  la  montagne  et  en 
informa  Mas^oud.  Celui-ci  lui  dit  :  Observe  demain  comment 
Dieu  les  traitera.  Le  lendemain ,  Mas^oud  dit  :  Regarde  tout 
autour  de  la  Mecque,  vers  le  ciel,  qu'est-ce  que  tu  y  vois? 
L'autre  dit  :  Je  ne  vois  rien,  si  ce  n'est  de  petits  oiseaux, 
qui  volent  dans  l'air.  Mas^oud  dit  encore  :  Regarde  si  ce  sont 
des  oiseaux  de  la  Mecque  ou  de  Médine,  et  de  quel  côté  ils  se 
dirigent.  ^Abdou'l-Mottalib  répondit  :  Je  ne  connais  pas  ces 
oiseaux  ;  ce  ne  sont  pas  des  oiseaux  du  ^Hedjâz ,  ni  de  la  Syrie , 
ni  du  Yemen:  dans  aucun  pays  où  je  suis  allé  je  n'ai  vu  des 
oiseaux  de  cette  espèce;  ce  sont  des  oiseaux  étrangers.  Ils  se 
dirigent  du  côté  de  la  mer  et  s'abattent  sur  le  rivage.  L'autre 
dit  :  Observe-les ,  et  regarde  où  ils  vont  se  diriger  de  là.  Après 
un  certain  temps,  ^Abdou'l-Motlalib  dit  :  Les  oiseaux  s'en- 
volent du  bord  de  la  mer  et  se  dirigent  vers  le  camp.  Mas^oud 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XXXIX.  201 

« 

dit  :  Ce  ue  sont  pas  des  oiseaux,  c'est  Tarinëe  de  Dieu.  Regarde 
où  ils  vont  et  ce  qu  ils  feront.  Quand  le  soleil  devint  jaune , 
^Abdou'l-Mottalib  dit  :  Les  oiseaux  tournent  au-dessus  du 
camp.  Ensuite  la  nuit  tomba,  et  ils  restèrent  tous  les  deux 
ainsi  sur  le  sommet  de  la  montagne,  n  entendant  aucun  bruit 
venant  soit  des  oiseaux,  soit  des  hommes,  soit  des  bétes. 
Lorsque  le  soleil  fut  monte,  Mas^oud  dit  :  Prends-moi  la 
main  pour  descendre  dans  le  camp,  car  Tarmc^e  de  Dieu  a 
accompli  hier  son  œuvre.  ^Âbdou'l-Motlalib  le  prit  par  la 
main  et  ils  allèrent  au  camp.  Là  ils  trouvèrent  tous  les  hommes 
morts  sur  place,  de  même  que  les  chevaux,  les  éléphants  et 
les  bétes  de  somme.  A  la  tête  de  chaque  homme  il  y  avait 
une  boule  d'argile,  comme  on  en  fait  en  tournant  de  la  glaise; 
chaque  boule  ressemblait  à  une  crotte  de  mouton,  et  sur 
chaque  boule  était  écrit  le  nom  de  Thomme  frappé.  Ils  virent 
aussi  Abraha  étendu  roide  morL  ^Abdoul-Mottalib  voulut  se 
rendre  dans  la  montagne  pour  prévenir  les  Mecquois  ;  mais 
Mas^oud  lui  dit  :  Ne  te  hâte  pas;  rendons-nous  riches  d'abord, 
toi  et  moi;  car,  si  les  Mecquois  arrivent,  il  ne  nous  laisse- 
ront rien;  va  chercher  dans  le  camp  deux  bêches.  *Abdoul- 
Mottalib  fit  ainsi,  et  chacun  d'eux  en  prit  une,  et  creusa 
une  fosse,  en  travaillant  toute  la  journée.  Quand  la  nuit 
vint,  ils  restèrent  à  cet  endroit.  Le  lendemain,  Mas^oud  dit  : 
Maintenant  remplis  les  doux  fosses  de  toutes  ces  richesses, 
couvre-les  de  terre  et  aplanis  le  sol ,  pour  que  personne  n'en 
ait  connaissance.  ^Abdou'l-Mottalib  fit  ainsi.  Mas^oud  dit  en- 
suite :  Je  veux  la  fosse  que  tu  as  creusée  pour  toi.  ^Abdou'l- 
Mottalib  consentit.  Mas^oud  dit  :  Maintenant  va,  et  invite  les 
Mecquois  ù  descendre  des  montagnes.  ^Abdou'l-Mottalib  monta 
sur  un  chameau,  se  rendit  dans  les  montagnes  de  la  Mecque 
et  avertit  les  Mecquois,  qui  rentrèrent  tous  et  enlevèrent  tous 


202  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

les  biens  qui  se  trouvaient  dans  le  canip  ;  tous  devinrent 
riches.  Le  septième  jour,  ^Abdou'i-Mottalib  et  Mas^oud  vin- 
rent retirer  les  richesses  cachées  dans  les  fosses.  L'opulence 
d'^Abdou'I-Motlalib  provient  de  ce  fait,  ainsi  que  celle  de 
Mas^oud  de  Tàïf.  Ensuite  une  terrible  pluie  tomba  du  ciel,  un 
torrent  se  précipita  de  la  montagne,  enleva  toutes  les  impu- 
retés qui  se  trouvaient  en  cet  endroit  et  les  porta  à  la  mer;  le 
territoire  de  la  Mecque  fut  ainsi  purifié  et  lavé  des  souillures. 

Après  ces  événements,  tous  les  Arabes  témoignèrent  une 
grande  déférence  à  ^Abdou'l-Mottalib  et  aux  habitants  de  la 
Mecque,  et  ils  les  considérèrent  comme  leurs  supérieurs,  di- 
sant :  Ils  sont  les  habitants  de  la  ville  sainte  et  les  gardiens 
du  sanctuaire.  Quand  une  caravane  de  cent  ou  de  mille  cha- 
meaux sortait  de  la  Mecque,  on  attachait  au  cou  de  chaque 
chameau  une  branche  d'arbre  avec  une  corde  de  laine;  par- 
tout où  elle  passait,  dans  le  désert,  en  Syrie,  dans  le  Yemen 
ou  en  Abyssinie,  elle  était  à  Tabri  des  attaques  des  voleurs  et 
des  maraudeurs. 

Abraha  avait  dans  le  Yemen  deux  fils,  Tainé  nommé  Yak- 
soum,  Tautre  Masrouq.  Quand  il  était  parti,  il  avait  établi 
Yaksoum  son  lieutenant  et  lui  avait  confié  Tannée  et  le  gouver- 
nement. Lorsqu'on  apprit  la  mort  d' Abraha,  Yaksoum  monta 
sur  le  trône,  et  Tannée  abyssine  le  reconnut.  Après  lui  régna 
Masrouq,  et  ensuite  vint  Saïf  ben-Dsou-Yezen.  Depuis  l'in- 
vasion du  Yemen  par  Aryât  jusqu'au  moment  où  Masrouq  et 
les  Abyssins  perdirent  le  royaume,  il  se  passa  soixante  et 
douze  ans.  Pendant  tout  cet  espace  de  temps,  le  pays  appar- 
tint aux  Abyssins.  Il  y  eut  quatre  rois  abyssins  :  AryAt» 
Abraha,  Yaksoum  et  Masrouq.  Abraha  vécut  du  temps  de 
Nouscbirwân. 


PARTIE  LI,  CHAPITRE  XL.  i03 


CHAPITRE  XL. 

HiSTOlfiB  DU  RÈGNE  DR  YAKSOUM ,    FILS  D'ABRAHA,    DANS   LE  YEUEN. 

Lorsque  Yaksoum,  Gis  d'Abraha,  fut  monte  sur  le  trdne, 
il  fit  opprimer  le  Yemen  par  les  Abyssins,  comme  avait  fait 
Abraha.  Ils  s'emparèrent  des  femmes,  des  enfants  et  des  biens. 
Du  temps  d'Abraha,  il  y  avait  dans  le  Yemen  un  homme, 
descendant  des  rois  ^himyariles,  des  anciens  Tobba' ,  qui  avait 
perdu  sa  fortune  et  qui  se  résignait  en  silence.  Le  nom  de 
cet  homme  était  Al-Iyâdh,  surnommé  Abou- Mourra,  dit 
Dsou-Yezen.  Comme  il  était  de  la  famille  des  anciens  rois  y 
on  lui  témoignait  du  respect.  11  avait  une  femme  do  la  fa-* 
mille  d'^Alqama,  fils  d'Akil  al-Morâri,  qui  avait  été  roi  du 
Yemen  pendant  de  longues  années.  Il  n'y  avait  pas  dans 
tout  le  Yemen  de  plus  belle  femme  qu  elle  ;  elle  était  très- 
intelligente  et  fort  inslruite,  comme  c'est  ordinairement  le 
cas  des  princes  et  des  membres  de  leur  famille.  Elle  avait 
un  fils  de  Dsou-Yezen,  âgé  de  deux  ans,  nommé  Ma^di  Ka- 
rib,  surnommé  >Saïf.  Abraha,  ayant  entendu  parler  de  celte 
femme,  fit  venir  Dsou-Yezen  et  lui  dit  :  Si  tu  ne  m'aban- 
donnes pas  cette  femme,  je  te  ferai  mettre  à  mort.  Dsou- 
Yezen,  par  crainte  de  la  mort,  lui  laissa  la  femme.  Abraha 
l'épousa  et  la  tint,  elle  et  son  jeune  fils,  dans  sa  maison  avec 
sa  famille,  et  éleva  cet  enfant  comme  son  propre  fils,  de  sorte 
(|ue,  quand  Saïf  fut  grand ,  il  pensa  qu'Abraha  était  son  père. 
Les  deux  fils  d' Abraha,  Yaksoum  et  Masrouq,  lui  sont  nés  de 
cette  femme. 

Lorsque  Dsou-Yezen  fut  séparé  de  sa  femme,  il  ne  put 
demeurer  plus  longtemps  dans  le  Yemen,  h  cause  de  la 


204  CIIROMQUE  DE  TABARI. 

honte  qu'il  rcssculail;  il  prit  tout  ce  qu  il  possédait  et  partit. 
Il  se  rendit  dans  le  pays  de  Boum,  à  la  cour  du  César,  et  lui 
fit  le  récit  de  l'oppression  que  souffraient  les  habitants  du 
Yenien  de  la  part  des  Abyssins.  Il  lui  fit  connaître  son  ori- 
Ijine,  lui  disant  qu'il  descendait  des  'Hiinyarites,  de  tel  Tobba% 
qui  avait  été  roi  du  Yemen  pendant  plusieurs  années;  puis  il 
demanda  au  César  une  armée  pour  reconquérir  le  Yemen,  en 
s'en{;ageant  à  élre  son  tributaire,  de  façon  que  le  pays  de 
Iloum  et  le  pays  du  Yemen  seraient  Tun  et  Tautre  soumis  au 
César.  Celui-ci  répondit  :  Abraha  est  de  notre  religion;  nous 
ne  faisons  pas  la  guerre  à  nos  coreligionnaires.  Si  tu  as  à  te 
plaindre  d'un  tort,  je  veux  te  donner  une  lettre;  peut-être  que, 
par  déférence  pour  moi,  Abraha  te  fera  justice.  Usou-Yezen 
dit  :  Le  tort  dont  j'ai  à  me  plaindre  ne  peut  pas  être  redressé 
par  ta  letlre.  El  il  partit  pour  se  rendre  auprès  de  Nouschir- 
wan,  le  roi  de  Perse.  Il  arriva  à  4Iira,  où  résidait  Norman, 
Itls  de  Moundsir,  roi  des  Arabes  et  vassal  de  Nouschirwân. 
Dsou-Yezen  se  rendit  auprès  de  lui  et  lui  (il  connaître  son 
origine.  Norman  connaissait  ses  aïeux,  car  il  était  lui-même 
de  la  race  des  41imyarites,  par  Habita ,  fils  de  Naçr  le  Lakh- 
mite.  Quelques-uns  disent  que  le  roi  des  Arabes  était  alors 
'Amrou,  fils  de  Hind,  également  vassal  de  Nouschirwân  et 
descendant  également  des  ^Himyarites.  Ce  roi  fit  a  Dsou- 
Yezcn  un  bon  accueil  et  lui  demanda  d'abord  de  ses  nou- 
velles. Dsou-Yezen  lui  fit  le  récit  de  ce  qui  lui  était  arrivé, 
comment  il  était  allé  à  la  cour  du  César,  comment  il  en  était 
parti,  désespérant  de  rien  obtenir  de  lui,  et  comment  main- 
tenant il  allait  se  rendre  à  la  cour  de  Nouschirwân,  pour  lui 
demander  du  secours.  Le  roi  des  Arabes  lui  dit  :  Je  vais  une 
fois  par  an  u  la  cour  de  Nouschirwân,  où  je  passe  un  mois  ou 
deux,  pour  lui  rendre  mes  hommages;  ensuite  je  m'en  re- 


PARTIE  11,  CHAPITRE  XL.  205 

tourne.  Reste  ici  auprès  de  moi  jusqu'à  IN^poque  de  mou  dé- 
part, je  l'emmènerai  avec  moi.  Dsou-Yezen  resta  donc  à  la  cour 
du  roi  des  Arabes.  Lorsque  le  moment  du  départ  du  roi  fut 
arrivé,  Dsou-Yezen  alla  avec  lui  à  la  cour  de  Nouschirwân.  Le 
roi  des  Arabes  se  présenta  devant  le  roi  de  Perse  et  lui  rendit 
les  hommages  accoutumés.  Il  laissa  passer  quelque  temps  sans 
lui  parler  de  Dsou-Yezen  ;  enfin,  quand ,  d'après  la  coutume ,  le 
roi  de  Perse  mit  de  côté  le  cérémonial  et  que  Ton  commença  à 
boire  et  à  manger,  à  aller  à  la  chasse  et  à  jouer  à  la  raquette, 
alors  le  roi  des  Arabes  dit  à  Dsou-Yezen  :  Demain  je  parlerai 
de  toi  à  Nouschirwân,  je  lui  exposerai  ta  situation,  ton  rang 
et  ton  origine,  et  lui  demanderai  une  audience  pour  toi  ;  je  ne 
pourrai  pas  plaider  pour  toi  et  raconter  ce  qui  t'est  arrivé  et 
dans  quelle  intention  tu  es  venu;  mais  si  le  roi  te  montre 
de  la  bienveillance  et  te  parle,  raconte-lui  ton  aventure  cl 
implore  son  assistance. 

Le  lendemain,  le  roi  des  Arabes  se  rendit  à  la  cour,  et 
Nouschirwân  le  fit  asseoir  en  face  du  Irone.  Lorsqu'il  fut  en 
conversation  avec  lui,  le  roi  des  Arabes  lui  parla  de  Dsou- 
Yezen,  de  son  rang  et  de  sa  situation,  et  dit  :  Cet  homme  est 
venu  avec  moi  à  la  cour.  Nouschirwân  donna  ordre  de  l'in- 
troduire. Nouschirwân  était  assis  sur  un  trône  d'or,  dont  les 
quatre  pieds  étaient  des  rubis  et  qui  était  couvert  d'un  tapis 
de  brocart.  La  couronne  était  couverte  d'émeraudes,  de  rubis 
et  de  perles,  et  si  lourde,  qu'il  ne  pouvait  pas  la  tenir  sur  sa 
tête.  Elle  était  suspendue  au  plafond  de  l'appartement,  au- 
dessus  du  trône,  par  une  chaîne  d'or  si  mince,  qu'on  ne  la 
voyait  pas,  à  moins  d'être  tout  près  du  trône.  Quand  on  re- 
gardait de  loin,  on  croyait  que  la  couronne,  malgré  son  poids, 
reposait  sur  sa  tête.  Quand  Nouschirwân  quittait  le  trône,  la 
couronne  restait  toujours  suspendue,  et  on  la  couvrait  d'une 


•JOO  CIIROMOTE  DE  TABARI. 

t'ioiïe  do  brocart,  pour  quo  la  poussière  lï'y  pénétrai  point. 
Celle  coutume  avait  été  élfiblie  par  Nouschirwân,  et  demeura 
A0U8  Kon  règne  et  sous  celui  de  ses  descendants;  elle  n'existait 
pas  sous  le  règne  de  ses  ancêtres.  Lorsque  Dsou-Yezen  entra 
et  (pnl  vit  cette  couronne,  cette  splendeur,  ce  trône  et  celte 
majesté,  il  fut  saisi  d'étonnement,  ses  sens  Tabandonnèrent , 
il  s'évanouit  et  tomba.  Le  roi  des  Arabes  dit  :  Relevez-le,  car 
c'est  la  majesté  du  roi  qui  Ta  troublé  et  qui  Ta  fait  évanouir. 
On  le  releva  et  on  le  fil  s'approcher  de  Nouschirwân.  Le  roi 
des  Arabes,  assis  devant  Nouschirwân  (excepté  eux  deux, 
aucun  autre  n'était  assis),  lit  asseoir  Dsou-Yezen  au-dessus 
de  lui.  Nouschirwân  sut  alors  que  c'était  un  grand  personnage 
et  l'interrogea  sur  ses  affaires  et  sur  le  but  pour  lequel  il  était 
venu.  Dsou-Yezen  se  leva  de  son  siège,  s'avança  au  milieu  de 
l'assemblée  et  se  mit  à  genoux.  Il  raconta  sa  situation  et  dit: 
Je  suis  un  homme  dans  la  famille  duquel  était  la  royauté 
du  Yemen.  Elle  est  tombée  des  mains  de  mes  frères;  les 
Abyssins  sont  venus  et  se  sont  emparés  du  pays  et  de  nos 
biens;  ils  nous  ont  réduits  à  la  misère  et  ont  exercé  contre  les 
habitants  des  vexations  nombreuses.  Nous  supportons  cet  état 
de  misère  depuis  cinquante  ans;  mais  il  est  arrivé  à  un  tel 
degré,  que  nous  ne  pouvons  plus  l'endurer.  Il  nous  est  arrivé 
des  choses  dont  j'ai  honle  de  parler  dans  l'assemblée  royale  ; 
si  le  roi  savait  ce  qui  nous  est  arrivé,  il  est  certain  que,  par 
l'effet  de  sa  bonté,  il  viendrait  à  notre  secours  et  nous  déli- 
vrerait  de  ces  criminels,  quand  même  nous  ne  le  lui  deman- 
derions pas.  Aujourd'hui,  je  suis  venu  à  cette  cour  pour  me 
mettre  sous  la  protection  du  roi  et  poiir  implorer  son  assis- 
tance. Que  le  roi  daigne  réaliser  mon  espoir  en  envoyant  avec 
moi  une  armée,  afin  que  je  réduise  l'ennemi  et  en  délivre 
les  habitants;  le  pays  des  Arabes  sera  joint  à  la  Perse,  et  ton 


IMBTIK  11,  CHAPITRE  XL.  "201 

empire  sVHendra  jusqu'à  rexlréme  Occident;  moi  vi  lous  les 
membres  de  la  famille  ^himyarile,  nous  serons  les  esclaves, 
et  le  secours  que  tu  m'auras  prêté  sera  pour  nous  comme  une 
aumône.  Ce  discours  plut  à  Nouschirwân  et  lui  toucha  le  cœur; 
ses  yeux  se  remplirent  de  larmes.  Dsou-Yezen  avait  une  barbe 
blanche,  car  il  était  très-vieux.  Nouschirwân  lui  dit  :  0  vieil- 
lard ,  lu  as  fort  bien  parlé  et  tu  m'as  touché  le  cœur  ;  je  sais 
la  violence  que  tu  as  soufferte,  et  c'est  la  douleur  qui  t'a 
inspiré  tes  paroles.  Cependant  la  justice  et  la  bonne  politique 
exigent  qu'un  roi  veille  d'abord  sur  son  propre  pays  et  qu'en- 
suite il  en  recherche  un  autre.  Ton  pays  est  très-éloigné  du 
nôtre,  et  séparé  de  lui  par  le  désert  et  le  MIedjàz  ;  de  l'autre 
côté,  est  la  mer  avec  ses  dangers;  et  envoyer  les  troupes  dans 
le  désert  serait  risquer  leur  vie.  Voici  mon  royaume  qui  est 
devant  toi;  reste  ici  et  détache  ton  cœur  de  cet  autre  pays; 
tout  ce  que  je  possède  en  fait  de  pouvoir  et  de  biens,  prends- 
en  la  part.  Ensuite  Nouschirwân  le  fit  revêtir  d'une  belle  robe 
et  lui  fit  donner  dix  mille  dirhems.  Dsou-Yezcn  prit  la  bourse 
de  dirhems,  sortit  dû  palais  et  les  dispersa  sur  la  voie,  et  les 
hommes  les  recueillirent.  Quand  il  arriva  à  sa  demeure,  il  ne 
lui  restait  rien.  On  en  informa  Nouschirwân,  qui  dit:  Il  faut, 
que  ce  soit  un  prince  pour  avoir  le  cœur  si  haut  placé.  Le 
lendemain,  Nouschirwân  donnant  audience  publique,  Dsou- 
Yezen  s'y  rendit.  Le  roi  lui  dit  :  0  vieillard,  les  hommes 
ne  font  pas  des  dons  des  rois  ce  que  tu  as  fait  hier  de  ces 
dirhems,  en  les  dédaignant  et  les  dispersant,  de  façon  à  n'en 
plus  avoir  quand  lu  es  rentré  chez  toi.  Dsou-Yezen  dit  :  0 
roi,  j'ai  agi  ainsi  pour  rendre  grâce  à  Dieii  de  ce  qu'il  m'a 
fa  il  voir  la  face  du  roi  et  de  ce  qu'il  m'a  accordé  de  te  parler. 
Dans  l'endroit  d'où  je  viens,  le  sol  est  tout  d'or  et  d'argent; 
dans  ce  pays,  il  y  a  peu  de  montagnes  qui  ne  renferment  des 


:>08  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

minoK  (l'or  vi  clos  mines  (Fai^cnt.  En  quittant  la  cour  du  roi 
sans  obtenir  de  lui  aide  et  assistance,  si  je  n'emporte  pas  ses 
cadeaux,  mes  regrets  et  ma  douleur  seront  moindres.  Le  cœur 
de  Nouscliirwân  fut  touché  et  il  dit  :  Ne  f éloigne  pas,  preods 
patience,  afin  que  j'avise  sur  ce  que  tu  demandes,  et  que  je 
puisse  te  faire  partir  conformément  à  ton  désir.  Il  lui  fit  des 
présents  et  le  tint  en  grand  honneur.  Dsou-Yezen  demeura 
dix  ans  à  la  cour  de  Nouschirwân ,  et  il  y  mourut. 

Saïf,  fils  de  Dsou-Yezen,  grandit  auprès  d'Abraha,  avec 
les  fils  de  ce  dernier,  qui  le  considérait  comme  l'un  de  ses 
propres  fils,  et  Saïf  croyait  être  le  fils  d'Abraha.  Lorsque 
celui-ci  périt  et  que  Yaksoum  monta  sur  le  trône,  Saïf  occupait 
auprès  de  lui  le  mc^me  rang  que  Masrouq.  Yaksoum  régna 
quatre  ans,  puis  il  mourut.  Masrouq,  qui  lui  succéda,  montra 
du  mépris  pour  Saïf.  Un  jour,  qu'ils  s'étaient  pris  de  querelle, 
Masrouq,  dans  la  discussion,  dit  à  Saïf  :  Malédiction  sur  toi 
et  sur  celui  qui  t'a  engendré!  Saïf,  bouillonnant  de  colère, 
entra  dans  l'appartement  de  sa  mère  et  lui  dit  :  Qui  est  mon 
père?  Sa  mère  répondit  :  Abraha,  le  père  de  Yaksoum  et  de 
Masrouq;  je  n'ai  pas  eu  d'autre  mari  que  lui.  Saïf  répliqua  : 
Tu  mens;  car  Masrouq  m'a  jeté  une  malédiction,  à  moi  et  à 
mon  père,  et  personne  ne  maudit  son  père;  s'il  ne  savait  pas 
quelque  chose  sur  ma  naissance,  il  n'aurait  pas  parlé  ainsi. 
Ensuite  il  tira  son  épée  et  dit  :  Dis-moi  la  vérité,  dis  qui  était 
mon  père,  sinon  je  m'enfonce  à  l'instant  cette  épée  dans  le 
ventre,  de  façon  qu'elle  sorte  par  le  dos.  Sa  mère  se  mil  à 
pleurer,  lui  enleva  l'épée  des  mains,  et  lui  dit  le  nom  de  son 
père,  lui  raconta  son  propre  enlèvement  par  Abraha,  le  dé- 
part et  le  séjour  de  son  père  à  la  cour  de  Nouschirwân ,  et  sa 
mort.  Ayant  entendu  cela,  Saïf  salua  sa  mère,  prit  son  épée 
et  un  cheval  et  quitta  le  Yenien.  Il  voulait  se  rendre  à  la  cour 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XL.  .    209 

(le  Kesra,  mais,  »q  rappelant  la  morl  de  son  père  à  cette 
cour,  il  alla  à  la  cour  du  (^^sar.  La  il  dit  au  César  qui  il  était 
et  quelle  était  son  origine,  et  lui  raconta  l'oppression  et  les 
actes  de  cruauté  que  les  habitants  du  Yemen  avaient  à  souffrir 
de  la  part  des  Abyssins;  puis  il  lui  demanda  du  secours. 
Le  César  dit  :  Ce  sont  mes  coreligionnaires,  je  ne  fais  pas 
la  guerre  contre  eux;  si  tu  veux,  je  te  donnerai  une  lettre, 
pour  que,  si  tu  as  essuyé  quelque  tort,  ou  le  répare.  Ton  père 
est  déjà  venu,  et  je  lui  ai  donné  la  même  réponse.  Saïf  ré- 
pliqua :  Si  j'avais  su  que  mon  père  avait  quitté  ta  cour  avec 
une  déception,  je  n'y  serais  pas  venu.  Il  se  rendit  de  là  à  la 
cour  de  Kesra,  disant  :  Si  auprès  de  lui  je  ne  trouve  pas 
d'assistance,  je  me  placerai  sur  la  tombe  de  mon  père  et  j'y 
moun*ai.  Arrivé  à  la  résidence  de  Nouscbirwân ,  il  y  resta  un 
an  sans  pouvoir  trouver  accès  auprès  du  roi.  Chaque  jour  il 
allait  au  palais ,  les  portiers  et  les  gardiens  le  connaissaient 
et  chacun  savait  qu'il  était  le  fils  de  Dsou-Yezen,  le  Yéménite  ; 
mais  personne  n'osait  parler  de  lui  devant  Nouschirwàn.  Au 
bout  d'un  an,  un  jour,  Kesra,  étant  monté  à  cheval,  sortait 
du  palais;  Saïf  se  précipita  au-devant  de  lui  et  dit  :  Salut  à 
toi,  d  roi  juste  et  puissant,  de  la  part  d'un  prince  méprisé  et 
misérable,  qui,  espérant  en  toi,  a  passé  déjà  un  an  à  ta  cour. 
Kesra  le  regarda  et  fit  avancer  son  cheval,  et  personne  n'osa 
lui  en  parler.  Quand  il  rentra ,  Saïf  l'aborda  de  nouveau  et 
lui  adressa  les  mêmes  paroles,  et  ajouta  :  La  renommée  de  ta 
justice  est  répandue  dans  le  monde  entier;  j'ai  un  héritage  à 
réclamer  de  toi,  daigne  me  rendre  justice.  Kesra  rentra  dans 
le  palais,  descendit  de  cheval,  fit  appeler  Saïf,  et  lui  dit  : 
0  jeune  homme ,  quel  est  l'héritage  que  tu  as  à  réclamer  de 
moi  ?  L'autre  répondit  :  Je  suis  le  fils  de  ce  vieillard  yemenite 
qui  est  venu  à  ta  cour,  et  qui  a  imploré  ton  assistance  contre 


210  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

ses  ennemis.  Tu  la  lui  as  promise,  et,  dans  cel  espoir,  il  esl 
resté  dix  ans  dans  celle  résidence,  el  il  y  est  mort,  sans  voir 
réalisées  les  espérances  que  In  lui  avais  données  :  il  me  les 
a  légnées;  daigne  accomplir  ta  promesse  pour  moi.  Nouscliir 
wàn  eut  pitié  de  lui  et  lui  dit  :  0  Gis,  lu  dis  vrai  ;  j'aviserai  sur 
Ion  affaire,  prends  patience.  Ensuite  il  lui  fit  donner  dix  mille 
dirliems.  Saïf,  de  miïme  qu'avait  fait  son  père,  les  dispersa 
sur  la  voie,  et,  quand  il  rentra  dans  sa  maison,  il  ne  lui  en 
restait  rien.  Le  lendemain,  Kesra  lui  dit  :  Pourquoi  as-tu  dis- 
perse  Targentsur  la  voie?  Saïf  lui  répondit:  0  roi,  dans  la  ville 
et  dans  le  pays  d'oii  je  viens ,  le  sol  est  couvert  de  dirliems;  j'ai 
répandu  cet  argent  sur  la  voie  pour  montrer  que,  si  le  roi  me 
prête  assistance  et  que  je  rentre  dans  mon  royaume ,  je  cou- 
frirai  celle  ville  d'argent.  Kesra  dit  :  Je  reconnais  que  lu  es  le 
Gis  de  ce  vieillard  ;  car  ton  père  a  fait  la  môme  chose,  et  quand 
je  lui  en  fis  des  reproches,  il  me  donna  la  même  réponse.  Pa- 
tiente jusqu'à  ce  que  j'aie  arrangé  Ion  affaire  selon  ton  désir. 
Le  lendemain,  Kesra  réunit  les  généraux,  les  conseillers  et 
les  mobeds,  et  leur  dit  :  Je  ne  peux  pas  me  soustraire  à  la  né- 
cessité de  préler  aide  à  ce  jeune  homme;  cependant  je  ne  peux 
pas  aventurer  l'armée  dans  le  désert.  Qu'en  pensez-vous?  Dites- 
moi  voire  opinion  :  y  a-t-il  quelqu'un  dans  l'armée  qui  me 
fasse  abandon  de  sa  personne  el  qui  veuille  aller?  Tous  ceux 
de  l'armée  se  turent.  Puis  le  grand  mobed  dit  :  J'ai  à  cet  égard 
une  idée,  que  j'exprimerai,  si  le  roi  l'ordonne.  Le  roi  dit  : 
Parle.  Le  mobed  dit  :  H  y  a  dans  les  prisons  du  roi  une  foule 
de  gens  condamnés  à  mort.  Envoie  ceux-là  :  s'ils  périssent, 
tu  seras  délivré  d'eux;  et  s'ils  remportent  la  victoire,  tu  auras 
un  royaume  el  tu  leur  accorderas  leur  grâce.  Ce  conseil  plut  à 
Nouschirwàn ,  el  il  approuva  le  mobed.  On  examina  le  registre 
des  prisons,  el  on  y  trouva  huit  cenls  personnes  condamnées 


I 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XL.  211 

a  morl.  Nouschirwàn  les  fit  sortir  de  prison  et  les  envoya  à  la 
côte  ;  pour  que  leur  voyage  fût  plus  facile,  il  fit  préparer  huit 
vaisseaux,  et  monter  dans  chaque  vaisseau  cent  hommes.  Il  y 
avait  dans  son  armée  un  homme  nommé  Wahraz,  un  vieillard 
de  quatre-vingts  ans,  qui  était  le  plus  habile  archer  de  toute 
la  Perse.  Dans  sa  jeunesse  il  était  considéré  par  Nouschirwàn 
comme  égal  en  valeur  à  mille  cavaliers,  et  quand  le  roi  l'en- 
voyait quelque  part,  il  disait  qu'il  avait  expédié  mille  cavaliers. 
Mais  alors  il  était  devenu  faible  et  impuissant,  et  ses  sourcils 
étaient  tombés  sur  ses  yeux.  Nouschirwàn  le  fit  venir  et  le 
plaça  à  la  tête  de  ces  huit  cents  hommes,  qui  étaient  tous 
archers.  Il  leur  fit  donner  des  armes  et  tout  ce  qui  leur  était 
nécessaire,  des  bétes  de  somme,  des  vêtements  et  de  Targent. 
Nouschirwàn  fit  partir  avec  eux  Saïf.  Quand  ils  furent  au 
large,  deux  des  vaisseaux  échouèrent,  et  deux  cents  hommes 
furent  noyés.  Les  autres  arrivèrent  enfin  h  ^Aden,  située  au 
bord  de  la  mer,  où  ils  débarquèrent. 

Lorsque  Masrouq  en  fut  informé,  il  y  envoya  des  espions; 
il  fut  fort  étonné  quand  il  apprit  que  ces  troupes  étaient  en 
si  petit  nombre,  et  il  les  méprisa.  C'est  pour  cela  que  Ton 
a  dit  rrquil  ne  faut  pas  mépriser  un  petit  ennemi.?)  Ensuite 
Masrouq  envoya  un  messager  à  Wahraz  et  lui  fit  dire  :  Tu  es 
dans  une  illusion  ;  ce  garçon  t'a  trompé  ainsi  que  le  roi  de 
Perse.  Mais  tu  es  un  homme  vieux;  si  tu  ne  savais  pas  ma 
force  et  la  force  de  mon  armée,  apprends  à  la  connaître  main- 
tenant, et  ne  viens  pas  ici  avec  cette  poignée  de  troupes,  que 
je  suis  honteux  de  combattre.  Si  tu  veux  t'en  retourner,  je 
l'enverrai  des  vivres  et  des  provisions,  et  te  laisserai  partir 
en  paix  ;  ou  si  tu  veux  rester  avec  moi ,  je  te  traiterai  mieux  que 
n'a  fait  le  roi  de  Perse.  Wahraz  lui  fit  répondre  :  Accorde-moi 
un  mois  pour  y  réfléchir.  U  agit  ainsi ,  pour  faire  reposer  ses 


*>i*i  <;iiromqIjE  i)k  tabari. 

tn>ii|M>s  (*l  puiir  ooiii|iléter  son  arineiiienl;  mais  il  a\ait  lin- 
leiitioii  (lo  ooiiibatUv.  Masrouq  lui  fit  dire  :  Tu  as  raison,  ce»t 
là  la  parole  duii  vieillard.  Il  lui  accorda  donc  im  mois,  et  lui 
rn>oya  du  fourrage  et  des  provisions.  Wahraz  ne  les  accepta 
pas,  et  lui  lit  dire  :  Si  je  décide  de  le  combattre,  je  ne  pourrais 
plus  lo  faire  après  avoir  mangé  ton  pain;  si  je  m'en  retourne 
<ui  si  je  fais  la  paix  avec  loi,  alors  je  les  accepterai. 

Ensuite  Waliraz  dit  à  Saïf  :  Quelle  force  peux-tu  me  pr^ 
ter?  Saïf  dil  :  Tous  les  'Himyariles  qui  existent  dans  le  Yemen 
et  tous  les  membres  de  la  famille  royale  me  sont  dëroués;  ce 
sont  des  bommes  vaillants  et  de  bons  cavaliers,  montés  sur 
(les  cbevaux  arabes.  Je  les  rassemblerai  tous,  et  je  combattrai 
avec  toi ,  côte  à  cdle  ;  nous  vaincrons  ou  nous  mourrons  en- 
semble. W  aliraz  dil  :  Ton  aiTangement  est  bon.  Alors  Saïf 
envoya  un  messager  à  tous  les  ^llimyarites  qui  existaient  et 
les  appela  aupi-ès  de  lui.  Il  vint  cinq  mille  hommes.  Au  bout 
d'un  mois,  Masrouq  envoya  un  messager  à  Wabraz  pour  lui 
demander  quelle  décision  il  avait  prise.  Wahraz  lui  fit  ré- 
pondre qu*il  avait  résolu  la  guerre. 

Masrouq  avait  uik  fds,  auquel  il  dit  :  0  fils,  je  suis  honteux 
d'aller  attaquer  cette  poignée  d'hommes;  prends  dix  mille 
hommes  et  livre-leur  le  combat.  Si  tu  es  victorieux ,  fais  mettre 
à  mort  tout  ce  qu'il  y  a  de  Yéménites  [dans  l'armée  ennemie], 
et  fais  prisonniers  les  Perses.  Wahraz  avait  également  un 
fils,  qu'il  envoya  avec  les  archers  perses.  Avant  cette  époque, 
on  n'avait  jamais  vu  dans  le  Yemen  tirer  de  l'arc.  Quand  les 
deux  armées  furent  en  présence,  les  Perses  envoyèrent  une 
grêle  de  flèches  :  les  Abyssins  eurent  peur  et  reculèrent.  Beau- 
coup d'entre  eux  furent  tués  ;  le  fils  de  Masrouq  fut  égale- 
ment atteint  par  une  flèche  et  tué.  L'armée  de  Wahraz  ne 
perdit  pas  un  seul  homme,  parce  que  les  Abyssins  ne  coni- 


PARTIE  11,  CHAPITRE  XL.  Jia 

balleiit  quavec  Tépée  el  la  laiice.  Le  fils  de  Waliiaz  con- 
duisit ses  troupes  à  la  jmursuite  des  fuyards;  sou  cheval  le 
porta  au  milieu  des  troupes  abyssines,  qui  Tentoureieiil  el 
le  tuèrent.  Masrouq  el  Wahraz  furent  également  affligés  de 
la  mort  de  leurs  fils.  Wahraz  mil  le  feu  à  ses  vaisseaux  el 
les  fit  brûler,  ainsi  que  tous  les  effets  de  Tarmée  et  loules  les 
provisions,  sauf  ce  qui  était  nécessaire  pour  la  nourriture  d'un 
jour;  il  réunit  ses  six  cents  hoinukes  perses  et  leur  dit:  J'ai 
l'ait  brûler  les  vaisseaux,  afin  que  vous  sachiez  que  vous  n'avez 
plus  de  moyen  de  retour;  j'ai  fait  brûler  les  effets,  pour  que, 
si  nous  sommes  vaincus,  rien  de  ce  que  nous  avons  ne  tombe 
entre  les  mains  de  Tennemi;  et  j'ai  fait  brûler  les  provisions, 
afin  que  vous  sachiez  qu'il  ne  nous  reste  à  manger  que  pour 
un  jour.  Si  vous  combattez,  vous  aurez  de  la  nourriture  en 
quantité  et  vous  trouverez  le  bien-êti'e;  si  vous  ne  voulez  pas 
combattre,  je  ne  veux  pas  tomber  entre  les  mains  de  l'en- 
nemi, mais  je  m'enfoncerai  Tépée  dans  le  corps,  pour  mourir 
de  ma  propre  main ,  el  vous  verrez  ce  que  vous  deviendrez  après 
ma  mort.  Les  soldats  s'engagèrent  solennellement  et  par  ser 
ment  à  combattre  aussi  longtemps  que  leurs  âmes  tiendraient 
à  leurs  corps. 

Le  lendemain,  Masrouq  arriva  avec  cenl  mille  hojnmes  de 
troupes  abyssines.  Wahraz  ordonna  à  ses  compagnons  d'ar- 
mes de  consommer  les  vivres  qui  leur  restaient,  de  se  placer 
en  ordre  de  bataille  cl  de  bander  leurs  arcs.  Wahraz  tendit 
son  arc,  qui  était  tel  qu'il  ne  pouvait  être  tendu  par  une  autre 
personne,  et  demanda  un  bandeau,  avec  lequel  il  se  couvrit 
les  sourcils,  car  ses  yeux  étaient  devenus  fiûbles.  Puis  il 
dit  :  Montrez-moi  Masrouq.  On  lui  dit  :  Il  est  monté  sur  un 
élépbanl,  il  porte  la  couronne,  sur  le  devant  de  laquelle  est 
fixé  un  rubis  rouge,  qui  brille  comme  le  soleil.  Wahraz  vit  le 


2\à  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

rubis  de  loin  cl  dit  :  Attendez;  Fëléphant  est  une  monture 
distinguée,  une  monture  royale;  dans  quelque  temps ,  il  en 
descendra.  On  lui  dit  :  Il  est  descendu  de  Téléphant,  il  a 
monté  un  cheval  et  a  sur  la  tête  la  couronne  d'or.  Wahraz 
répliqua  :  Le  cheval  également  est  une  digne  monture,  mon- 
ture de  roi.  Ensuite  on  lui  dit  :  Il  est  monté  sur  un  mulet. 
Wahraz  dit  :  Le  mulet  est  le  fds  de  Tâne,  et  Tâne  est  la 
monture  des  femmes.  Maintenant  donnez-moi  mon  arc.  Il 
saisit  Tare,  ajusta  la  flèche  et  dit  :  Tenez-moi  la  poignée  de 
Tare  avec  la  main  en  face  du  rubis.  Quand  j'aurai  décoché  la 
flèche,  si  Tannée  ne  bouge  pas^  vous  saurez  que  le  coup  à 
manqué;  alors  vous  me  donnerez  vite  une  autre  flèche.  Mais  si 
les  soldats  se  remuent  et  entourent  Masrouq,  vous  saurez  que 
la  flèche  Ta  frappé  et  qu  ils  sont  occupés  autour  de  lui  ;  alors 
tirez  vous-mêmes  tous  à  la  fois  et  couvrez-les  d'une  grêle  de 
flèches.  On  ajusta  donc  la  main  de  Wahraz  visant  le  rubis, 
et  il  tira.  La  flèche  frappa  juste  le  rubis,  le  brisa  en  deux 
moitiés,  pénétra  dans  la  couronne  et  sortit  par  la  tête  de 
Masrouq.  Celui-ci  tomba  du  mulet  sur  le  sol,  les  troupes 
s'ébranlèrent  et  l'entourèrent.  Les  soldats  perses  les  couvri- 
rent d'une  grêle  de  flèches  et  en  tuèrent  un  grand  nombre. 
L'armée  abvssine  fut  mise  en  fuite.  Saïf  dit  à  Wahraz  :  Dans 
l'armée  abyssine  il  y  a  beaucoup  de  mes  parents,  des  Arabes 
et  des  membres  de  la  famille  royale,  qui  ont  suivi  Masrouq 
par  nécessité.  Donne  Tordre  que  ceux-là  soient  épargnés  et 
que  Ton  tue  seulement  les  Abyssins.  Wahraz  ordonna  de  ne 
tuer  que  les  noirs  et  les  Abyssins.  Ce  jour-là  le  massacre  fut 
tel,  que  pas  un  seul  Abyssin  n'échappa  et  que  le  sang  coula 
comme  un  fleuve. 

Le  lendemain,  Wahraz  prit  toute  sou  armée  et  fit  son 
enhée  dans  Çan'â,  la  ville  qui  était  la  résidence  de  Masrouq. 


PARTIE  II,  CilAlMTRE  XL.  215 

» 

Il  s  y  élaLlil,  suisil  les  réncs  du  {rouverneaieiit,  et  Saïl'  se  tint 
devant  lui.  Wahraz  fit  mettre  à  mort  tous  ceux  des  Abyssins 
qu  il  y  trouva.  Ensuite  il  écrivit  à  Nouschirwân  une  lettre, 
|)ar  laquelle  il  lui  annonçait  sa  victoire.  Nouschirwân  lui  n^- 
pondit  :  Remets  le  gouvernement  du  Yemen  à  Saïf ,  et  reviens. 
Wahraz  plaça  SaiT  sur  le  trône  et  lui  mit  la  couronne  sur  la 
t4ite;  et  Saïf  donna  h  Wohraz  tant  de  richesses,  qu'il  en  fut 
confondu;  il  en  envoya  également  à  Nouschirwân,  par  Fen- 
tremise  de  Wahraz,  qui  s'embarqua  et  s'en  retourna. 

Saiï  résidait  à  Çan'â.  Il  avait  un  palais  qu'on  appelait 
Ghoumdân,  et  qui  avait  été  construit  par  les  rois  ^himyariles 
et  les  Tobba%  et  les  ancêtres  de  Saïf  en  avaient  fait  leur  rési- 
dence. Au  haut  de  ce  palais,  il  y  avait  un  pavillon.  Il  n'y  avait 
pas  dans  je  monde  entier  un  édifice  pareil.  Saïf  s'établit 
dans  ce  pavillon,  dans  le  palais  de  Ghoumdân,  en  possession 
incontestée  du  royaume  entier.  Il  fit  mettre  à  mort  tous  les 
Abyssins  qu'il  rencontrait,  et  les  troupes  arabes,  *himyarites 
et  yemeniles  obéissaient  à  ses  ordres.  Quelques-uns  des  Abys- 
sins qui  avaient  sauvé  leur  vie  et  les  jeunes  gens  dont  les 
pères  avaient  été  tués  furent  réduits  en  esclavage  par  les 
^Himyarites.  Saïf,  quand  il  sortait  à  cheval,  se  faisait  précéder 
par  ses  esclaves,  portant  des  lances,  comme  c'était  la  cou- 
tume abyssine;  il  ne  leur  imposa  aucune  autre  charge  que 
celle  de  former  sa  garde  et  de  marcher  devant  lui.  Il  composa 
sa  cour  de  l'armée  arabe  et  ^himyarite,  et  envoya  dans  chaque 
ville  du  Yemen  un  gouverneur  et  lieutenant,  même  dans  le 
^lledjaz,  le  désert  et  le  territoire  des  Arabes. 

Les  Arabes  de  toutes  les  contrées  se  rendirent  auprès  de 
Saïf  pour  le  féliciter;  il  eut  la  main  ouverte  et  combla  les 
hounnes  de  faveurs  et  de  présents;  aucun  de  tous  ceux  qui 
se  présentèrent  devant  lui  ne  s'en  alla  sans  avoir  reçu  un 


216  CHRONIQUE  DE  TABAHl. 

cadeau.  ^Abdou'l-Mottalib,  avec  les  principaux  Qoraïscliites, 
vinl  de  la  Mecque  pour  le  féliciter.  SalT  était  en  possession 
incontestée  du  royaume,  puissant  et  en  paix;  il  répandait  la 
justice  et  faisait  exécuter  les  lois;  tous  les  habitants  de  race 
yemenite  se  reposaient  sur  lui.  Chaque  jour,  des  poètes 
venaient  de  tous  les  côtés,  lui  apportant  des  poésies  pour 
le  féliciter.  Un  poète  nommé  Omayya,  fils  d'Abou'ç-Çalt,  de 
la  tribu  de  Thaqif,  Ta  loué  dans  une  pièce  de  vers  dont 
Mo^hammed  ben-Djarir  na  rapporté  que  deux  ou  trois  vers, 
et  que  nous  allons  donner  en  entier  : 

Ceux-là  réussiront  daos  leurs  desseins  qui  ressemblent  au  fils  de  Dsou- 
Tezen.  Il  aborda  la  mer  pour  préparer  la  perte  de  ses  ennemis. 

Il  alla  trouver  Hcraclius;  car  ils  sY-laient  emparés  des  demeures  de  ses 
compatriotes;  mais  il  n^obtint  de  lui  rien  de  ce  qu'il  sollicitait. 

Ensoile,  après  un  grand  nombre  d'années,  il  se  rend  auprès  de  Kesra, 
après  de  longues  pérégrinations. 

Enfin  il  revient,  amenant  des  braves  qu'il  poussa  tant  que,  par  ma  vie! 
tu  aurais  allongé  tes  pas. 

Par  Dieu!  voilà  une  troupe  de  braves,  dont  lu  ne  trouverais  pas  les  pareils 
parmi  les  bommcs. 

Forts,  de  condition  supérieure,  resplendissants,  chefs,  lions,  élevés,  dans 
leur  jeunesse,  dans  les  forêts  marécageuses. 

Qui  est  pareil  à  Kesra,  le  roi  des  rois,  à  qui  des  rois  sont  soumis;  ou 
pareil  à  Wabraz,  le  jour  du  combat,  dédaigneux? 

Ils  tirent  de  leurs  arcs  des  flèches  nombreuses  comme  des  épis;  ils  lancent 
avec  un  bruit  formidable  les  projectiles. 

Tu  as  déchaîné  ces  lions  sur  les  chiens  noirs,  et,  au  milieu  du  jour,  les 
cadavres  de  leurs  fugitifs  couvraient  le  sol. 

Amuse-toi  à  boire,  la  couronne  sur  la  télé,  appuyé  sur  le  lit,  au  haut  du 
Ghoumdân,  qui  est  ta  demeure. 

Réjouis-toi  bien  longtemps;  car  ils  sont  morts  maintenant,  et  livre-toi  à 
un  sommeil  paisible,  enveloppé  dans  ton  manteau. 

Voilà  ce  qui  convient  aux  braves,  et  non  dpux  coupes  do  lail,  qui,  mélo 
Rver  de  l'eau ,  gp  transforme  bientôt  en  urine. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XLI.  217 

Le  poêle  veut  dire  par  ces  vers  :  Ce  que  lu  as  fait  constitue 
la  mémoire  glorieuse  qui  resle  des  grandes  actions  des  rois 
dans  le  souvenir  des  hommes.  Tu  as  recouvré  le  trône  perdu, 
depuis  soixante  el  dix  ans ,  par  tes  pères.  Celui-là  sera  vraiment 
roi  qui  sera  comme  toi,  et  non  comme  celui  qui  reste  en 
place,  recueillant  Thérilage  de  ses  pères  et  qui  vit  à  son  aise, 
dans  Toisiveté,  et  qui  jouil  et  qui  meurl  et  perd  le  pouvoir, 
comme  ce  fut  le  cas  de  Masrouq,  fils  d'Âbraha.  En  effet,  il 
faut  qu'un  roi  se  montre  vaillant  el  qu'il  laisse  après  lui  une 
bonne  renommée;  il  faut  qu'il  jouisse  de  hauts  faits  et  non 
de  bien-être. 

Maintenant  nous  allons  raconter  Thistoire  du  règne  de 
Saïf,  fils  de  Yezen. 


CHAPITRE  XLI. 

HISTOIRE  DL  REGNE  DE  SAÏF,   FILS  DE  DSOU-YEZEN ,    DANS  LE  YEMEN« 

Saïf  étant  sur  le  trône,  il  ne  restait  dans  le  Yemen  au- 
cun Abyssin,  excepté  quelques-uns  dont  les  pères  avaient  été 
tués,  qui  avaient  été  réduits  en  esclavage  et  qui,  armés  de 
piques,  marchaient  devant  le  roi.  Il  n'y  avait  qu'un  seul  vieil* 
lard,  faible  et  décrépit;  tous  les  autres  étaient  des  jeunes  gar- 
çons qui  n'étaient  pas  encore  en  état  de  porter  les  armes. 
Des  années  se  passèrent  ainsi  sur  le  gouvernement  de  Sak'f , 
qui  envoya  a  Nouschirwân  un  ambassadeur  avec  de  riches 
présenta  et  entretenait  toujours  de  bons  rapports  avec  lui. 
Il  traitait  avec  bonté  les  Abyssins  qui  formaient  sa  garde  et 
qui  étaient  jour  cl  nuit  à  son  service,  et  se  reposait  entière- 
ment sur  eux. 

Un  jour,  il  étail  allé  a  la  chasse,  ot  ces  Abyssins  avec  leurs 


218  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

piques  marchaient  devaul  lui.  La  chasse  terminée,  il  Taisait 
courir  son  cheval,  seul;  sa  suite  était  restée  en  arrière,  les 
Abyssins  [seulement]  marchaient  à  côté  de  son  cheval.  Quand 
ils  furent  éloignés  de  la  suite,  ils  entourèrent  Saïf  et  le  tuè- 
rent, et  dispersèrent  toute  sa  suite.  De  tous  côtés,  les  Abys- 
sins reparurent  et  tuèrent  un  grand  nombre  d*^Himyarites, 
des  habitants  yemenites  et  des  parents  de  Saïf.  Quelques- 
uns  prétendent  que  le  règne  de  Saïf  avait  duré  un  an;  mais 
d'autres  disent  qu  il  avait  eu  une  durée  de  sept  ans.  Après  sa 
mort ,  il  se  passa  un  certain  temps  sans  que  personne  occu- 
pât le  trône,  et  Ton  ne  reconnut  Tautorité  de  personne. 

Nouscbirv^ân,  irrité  à  la  nouvelle  de  ces  événements,  en- 
voya de  nouveau  Wahraz  dans  le  Yemen  avec  quatre  mille 
hommes,  et  lui  ordonna  de  mettre  à  mort  tous  les  Abyssins 
qui  se  trouvaiejit  dans  le  Yemen,  grands  et  petits,  hommes 
et  femmes;  de  tuer  également  les  femmes  enceintes,  tous  ceux 
qui  avaient  les  cheveuK  crépus  et  ceux  [d  entre  les  Yéménites] 
qui  portaient  de  raiïeclion  aux  Abyssins  ou  qui  avaient  de 
rinclination  pour  eux.  Wahraz  vint  dans  le  Yemen  et  fit 
ainsi.  11  écrivit  à  Nouschirwân  :  J'ai  exécuté  tout  ce  que  tu  as 
ordonné,  et  j'ai  purifié  le  Yemen  des  Abyssins  et  de  leur 
race.  Nouschirwân  lui  adressa  une  lettre  de  félicitations,  lui 
disant  :  Tu  as  bien  faiL  11  lui  confia  le  royaume  du  Yemen. 
Wahraz  y  resta  quatre  ans,  puis  il  mourut  II  avait  un  fils 
nommé  Merzebân,  à  qui  Nouschirwân  conféra  la  royauté  du 
Yemen,  et  qui,  jusqu'au  moment  de  la  mort  de  Nouschirwân , 
lui  envoyait  chaque  année  un  tribut  Après  plusieurs  années 
Merzebân  mourut  également,  laissant  un  fils  nommé  Sab- 
'hân,  à  qui  Hormuzd,  fils  de  Nouschirwân ,  confia  le  royaume^ 
Il  mourut  après  avoir  gouverné  plusieurs  années,  et  laissa  un 
fils,  nomuké  Khour-Khosrou.  Hormuzd  l'investit  de  la  royauté 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XLII.  219 

(lu  Yemen;  mais,  quelques  années  après,  il  fui  irrité  contre 
lui  cl  envoya  quelqu'un  dans  le  Yemen  pour  le  faire  enchatner 
et  le  ramener  en  Perse.  On  le  ramena  dans  une  litière,  et 
Hormuzd  voulut  le  faire  mettre  à  mort.  Un  des  grands  de 
la  Perse  avait  un  vêtement  qu  un  jour  Nouschirwân  lui  avait 
donné  comme  une  robe  d'honneur.  Cet  homme  apporta  ce 
vêtement  et  le  jeta  sur  la  tête  de  Khour-Khosrou.  Hormuzd 
répargna  par  respect  pour  ce  vêtement.  Il  envoya  dans  le 
Yemen  un  autre  homme,  nommé  Bâdsân,  qui  fut  roi  du 
Yemen  jusqu'à  Tavénement  de  notre  Prophète,  et  qui  vécut 
durant  toute  la  carrière  ^u  Prophète.  Les  habitants  du  Yemen 
se  convertirent  à  Tislam,  et  le  Prophète  y  envoya  Mo^àd,  fils 
de  Djabal,  pour  y  gouverner  et  recevoir  leurs  impôts. 

Tous  les  événements  que  nous  venons  de  rapporter,  depuis 
Ihistoire  de  Téléphant  jusqu'à  l'histoire  de  Masrouq,  se  pas- 
sèrent du  temps  de  Nouschirwân,  dont  le  règne  dura  qua- 
rante-huit ans.  L'ère  de  rÉléphant  commença  alors  qu'il  s'était 
écoulé  quarante-deux  ans  du  règne  de  Nouschirwân,  ou,  d'a- 
près d'autres,  trente-deux  ans.  Notre  Prophète  est  né  dans 
l'année  de  l'Eléphant,  pendant  le  règne  de  Nouschirwân,  et 
il  a  commencé  sa  prédication  sous  le  règne  d'Hormuzd,  fils 
(le  Nouschirwân. 

CHAPITRE  XLII. 

HISTOIRE  DC  RÈGNE  ET  DE  LA  GRANDEUR  DR  NOUSCHIRWAN. 

Nouschirwân ,  après  avoir  placé  Saïf ,  fils  de  Dsou-Yezeu , 
sur  le  trône,  et  après  être  ainsi  devenu  maître  du  Yemen, 
voulut  également  acquérir  la  Syrie,  afin  que  le  Yemen  fût 
relié  à  l'Iraq.  11  y  avait  dans  Roum  un  roi  nommé  Justiuien. 
Nouschirwân  dirigea  une  armée  contre  Roum.  Le  roi  de  Roum 


220  CHRONIQUE  DE  TABAIU. 

envoya  vers  lui  uu  ambassadeur  el  demanda  ia  paix.  Nouschir- 
wân  conclut  la  paix,  en  mettant  pour  conditions  que  Roum, 
la  Syrie  et  Tlràq  lui  appartiendraient;  une  partie  de  T^Irâq, 
le  ^Hedjâz  et  le  désert  appartenaient  déjà  à  Nouschirwân.  En- 
suite le  roi  de  Koum  lui  envoya  des  présents. 

Le  roi  de  Koum  avait  dans  la  Syrie  un  vassal,  nommé  Dja- 
bala,  fils  d'Aïham,  de  la  famille  des  Gbassânides,  qui  avaient 
possédé  anciennement  le  royaume  de  Syrie.  Nouscbirwân  avait 
donné  le  commandement  des  Arabes  à  Moundsir,  et  Tavaif 
fait  résider  à  'Hira.  Moundsir  avait  le  gouvernement  de  la 
Mésopotamie,  de  ^Hira,  de  Mossoul,  du  ^Hedjâz,  duTiliâma, 
de  r^Irâq,  de  Tàïf  et  de  T^Omân;  et  Fempire  de  Nouschirwân 
s'étendait  depuis  T^Irâq  jusqu'au  Yemen,  sans  interruption, 
du  côté  du  désert  et  du  ^Hedjâz.  Cet  état  de  cboses  dura  pen- 
dant deux  ans.  Ensuite  Djabala,  gouverneur  de  Syrie,  mou- 
rut, et  le  roi  de  Roum  lui  donna  pour  successeur  son  fils 
Khâlid  fils  de  Djabala.  Khâlid,  avec  une  nombreuse  troupe, 
fit  des  invasions  sur  le  territoire  de  Djezira,  le  territoire  de 
Moundsir,  y  fit  périr  beaucoup  de  monde  et  emporta  un  riche 
butin.  Moundsir  informa  de  ces  faits  Nouschirwân,  en  lui 
demandant  Tautorisation  de  faire  la  guerre  au  gouverneur  de 
la  Syrie.  Nouschirwân  écrivit  au  roi  de  Roum  en  ces  termes: 
Ton  commissaire  de  Syrie  a  fait  des  invasions  sur  mon  ter- 
ritoire; je  suis  certain  que  cela  s'est  passé  d'après  tes  ordres; 
ordonne  qu'il  rende  à  Moundsir  les  biens  enlevés  et  qu'il 
paye  l'amende  pour  les  hommes  tués  ;  sinon  je  cesse  d'obser- 
ver la  paix,  et  prépare-toi  à  la  guerre.  Le  roi  de  Roum  ne 
tint  aucun  compte  de  cette  lettre.  Nouschirwân,  de  sa  per- 
sonne, sortit  de  T^Irâq  avec  cent  mille  hommes,  et  Moun- 
dsir, avec  cinquante  mille  hommes,  se  joignit  à  lui  à  Mossoul. 
Ils  se  dirigèrent  vers  la  Syrie,  et  prirent  les  villes  de  Damas, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XLII.  221 

de  Ho'lià  (Édesse),  Manbedj  (Hiérapolis),  César(Çe,  Alep, 
Antioche,  Apamée  et  Émesse,  villes  de  Syrie,  faisant  partie 
de  l'empire  de  Koum.  Ils  les  d(5truisirent  toutes  et  y  firent  un 
riche  butin.  Le  roi  de  Koum  envoya  un  messager  avec  des 
présents  pour  conclure  la  paix,  et  fit  dire  :  Je  n'ai  pas  mé- 
prisé (a  lettre,  mais  j'avais  l'intention  d'appeler  à  ma  cour 
Khâlid,  (Ils  de  Djabala,  qui  a  agi  à  mon  insu,  de  le  punir  et 
de  le  forcer  à  rendre  le  butin  et  les  prisonniers,  et  à  payer 
l'amende  pour  les  hommes  tués.  Mais  tu  m'as  prévenu.  Nou- 
sqhirwân  répondit  :  Je  ne  conclus  la  paix  qu'à  la  condition 
que  les  villes  de  Syrie  et  de  Koum  que  j'ai  prises  resteront 
en  ma  possession  ;  quant  aux  villes  de  Koum  qui  sont  restées 
à  l'abri  de  mes  attaques,  je  te  les  céderai  pour  une  grande 
somme  d'argent.  Le  roi  de  Koum  consentit,  et  abandonna 
les  villes  de  Syrie  qui  étaient  entre  les  mains  de  Nouschir- 
wân ,  et  il  racheta  les  autres  en  envoyant  des  sommes  im- 
menses. Nouschirwân  retourna  à  Madâïn ,  dans  l'Iraq.  Il  avait 
donc  la  Syrie,  Mossoul,  la  Mésopotamie,  le  désert,  le  *Hed- 
jâz,  le  Yemen,  Tâïf,  Ba^hraïn,  le  Yemâma  et  T'Omân,  l'in- 
térieur des  terres  et  la  câte.  Jamais  aucun  roi  de  Perse  n'avait 
possédé  une  telle  étendue  de  territoire. 

Ensuite  Nouschirwân  désira  posséder  également  une  cer- 
taine partie  de  l'Indostan.  Il  fit  marcher  une  nombreuse  armée , 
ayant  à  sa  tête  un  général  renommé,  vers  l'Indostan,  vers 
Serândib ,  la  ville  où  résidait  le  roi  de  ce  pays.  Nouschirwân 
envoya  cette  armée  dans  POmân,  en  lui  ordonnant  de  se 
rendre  de  là  par  voie  de  mer  à  Serândib,  pour  attaquer  le 
roi  de  l'Inde.  Celui-ci  envoya  un  messager  à  Nouschirwân 
avec  des  propositions  de  paix;  il  lui  abandonna  les  contrées 
voisines  de  T^Omân  qui  avaient  déjà  été  cédées  à  la  Perse 
du  temps  de  Bahrâmgour.  Nouschirwân  relira  son  armée  de 


^jtf.  .  Jl  î  ••'?*'.  .    *•..     i 


'  *^*A^^A^s^      '    !  4M>«AI      Ml*    >•    il  ilimiMM      Ji  l'-i 

â^irvi      A«^ii«i      >•    iiviiiifhyii      '  i&if, 

j««v«|*  f   '  v>,#o^«i     «fM**^:  «uifc  Si-  fffimiiiininfT   ut  \» 

j'^'U,  A'Atfiii  ^^i'^j  yvMlMt<|a«l^iiiiM9Hfi«tleëiefTeKeâqii''fla 

"tHHf^i^é^t'l  iléi  mtihU'êM  ntàt*  ll$|$^pùi  ne  lui  pa»  trop  loud 
|///M^  |i;  ftttt^fH^httti)  il  mêfHHHê  dit  tuémis  le*  arbre».  Il  avait 
nuhtmii^*  du  mttfimvi  Um  U*ni'it  vhunua  année  et  de  prëlever 

I  Uh^iOl  oMi  iiiliiii  i|M<  Mumii  t'Mliiy^H^H,  labourées  elensemen- 
itUi*i.  ni  du  lit»  |iM)Ml  I  iui|{Mi'  |Miiji'  iiflluM  (|ui  étaient  en  friche, 
il  tistiW  mdmimH  miimI  iIh  lulliviu'  lim  lorroH  en  friche,  afin 
»|MM  I  lHM|Mii  iMiMitii  lu  MiMiilirit  iloN  huTON  culUvécH  augmentât. 

II  •Miill  iMiMMiniMit  h  liiUii  lUi^Miloi  lo  uit»Nura|[e  des  (erres 

<I«IM'  I   IhIi|     immI»  il  un  |IMl  In  llMM 


PARTIE  II,  CIIAI»ÏTRE  XLIII.  223 


CHAPITRE  XLIII. 

COMMENT   NOUSGHIRWÀN  ÉTABLIT  L'IHPÔT  RT  RENDIT  LA    JUSTICE. 

Lorsque  Nouschirwân  fut  sur  le  trdne,  occiîpé  à  rendre  son 
empire  florissant,  et  que  son  gouvernement  fut  fermement 
établi  depuis  Torient  jusqu'à  Toccident,  et  qu'il  chercha  à 
répandre  la  justice,  la  bonne  administration  et  la  culture,  il 
ordonna  de  reprendre  le  mesurage  des  terres  ordonné  par 
Qobàd  et  de  le  terminer,  afin  d'établir  Timpôt  d'après  l'étendue 
des  terres  cultivées  et  des  terres  en  friche.  Il  savait  qu'il  n'y 
avait  rien  de  plus  juste  et  de  plus  profitable  pour  les  sujets 
que  cette  mesure.  On  acheva  le  mesurage,  et  l'on  inscrivit 
dans  un  registre  toutes  les  terres  cultivées  de  Plrâq  et  de  la 
Persidc,  avec  le  nombre  des  charrues;  et  chaque  charrue, 
mesurée  à  la  coudée,  fut  imposée  d'un  dirhem  et  d'une  me- 
sure de  ses  produits.  Zohaïr  ben-Abou-Solma ,  faisant  l'éloge 
de  Nouschirwân ,  a  dit  à  ce  sujet  : 

On  vous  impose  ce  qui  n'est  pas  imposé  aux  gens  des  villes  dans  TlrÂq, 
en  fait  de  boisseaux  et  de  dirhems. 

On  mit  également  un  impôt  sur  tous  les  arbres  fruitiers 
et  sur  les  oliviers^  ainsi  que  sur  chaque  arpent  de  vignes  la 
redevance  convenue.  On  imposa  une  capitation  à  tous  les  ha- 
bitants étrangers  à  la  religion  du  pays,  aux  juifs  et  aux  chré- 
tiens; les  propriétaires  d'immeubles  furent  également  tenus 
de  payer  une  contribution  personnelle,  plus  ou  moins  forte, 
selon  qu'ils  étaient  plus  riches  ou  plus  pauvres,  depuis  six 
ilirhems  jusque  huit,  douze,  vingt-quatre  et  quarante-huit 
dirhems.   On  n'exigea  rion  des  femmes,  des  enfants  et  des 


"l'ih  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

vieillards  au-dessus  de  cinquante  ans.  On  dressa  un  tableau 
de  rimpôt  pour  chaque  village,  chaque  ville  el  chaque  pro- 
vince, dans  lequel  élaienl  consignés  toutes  les  charrues,  de 
même  que  tous  les  arbres,  et,  pour  la  capitation,  le  nom  de 
chaque  individu. 

Ensuite  Nouschirwân  envoya  un  messager  à  tous  ceu\ 
qui,  dans  Tlrâq  et  la  Perside,  étaient  les  principaux  de  leur 
classe,  aux  propriétaires  d'immeubles,  aux  généraux  de  l'ar- 
mée, aux  guerriers  et  aux  principaux  scribes,  pour  les  ap- 
peler à  une  réunion,  à  un  jour  donné,  afin  de  leur  présenter 
les  tableaux  et  d'établir  l'impôt.  Ils  arrivèrent  tous  le  jour 
fixé,  et  Nouschirwân  fit  venir  le  grand  mobed  et  les  ministres, 
s'assit  sur  le  trône,  mit  la  couronne  sur  sa  tête,  et  tint  une 
cour  publique  pour  tout  le  peuple;  il  lit  asseoir  ceux  qui 
avaient  le  droit  d'être  assis,  et  les  autres,  suivant  la  coutume, 
restèrent  debout.  Ensuite  Nouschirwân  leur  fit  une  allocu- 
tion, adressant  longuement  des  louanges  à  Dieu,  faisant 
l'éloge  des  anciens  rois,  ses  aïeux,  en  mentionnant  leur  jus- 
tice et  leur  bonne  administration,  et  il  dit  :  Comme  Dieu 
m'a  favorisé  plus  que  mes  ancêtres,  en  ce  qu'il  a  augmenté 
mon  empire,  il  est  aussi  nécessaire  que  la  justice  et  la  bonne 
administration  aient  un  développement  plus  grand  que  de  leur 
temps.  Puis  il  ajouta  :  En  considérant  l'état  du  peuple  et 
l'état  du  royaume,  j'ai  acquis  la  conviction  que  le  roi  ne  peut 
pas  se  soustraire  à  la  nécessité  d'avoir  son  trésor,  contenant 
de  l'argent,  qui  le  mette  à  même  de  défendre  ses  sujets 
contre  les  ennemis,  de  sorte  que,  si  un  ennemi  l'attaque  pour 
s'emparer  du  pays  et  pour  subjuguer  les  habitants,  il  puisse 
envoyer  une  armée  contre  cet  ennemi,  pour  le  repousser 
du  royaume  et  pour  préserver  les  habitants  de  ses  atteintes. 
Mais  une  armée  ne  peut  pas  être  entretenue  sans  argent. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XLIII.  225 

et  col  ai-genl,  il  faut  le  tirer  des  sujets.  Si,  au  iiioiiieiU  où 
rarmée  a  besoin  d'argent,  on  en  exige  des  sujets  subite- 
ment,  cela  leur  est  une  charge  et  ils  en  sont  molestés.  Il  faut 
donc  l'exiger  annuellement,  le  placer  et  le  conserver  dans  le 
trésor,  afin  qu'il  existe  au  moment  où  Ton  en  aura  besoin. 
J'ai  considéré  que  les  contributions  qu'on  lève  tous  les  ans 
sur  les  sujets,  et  que  Ton  verse  dans  le  trésor,  ne  sont  pas. 
réparties  selon  la  justice.  Déjà  mes  aïeux,  avant  moi,  ont 
voulu  rétablir  la  juste  proportion  à  cet  égard,  mais  ils  n'en 
ont  pas  trouvé  le  temps  :  ils  étaient  avant  tout  occupés  à  raf- 
fermir l'empire,  et  ils  ont  quitté  ce  monde  avant  d'arriver  à 
cet  acte  de  justice.  Mais  Dieu  m'a  accordé  un  empire  ferme- 
ment établi  et  l'espace  de  vie  nécessaire  pour  accomplir  la 
justice  et  l'équité.  J'ai  donc  fait  mesurer  toutes  les  terres  et 
établi  un  impôt  juste  et  équitable  :  sur  chaque  charrue  de 
terre  cultivée  un  dirhem  et  une  njesure  de  ses  produits,  soit  de 
froment,  soit  d'orge  ou  de  blé;  et,  sur  chaque  arbre,  une  rede- 
vance convenue.  J'ai  également  imposé  une  redevance  conve- 
nue à  tous  les  hommes  étrangers  à  notre  religion  qui  habitent  * 
notre  pays  et  qui  jouissent,  eux,  leurs  familles  et  leurs  biens, 
de  notre  protection.  J'ai  fait  dresser  des  tableaux  de  ces 
impôts,  que  je  veux  vous  faire  connaître  et  que  je  veux  rendre 
obligatoires  pour  vous.  Je  veux  choisir  pour  chaque  ville  un 
lieutenant,  un  homme  de  confiance  et  sans  reproche,  et  lui 
ordonnerai  de  ne  point  commettre  de  tort,  et  de  lever  l'impôt 
annuel  en  trois  fois ,  tous  les  quatre  nnois  un  tiers ,  afin  que 
le  peuple  le  supporte  plus  facilement.  Que  vous  en  semble  et 
qu'en  dites-vous?  Le  peuple  resta  silencieux,  et  personne  ne 
répondit.  Après  deux  heures,  Nouschirwân  reprit  la  parole 
et  dit  :  Donnez-moi  une  réponse;  car  je  veux  introduire  cet 
impôt  avec  votre  consentement,  afin  qu'il  soit  établi  selon  \a 
II.  *^ 


t2ù  CIIROiNIQlK  DE  TABARl. 

justice  et  ré{;ulièremeiil.  Aloi*s  so  lova  un  homme  qui  u\'(ait 
pas  des  gens  marquants  el  que  pei'sonne  ne  connaissait,  qui 
dit  :  0  roi,  rinq)dl  est  une  chose  durable  et  qui  reste  tou- 
jours, tandis  que  Thomme  est  périssable;  demain  telle  terre 
pourra  être  inculte,  mais  elle  reste  frappée  de  Timpot.  Nou- 
schirwàn  répliqua  :  Ne  dis  pas  de  hètises;  tu  ne  sais  pas  ce 
que  tu  dis.  N'as- lu  pas  entendu  que  j'ai  dit  que  je  ferai 
mesurer  chaque  terre  tous  les  ans,  que  je  ferai  exempter  de 
rimpot  celles  qui  seront  incultes,  et  que,  quand  un  homme 
aura  perdu  sa  terre,  je  ferai  libérer  sou  nom  de  l'imposition? 
Puis  il  dit  :  De  quelle  classe  es-tu?  Cet  homme  répondit  : 
De  la  classe  des  scribes.  Le  roi  dit  :  Les  scribes  sont  pré- 
somptueux. Et  il  ordonna  de  le  frapper  sur  la  tète  avec  sou 
encrier  et  de  le  tuer.  Il  y  avait  dans  l'assemblée  un  grand 
nombre  de  scribes,  qui  avaient  tous  apporté  leur  encrier. 
Chacun  frappa  cet  homme  sur  la  tête  avec  son  encrier,  el  ils 
le  tuèrent.  Ensuite  ils  s'écrièrent  tous  :  0  roi,  nous  n'avons 
pas  de  part  à  ces  paroles;  la  dis|)Osition  que  le  roi  a  prise 
est  bonne.  Tous  les  assistants  répétèrent  :  Le  roi  accomplit 
la  justice  et  Téquité;  le  roi  a  bien  fait.  Alors  Nouschirwàn 
fit  apporter  les  tableaux  et  leur  en  fit  faire  la  lecture.  Tous  les 
approuvèrent  el  les  acceptèrent.  Ensuite  il  envoya  dans  toutes 
les  villes  des  agents  qui  recueillaient  chaque  année  l'argent 
el  le  versaient  dans  le  trésor.  Cette  disposition  se  maintint 
en  Perse  sous  tous  les  règnes,  jusqu'à  l'époque  oii  le  royaume 
de  Perse  cessa  d'exister,  du  temps  d'^Omar,  fils  d'Al-Khal- 
lab.  Quand  ^Omar  eut  conquis  l'^lrâq  et  que  les  habitants  eu- 
rent accepté  l'islamisme,  il  ne  trouva  aucune  institution  plus 
juste  que  celle  de  cet  impôt  et  du  mesurage  des  terres,  et  il 
la  laissa  subsister  :  elle  s'est  maintenue  dans  l'Mrâq  jusqu'à 
ce  jour. 


PARTIE  II.  CHAPITHK  XLIV.  227 


CHAPITRE  XLIV. 


/ 


ORGANISATION  DR  l/ARMRK. 


Lorsque  Nouschirwân  eut  bien  terminé  l'affaire  de  Tiinpôt, 
il  se  dit  en  lui-même  :  Maintenant  que  cette  affaire,  qui  con- 
cerne lout  te  royaume,  est  terminée,  il  faut  régler  Temploi 
de  rimpôl,  et,  de  même  que  je  sais  comment  il  entre  dans 
le  trésor,  il  faut  que  je  sache  comment  il  en  sort.  L'argent 
qui  sort  du  trésor  royal  va  à  Tarméc;  mais  il  y  a  du  désordre 
dans  le  payement  de  Tarmée;  il  faut  le  réformer  également. 
Alors  il  fit  venir  un  liomme  d'entre  les  grands  scribes,  âgé 
et  descendant  d'une  famille  qui  exerçait  depuis  un  grand 
nombre  d'années  les  fonctions  de  scribe.  Cet  homme  s'ap- 
pelait Bàbek,  fils  de  Airwân.  Nouschirwân  lui  parla  ainsi  : 
Le  payement  de  l'armée  se  fait  sans  règle  ;  on  donne  de  l'ar- 
gent à  ceux  qui  n'y  ont  aucun  droit,  et  ceux  qui  ont  un  droit 
légitime  d'y  prétendre  en  sont  privés.  Je  veux  réformer  cet 
abus.  Je  vais  te  confier  les  rôles  d'inspection  et  de  payement  ; 
tu  donneras  l'argent  a  ceux  qui  doivent  le  recevoir «t  autant 
qu'ils  doivent  en  recevoir.  Il  y  a  dans  l'armée  des  personnes 
dont  la  solde  ne  doit  se  monter  qu'à  cent  dirhems  et  qui  en 
reçoivent  mille.  Il  y  en  a  qui ,  n'ayant  pas  de  cheval,  reçoivent 
cependant  la  solde  d'un  cavalier;  d'autres  qui  ne  savent  pas 
tirer  de  l'arc  et  qui  reçoivent  la  solde  des  archers;  tel  qui  ne 
sait  pas  se  servir  de  l'épée  est  payé  comme  un  fantassin,  et 
tel  autre  qui  n'a  pas  d'armure  reçoit  la  solde  des  cuirassiers. 
Tout  cela  est  un  préjudice  pour  moi;  et,  de  même  que  je 
ne  fais  pas  tort  au  peuple,  ni  à  l'armée,  il  ne  faut  pas  qu'ils 
me  fassent  tort.  Je  t'ai  donc  choisi  pour  le  charger  de  celte 


i;) 


228  CIIRONIOIIE  DK  TABARl. 

affaire,  pour  niollro  tout  à  fart  entre  tes  mains  l'argent  de  la 
solde,  alin  (jue  tu  en  disposes  souverainement.  Je  vais  faire 
préparer  une  grande  place  devant  mon  palais  pour  une  revue; 
c'est  là  que  tu  dois  passer  les  troupes  en  revue.  Assis  sur  un 
siège  élevé,  fais  défiler  devant  toi  les  soldats  et  fais-toi  pré- 
senter leurs  chevaux,  et  inscris  chaque  homme  sur  le  rôle, 
que  tu  garderas.  Exige  que  chaque  homme  se  présente  com- 
plètement armé,  avec  une  cotte  de  mailles  et,  par-dessus,  la 
cuirasse,  allant  jusqu'aux  genoux;  le  casque  sur  la  tête,  avec 
la  chaîne,  et  des  brassards  de  fer  aux  deux  bras.  Le  cheval 
doit  être  couvert  d'une  cotte.  Chaque  homme  doit  avoir  une 
lance,  une  épée,  un  bouclier  et  une  ceinture  au  milieu  du 
corps,  à  laquelle  sera  fixée  une  massue  de  fer,  qui  pendra 
du  devant  de  la  selle;  derrière  la  selle  sera  le  carquois,  qui 
contiendra  cent  soixante  flèches  de  bois;  du  côté  gauche  sera 
l'étui,  contenant  deux  arcs,  dont  chacun  doit  être  muni  d'une 
corde;  il  y  aura  deux  autres  cordes  de  rechange,  afin  que,  si, 
pendant  le  combat,  la  corde  se  brise,  elle  puisse  être  rempla- 
cée. Ordonne  que  ces  deux  cordes  soient  attachées  à  l'arçon 
de  la  selle  et  pendent  par  derrière,  afin  que  tu  puisses  voir 
que  l'homme  a  son  armement  complet.  Puis,  quand  tu  auras 
trouvé  que  l'homme  a  son  armement  complet,  inscris-le,  afin 
que,  chaque  fois  que  tu  l'inspecteras,  pour  lui  payer  la  solde, 
s'il  lui  manque  un  des  objets  de  son  armement,  tu  le  refuses 
et  lui  retiennes  la  solde.  Après  avoir  examiné  l'armement,  fais 
avancer  l'homme  dans  Tarène  devant  toi,  qu'il  manie  le  che- 
val, qu'il  en  descende  tout  armé  et  qu'il  remonte  sur  lui,  afin 
que  tu  voies  s^il  est  cavalier  ou  non ,  et  à  quel  degré  il  sait  l'art 
de  l'équitation.  Puis  ordonne-lui  de  détacher  toutes  les  pièces 
de  son  armement,  pour  voir  s'il  sait  le  faire.  Alors,  ^  raison  de 
son  habileté  et  de  sa  force,  fixe  la  solde  de  chaque  homme. 


PARTIE  11,  CHAPITRE  XLIV.  229 

depuis  ceul  jusqu'à  quatre  luille  dirhcius  :  ne  lixe  pas  aux 
l'antassins  moins  de  cent  dirhems,  et  aux  cavaliers,  quels  que 
soient  leur  appareil  guerrier  et  le  parfait  état  de  leur  arme- 
ment, plus  de  quatre  mille  dirhems. 

Nouscbirwân,  ayant  investi  Bâbek  de  ces  fonctions,  lui 
donna  une  robe  d'honneur.  11  lit  construire  sur  Tarène,  de- 
vant son  palais,  un  grand  pavillon  pour  Tinspection;  il  y  fit 
mettre  un  tapis  brodé  et  un  siège  d'honneur  de  brocart  brodé, 
il  dit  à  Bâbek  :  Prends-y  place  et  passe  Tarmée  en  revue. 
Puis  il  fit  proclamer  par  un  héraut  que  toute  l'armée  eât  à 
se  présenter  devant  Bâbek,  quand  et  chaque  fois  qu'il  l'or- 
donnerait, et  que  la  solde  qu'il  fixerait  à  chaque  soldat  serait 
approuvée  par  le  roi. 

Le  lendemain ,  Bâbek  vint  se  placer  sur  son  siège  et  fit 
proclamer  par  un  héraut  :  Quiconque  veut  recevoir  la  solde 
du  roi  et  que  son  nom  soit  enregistré  dans  les  rôles  se  pré- 
sentera au  bureau  avec  son  cheval  et  son  armement  com- 
plet, comme  s'il  partait  pour  la  guerre.  J'exige  de  chaque 
homme  tel  et  tel  armement.  Que  chaque  homme  prenne  les 
armes  qu'il  sait  manier.  Je  vous  accorde  trois  jours  de  temps, 
afin  que  celui  qui  n'a  pas  son  armement  se  le  procure,  et  que 
celui  dont  l'armement  n'est  pas  complet' le  complète,  et  que 
chacun  le  produise  le  quatrième  jour  à  la  revue.  Le  quatrième 
jour,  Bâbek  prit  place  sur  le  lieu  de  la  revue,  et  loute  l'ar- 
mée s'y  réunit.  Il  dit  aux  troupes  :  Rentrez,  car  celui  qui 
devait  venir  n'est  pas  venu.  Les  soldats  se  retirèrent.  On  en 
informa  Nouschirwân,  qui  apprit  [en  même  temps]  que  les 
chefs  de  l'armée  n'étaient  pas  venus,  taudis  que  Bâbek  devait 
les  inscrire  en  tête  des  rôles.  Le  lendemain,  les  troupes  arri- 
vèrent, et  Bâbek  leur  dit  de  même  :  Rentrez,  car  celui  qui 
devait  venir  n'est  pas  venu.  Elles  se  relirèrent,  et  on  en  aver- 


*i30  CHRONIQUE  DK  TABARI. 

lit  le  roi,  qui  ue  savait  pas  de  qui  Bâbek  voulait  parier.  En- 
suile  Bâbek  fit  proclamer  :  Que  demain  toute  Tarmée  vienne 
à  la  revue;  que  celui  qui  est  investi  de  la  royauté,  qui  tient  la 
couronne  et  le  trône,  se  présente  également;  son  nom  doit  être 
placé  en  tête  des  rôles  ;  il  faut  que  la  solde  qu'il  reçoit  du  trésor 
soit  publiquement  fixée;  il  fait  partie  de  cette  armée.  Le  roi, 
averti ,  comprit  alors  qui  Bâbek  avait  voulu  désigner  et  dit  : 
C'est  là  une  extrême  régularité.  Le  lendemain,  Nouschirwân 
mit  son  casque  sur  sa  télé  et  se  couvrit  de  tout  Tarmement, 
tel  qu'il  avait  été  ordonné,  mais  il  oublia  les  deux  cordes  de 
Tare  que  chacun  devait  avoir  pendues  derrière  soi.  Il  monta 
à  cheval  et  sortit  sur  la  place  de  la  revue,  se  présentant  de- 
vant Bâbek.  Toutes  les  troupes  y  étaient  réunies.  Quand  il 
s'avança  vers  le  pavillon,  Bâbek  se  leva  et  lui  dit  :  0  maitre  de 
la  couronne,  du  trône  et  du  pouvoir,  tourne  ton  cheval  pour 
que  je  t'examine.  Il  le  regarda  et  ne  vit  pas  les  deux  cordes. 
Alors  il  dit  :  Quoique  tu  aies  la  souveraineté  et  le  comman- 
dement, à  ce  tribunal  tu  n'as  pas  de  privilège,  et  je  ne  souf- 
fre pas  qu'il  y  ait  un  défaut  à  ton  armement.  Nouschirwân 
dit  :  Quel  défaut  y  vois-tu?  Regarde.  Puis'  il  se  rappela  les 
deux  cordes,  les  fit  apporter  de  son  palais  et  se  les  suspendit 
sur  le  dos.  Alors  Bâbek  inscrivit  sur  les  rôles  :  Nouschirwân, 
maflre  de  la  couronne.  Ensuite  il  dit  :  0  maître  de  la  cou- 
ronne, je  n'inscris  personne,  quelque  grand,  vaillant  et  bien 
armé  qu'il  soit,  pour  plus  de  quatre  mille  dirhems;  tu  dis- 
poses du  pouvoir  royal ,  lu  as  le  trône  sous  toi  et  la  couronne 
est  sur  ta  télé;  il  faut  que  le  roi  ait  un  préciput;  de  combien 
veux-tu  que  je  t'avantage?  Nouschirwân  dit  :  D'autant  que  lu 
le  jugeras  convenable.  Bâbek  dit  :  Je  t'accorde  un  dirhem  de 
plus»  afin  que  le  droit  du  roi  soit  satisfait  et  que  le  trésor  u'aît 
pas  de  donnnage.  Nouschirwân  dit  :  J'y  consens.  Bâbek  Tins- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XLIV.  231 

crivil  donc  pour  quatre  mille  et  un  dirhems,  et  Nouscliirwân 
rentra  dans  son  palais.  Les  soldats  commencèrent  à  redouter 
Bâbek,  disant  :  Puisqu'il  ne  ménage  pas  le  roi,  il  ne  ména- 
gera personne,  et  comme  il  n'assigne  pas  au  roi  plus  de 
(|uatre  mille  et  un  dirhems,  il  n'avantagera  personne.  Bâbek 
se  mit  à  inspecter  les  troupes  et  à  fixer  à  chacun  la  solde 
selon  qu'il  le  jugeait  capable. 

Le  lendemain,  il  alla  trouver  Nouschirwân,  qui  était  assis 
sur  son  trône,  la  couronne  sur  la  tète.  Il  baisa  la  terre  de- 
vaut  lui  et  dit  :  U  roi,  je  t'ai  soumis  à  un  examen  si  sévère 
aiin  que  personne  ne  s'attendit  à  l'indulgence  de  ma  part 
pour  un  défaut  dans  l'armement;  et  je  ne  t'ai  assigné  qu'un 
dirhem  de  plus,  afin  que  personne  ne  s'attendit  à  recevoir 
plus  de  quatre  mille  dirhems.  Nouschirwân  dit  :  J'ai  apprécié 
ton  avis  et  suis  content  de  ton  procédé  ;«i;ontinue  de  la  même 
façon  de  fixer  la  solde  des  troupes  selon  le  mérite  de  cha- 
cun; je  te  donne  cette  charge  à  vie.  Il  le  combla  de  marques 
de  distinction  et  lui  fit  donner  une  robe  d'honneur.  Bâbek 
sortit  et  termina  la  revue  de  l'armée.  Les  affaires  de  Nou- 
schirwân, en  ce  qui  concerne  Tannée,  les  revenus  et  les  dé- 
penses, étaient  ainsi  en  parfait  état,  et  sa  justice  envers  ses 
sujets  et  envers  l'armée  était  complète. 

Dans  la  même  année,  des  chacals  parurent  en  Perse,  de 
ceux  qu'on  appelle  en  arabe  ibn-awd,  et  qui  n'avaient  jamais 
existé  en  Perse.  Ils  existaient  dans  le  Turkestân ,  et  c'est  de 
là  qu'ils  venaient  en  Perse,  dans  Tlrâq.  Dans  chaque  village 
et  dans  chaque  ville,  leurs  cris  terribles  se  faisaient  entendre 
pendant  la  nuit,  et  k  lendemain  les  hommes  ne  voyaient  rien; 
ils  avaient  peur,  pensant  que  ces  cris  étaient  produits  par  un  diw 
qui  était  venu  sur  la  terre.  Nouschirwân  eut  également  des  ap- 
préhensions; il  fil  venir  le  grand  mobed  et  lui  dit  :  Qu'est-ce 


232  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

que  ces  cris  ciifoii  entend  sur  la  terre,  pendant  la  nuit,  sans 
que  Ton  voie  ce  qui  les  produit?  Le  mobed  n^pondit  :  J'ai  lu 
dans  certains  livres  que,  quand  le  roi  commet  Tinjustice  et 
exerce  l'oppression,  il  sort  du  ciel  et  également  de  la  terre 
un  bruit  tout  comme  les  hommes  l'entendent,  sans  rien  voir. 
Mais  je  ne  sais  rien  en  fait  de  justice  envers  les  sujets  et  l'ar- 
mée que  le  roi  n'ait  accompli ,  et  j'ignore  pour  quelle  cause 
ce  bruit  se  fait  entendre.  Cependant  je  pense  que  les  fonc- 
tionnaires de  l'impôt  font  du  tort  aux  citoyens  et  qu'ils  eu 
exigent  plus  que  le  roi  n'a  ordonné.  Nouschirwân  dit  :  Que 
faut-il  donc  faire?  L'autre  répondit  :  Il  y  a  dans  chaque  ville 
un  mobed  et  un  docteur,  des  hommes  sûrs  et  honorables.  Il 
faut  écrire  h  ces  hommes  et  leur  envoyer  les  rôles  de  l'impôt, 
aGn  que,  dans  chaque  ville,  le  mobed  puisse,  au  moyen  de 
ces  rôles,  surveiller  la  gestion  des  receveurs  et  les  empêcher 
de  prendre  plus  qu'il  ne  faut.  Nouschirwân  fil  ainsi.  Dans  la 
suite,  les  hommes  établirent  des  pièges  et  prirent  les  cha- 
cals; ils  les  portèrent  à  Nouschirwân,  qui  dit  :  Il  est  étonnant 
qu'un  être  si  faible  ait  une  voix  si  terrible.  Après  cela ,  on  ne 
craignit  plus  les  cris  des  chacals. 

Nouschirwân  régna  en  paix.  Pendant  son  règne,  notre  Pro- 
phète vit  le  jour;  on  dit  que  ce  fut  au  bout  de  la  quaran- 
tième année  de  son  règne,  d'après  d'autres,  au  bout  de  la 
quarante-deuxième  année;  mais  on  est  d'accord  qu'il  naquit 
dans  l'année  de  l'Eléphant.  Le  règne  de  Nouschirwân  dura 
quarante-huit  ans. 


PAUTIE  11,  CHAPITRE  \LV.  233 


CHAPITRE  XLV. 

NAISSANCE    DU   PROPHETE. 

Le  Prophète  a  dit  :  vie  suis  ne  du  leuips  du  roi  ^Adil 
(Juste),?)  qui  est  Nouschirwân.  Ce  fut  dans  Tannëe  même 
de  rÉléphant,  de  Texpédition  d'Abraha  contre  la  Mecque, 
que  le  Prophète  vit  le  jour,  le  lundi,  lé  douzième  jour  du 
mois  rabi^a  premier.  Sa  mère  était  Amina,  fille  de  Wahb, 
fils  d'^Abdou'I-^Ozza ,  de  la  tribu  de  Zohra  ;  et  son  père  était 
'Abdallah ,  fils  d^' Abdou  1-Mottalib ,  fils  de  Hâschim ,  fils  d^' Abd- 
Manâf.  Quelques-uns  disent  que  son  père  mourut  pendant 
que  le  Prophète  était  encore  au  sein  de  sa  mère;  d'autres 
prétendent  que  Mo'hammed  avait  alors  deux  ans.  Il  y  a,  à 
côté  de  la  mosquée  de  la  Mecque ,  une  maison ,  qu'on  appelle 
aujourd'hui  maison  (Tlbn-Yousouf,  qui  appartenait  à  la  mère 
du  Prophète.  C'est  dans  cette  maison  qu'il  naquit  et  demeura 
jusqu'à  ce  qu'il  reçût  sa  mission  et  aussi  longtemps  qu'il  resta 
à  la  Mecque.  Quand  il  partit  pour  Médine,  ^Aqil,  fils  d'Abou- 
Tàlib,  occupa  cette  maison  sans  l'aveu  du  Prophète,  et  la 
vendit  plus  tard  à  un  homme  des  Qoraïschites  pour  vingt  di- 
nars. A  ce  propos,  le  Prophète  a  prononcé  une  parole  qui 
est  devenue  proverbiale  parmi  les  Arabes.  Lorsque  *Aqîl  em- 
brassa l'islamisme  et  vint  à  Médine,  il  dit  au  Prophète  qu'il 
avait  vendu  cette  maison.  Le  Prophète  en  fut  très-fâché  «t 
garda  le  silence.  Lors  de  la  prise  de  la  Mecque,  quand  le  Pro- 
phète fit  sou  entrée  dans  la  ville  avec  une  nombreuse  armée 
oX  qu'il  fut  près  de  la  ville,  il  dit  a  ^\bbàs,  fils  d'^Abdou'l- 
Mottalib  :  0  mon  oncle,  dans  quelle  maison  de  la  Mecque 
descendrai-je?  *Abbâs  répondit  :  0  Prophète  de  Dieu,  dans 


23A  CHRONIQUE  DE  TABARi. 

la  maison  où  tu  es  né.  Le  Prophète  dit  :  tr  Est-ce  que  'Aqii 
lira  laisse  une  maison  ?7)  Cette  parole  a  été  reçue  parmi  les 
proverbes  arabes.  Quelques-uns  disent  que  le  Prophète,  en 
quittant  la  Mecque,  rendit  à  ^Âqil  la  maison ,  qui  resta  dans  la 
famillede  ce  dernier  jusqu  à  Tépoque  de  ^Haddjâdj ,  lils  de  You- 
souf.  Lorsque  celui-ci  assiégea  ^Abdallah ,  fils  de  Zobaïr,  dans 
la  ville  de  la  Mecque,  quil  prit  la  ville  et  le  tua,  et  quil  fut 
investi  par  ^ Abdou'l-Melik ,  fils  de  Merwân,  de  la  souveraineté 
du  ^Hedjâz,  de  la  Mecque  et  de  Médinc,  il  y  laissa  son  frère 
MoMiammed,  fils  de  Yousouf,  comme  son  lieutenant  et  re- 
tourna dans  r^Irâq.  Mo^hammed  acheta  cette  maison  des  des- 
cendants d'^Aqil  et  l'annexa  à  la  mosquée.  Cela  resta  ainsi 
jusqu'au  temps  de  Haroun  ar-Raschid.  Quand  Haroun  arriva 
au  califat,  sa  mère,  Khaïzerâni,  envoya  de  l'argent  à  la 
Mecque  pour  faire  restaurer  la  mosquée  et  Toruer,  et  elle  or- 
donna de  détacher  de  la  mosquée  la  maison  d'Ibn-Yousouf. 
A  présent,  cette  maison  est  restée  adossée  à  la  mosquée; 
on  l'appelle  maison  d'ibn-ïousouf. 

La  mère  du  Prophète  a  raconté  que,  quand  elle  le  portait 
dans  son  sein  et  que,  au  bout  de  neuf  mois,  le  temps  de  sa 
délivrance  approchait,  elle  vit,  dans  un  songe,  un  ange  des- 
cendre du  ciel,  qui  lui  dit  :  Celui  que  tu  portes  dans  ton  sein 
est  le  plus  grand  de  tous  les  hommes  et  la  plus  noble  de 
toutes  les  créatures;  quand  tu  en  seras  délivrée,  donne- lui 
le  nom  de  Mo^hammed,  et  prononce  ces  mots  :  trj'ai  recours 
pour  lui  au  Dieu  unique  contre  la  mauvaise  influence  de 
tout  envieux.^  Elle  fit  part  de  ce  songe  à  ^Abdou'I-Mottalib. 
Ensuite,  dans  la  nuit  où  le  Prophète  vint  au  monde,  sa  mère 
regarda  et  vit  qu'il  jaillissait  de  lui  une  lumière  rayonnant 
jusque  vers  la  Syrie,  et  elle  vil  tous  les  palais  de  ce  pays;  el 
la  lumière  sortant  de  lui  rayonnait  aussi  vers  le  ciel  et  at- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XLV.  235 

feignait  les  étoiles.  Le  lendemain,  elle  fit  appeler  'Abdou  I- 
Moltalil)  et  lui  raconta  ce  qu'elle  avait  vu.  ^Abdou'l-Mottalib 
donna  à  Tenfant  le  nom  de  MoMiammed. 

Une  autre  tradition  rapporte  que,  au  moment  de  la  nais- 
sance du  Prophète,  toutes  les  idoles  qui  se  trouvaient  dans 
la  ville  de  la  Mecque  et  dans  le  temple  de  la  Ka^ba  furent  ren- 
versées et  tombèrent  sur  la  face;  et  le  feu  des  mages  de  tous 
les  pyrées,  dans  TArabie  et  dans  la  Perse,  s'éteignit  dans 
cette  nuit.  Dans  la  même  nuit,  Nouscbirwân  vit  en  songe  les 
tours  de  son  palais  renversées.  Le  grand  mobed  eut  un  songe 
dans  lequel  il  vit  comment  de  grands  chameaux  vigoureux 
luttèrent  contre  de  petits  chameaux  arabes  en  petit  nombre, 
comment  ils  furent  mis  en  fuite,  comment  les  chameaux 
arabes  passèrent  le  Tigre,  pénétrèrent  dans  la  Perse  et  s'y 
répandirent.  Le  malin,  le  mobed  se  leva  et  ne  dit  le  songe 
à  personne;  mais  son  cœur  fut  très-affligé.  Le  lendemain, 
on  reçut  de  la  Perside  la  nouvelle  que  le  principal  feu  s'était 
éteint  dans  le  pyrée,  dans  la  même  nuit  que  Nouschirwân 
avait  eu  ce  songe.  Il  y  avait  mille  ans  que  ce  feu  ne  s'était 
éteint.  Nouschirwân  fut  stupéfait  et  dit:  C'est  là  une  grave 
nouvelle;  il  faut  en  avertir  le  peuple.  Il  réunit  ses  ministres, 
les  principaux  officiers  et  les  mobeds,  leur  raconta  le  songe 
et  leur  fit  lecture  de  la  lettre  qui  était  arrivée  de  la  province 
de  Perse.  Le  mobed  dit  :  Moi  aussi  j'ai  eu,  dans  la  même 
nuit,  un  songe,  dans  lequel  j'ai  vu  des  chameaux.  Et  il  ra- 
conta son  songe  et  ajouta  :  Un  grand  événement  se  passe 
parmi  les  Arabes.  Il  viendra  de  là  quelqu'un  qui  subjuguera 
la  Perse  et  qui  triomphera  de  sa  souveraineté  et  de  sa  reli- 
gion. 11  nous  faut  quelqu'un  des  Arabes,  connaissant  leurs 
traditions  et  leurs  écrits,  que  nous  puissions  interroger  à  cet 
égard.  Nouschirwân  écrivit  aussitôt  une  lettre  à  No'màn,  fils 


236  CHRONIQUK  DE  TABAKI. 

de  Mouiidsir,  lui  disant  :  Envoie- moi  un  Arabe  savant  et 
âgé,  a6n  que  nous  lui  demandions  quelque  chose  touchant 
les  traditions  arabes. 

Il  y  avait  à  *Hira  un  chrétien  nommé  *Abdou'l-Mesf  h,  fils 
d'*Amrou  le  Ghassânide,  descendant  des  rois  de  Syrie.  Cet 
homme  avait  déjà  vécu  trois  cent  soixante  ans;  il  était  très- 
versé  dans  les  anciennes  traditions  et  avait  lu  beaucoup  de 
livres.  Salfh,  le  devin  du  pays  du  Yemen,  était  son  oncle,  et 
c'est  de  lui  qu'il  avait  appris  Tart  de  la  divination.  Norman, 
fils  de  Moundsir,  Tenvoya  vers  Nouschirwân  et  lui  6t  dire  : 
C'est  là  rhomme  le  plus  savant  parmi  les  Arabes  et  le  plus 
chargé  d'années.  Nouschirwân  lui  raconta  son  songe  et  celui 
du  mobed  et  lui  en  demanda  l'explication,  ainsi  que  de  la 
cessation  du  feu  des  pyrées.  *Abdou'l-Mesfh  dit:  Il  surgira 
parmi  les  Arabes  quelqu'un  qui  portera  la  ruine  et  le  mal- 
heur en  Perse.  Je  vais  me  rendre  auprès  de  mon  oncle  Satf  h , 
le  devin  du  Yemen  et  de  la  Syrie,  qui  est  le  plus  savant 
homme  de  toute  la  terre  ;  je  lui  demanderai  avis  et  viendrai 
en  informer  le  roi.  Il  se  rendit  donc  en  Syrie  auprès  de  Salfh, 
qui  demeurait  dans  une  ville  située  entre  la  Syrie  et  le  Ye- 
men. Quand  il  arriva  auprès  de  lui,  il  le  trouva  au  moment 
d'expirer.  Il  lui  dit  :  Je  viens  pour  l'adresser  une  question. 
Satfh  dit  :  Tu  ne  viens  pas  de  ton  propre  mouvement,  mais 
le  roi  de  Perse  l'a  envoyé;  Nouschirwân  a  eu  tel  songe,  de 
même  son  mobed;  et  le  feu  des  pyrées  s'est  éteinl.  11  t'a  fait 
chercher  et  t'a  demandé  l'explication  de  ces  faits,  et  tu  ne 
l'as  pas  sue;  alors  il  t'a  envoyé  vers  moi.  Dis-lui  :  Il  viendra 
d'entre  les  Arabes  un  prophète  dont  le  pouvoir  et  la  religion 
régneront  en  Perse  ;  la  souveraineté  de  la  Perse  passera  à  son 
peuple  après  sa  mort;  il  y  aura  encore  quatorze  rois  en 
Perse,  puis  leur  pouvoir  cessera,  et  le  pouvoir  et  la  religion 


PARTIE  II,  CHAPITRE  \LV.  237 

dt»  ce  prophète  apparaîtront  dans  leur  pays;  le  lemps  est 
arrivé  où  ce  prophète  doit  naître,  où  il  est  déjà  né.  *Abdou'l- 
Mcsfh  retourna  auprès  de  Kesra.  En  chemin,  il  récita  en 
hii-ménie  une  pièce  de  vers  très-belle,  dont  on  ne  sait  que 
([uelques  vers.  Il  dil  : 

Appréte-toi,  loi  qui  es  prompt  et  résolu!  La  peur  et  la  prëoccupatiou  oc 
t'atteignent  pas. 

Si  le  royaume  est  perdu  pour  les  enfants  de  Sâsân ,  c^est  que  la  fortune 
consiste  en  changements. 

Dans  leur  demeure  leurs  attaques  effrayent  les  lions  féroces; 

Eux ,  habitants  du  château ,  Mihrân  et  ses  frères ,  et  les  Hormuzd ,  et  Sclià- 
pour  et  Scbâpour. 

Les  hommes  sont  enfants  d'un  même  père;  mais  lorsqu'ib  savent  que  quel- 
qu'un est  diminué,  alors  il  est  méprisé  et  abandonné  par  eux. 

Ils  sont  ûls  d'une  même  mère,  quant  à  leur  naissance;  mais  quelques-ims 
sont  favorisés  par  la  Providence. 

Le  bien  et  le  mal  se  trouvent  rattachés  ensemble  ;  mais  le  bien  est  à  suivre, 
le  mal  à  éviter. 

Quand  ^Abdou  l-Mesfh  arriva  auprès  de  Kesra  et  lui  ren- 
dit la  réponse  de  Satf  h ,  Kesra  fut  rassuré  et  dit  :  L'essentiel 
est  que  rien  n'arrivera  de  mon  temps;  jusqu'à  ce  que  qua- 
torze rois  aient  régné  après  moi ,  il  pourra  se  passer  beau- 
coup de  choses. 

Le  Prophète  naquit,  comme  nous  l'avons  dit,  dans  la  nuit 
du  lundi.  Le  lendemain,  'Abdou'l-Mottalib  lui  donna  le  nom 
de  Mo^hammed;  car  son  père  ^Abdallah  était  mort  depuis 
quatre  mois,  pendant  que  Mo^hammed  était  encore  dans  le 
sein  de  sa  mère.  'Abdou'l-Mottalib  reporta  l'affection  qu'il 
avait  eue  pour  son  Gis  sur  le  Prophète.  Les  principaux  habi- 
tants delà  Mecque  avaient  la  coutume  de  donner  leurs  peliL«( 
enfants  en  nourrice  en  dehors  de  la  ville,  pour  les  y  faire  éle- 


238  CHRONIQliK  DE  TABARI. 

ver,  parce  que  l'air  de  la  Mecque  est  pestilentiel ,  surtout  en 
été.  Dans  les  montagnes  du  désert  et  du  ^Hedjàz,  à  deux  jour- 
nées de  la  Mecque,  demeuraient  les  Ben{-Sa*d-Len-Bekr-ben- 
'Hawâzin-bçn-Mançour,  des  gens  pauvres.  Chaque  année,  à 
l'époque  du  printemps,  ils  venaient  à  la  Mecque,  emportaient 
les  nourrissons  qu'on  leur  confiait,  les  élevaient  jusqu'à  ce 
qu'ils  fussent  grands  et  les  rapportaient  ensuite  à  leurs  pa- 
rents. Par  l'air  et  le  séjour  dans  leur  pays,  les  enfants  grandis- 
saient el  devenaient  forts  et  apprenaient  à  bien  parler  l'arabe; 
car  la  langue  des  Benî-Sa'd  est  la  plus  pure  de  toute  l'Arabie. 
Notre  Prophète  a  dit  :  rrJe  suis  le  plus  éloquent  des  Arabes 
et  des  Perses;  je  suis  né  de  la  tribu  de  Qoraïsch  et  j'ai  ét^ 
élevé  parmi  les  Benî-SaM.-^  ^Abdou'l-Mottalib  attendit  donc 
que  les  femmes  des  Beni-SaM  vinssent,  pour  leur  confier 
Mo^hammed.  Mais  il  y  avait  encore  quatre  mois  jusqu'à  l'é- 
poque de  leur  arrivée.  Il  avait  chez  lui  une  nourrice,  nommée 
Masrou^h,  qui  avait  allaité  ses  fils,  et  qui,  à  cette  époque, 
venait  d'accoucher.  ^Abdou'l-Mottalib  confia  le  Prophète  à 
cette  femme,  pour  qu'elle  le  nouiTÎt  pendant  ces  quatre  mois. 
Enfin  les  nourrices  de  Benî-SaM  vinrent  à  la  Mecque,  avec 
leurs  enfants  et  leurs  maris,  pour  prendre  des  nourrissons. 
Cette  année,  la  tribu  des  Benî-SaM,  les  foins  ayanl  manqué, 
était  dans  une  grande  misère,  et  les  femmes  vinrent  en  plus 
grand  nombre. 

Il  y  avait  parmi  elles  une  femme  nommée  ^Halîma,  fille 
d'Abou-Dsouwaïb,  appelé  ^4bdallah  ben-al-^Hârith.  Son  mari 
s'appelait  *Hârith,  fils  d'^Abdou'l-^Ozza ,  fils  de  Rifà'a,  el 
était  également  des  Benî^aM.  Cette  famille,  composée  du 
mari,  de  la  femme,  d'un  fils  et  de  deux  filles,  était  très- 
pauvre.  Il  leur  était  né  un  autre  fils  vers  l'époque  où  les 
femmes  de  la  tribu  se  rendaient  à  la  Mecque  avec  leurs  maris 


PARTIE  H,  CHAPITRET  XLV.  239 

pour  chercher  des  nourrissons.  Alors  ^Hah^ma  dit  à  son  mari  : 
Mène-moi  à  la  Mecque,  peut-êlre  trouverai-je  aussi  un  nour- 
risson à  élever,  afin  que  noire  position  devienne  meilleure, 
'llârith  avait  une  chamelle,  qui  lui  donnait  du  lait,  mais 
en  très-petite  quantité,  parce  quelle  était  épuisée  à  cause 
du  manque  de  foin.  Il  possédait  aussi  une  ânesse,  faible  et 
petite ,  et  quelques  moutons.  Il  laissa  ses  moutons  et  ses  deux 
filles,  nommées  Tune  Onaïsa,  Tautre  Djodsâma ,  sous  la  garde 
de  son  fils  aine,  ^Abdallah,  fit  monter  sa  femme  avec  son 
petit  enfant  sur  Tânesse,  et  monta  lui-même  sur  la  chamelle; 
ils  partirent  ainsi  pour  la  Mecque,  en  compagnie  des  autres 
femmes  qui  s*y  rendaient.  Ils  n'avaient  rien  à  manger  en 
route;  ^Hârith  se  mita  traire  la  chamelle,  ei,  pendant  toute 
la  nuit,  il  ne  put  en  tirer  qu'une  petite  quantité  de  lait, 
car  elle  était  épuisée  de  faim.  Il  en  prit  un  peu  lui-même  et 
en  donna  un  peu  à  sa  femme,  qui  but  et  en  donna  à  son 
enfant.  ^Hàrith  et  ^Halîma,  sur  la  chamelle  et  Tànesse,  res- 
tèrent en  route  en  arrière  de  leurs  compagnons  de  voyage,  à 
cause  de  Tépuisement  de  leurs  bêtes.  Quand  les  femmes  furent 
arrivées  à  la  Mecque,  elles  prirent  chacune  un  nourrisson  ;  mais 
aucune  de  celles  à  qui  on  présenta  le  Prophète  ne  voulut  le 
prendre,  disant  que  c'était  un  orphelin,  n'ayant  plus  de  père, 
et  que  la  nourrice  recevait  du  père  différentes  gratifica- 
tions en  dehors  du  salaire:  donc  elles  ne  l'acceptèrent  pas, 
et  n'eurent  pas  confiance  dans  les  bonnes  paroles  et  les  pro^ 
messes  que  leur  fit  ^Abdou'l-Mottalib.  Celui-ci  le  présenta 
aussi  à  'Halima,  qui  le  refusa  également,  disant  :  J'ai  assez  de 
ma  propre  pauvreté,  je  n'ai  pas  besoin  d'y  ajouter  un  enfant 
orphelin.  Toutes  ces  femmes  des  Benî-SaM  avaient  trouvé 
des  nourrissons,  excepté  ^Halima.  Les  femmes  se  disposèrent 
à  s'en  retourner;  alors  ^Halima  dit  :  Je  serai  honteuse  de  voya- 


2à0  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

ger  avec  ces  femmes,  qui  toutes  ont  trouvé  des  enfants,  moi 
n'en  ayant  pas  trouvé;  je  vais  aller  prendre  cet  enfant  orphe- 
lin, pour  l'emporter;  au  moins,  je  n'aurai  pas  à  avoir  honte 
devant  les  autres  femmes.  ^Halima,  avec  son  mari,  vint  donc 
auprès  d"Abdou1-Mottalib,  reçut  le  Prophète  des  mains  de  sa 
mère  et  l'emporta.  Le  lendemain ,  ils  partirent.  *Halîma  monta 
sur  l'ânesse ,  ayant  le  Prophète  devant  elle.  L'ânesse  marcha 
rapidement  et  joyeusement  et  devança  toute  la  caravane.  Les 
autres  femmes  dirent  à  ^Halîma  :  Qu'as-tu  donc  fait  à  cette 
ânesse  pour  qu'elle  marche  si  bien  et  qu'elle  soit  devenue 
si  vigoureuse?  Le  soir,  quand  on  fit  halte,  ^Halîma  trouva 
ses  deux  seins  pleins  de  lait,  sans  qu'elle  eût  rien  mangé. 
Elle  donna  le  sein  droit  au  Prophète  et  le  sein  gauche  à  son 
fils,  et  les  deux  enfants  furent  rassasiés,  au  grand  étonne- 
ment  de  ^Haltma.  Le  mari  se  mit  à  traire  la  chamelle  et  en 
tira  tant  de  lait,  que  les  deux  enfants,  le  mari  et  la  femme 
en  burent,  et  qu'il  en  resta.  Le  mari  dit  à  ^Halîma  :  Cet 
enfant  nous  a  porté  bonheur. 

Quand  ils  furent  revenus  dans  leur  demeure,  la  bénédiction 
attachéeauProphèteserépanditsureux.  Chaque  soir,  leurs  mou- 
tons rentraient  avec  du  lait,  taudis  que  ceux  des  autres  avaient 
les  pis  secs.  Les  hommes  dirent  à  leurs  bergers  :  Faites  paftre 
les  moutons  là  où  paissent  les  moutons  de  ^Halima.  I^s  bergers 
répliquèrent  :  Nous  les  faisons  paître  au  même  endroit  ;  mais 
partout  où  les  moutons  de  Mtalîma  mettent  leur  bouche,  il 
apparaît  de  l'herbe,  qu'ils  paissent.  Le  Prophète  grandissait 
autant  en  un  jour  qu'un  autre  enfant  en  un  mois,  et  en  un 
mois  qu'un  autre  en  un  an.  Quand  il  eut  deux  ans ,  ^Uaiima 
le  sevra,  et  la  mère  du  Prophète  envoya  quelqu'un  pour  lui 
rapporter  l'enfant.  ^Halîma  fut  très-affligéc ,  à  cause  de  la 
bénédiction  et  de  la  bonne  fortune  attachées  au  Prophète,  qui 


PARTIE  H,  CHAPITRE  \LV.  241 

sVlaienI  répandues  sur  sa  maison.  Elle  (irit  reniant,  le  mena 
à  sa  mère  cl  la  pria  de  le  lui  laisser  encore,  en  disant  :  Sa 
bénédiction  et  sa  bonne  fortune  se  sont  répandues  sur  ma 
maison ,  et  nous  Taimons  beaucoup.  L'air  de  la  Mecque  est 
malsain;  je  crains  qu'il  ne  tombe  malade.  Elle  la  supplia  et 
pleura  tant,  que  la  mère  du  Prophète  le  lui  laissa.  ^Halfma 
le  reprit  et  le  ramena  chez  elle. 

Le  Pro|)hète  avait  de  cette  nourrice  un  frère  de  lait.  Un 
jour,  celui-ci  alla  faire  paftre  les  moulons  sur  la  montagne; 
MoMiammed  et  d'autres  petits  garçons  allèrent  avec  lui.  Là, 
après  quelque  tenq)s,  quand  la  journée  fut  avancée,  il  se 
passa  un  événement  qu'on  rapporte  de  deux  manières.  Les 
uns  prétendent  que  Mo^hammed  était  éveillé;  d'autres,  qu'il 
dormait.  Trois  hommes  velus  de  blanc  descendirent  du  ciel , 
s'approchèrent  de  MoMiammed ,  le  saisirent  et  le  couchèrent 
sur  le  côté,  lui  ouvrirent  le  venlre,  en  retirèrent  lout  le  con- 
tenu et  y  chcîrchèrent  quelque  chose.  Son  frère  de  lait  et  les 
autres  enfants,  voyant  cela,  s'enfuirent  et  vinrent  en  criant 
auprès  de  'Halima,  et  lui  dirent  :  Viens,  on  a  tué  MoMiammed. 
'Halîma  et  son  mari  coururent  sur  la  montagne,  pour  aller 
trouver  Mo^hammed.  Lorsqu'ils  furent  en  sa  présence,  ils 
s'aperçurent  que  sa  mine  était  altérée;  ils  le  prirent,  l'em- 

A 

brassèrent  sur  la  léte  et  sur  les  yeux  et  lui  dirent  :  0  Mo'ham- 
med,  que  t'est-il  arrivé?  Il  répondit  :  Trois  hommes,  avec  un 
bassin  et  une  cuvette  d'or,  sont  venus,  m'ont  ouvert  le 
ventre,  ont  pris  tous  mes  intestins  et  les  ont  lavés  dans  ce 
bassin,  puis  ils  les  ont  remis  dans  le  corps,  me  disant  :  Tu 
es  né  pur,  maintenant  tu  es  plus  pur.  Ensuite  l'un  d'eux  a 
plongé  sa  main  dans  mon  corps,  en  a  arraché  le  cœur,  la 
ouvert  par  le  milieu  et  en  a  enlevé  le  sang  noir,  disant  :  (Test 
la  part  de  Satan,  qui  est  dans  tous  les  hommes;  mais  je  l'ai 

M .  if) 


242  CHRONIQUE  DE  TABAKL 

ciilovoc  (le  ton  sein.  Knsuile  il  m'a  remis  le  cœur  à  sa  place. 
L'un  d'eux  avait  un  anneau,  avec  lequel  il  m'a  marqué,  el  le 
troisième  a  plonjjë  sa  main  dans  mon  corps,  et  tout  a  étd  remis 
en  ordre.  *Halîma  prit  Mo^hammed  et  le  ramena  à  la  maison. 
Le  mari  de  ^Haîîma  dit  à  sa  femme  :  Je  crains  que  cet  en- 
fant n'ait  eu  quelque  accès  d<?moniaque;  viens,  que  nous  le 
menions  auprès  d'un  tel,  devin  très-habile ,  qui  demeure  dans 
telle  tribu;  nous  lui  raconterons  son  histoire.  S'il  doit  devenir 
possédé,  nous  le  rendrons  à  sa  mère.  Le  lendemain,  'Halima 
etsonmari  se  rendirent  auprès  du  devin,  emmenant  Mo^ham- 
med  avec  eux.  ^Halima  lui  dit  :  Voilà  un  enfant  que  j'ai  pris 
à  la  Mecque,  des  Benî-Qoraïsch ,  et  que  j'ai  élevé;  maintenant 
les  dîws  le  tourmentent,  comme  s'il  devait  devenir  un  pos- 
sédé; vois  ce  qui  en  est.  Ce  devin  était  idolâtre,  ayant  la 
religion  des  Arabes.  Il  dit  :  Quel  signe  de  possédé  vois-lu  en 
lui  ?  ^Halfma  lui  raconta  son  aventure.  Le  devin  répliqua  : 
Fais  approcher  l'enfant,  pour  que  je  l'entende  lui-même, 
car  il  doit  mieux  savoir  son  histoire.  Ils  firent  approcher 
Mo'hammed  du  devin,  qui  l'interrogea  sur  la  manière  dont 
tout  s'était  passé,  et  Mo'hammed  lui  raconta  ce  qu'il  avait  vu. 
Quand  l'enfant  eut  terminé  son  récit,  le  devin  se  leva,  prit 
Mo^liammed  sur  sa  poitrine  et  cria  à  haute  voix  :  Arabes,  ce- 
lui-ci est  votre  ennemi  et  l'ennemi  de  votre  religion  et  de  vos 
dieux;  il  changera  votre  religion  et  renversera  vos  idoles.  Les 
hommes  de  la  tribu  se  rassemblèrent,  et  le  devin  leur  dit  : 
Tuez -le  et  coupez-le  en  deux.  'Ilalîma  se  précipita  sur  lui, 
lui  arracha  l'enfant  et  lui  dit  :  Tu  es  beaucoup  plus  possédé 
que  cet  enfant.  Ensuite  elle  ramena  Mo^bammcd  à  la  maison. 
Le  lendemain,  son  mari  lui  dit  :  Viens ,  rendons  cet  enfant 
en  bon  élut  h  sa  mère,  avant  qu'il  périsse  entre  nos  mains; 
car  je  lui  vois  beaucoup  d'ennemis.  Le  jour  suivant ,  ^Haltma 


PAUTIK  II,  CHAPITHK  XLV.        s  2hZ 

1*1  son  mari  raiDciièiT^nt  Mo'hamined  à  sa  mère,  'iialima  lui 
dil  :  Voici  ton  lils,  (|iii  a  grandi,  maintenant  c'est  à  toi  h  le 
{Tarder.  La  mère  du  Prophète  répliqua  :  Tn  avais  montré  tant 
d'empressement  à  le  ifarder;  quVsl-il  donc  arrivé?  L'autre  ré- 
|K)ndi(  :  Il  n'est  rien  arrivé,  mais  les  grands  enfantai  sont  mieux 
auprès  de  leurs  mères.  La  mère  du  Prophèfe  insista  vivement 
et  lui  dit  :  Il  faut  absolument  que  lu  me  racontes  ce  qui  fest 
arrivé  et  ce  que  tu  as  vu,  et  pourquoi  tu  me  le  ramènes.  Après 
beaucoup  de  pourparlers,  MIalima   lui  raconta    l'aventure, 
ainsi  que  les  paroles  du  devin.  La  mère  du  Pro|)hète  dit  :  Ne 
crains  rien;  personne  ne  pourra  Iner  mon  fils,  ef  aucun  dfw 
ne  pourra  rapprocher.  Quand  je  l'ai  porté  dans  mon  sein,  j'ai 
vu  en  songe  quelqu'un  qui  m'a  dit  :  Ces!  le  meilleur  et  le 
|)lus  grand  de  tous  les  hommes;  quand  il  viendra  au  monde, 
donne-lui  le  nom  de  Mo'hammed.  El  quand  je  fus  délivrée, 
je  vis  jaillir  de  lui  une  lumière  qui  rayonnait  jusqu'aux  étoiles 
el  jusqu'à  la  terre  de  Syrie,  et  je  vis  les  palais  de  Syrie;  puis 
je  regardai,  l'enfant  était  couché  sur  le  dos,  tenant  son  doigt 
élevé  vers  le  ciel.  La  mère  du  Prophète  reprit  son  enfant,  el 
'Maiima  s'en  alla. 

La  mère  du  Prophète  avait  à  Médine  des  oncles  et  des 
tantes  des  lîenî-Naddjàr.  A  Médine  était /Pgalemenl  la  tombe 
du  père  du  Prophète,  'Abdallah,  fils  d"Abdou'l-Mottalib,  qui, 
au  retour  d'un  voyage  de  commerce  en  Syrie,  était  tombé 
malade  à  Médine  et  v  était  mort;  il  avait  été  enterré  au  ci- 
melière  de  Médine,  qu'on  appelle  Dâr-al-Nàbigha ,  et  qui  se 
trouve  à  droite  de  la  route,  quand  on  vient  du  Khorâsân  : 
c'était  au  cinquième  mois  de  la  grossesse  d' Amina.  MoMiammed 
était  resté  trois  ans  parmi  les  Beni'-SaM,  et  fut  ensuite  rendu 
à  sa  mère,  (|ui  le  garda  jusqu'à  l'âge  de  cinq  ans.  Alors  elle 
demanda  à  'Abdoul-Mottalib  la  permission   de  se  rendre  à 


2H  CHRONÎQUK  DE  TABARI. 

Mëdiiie  pour  voir  ses  oncles,  leur  présenter  son  lils,  et  pour 
visiter  la  tombe  de  son  père  ^Abdallah.  ^Vbdoul-Modalib  y 
consentit.  Elle  se  rendit  donc  avec  son  6Is  à  Médine.  (Vêlai! 
là  le  premier  voyage  du  Propbète,  qui  resta  a  Médine  avec  sa 
mère  pendant  un  an,  jusqu'à  sa  sixième  année.  Ensuile  elbï 
le  ramena.  Il  y  a,  entre  la  Mecque  et  Médine,  une  slalion  ap- 
pelée Al-AbwàjOii  Amina  tomba  malade  et  mourut.  MoMiam- 
med,  resté  seul,  fut  ramené  par  ses  compagnons  de  voyage 
auprès  d'*Abdou1-Motlalib,  (jui  le  garda  jusqu'à  ce  qu'il  eill 
atteint  Tàge  de  huit  ans.  Alors  "Abdoul-Moflulib  mourut, 
laissant  les  fonctions  de  chef  de  la  Mecque  à  Abou-Tàlib, 
nommé  aussi  *Abdou'l-Manâf;  il  lui  confia  Mo^hammed.  Abou- 
Tâlib  lui  prodigua  ses  soins.  Après  un  an,  il  se  disposa  à  faire 
un  voyage  en  Syrie  pour  le  commerce.  Mo'bammed ,  ayant  alors 
neuf  ans,  le  pria  de  le  prendre  avec  lui  ;  mais  Abou-Tâlib 
n'y  consentit  pas,  disant:  Tu  es  encore  un  enfant.  Et  il  le 
confia  aux  soins  de  son  frère  "Abbâs.  Lorsque  Abou-Tâlib  fut 
sur  le  point  de  monter  sur  le  chameau  et  qu'il  prit  congé  des 
gens,  Mo^hammed  se  tint  devant  lui,  pleura  beaucoup  et  dit  : 
0  mon  oncle,  prends- moi  avec  toi.  Le  cœur  d'Abou-Tâlib  fut 
touché,  il  le  prit  et  l'emmena  avec  lui. 


CHAPITRE  XLVL 


HISTOIRE    DU    MOINE    BA^HÎrÀ. 


Or  ils  arrivèrent  près  de  Bassore,  qui  est  la  première  ville 
du  territoire  de  Syrie.  H  y  a  aux  portes  de  la  ville  un  cou- 
vent où  résidait  un  moine  nommé  Ba^hirâ ,  qui  avait  lu  les 
anciens  écrits  et  y  avait  trouvé  la  description  du  Prophète.  Il 
y  avait  près  de  là  une  station  où  s'arrêtaient  toutes  les  cara- 


PARTIK  11,  CIIAPITRK  XLVI.  245 

vaiies  qui  y  passaient.  La  caravane  d'Abou-Tàlib  y  arriva  pen- 
dant la  nuit.  Quand  le  jour  fut  venu,  laissant  brouter  les  cha- 
meaux, les  gens  se  mirent  à  dormir.  Mo^hammed  était  assis 
et  gardait  leurs  elTets.  Lorsque  le  soleil  devint  plus  chaud,  un 
nuage  ayant  la  forme  d'un  grand  bouclier  vint  ombrager  la 
tête  du  Prophète.  Voyant  cela,  le  moine  ouvrit  la  porte  du 
couvent  et  en  sortit;  les  gens  de  la  caravane  se  réveillèrent. 
Ba'hirà  prit  Mo^hammed  sur  son  cœur  et  l'interrogea  sur  sa 
position,  sur  son  père,  sa  mère  et  sou  grand-père.  Mo^ham- 
med  lui  raconta  tout,  ainsi  que  Thisloire  des  anges  qui  lui 
avaient  ouvert  le  corps,  exactement  comme  cela  sétiiit  passé. 
Ba^hirâ  lui  demanda  ce  qu'il  voyait  la  nuit  en  songe,  et 
MoMiammedle  lui  dit.  Tout  cela  s'accordait  avec  ce  que  Ba^hîra 
avait  trouvé  dans  les  livres.  Ensuite  il  regarda  entre  ses  deux 
épaules  et  y  aperçut  le  sceau  de  la  prophétie.  Alors  il  dit  si 
Abou-Tâlib  :  Cet  enfant  que  l'est-il  ?  L'autre  répondit  :  C'est 
mon  fils.  Bajhirâ  dit  :  II  est  impossible  que  son  père  soit 
vivant.  Abou-Tàlib  dit  alors  :  C'est  mon  neveu.  BaMiirà  de* 
manda  :  Uii  le  mènes-tu?  L'autre  dit  :  En  Syrie.  Ba^hirà  dit  : 
Celui-ci  est  le  meilleur  de  tous  les  hommes  de  la  terre  et  le 
Prophète  de  Dieu.  Sa  description  se  trouve  dans  tous  les  écrits 
de  l'ancien  temps,  ainsi  que  son  nom  et  sa  condition.  J'ai 
maintenant  soixante  et  dix  ans,  et  il  y  a  bien  longtemps  que 
j'attends  sa  venue  comme  prophète.  Je  te  conjure  par  Dieu 
de  ne  pas  le  conduire  en  Syrie,  de  peur  que  les  juifs  ou  les 
chrétiens  ne  le  voient  et  ne  le  l'enlèvent.  Ils  ne  pourront  pas 
le  tuer,  parce  que  personne  ne  peut  enfreindre  la  décision 
de  Dieu  ;  mais  il  se  peut  qu'ils  l'estropient  des  mains  ou  des 
pieds  ou  du  corps.  Renvoie -le  chez  lui  à  la  Mecque.  Abou- 
Bekr  aç-Çiddi(|,  qui  était  présent,  dit  à  Abou-Tàlib:  Ren- 
voie-le à  la  maison,  pour  éviter  ces  dangers.  Abou-Talib  le 


240  CHRONIQUE  DE  TAHARI. 

renvoya  sous  la  garde  de  Fun  de  ses  esclaves,  et  Aboii-Bekr 
envoya  avec  lui  Belâl.  Une  tradition  rapporte  qu'Abou-Tâlib 
retourna  lui-même,  renonçant  à  son  voyaffe. 

A  ràjje  de  vingt-cinq  ans,  le  Prophète  (épousa  Khadîdja, 
qui  était  àfféc  de  quarante  ans. 

Maintenant  je  reviens  à  l'histoire  des  rois  de  Perse,  el  je 
vais  rapporfer  le  règne  d'Hormuzd,  fds  de  Nouschirwàn,  el 
des  autres  rois.  Je»  donnerai  ensnite  la  généalogie  du  Pro- 
phète. 


CHAPITHK  XLVIL 

HISTOIRE    Dl     RÈGNK    DUIORMLZD,    FILS    UK    NOL.SCIIIRWÂN, 

Lors  de  la  naissance  du  Prophète,  Nouschirwàn  vivait  en 
core  ;  il  mourut  huit  ans  après.  La  couronne  échut  à  son  fils 
Ilormuzd,  dont  la  mère  était  la  fille  du  Khàqàn  des  Turcs. 
Lorsque  Nouschirwàn  demanda  en  mariage  la  Khàtoun,  lîile 
du  Khàqtln,  il  lui  envoya  un  messager.  Le  Khàqàn  avait  dix 
filles,  dont  Tune  était  née  de  la  grande  Khàtoun,  les  autres 
d'autres  femmes.  La  grande  Khàtoun  était  fille  d'un  des 
rois  turcs.  Quand  Tenvoyé  de  Nouschirwàn  arriva,  le  Khàqàn 
lui  présenta  ses  dix  filles;  toutes  étaient  parées,  sauf  la  fille 
de  la  Khàtoun.  Mais  fenvoyé  choisit  celle-ci,  en  disant  que, 
si  Nouschirwàn  avait  un  fils,  au  moins  il  aurait  une  noble 
origine;  et  il  l'emmena.  Nouschirwàn  eut  d'elle  son  fils  Hor- 
niuzd,  qu'il  fit  élever  avec  soin  et  rendre  apte  à  la  couronne, 
cl  il  le  désigna  pour  lui  succéder.  Quand  Nouschirwàn  mou- 
rut, Hormuzd  monta  sur  le  trdnc  et  se  mit  en  possession  du 
gouvernement.  Sa  justice  était  telle  qu'elle  surpassait  celle  de 
Nouschirwàn,  et  tout  lui  allait  h  souhait  dans  le  royaume  de 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XLVII.  247 

Perse/  Il  protégeait  les  Faibles  et  contenait  les  oppresseurs, 
de  Caron  à  ce  que  le  puissant  et  le  faible  fussent  égaux  et 
(pie  l'un  n'osîil  pas  opprimer  l'autre.  Le  monde  fut  rempli  de 
sa  justice. 

Cliaque  année,  Hormuzd  se  rendait  avec  sa  suite  de  Plrâq 
à  DJnwer  et  à  Nehàwend,  pour  y  passer  Tété.  Quand  il  partait, 
il  faisait  annoncer  aux  personnes  de  sa  suite  la  défense  de 
laisser  entrer  aucun  cheval  dans  les  champs.  Il  avait  chargé  Tun 
de  ses  principaux  oflicicrs  de  l'exécution  de  cette  défense,  et 
faisait  punir  (|uiconque  n'y  obéissait  pas,  afin  que  personne 
n'eût  ri  souffrir  du  passage  de  son  cortège.  Or,  une  certaine 
année,  lors  de  son  voyage,  une  bêle  de  somme  de  son  fils 
Parwiz  entra  dans  un  champ.  Le  propriétaire  saisit  le  che- 
val et  l'amena  a  roOicier.  Celui-ci  n'osa  rien  faire,  craignant 
Parwîz.  Alors  le  propriétaire  du  champ  alla  avertir  Hor- 
muzd, qui  ordonna  a  l'oificier  de  faire  couper  au  cheval  la 
(|ueue,  la  crinière  et  les  oreilles,  et  de  faire  dédommager 
le  propriétaire  par  Parwîz.  Celui-ci  pria  l'ollicier  d'épar- 
gner le  cheval ,  disant  :  Je  plaiderai  ma  cause  devant  Hor- 
muzd. L'officier  sursit  à  l'exécution  des  ordres  du  roi,  et 
tous  les  grands  qui  se  trouvaient  dans  la  suite  du  roi  et 
qui  avaient  de  l'influence  prièrent  Hormuzd  d'accorder  la 
grâce;  mais  ce  fut  en  vain.  Hormuzd  fit  couper  au  cheval  la 
queue,  la  crinière  et  les  oreilles,  et  destitua  l'ollicier,  parce 
qu'il  avait  hésitt^  à  exécuter  ses  ordi-es,  par  respect  pour  son 
fils. 

Un  autre  jour,  Hormuzd,  se  trouvant  également  en  voyage, 
accompagné  de  sa  suite,  un  des  principaux  ofliciers  s'appro- 
cha d'une  vigne,  dont  les  ceps  s'élevaient  par-dessus  le  mur 
d'enclos.  C'était  à  l'époque  des  vendanges,  et  quantité  de 
grappes  pendaient  aux  ceps.  L'officier  détacha  une  grappe  de 


248  ClIKOMQLf:  DE  TABAIU. 

raisin  (>t  la  mangea  sur  lo  dos  de  son  cheval.  Lorsqu'on  fit 
lialle,  le  propriétaire  de  la  vigne  alla  trouver  l*oflicier  et  lui 
dit  :  Tu  in  as  causé  un  dommage,  j'irai  en  informer  Hor* 
nmzd.  L'oflicier  lui  oiïrit  de  I  or,  mais  Taulre  ne  voulut  pas 
l'accepter;  il  lui  offrit  tout  l'or  et  rar{[ent  et  lout  ce  qu'il 
avait  sur  lui;  mais  le  propriétaire  n'accepta  rien  et  dit  quil 
irait  informer  le  roi.  L'officier  lui  dit  :  Attends  que  mes  eflet« 
soient  déchargés;  je  possède  une  ceinture  brodée  de  perles, 
(pie  je  te  donnerai,  l'^l  il  la  lui  donna;  alors  Iv  propriétaire 
fut  satisfait. 

On  rapporte  que  les  mobeds  lirent  au  roi  le  rapport  sui- 
Nant  :  H  y  a  parmi  nous  un  grand  nombre  de  juifs  et  de 
(hrétiens;  il  faut  les  éloigner  de  iiolic  [mys^.  Ilormuzd  ré- 
pliqua :  Il  n'y  a  pas  moyen  d'éviter  dans  un  pays  la  diver- 
sité, et  il  convient  que,  dans  un  grand  empire,  il  y  ait  des 
lionmies  de  différentes  conditions. 

Jamais  il  n'y  avail  eu  en  Perse  un  roi  aussi  juste  qu'Hor- 
inuzd.  Il  avait  seulement  le  défaut  de  rabaisser  les  grands, 
sans  égard  pour  leurs  droits,  et  d'élever  les  pauvres  et  les 
misérables  au  rang  des  grands,  sous  prétexte  que  ceux-là 
n'opprimeraient  pas  les  faibles.  Quiconque  faisait  tort  à  un 
faible  était  puni  par  Hormuzd;  on  dit  qu'il  fit  mettre  à  mort 
treize  mille  hommes  des  grands  de  la  Perse  pour  ce  motif. 
Alors  les  chefs  militaires  qui  gardaient  les  frontières  se  las- 
sèrent; Tennemi  s'empara  des  frontières ,  et  l'empire  commença 
à  décliner.  Les  frontières  tout  autour  du  pays  devinrent  la 
proie  des  ennemis,  et  l'armée  fut  repoussée.  Il  vint  du  Tur- 
kestan  un  roi,  nommé  Sawè-Schàh,quifut  l'oncle  d'Hormuzd 
et  qui  avait  succédé  sur  le  trône  au  khàqàn,  qui  était  mort.  Il 
franchit  le  Dji^houn  avec  trois  cent  mille  hommes  et  vint  h 
Baikh  ,  mit  en  fuite  l'armée  d'Honnuxd  et  s'empara  du  Kho- 


PAnTIE  11,  CHAPITRE  XLVII.  249 

ràsiin,  tie  ïàleqàn,  du  territoire  de  Uéràt  et  de  Uiulegliis. 
Le  roi  de  Rouiii,  avec  cent  mille  hommes,  s'avança  de  Toc- 
cident  et  prit  la  Syrie;  le  roi  des  Kbazars  s'empara  des 
conlréesS  du  côté  de  l'Arménie.  Un  Arabe,  nommé  'Abbàs  le 
Borgne,  et  un  autre,  nommé  'Amrou  al-Azraq,  attaquèrent 
les  contrées  de  la  Perside  et  les  ravagèrent.  Hormuzd,  rési- 
dant à  Madâïn,  au  milieu  de  tiuil  d'ennemis,  réunit  ses  prin- 
ripaux  olHciers  et  les  grands  du  royaume,  et  leur  demanda 
conseil.  Chacun  émit  une  opinion.  Le  roi  ayant  demandé 
également  l'avis  du  grand  mobed,  celui-ci  dit  :  De  tous  ces 
ennemis,  le  plus  redoutable  est  le  roi  des  Turcs;  les  autres 
ne  sont  pas  des  ennemis  sérieux.  Quant  au  roi  de  Roum,  il 
revendique  son  droit,  le  territoire  que  Nouschirwàn  lui  a  en- 
levé injustement.  Si  tu  le  lui  rends,  il  fera  la  paix  avec  toi. 
Quant  aux  Arabes  qui  sont  venus  du  désert,  ce  sont  des  gens 
pauvres,  poussés  en  ce  lieu  par  la  misère.  Envoie-leur  des 
provisions,  et  ils  s'en  retourneront.  En  ce  qui  concerne  les 
Khazars,  ce  sont  des  maraudeurs,  qui  sont  venus  pour  piller; 
maintenant  qu'ils  se  sont  emparés  d'un  riche  butin ,  écris  à 
(es  lieutenants  de  tomber  tous  sur  eux, et,  de  peur  de  perdre 
leur  butin,  ils  s'enfuiront.  Mais  pour  les  Turcs,  qui  sont 
l'ennemi  le  plus  sérieux,  tu  dois  les  combattre  toi-même 
avec  ton  armée ,  ou  envoyer  contre  eux  un  général  de  valeur. 
Hormuzd,  approuvant  ce  conseil,  fil  comme  le  mobed  l'avait 
dit.  Il  envoya  des  ambassadeurs  au  César,  et,  pour  conclure  la 
paix, il  lui  restitua  toutes  les  villes  que  Nouschirwàn  lui  avait 
enlevées.  En  conséquence,  le  roi  de  Roum  s'en  retourna. 
Fuis  Hormuzd  écrivit  à  ses  lieutenants  dans  l'Arménie  et  dans 
l'Aderbidjan  de  chasser  les  Khazars  de  ces  contrées.  Il  en- 
voya dans  h»  désert  des  provisions  et  de  l'argent  par  l'interr 
niédiaire  d'un  honiuK*  nommé  Haudsa,  fils  d'Ali ,  de  la  tribu 


250  chroniquf:  de  tabari. 

de  ^HaniTa,  issu  des  princes  du  BaMiraïn  et  du  Yemâma,  et 
très-considéré  parmi  les  Arabes.  On  l'appelait  Haudsa  à  la 
Couronne,  et  voici  pourquoi  : 

Lorsque  Nouschirwân  eut  établi  Wahraz  dans  le  Yemen 
comme  vice-roi ,  après  la  mort  de  Saïf ,  fils  de  Dsou-Yezen , 
Wahraz  lui  envoyait  chaque  année  le  tribut  du  Yemen.  Or, 
une  fois ,  cet  envoi  étant  arrivé  au  territoire  des  Benî-Temîm , 
près  du  Yemâma  et  du  Ba'hraïn,  les  Benî-Temim  vinrent, 
pillèrent  ces  trésors  et  dépouillèrent  ceux  qui  les  portaient. 
Le  chef  de  la  caravane,  ayant  entendu  dire  que,  dans  le 
Ba^hraïn,  il  y  avait  un  chef  nommé  Haudsa,  qui  n'était  pas 
roi,  mais  prince  du  pays,  et  qui  était  fort  riche,  se  rendit 
auprès  de  lui.  Haudsa  le  reçut  bien,  lui  fit  des  gracieusetés 
et  des  présents,  et  donna  à  tous  ses  compagnons  des  vête- 
ments. Arrivés  auprès  de  Nouschirwân ,  ces  hommes  lui  firent 
réloge  de  Haudsa,  et  îSouschirwàn  lui  écrivit  une  lettre  par 
laquelle  il  le  remercia  et  l'invita  avenir  à  sa  cour.  Haudsa  s'y 
rendit,  fut  reçu  par  Nouschirwân  avec  distinction  et  comblé 
d'honneurs  et  de  grâces.  Nouschirwân  lui  remit  une  lettre 
pour  un  homme  qui  était  son  lieutenant  dans  le  Yemâma  et 
dans  le  Ba'hraïn,  nommé  Azâdrouï,  et  .que  les  Arabes  du 
BaMiraïn  surnommaient  A/otifca^Wr  (le  Bourreau),  parce  qu'il 
faisait  saisir  les  voleurs  et  leur  faisait  couper  les  mains  et  les 
pieds,  ce  que  les  Arabes  n'avaient  jamais  vu  auparavant. 
Dans  cette  lettre,  Nouschirwân  lui  ordonna  d'attaquer  les 
Beni-Temîm  et  de  leur  reprendre  les  trésors  dont  ils  s'étaient 
emparés;  il  ordonna  à  Haudsa  de  prêter  secours  h  son  lieu- 
tenant, avec  les  hommes  du  Ba^hraïn.  Haudsa  quitta  la  cour 
de  Nouschirwân,  comblé  d'honneurs  et  de  richesses,  et  se 
rendit  auprès  du  Mouka^bir,  qui  lui  dit  :  Il  faut  châtier  les 
Benî-Temîm.  Haudsa  répliqua  :  I^es  Benî-Temîm  sont  nom- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  XLVII.  251 

breux;  nous  ne  pourrons  pas  leur  tenir  tête  dans  le  combat. 
Mais  tous  les  an^  ils  viennent,  grands  et  petits,  à  Tc^poque 
on  les  dattes  sont  mûres,  dans  le  Ba^brain,  pour  acheter 
des  provisions,  qu'ils  emportent  dans  le  désert.  Ils  ne  peu- 
vent pas  se  dispenser  de  venir.  Patiente  donc  jusqu'à  cette 
époque;  alors  lu  les  saisiras  tous  et  tu  les  mettras  en  prison, 
afin  de  leur  faire  rendre  sans  combat  ni  peine  les  trésors 
volés.  Le  Mouka^bir,  dans  une  lettre,  exposa  cette  situation 
à  IVouschirwân  et  lui  (it  part  de  Topinion  de  Haudsa.  Nou- 
scliirwan  approuva  ce  conseil  et  répondit  au  Mouka^bir  d'en 
tenir  compte,  parce  qu'il  était  bon.  Us  attendirent  donc  l'épo- 
que de  la  récolte  des  dattes,  et  lorsque  les  BentTemim 
arrivèrent  dans  le  Ba'hraïn,  le  Mouka^bir  les  saisit  tous, 
les  mit  en  prison  et  en  tua  un  grand  nombre.  Ils  rendirent 
tous  les  objets  volés  et  les  envoyèrent,  par  l'intermédiaire 
de  Haudsa,  à  Nouschirwân.  Celui- ci  ^  très -satisfait,  fit  à 
Haudsa  de  nombreux  cadeaux,  et  lui  donna  des  robes  d'hon- 
neur et  un  diadème  monté  d'or,  de  pierres  précieuses,  de 
rubis  et  de  perles,  pour  le  mettre  sur  son  front,  et  il  le  ren- 
voya dans  le  Ba^hraïn,  dont  il  laissa  le  gouvernement  au 
Mouka^bir.  Les  habitants  du  Ba^hraïn,  qui  n'avaient  jamais 
vu  un  diadème,  pensèrent  que  c'était  la  couronne  du  roi  do 
Perse  que  celui-ci  avait  donnée  à  Haudsa,  qu'ils  appelèrent 
pour  cette  raison  Haudsa  à  la  Couronne,  Il  existe  quantité  de 
pièces  de  vers  sur  ce  sujet.  Haudsa  demeura  dans  le  Ba^hraïn, 
enlouré  de  respect,  jusqu'à  la  mort  de  Nouschirwân.  Quand 
Hormuzd  monta  sur  le  trône,  il  se  rendit  à  sa  cour  et  y  resta 
à  son  service.  Lorsijue  les  Arabes  du  BaMiraïn  vinrent  ravager 
les  frontières  du  royaume,  Hormuzd  leur  envoya  des  provi- 
sions en  grande  quantité:  des  grains,  de  la  farine,  des  dattes, 
(les  raisins   et   de   l'argent,  par  Pinlermédiaire  de  Haudsa, 


252  CHIiOMQUK  DE  TABAHL 

à  qui  il  prodigua  des  honneurs,  et  il  lui  donna  le  gouverne- 
ment du  Ba^hraïn.  Haudsa  partit  et  fil  rentrer  les  Arabes  dans 
le  Ba^hraïn,  et  le  cœur  d'Hormuzd  fut  délivré  de  ce  souci, 
ainsi  qu'il  fut  délivré  des  deux  autres  ennemis,  le  roi  de 
Roum  et  les  Khazars. 

Ensuite  Hormuzd  convoqua  les  principaux  officiers  de 
Tarmée,  les  mobeds  et  les  conseillers,  et  leur  dit  :  Dieu  a  favo- 
risé nos  affaires  et  éloigné  do  nous  tous  nos  ennemis;  il  n'est 
resté  que  Tannée  de  Sàwè-Schâh,  qui  s'est  avancée  dans  le 
cœur  du  pays.  Qui  pensez-vous  qu'il  convienne  d'envoyer 
contre  elle?  Tous  furent  unanimes  que,  pour  cette  affaire, 
il  n'y  avait  personne  plus  apte  que  Bahrâm-Tschoubîn. 

Bahrâm  était  iils  de  Bahrâm,  fils  de  ^Hasis,  et  tirait  son 
origine  de  Guerguin.  11  était  né  à  Reï,  d'une  famille  de  princes 
et  de  sipehbeds.  Il  était  le  plus  vaillant  homme  de  son  temps^ 
de  couleur  foncée ,  de  haute  stature  et  sec  :  c'est  pour  cela  qu'on 
l'avait  surnommé  Tschoubin.  Quelques-uns  disent  que  son  sur- 
nom était  Schoubîn,  et  non  pas  Tschoubin.  Le  nom  de  Schou- 
bîn  lui  était  venu  de  ce  que,  dans  sa  jeunesse,  ayant  pris  paM 
à  un  combat,  il  avait,  aux  portes  de  Reï, asséné  à  un  homme 
un  coup  qui  le  fendit  en  deux  depuis  la  tôtc  jusqu'aux  arçons 
de  la  selle;  les  hommes  vinrent  pour  le  regarder,  et  l'un  dit 
à  l'autre  :  Va  voir  (schew-bîn)  ce  coup;  ensuite  ils  donnèrent 
à  Bahrâm  ce  surnom.  Le  nom  de  Schoubîn  est  plus  exact  que 
Tschoubîn.  11  n'y  a  que  deux  rois  de  Perse  qui  portèrent  des 
surnoms  pour  leur  vaillance  et  leur  courage:  l'un  est  Bahrâm- 
gour,  et  l'autre,  Bahrâm -Tschoubin.  Nouschirwân  avait  fait 
venir  Bahram-Tschoubin  de  Reï  et  lui  avait  confié  le  gouverne- 
ment de  l'Arménie  et  del'Aderbîdjân.  Il  l'avait  nommé  sipch- 
bed  et  merzebân  de  Reï,  et  avait  ajouté  à  son  goiivernemcnl 
le  Djebâl,  le  Djordjân  et  le  Taberistân,  et  il  l'avait  envoyé 


PARTIE  l[,  CHAPITRE  XLVIII.  253 

(iaiis  rArniéiiie.  Quand  llorniuzd  était  monte  sur  le  trône,  il 
avait  laissé  à  Bahràni  le  mémo  commandement. 

Donc,  quand  les  hommes  dirent  à  Hormuzd  qu'il  n'y  avait 
que  Bahrâm-Tschoubin  qui  pût  conduire  celte  guerre,  Hor- 
muzd répliqua  :  Pour  aujourd'hui,  retirez-vous,  afin  que 
j'avise.  Le  lendemain,  il  les  convoqua  de  nouveau.  Tous  pro- 
noncèrent le  nom  de  Bahràm  el  dirent  :  Il  n'y  a  que  lui  que 
Ton  puisse  envoyer. 


CHAPITRE  XLVIII. 


HISTOIRE    DE    BAllRÀM-TSCIIOUBIN  ET  DE  SES  COMBATS. 


Mo'hammed  ben-DjanV  n'a  pas  donné  Thisloire  de  Bah- 
ràm-Tschoubîn  en  entier.  Je  l'ai  trouvée  plus  complète  dans 
le  livre  de  l'histoire  de  Perse.  Je  vais  la  rapporter  d'après  ce 
livre. 

Lorsque,  le  lendemain,  Hormuzd  réunit  les  hommes  elleur 
demanda  leur  avis  sur  celui  qu'il  fallait  envoyer  contre  les 
Turcs,  tous  prononcèrent  le  nom  de  Bahrâm-Tschoubîn, 
homme  brave  et  chevaleresque.  Or  il  se  leva  un  homme  au 
milieu  de  l'assemblée,  nommé  SaMinân,  l'un  des  hauts  fonc- 
tionnaires, qui  dit  :  Que  le  roi  ait  longue  vie!  Le  roi  connait 
sans  doute  mon  père  Mihroustâd  et  les  fonctions  qu'il  a 
remplies  auprès  de  Mouschirwân.  Maintenant  il  est  vieux,  il 
reste  à  la  maison  et  ne  peut  pas  venir  te  rendre  ses  hom- 
mages, parce  qu'il  est  trop  faible.  Hormuzd  répliqua  :  Je  con- 
nais bien  ton  père  ;  j'ai  des  obligations  envers  lui  ;  car  c'est 
lui  qui  fut  envoyé  par  Nouschirwân  auprès  du  Khâqân,  mon 
grand-père,  pour  lui  amener  ma  mère.  Sa'hnân  dit:  J'ai 
raconté  hier  à  mon  père  que  le  roi  Hormuzd   a  convoqué  les 


254  CllliONIoUK  UK  TABARI. 

grands,  cl  qu'il  cherclh»  quelqu'un  qu  il  puisse  envoyer  contre 
le  roi  des  Turcs.  Mon  père  m'a  dit  :  Je  sais  à  cet  égard  quel- 
que chose  que  je  communiquerai  au  roi,  s'il  me  fait  appeler 
et  m'interroge.  Sur  l'ordre  d'Hormuzd ,  on  alla  le  chercher 
pour  l'introduire  au  milieu  de  cette  assemblée.  Mai^,  comme 
il  était  très-faible  et  ne  pouvait  pas  monter  à  cheval,  on  l'ap- 
porta dans  une  litière.  Hormuzd  le  traita  avec  honneur,  le  fit 
asseoir  et  lui  dit  :  Tu  as  de  grands  droits  à  ma  reconnaissance; 
c'est  par  ta  diligence  que  ma  mère  fut  amenée  auprès  de  No.u- 
schirwàn  ;  il  est  juste  que  je  te  demande  conseil  dans  les  cir- 
constances qui  sont  survenues  dans  le  royaume.  Tu  vois  ce 
(|ui  m'arrive  de  la  part  de  mes  oncles  et  de  mes  parents; 
après  la  mort  du  Khâqân  ,  son  fds  a  amené  une  année  dans 
mon  royaume,  sans  égard  pour  ce  qu'il  me  doit,  mettant  de 
côté  toute  considération  pour  ma  personne  et  pour  notre  pa- 
renté. Maintenant  il  me  faut  quelqu'un  pour  l'envoyer  contre 
lui  à  la  tète  d'une  armée.  Que  sais-tu  à  cet  égard?  Mihroustâd 
(lit  :  Que  le  roi  ait  longue  vie!  Lorsque  Nouschirwàn  m'envoya 
auprès  du  Khâqân,  accompagné  de  hauts  fonctionnaires  et 
d'ofliciers  supérieurs,  au  nombre  de  cinquante,  il  lui  écrivit 
de  me  présenter  toutes  ses  filles,  afin  que  je  pusse  choisir 
Tune  d'elles.  Le  jour  de  mon  arrivée,  le  Khâqân  me  donna 
audience  et  me  traita  avec  distinction  et  bienveillance.  Le 
lendemain,  il  me  présenta  toutes  ses  filles;  sauf  la  fille  de  la 
Khâtoun,  qui  était  dans  ses  habita;  ordinaires  et  malpropres, 
afin  qu'elle  parût  laide  à  mes  yeux,  toutes  les  autres,  nées 
des  autres  femmes  du  Khâqân ,  étaient  parées.  Mais  je  voyais 
que  celle-là  était  assise  sur  le  trône  roval,  à  côté  de  la  Khâ- 
toun ,  tandis  que  les  autres  se  tenaient  debout  devant  moi 
et  me  furent  ainsi  présentées  par  le  Khâqân,  qui  me  dit  : 
Choisis  celle  que  tu  voudras.  Alors  je  choisis  ta  mère,  la  fille 


PAHTIE  II,  CHAIMTRK  XLVlll.  255 

(le  la  Kliatoiiii,  parce  (jirello  lui  ressemblait,  (jiiand  celle-ci 
vil  (|ue  j'avais  choisi  sa  fille,  elle  fut  fres-afflipc^e  et  sa  figure 
(^xpriuia  le  niécontcntemcnl,  et  elle  me  dit  :  Les  autres  sont 
plus  belles  que  celle-ci.  Je  répliquai  :  Si  vous  voulez  faire  réus- 
sir ma  négociation ,  je  demande  que  vous  m'accordiez  cette 
jeune  fille.  Le  Khàqan  insista  auprès  de  la  Khatoun,  et 
elle  finit  par  consentir  à  la  donner,  et  ils  l'accordèrent  ainsi 
comme  femme  à  Nouschirwân,  en  la  mettant  entre  mes  mains 
avec  des  richesses  incalculables.  Le  Khâqan  avait  un  astro- 
logue qui  était  le  plus  savant  homme  de  son  temps.  Quand 
je  me  disposai  à  partir  avec  la  jeune  fdle,  le  Khâqân  le  lit 
appeler  et  lui  dit  :  Vois  quel  sera  le  sort  de  cette  jeune  fille 
auprès  de  Nouschirwân ,  à  qui  nous  l'envoyons.  L'astrologue 
(lit  :  Il  sortira  d'elle  un  fils  qui ,  arrivé  à  l'àge  mûr,  ne  sera  ni 
grand  ni  petit;  il  aura  de  grands  yeux  et  les  sourcils  joints; 
il  montera  sur  le  trône  de  Perse  après  Nouschirwân.  Ensuite 
l'astrologue  ajouta  :  Ce  roi  qui  sortira  de  celle  jeune  fille  sera 
attaqué  par  une  nombreuse  armée  venue  du  Turkestân ,  qui 
ravagera  son  pays.  Alors  il  enverra  une  armée  contre  elle, 
sous  la  conduite  d'un  des  grands  de  la  Perse,  homme  de  sang 
royal ,  nommé,  de  même  que  son  père,  Rahrâm.  Ce  sera  un 
homme  de  haute  stature,  maigre,  de  teint  foncé,  ayant  les 
sourcils  joints.  Il  viendra  avec  un  petit  nombre  de  troupes 
et  fera  périr  toute  l'armée  turque  dans  le  Turkestân,  et  trou- 
vera également  la  mort  dans  le  Turkestân.  Le  grand  mobed 
dit:  0  roi,  l'homme  qui  vient  d'être  décrit  esl  Bahrâm- 
Tschoubîn ,  dont  le  père  s'appelle  Bahrâm ,  et  qui  est  ton  lieu- 
tenant sur  les  frontières  de  l'Arménie.  Après  avoir  fait  son 
récit,  Mihroustàd,  qu'on  appelle  aussi  Mihrân-Selâd ,  expira 
dans  sa  litière.  Hormuzd  fut  fort  étonné,  et  le  grand  mobed 
dit  :  C'est  comme  un  avis  (V»leste ,  que  Dieu  ait  laissé  cet 


2b(j  CHUOjilQUK  DE  TABAIU. 

homme  vivre  jusqu'à  ce  (|u  il  feiU  l'ait  coiiiiaitre  ces  paroles, 
et  qu'il  Tait  l'ait  mourir  ensuite. 

Hormuzd  envoya  immédiatement  chercher  Bahram,  qui  se 
mit  aussitôt  en  route.  Lorsqu'il  fut  arrivé,  Hormuzd  le  traita 
avec  distinction  et  lui  dit  :  Sache  que  le  Khâqân ,  mon  grand- 
père,  est  mort,  et  que  son  (ils  est  monté  sur  le  trône;  il  est 
mon  oncle,  mais  il  m'a  renié  et  a  amené  une  armée  et  s'est 
emparé  de  Balkh.  Il  me  faut  quelqu'un  qui  s'y  rende  pour  le 
chasser  de  là,  au  besoin,  par  la  guerre.  Mon  choix  est  tombé 
sur  toi,  à  cause  de  ton  origine  et  de  la  bravoure  que  lu  as 
déployée  au  service  de  Mouschirwân ,  et  des  grandes  actions 
que  tu  as  accomplies  sous  son  règne.  Bahram  répliqua  :  Je 
suis  l'esclave  du  roi,  exécutant  ses  volontés,  l'une  de  ses 
épées;  partout  où  il  m'enverra,  je  ferai  le  sacriiice  de  ma  vie. 
Cette  réponse  plut  à  Hormuzd,  qui  ordonna  de  garder  Bahrâni 
ce  jour-là.  Le  lendemain  ,  il  lui  (it  dire  de  paraître  devant  lui 
à  cheval  et  armé  comme  pour  la  guerre.  Lorsque  Bahram  $4* 
présenta  ainsi  sur  l'arène  où  se  trouvait  Hormuzd ,  entouré 
de  l'armée,  celui-ci  le  regarda  et  vit  sa  grande  taille;  il  fut 
très-satisfait  et  le  traita  avec  honneur.  Le  jour  suivant,  il  le 
lit  appeler  et  lui  dit  :  Je  te  donne  In  libre  disposition  de  mou 
trésor  et  de  mon  armée;  prends  autant  d'argent  et  d'hommes 
que  tu  voudras;  et  chaque  ville  que  tu  conquerras  esta  toi.  Bah- 
ram sortit  de  l'audience  plein  de  joie,  et  le  lendemain  il  ras- 
sembla toute  l'armée  et  en  choisit  douze  mille  hommes  braves 
et  propres  à  la  gueire,  ni  trop  jeunes,  ni  trop  vieux,  âgés 
d'environ  quarante  ans;  il  leur  distribua  des  équipements, 
des  armes,  des  chevaux,  desbétes  de  somme  et  autres  choses 
semblables.  On  en  informa  Hormuzd,  qui  le  fit  appeler  et  lui 
dit  :  L'ennemi  que  tu  vas  combattre  a  trois  cent  mille  hom- 
mes, comment  veux-tu  l'attaquer  avec  douze  mille  hommes? 


PARTIR  M,  CHAPITRE  XLVIII.  257 

Ualirâm  répondit  :  0  roi,  une  armée  nombreuse  n  est  qu'une 
lourde  charge.  Quatre  mille  hommes  forment  la  plus  petite 
armde,  et  douze  mille,  la  plus  nombreuse.  Roustem  a  fait  ta 
{(uerre  du  Mâzenderân  avec  douze  mille  hommes,  et  Isfendiâr 
a  attaqué  avec  douze  mille  hommes  Heft-Khàn  et  Diz-Rouïn. 
Il  énuméra  ainsi  plusieurs  rois  de  Perse  qui  avaient  entre- 
pris de  grandes  guerres  avec  douze  mille  hommes,  et  ii  ter- 
mina en  disant  :  En  effet,  le  succès  dans  la  guerre  ne  dépend 
pas  [du  nombre]  des  hommes,  mais  de  la  fortune.  Hormuzd 
lui  dit  :  Mais  pourquoi  as-tu  choisi  des  hommes  d'un  certain 
âge  et  non  des  hommes  jeunes?  Bahrâm  répondit:  Parce 
que  le  succès  dans  la  guerre  dépend  du  zèle  des  soldats; 
des  jeunes  gens  n'ont  ni  zèle,  ni  discernement,  ni  expé- 
rience; ils  ne  connaissent  pas  les  règles  de  la  guerre  et  ne 
savent  pas  prendre  une  résolution.  Les  hommes  d'un  âge 
mûr,  au  contraire,  ont  et  \o  zèle  et  l'expérience.  Le  roi  Hor- 
muzd l'approuva  également  en  cela,  et  ordonna  qu'on  choisit 
un. jour  pour  le  départ  de  Bahrâm  et  de  l'armée. 

Le  roi  Hormuzd  avait  un  astrologue  très-habile  en  son  art, 
et  qui  était  en  même  temps  devin.  Il  l'envoya  à  la  suite  de 
Bahrâm ,  lui  disant  :  Va ,  suis  le  cortège  de  Bahrâm ,  observe-le 
dans  une  de  ses  actions,  tires- en  un  présage,  et  viens  me  le 
dire.  L'astrologue  fit  ainsi.  On  appelle,  en  pehlvi,  cette  con- 
sultation marghewd.  Bahrâm  rencontra  un  homme,  un  mar- 
chand, complètement  nu,  ayant  sur  la  tète,  pour  le  porter 
plus  facilement,  un  baquet  plein  de  têtes  de  moutons.  Bah- 
râm prit  la  pique  d'un  lancier,  allongea  la  main,  enleva  deux 
de  ces  têtes  de  moutons  à  la  pointe  de  la  lance,  qu'il  retira 
ensuite,  la  tenant  droite.  L'une  des  deux  têtes  retomba  dans 
le  baquet,  l'autre  resta  fixée  sur  la  pointe  de  la  pique,  et 
Bahrâm  continua  ainsi  son  chemin.  L'augure  revint  et  apprit 
11.  17 


258  CHRONÎQUK  DE  TABARI. 

celte  aven  lu  ro  à  Ilorimizd.  Celui-ci  lui  denian(]a  ce  que  sigui- 
fiail  ce  présage.  L'aulre  dit  :  Les  deux  têtes  signifient  deux 
rois  sur  qui  Bahrâm  mettra  la  main;  il  tuera  Tun,  el  il  lais- 
sera Tautre  s'en  aller  et  rentrer  dans  son  royaume.  La  nudité 
de  cet  homme  signifie  que  Bahrâm  cessera  de  l'obéir  et  se 
révoltera  contre  loi.  Hormuzd  fut  effrayé  et  ne  dormit  pas 
cette  nuit.  Le  lendemain ,  il  écrivit  à  Bahrâm  une  lettre  ainsi 
conçue  :  J'avais  à  te  dire  quelque  chose,  mais  je  fài  oublié. 
Laisse  farmée  à  f endroit  où  elle  se  trouve  et  reviens  seul, 
afin  que  je  te  fasse  celte  communication  verbalement;  tu 
repartiras  immédiatement  après.  Cette  lettre  parvint  à  Bah- 
râm ,  à  la  première  station.  Hormuzd  voulait  rappeler  Bahrâm 
pour  mettre  un  iiutre  général  à  la  tête  de  l'expédition.  Bah- 
râm répondit  par  une  lettre ,  dans  laquelle  il  s'exprima  ainsi  : 
L'affaire  dont  le  roi  m'a  chargé  ne  permet  pas  que  je  revienne; 
je  ne  veux  pas  que  le  roi  me  voie  avant  que  j'aie  exterminé 
ses  ennemis;  qu'il  me  fasse  connaître  ses  ordres  par  lettre, 
je  les  exécuterai.  Ensuite  il  quitta  ses  quartiers  et  continua  sa 
marche.  Hormuzd  fil  appeler,  le  lendemain ,  le  grand  mobed 
et  lui  fit  part  du  présage,  de  sa  lettre  el  de  la  réponse  de 
Bahrâm,  el  il  ajouta  :  Qu'y  a-l-il  à  faire,  car  je  n'ai  plus  le 
pouvoir  de  changer  celle  affaire?  Le  mobed  répondit  :  J'ai  vu 
Bahrâm  sérieusement  soumis  au  roi  et  prél  à  combattre  les 
ennemis;  les  présages  sont  tantôt  vrais,  tantdl  faux;  ne  le 
rappelle  pas,  car  Dieu  lui  donnera  aide  contre  les  ennemis, 
à  cause  de  toi.  Le  mobed  le  tranquillisa  ainsi  au  sujet  de 
Bahrâm. 

Bahrâm  se  dirigea  de  i'^Irâq  vers  TAhwâz.  Une  femme 
vint  te  trouver  sur  la  route,  dans  une  station,  et  lui  dît  :  Un 
cavalier  m'a  pris  un  panier  de  foin;  et  elle  en  fournit  les 
preuves.  Bahrâm  fit  trancher  la  tète  à  ce  cavalier.  Lorsque 


PARTIE  11,  CHAPITRK  XLVlll.  'i59 

Hormuzd  apprit  cette  action,  il  fut  très-satisfail  de  la  justice 
de  Bahràm. 

A  répoque  où  Sàwè-Schàh  s'était  avancé  sur  le  territoire 
de  Balkli,  Hormuzd,  craignant  que  Tarmée  turque  ne  parvint 
rapidement  jusqu'à  lui,  avait  envoyé  contre  Sâwè-Schâh  un 
|)etit  détachement  sous  la  conduite  d'un  général  nommé 
Hormuz-Kliarràd-Barzin ,  homme  plein  de  ruse,  de  dissi- 
mulation et  d'imposture.  Il  lui  avait  enjoint  d'arrêter  Sâwè- 
Schàh  par  la  ruse,  juH(|u'à  ce  que  Bahrâm  arrivât  à  Hérât; 
(le  lui  dire  (|ue  te  roi  de  Perse  voulait  faire  la  paix  avec  lui, 
envoyer  un  ambassadeur  et  se  soumettre  à  lui  pay<*r  tribut. 
Son  but  était  d'empêcher  Sâwè-Schâh  d'avancer  au  delà 
de  Baikh,  et  de  mettre  le  pays  h  l'abri  du  pillage  et  de  la 
dévastation,  jusqu'à  ce  que  son  armée  fût  prête.  Horniuz- 
Kharrâd-Barzin  alla,  et,  en  trompant  Sâwè-Schâh  de  cette 
façon,  il  le  maintint  à  Balkh  pendant  une  année,  jusqu'à  ce 
que  Hormuzd  eût  préparé  son  armée  et  qu'il  envoyât  Bah- 
râm-Tschoubin. 

Bahrâm  se  dirigea  sur  Balkh,  non  par  le  chemin  ordi- 
naire, mais  en  se  rendant  de  l'Ahwâz  en  Taïlesân,  de  là  par 
le  Kouhistân  à  Hérât,  de  Hérât  en  Khotlân,  puis  à  Balkh, 
aOn  de  surprendre  Sâwè-Schâh.  Lorsque  celui-ci  apprit  l'ar- 
rivée de  Bahrâm,  il  envoya  quelqu'un  vers  Hormuz-Kharrâd- 
Barzin,  pour  se  plaindre  de  ce  qu'il  l'avait  trompé  par  une 
ruse;  mais  celui-ci  avait  quitté  son  campement  et  s'était 
enfui,  allant  rejoindre  Bahrâm,  qui  lit  halte  à  la  station 
la  plus  rapprochée  de  Balkh.  Le  roi  des  Turcs  fit  venir  le 
gouverneur  du  Khorâsân  et  le  chargea  d'aller  reconnaître 
l'année  de  Bahrâm,  le  nombre  et  la  qualité  des  soldats,  leur 
armement,  et  quel  était  leur  général.  Le  gouverneur  du  Kho- 
râsân partit  avec  dix  cavaliers.  Arrivé  auprès  du  camp  de 

17. 


2C0  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

Bnliràni,  qui  s'élail  avancé  avoc  cinq  (1^  ses  cavaliers,  il  lui 
dit  :  Qui  es-tu?  Bahiàm  répondit  :  Je  suis  le  serviteur  de  ce 
roi  qui  a  amené  cette  armée  et  (|ui  m'a  ordonné  de  prépa- 
rer le  lieu  du  combat.  L'autre  dit  :  De  quelle  force  est  cette 
armée?  Baliràm  répondit  :  Quelque  chose  comme  dix  mille 
hommes.  L'autre  dit  :  Conmient  veut -il  combattre  trois  cent 
mille  hommes?  Rahràm  répliqua  :  Il  l'ordonne  ainsi.  Le  gou- 
verneur du  Khoràs«4n  s'en  retourna  et  donna  ces  renseigne- 
ments à  Sàwè-Schàh.  Le  lendemain,  Hormuz-Kharrâd-Barzin 
vint  trouver  Bahrâm  et  lui  dit  :  0  général,  ne  livre  pas  le  com- 
bat à  ces  Turcs  avec  la  poignée  de  soldats  que  tu  as  avec  toi; 
la  paix  vaut  toujours  mieux;  tâchons  de  nous  entendre  et  de 
conclure  la  paix.  Bahrâm  lui  répondit  par  des  injures  et  lui 
dit  :  Tais-toi;  que  la  langue  te  soit  arrachée;  le  village  dont 
tu  sors  ne  produit  rien  que  des  pécheurs;  qu'as-tu  à  faire 
avec  la  guerre?  Va  et  pèche  des  poissons!  Il  y  avait  dans 
larmée  de  Bahrâm  un  scribe  nommé  Bouzourg-Debîr,  que 
Bahrâm  avait  demandé  à  Hormuzd,  et  qui  lui  dit  :  Ne  te 
hâte  pas  de  livrer  le  combat  à  ces  ennemis.  Bahrâm  lui  ré- 
pliqua: TaivS-toi,  pour  que  la  mère  ne  soit  pas  privée  de  toi. 
Ce  qu'il  te  faut,  c'est  la  plume  et  l'encrier;  tu  n'as  rien  à  faire 
avec  la  guerre.  Le  lendemain,  Sâwè-Schâh  envoya  son  chef 
des  négociations  vers  Bahrâm  et  lui  fit  dire  :  Si  tu  veux  passer 
à  mon  service,  je  le  donnerai  le  commandement  du  royaume 
de  Perse  et  le  nommerai  mon  lieutenant  dans  toute  la  Perse. 
Bahrâm  répondit  :  Va  lui  dire  que  les  serviteurs  du  roi  ne 
le  quittent  pas  pour  aller  dans  un  autre  endroit,  si  ce  n'est 
par  ses  ordres.  Lejoursuivant,  Sâwè-Schâh  envoya  de  nouveau 
quelqu'un  vers  Bahrâm  et  lui  fit  dire  :  Le  roi  de  Perse  m'avait 
envoyé  un  homme  nommé  Hormuz-Kharrâd-Barzîn,  qui  est 
resté  depuis  un  an  en  face  de  moi,  qui  m'a  sollicite  et  a  de- 


PARTIE  11,  CHAPITRE  XLVill.  261 

manche  la  paix.  Fais,  toi  aussi,  la  paix,  ou  attends  que  j'envoie 
un  messager  pour  savoir  quel  est  le  dessein  du  roi  de  Perse. 
Bahràin  répondit:  Celui-là  s'est  inoqué  de  toi;  mais  moi 
je  ne  serai  pas  content  avant  que  ton  jour  décline,  afin  que 
je  prenne  ta  tête  et  Fenvoie  au  roi  de  Perse.  Sa wè-Schâh 
entra  en  colère,  fit  battre  le  tambour  et  rassembler  son  armée 
autour  de  lui.  Il  passa  toute  la  journée,  jusqu'au  soir,  à 
disposer  son  armée,  inspecta  la  place  de  cbaque  troupe  et 
résolut  (le  livrer  bataille  le  lendemain.  Bahram,  dans  cette 
nuit,  disposa  également  ses  troupes,  et  en  examina  lui-même 
toutes  les  parties,  le  centre  et  les  deux  ailes.  A  la  pointe  du 
jour,  il  fut  pris  de  sommeil  et  s'endormit  sur  son  cheval. 
Il  rêva  qu'il  combattait  contre  les  Turcs  et  qu'il  élait  mis 
en  fuite.  S'étant  réveillé  quand  le  jour  fut  tout  à  fait  venu, 
il  ne  raconta  à  personne  le  songe  qu'il  avait  eu,  pour  ne 
pas  décourager  les  soldats.  Lorsque  le  soleil  se  leva,  les  deux 
armées  se  trouvèrent  en  présence.  Bahram,  avant  de  com- 
mencer le  combat,  se  transporta  de  sa  personne  dans  chaque 
division,  encouragea  les  soldais  et  leur  dit  :  Que  chacun  au- 
jourd'hui fasse  son  devoir,  pour  sa  subsistance,  son  nom  et 
son  honneur;  ne  me  faites  pas  honte  et  vendez  cher  votre 
vie;  car  il  y  a  loin  d'ici  à  votre  patrie,  et  si  vous  prenez  la 
fuite,  aucun  de  vous  n'échappera  à  l'épée  de  l'ennemi  ni  ne 
reviendra  dans  sa  famille.  Bahram  leur  fit  de  tels  divscours 
et  plaça  un  oflicier  avec  cinq  ccnis  cavaliers  derrière  l'armée, 
en  lui  ordonnant  de  charger  quiconque  voudrait  s'enfuir. 

Le  roi  des  Turcs  se  rendit  sur  une  hauteur  et  s'assit  sur 
un  trône  d'or,  entouré  de  quarante  mille  hommes,  qu'il  avait 
choisis  pour  rester  auprès  de  lui;  il  envoya  au  combat  deux 
cent  soixante  mille  hommes,  et  ordonna  au  général  en  chef 
de  disposer  devant  lui  les  troupes  dans  l'ordre  (\y  bataille 


26'J  CHRONIQUK  l)K  TABARI. 

où  elles  devaient  combaltre.  Sàwè-Schâh  avait  amené  deux 
cents  éléphants  de  guerre  et  cent  lions  sauvages,  qu'il  fit  pla- 
cer devant  les  rangs.  Bahram,  apercevant  ces  éléphants  et 
ces  lions,  donna  Tordre  à  ses  soldais  de  faire  pleuvoir,  tous 
en  même  temps,  une  grêle  de  traita  sur  ces  animaux,  et  leur 
recommanda  de  viser  les  éléphants  aux  yeux.  Les  soldats  firent 
ainsi,  et  les  éléphants,  effrayés  par  les  traits,  tournèrent  le 
dos.  Alors  Bahrâm  fit  lancer  par  les  artificiers  du  feu  sur  les 
éléphants  et  les  lions,  qui  se  jetèrent  en  rugissant  sur  leur 
propre  armée  et  écrasèreni  sous  leurs  pieds  environ  trente 
mille  hommes,  en  leur  communiquant  les  flammes  par  les> 
quelles  ils  étaient  consumés.  Lorsque  Bahrâm  vit  que  les 
rangs  des  Turcs  étaient  rompus  et  que  les  troupes  s'ébran- 
laient, il  fit  une  charge  générale.  Les  Turcs  se  mirent  à  fuir,  et 
se  replièrent  vers  l'endroit  oii  se  trouvait  Sâwè-Schâh.  Celui-ci , 
voyant  cela,  demanda  un  cheval.  Son  écuyer  lui  dit  :  Veux-tu 
un  cheval  pour  fuir,  ou  un  autre?  Sâwè-Schâh  se  mit  à  rire  et 
dit  :  Un  cheval  pour  fuir.  Au  moment  oij  il  descendait  du 
trône,  Bahrâm  arriva,  et,  le  voyant  sur  le  trône  et  avec  la 
couronne,  il  sut  que  c'était  le  roi;  il  ajusta  et  6t  partir  une 
flèche,  qui  pénétra  dans  la  poitrine  du  roi  et  sortit  par  le 
dos;  le  roi  tomba  en  bas  du  trône.  Alors  toute  l'armée  turque 
prit  la  fuite,  poursuivie  par  Bahrâm,  qui  fit  un  grand  nombre 
de  prisonniers.  A  la  tombée  do  la  nuit,  Bahrâm  vint  dans  le 
camp  turc,  fit  saisir  les  trésors  et  les  effets,  le  trône  d'or,  la 

m 

couronne  du  roi  et  des  richesses  dont  la  grande  quantité  n'est 
connue  que  de  Dieu  seul.  Il  fit  transporter  tout  ce  butin  et 
les  prisonniers  dans  son  propre  camp,  et  y  resta  cette  nuit. 
Le  lendemain  matin,  Bahrâm  passa  en  revue  toutes  ses 
troupes;  il  ne  manquait  personne,  sauf  un  officier  d'un  rang 
élevé,  nommé  Bahrâm-Seyâouschân ,  qui  était   son  neveu, 


PARTIE  11,  CHAPITRE  XLVIII.  263 

ayant  (épousé  la  fille  de  sa  sœur,  et  qu'il  avait  en  {;raudc  alTec- 
tioii.  Ne  le  voyant  pas,  il  fut  très-effrayé,  pensant  qu'il  avait 
été  tué.  Il  donna  Tordre  de  le  rechercher  sur  le  champ  de  ba- 
taille parmi  les  morts.  Après  une  heure,  Bahrâm-Seyâouschân 
arriva  avec  un  prisonnier  turc  ayant  une  petite  barbe  rousse 
et  des  yeux  gris.  Babrâm  fut  très-heureux  de  voir  son  neveu 
et  lui  demanda  quel  était  le  prisonnier  qu'il  amenait.  L'autre 
lui  dit  :  C'est  un  homme  que  j'ai  voulu  tuer;  il  m'a  dit  :  Menez- 
n)oi  auprès  de  votre  roi ,  je  sais  quelque  chose  qui  pourra  lui 
être  utile.  Babrâm  lui  dit  :  Quelle  est  la  chose  que  tu  sais? 
Dis-la,  pour  te  sauver  de  la  mort.  Le  prisonnier  répondit  :  Je 
suis  un  sorcier,  le  plus  babile  de  tout  le  Turkeslân.  Quand 
j'accompagne  un  roi  dans  une  campagne,  je  fais  voir  en 
songe  à  l'ennemi  qu'il  sera  mis  en  fuite,  et  par  là  je  le  décou- 
rage; la  preuve  en  est  que  je  t'ai  fait  voir,  hier  matin,  eu 
songe  que  ton  armée  serait  mise  en  fuite.  Babrâm  pensa  en 
lui-même  :  Un  homme  intelligent  n'acceptera  pas  ses  paroles 
et  n'y  croira  pas.  Puis  il  lui  dit  :  Quel  mal  ai-je  eu  de  ton 
songe,  et  quel  avantage  en  est-il  résulté  pour  ton  armée?  En- 
suite il  donna  l'ordre  de  le  mettre  à  mort. 

Babrâm  resta  un  mois  à  Balkb.  Il  fit  réunir  tout  le  butin 
qu'il  avait  fait  sur  les  Turcs,  fit  expédier  à  Hormuzd  ce  qu'il 
voulait  lui  envoyer  et  distribua  aux  soldats  ce  qui  leur  reve- 
nait. Ensuite  il  fut  informé  qu'un  fils  du  roi  des  Turcs,  resté 
dans  leTurke^tân,  rassemblait  une  armée,  et  que  les  troupes 
([ui  avaient  été  mises  en  fuite  s'étaient  jointes  h  lui,  et  qu'il 
s'avançait  avec  une  armée  de  cinq  cent  mille  hommes  contre 
Babrâm,  pour  venger  la  mort  de  son  père. 


26A 


(:hiu)MQ[JK  ok  ïabai;i 


CHAPITKE  XLIX. 

COMBAT    nr   FILS  DF  SÂWÈ-SCIIAH   AVKC   BAIlRAM-TSCIIOLBix. 


L'auteur  dit  :  Bahràiii  resta  au  même  endroit  juBqu*à  ce 
que  le  fils  du  roi  des  Turcs  filt  arrivé  avec  une  armée  de  cinq 
cent  mille  hommes.  Lorsque  cette  armée  fut  aax  portes  de 
Baikh,  il  fit  sortir  son  armée  du  camp.  Il  se  porta  sur  une 
hauteur  pour  examiner  l'armée  turque.  Quand  il  redescendit, 
il  dit  à  ses  soldats  :  Les  troupes  turques  sont  en  nombre 
considérable,  mais  elles  nm\{  pas  de  courage;  il  n'y  a  rien  à 
craindre  d'elles.  Le  lendemain,  les  deux  armées  étant  ran- 
gées en  ordre  de  bataille,  Bahrâm  fit  une  charge  générale, 
et  toute  l'armée  turque  fut  mise  en  fuite.  Seulement,  le  fils 
du  roi  des  Turcs,  avec  sept  mille  hommes  de  ses  familiers, 
tint  pied  et  continua  le  combat  jusqu'à  la  nuit.  Alors  il  alla 
se  renfermer  dans  une  forteresse  qui  se  trouvait  à  proximité. 
Bahrâm,  avec  son  armée,  vint  assiéger  cette  forteresse.  Le 
lendemain,  le  fils  du  roi  des  Turcs  fit  demander  à  Bahrâm 
à  se  rendre  à  lui  avec  la  vie  sauve.  Bahrâm  lui  accorda  la 
vie,  stipulant  qu'il  l'enverrait  avec  les  autres  prisonniers  à 
Hormuzd.  Le  prince  turc  en  fut  content,  disant  :  Hormuzd  et 
moi  nous  sommes  cousins;  si  je  n'ai  pas  tenu  compte  de  ce 
que  je  lui  devais,  lui  il  tiendra  compte  de  ce  qu'il  me  doit. 

Le  directeur  des  postes  de  l'armée  d'Hormuzd  partit  pour 
aller  informer  Hormuzd  et  lui  porter  une  lettre  de  Bahrâm. 
Hormuzd  fut  très-heureux,  rendit  grâces  k  Dieu,  et,  envoyant 
un  messager  h  Bahrâm,  il  lui  fit  dire  :  Fais  comme  tu  en  as 
l'intention.  Le  lendemain,  après  avoir  reçu  ce  message,  Bah- 
râm envoya  le  fils  du  roi  des  Turcs,  avec  six  mille  prisonniers 


PARTIE  11,  CHAPITRE  XLIX.  265 

appartonaut  à  de  grandes  familles  turques ,  vers  Hormuzd,  sous 
la  conduite  d'un  homme  nommé  Merdânschâh,  avec  un  dé- 
tachement de  deux  mille  cinq  cents  hommes.  Il  lui  expédia 
en  même  temps  tout  le  butin  qu'il  avait  fait  en  or,  en  argent 
et  en  pierres  précieuses,  le  trône  d'or,  la  couronne  et  les  autres 
effets,  les  armes  et  les  tapis.  On  dit  qu'il  y  avait  deux  cent 
cinquante  généraux  prisonniers,  et  deux  cent  cinquante-six 
charges  de  chameaux  d'or  et  de  pierres  précieuses. 

Lorsque  le  fils  du  roi  des  Turcs  arriva  près  de  Madâïn, 
Hormuzd  monta  à  cheval  et  alla  à  sa  rencontre,  par  égard 
pour  la  parenté  qui  le  liait  à  lui,  étant  son  cousin.  Quand 
Hormuzd  fut  en  vue,  Merdânschâh  fit  mettre  pied  a  terre  à 
toutes  ses  troupes ,  qui  allèrent  au-devant  du  roi  et  baisèrent 
la  terre;  il  fit  aussi  descendre  le  fils  du  roi  des  Turcs.  Hor- 
muzd, le  voyant,  descendit  également  de  cheval  et  lui  adressa 
les  questions  d'usage.  Ensuite  Hormuzd  remonta  à  cheval ,  et  le 
prince  turc  voulut  également  reprendre  son  cheval ,  mais  Mer- 
dânschâh l'en  empêcha ,  le  prit  par  la  main  et  te  conduisit  ainsi 
jusqu'à  la  porle  du  palais.  Hormuzd  le  Gt  loger,  lui  et  tous 
ses  compagnons,  dans  de  belles  maisons,  et  les  y  entretint 
pendant  quarante  jours,  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  remis  de  la 
fatigue  du  voyage.  Il  le  traita  avec  distinction,  conclut  avec 
lui  un  traité  d'alliance  et  de  paix,  lui  rendit  la  souveraineté 
du  Turkestân  et  lui  donna  de  belles  robes  d'honneur  et  de 
nombreux  cadeaux.  Ensuite  il  le  fit  partir  avec  Merdânschâh 
pour  se  rendre  auprès  de  Bahrâm ,  auquel  il  ordonna  par  lettre 
de  le  renvoyer  en  paix  dans  le  Turkestân,  et  de  rester  jusqu'à 
nouvel  ordre  à  fendroit  on  il  se  trouvait. 


2()f)  CHRONIQUE  DE  TABARl. 


CHAPITRE  L. 


IIISTOIRK   De  LA  REVOLTE  DE  BAIIRAM-TSCIIOIIBIN. 


Lorsque  Hormuzd  confia  à  Merdânschâh  le  soin  de  rame- 
ner le  fils  du  roi  des  Turcs  auprès  de  Bahrâm,  afin  qu^îl  le 
renvoyât  dans  le  Turkeslân,  Merdânschâh  lui  dit  :  Je  tiens 
encore  le  butin  que  j'ai  apporté;  que  le  roi  ordonne  qu^on  le 
prenne.  Hormuzd  se  le  fit  présenter  et  en  fut  très -satisfait, 
car  il  lui  semblait  fort  considérable.  Il  regarda  ses  ministres 
et  dit  :  Voyez -vous  le  caractère  de  Bahrâm,  qui  m'envoie 
tant  de  choses?  Il  y  avait  là  un  ministre,  le  principal  d'entre 
eux,  nommé  Yezdànbekhsch ,  qui  dit  :  0  roi,  certainement 
c'est  beaucoup,  mais  ce  nest  qu'une  bouchée  d'un  grand 
festin;  vois  combien  était  grand  ce  festin,  quand  une  bou- 
chée forme  une  telle  quantité.  Cette  parole  fit  impression  sur 
Hormuzd,  qui  fut  courroucé  contre  Bahrâm.  Il  remit  à  Mer- 
dânschâh, pour  les  porter  à  Bahrâm,  une  chaîne,  une  boît^ 
à  fuseaux  et  du  coton,  et  lui  écrivit  une  lettre  ainsi  conçue  : 
Tu  as  été  déloyal;  tu  m'as  envoyé  ce  que  tu  avais  de  trop;  tu 
as  été  ingrat.  Mets  cette  chaîne  à  ton  cou,  en  punitioi^  de 
ta  tromperie,  et  prends  ce  fuseau  et  ce  coton,  comme  font  les 
femmes,  car  le  vol  et  la  tromperie  sont  affaires  de  femmes; 
tu  es  pire  qu'une  femme.  Bahrâm,  ayant  lu  celte  lettre  et 
vu  ces  objets,  fut  stupéfait.  Le  lendemain,  il  mit  la  chaine 
h  son  cou,  prit  devant  lui  le  fuseau  et  le  colon,  et  donna 
audience  publique  à  toute  son  armée.  Lorsque  les  soldats  le 
virent  dans  cet  état,  ils  demandèrent  ce  que  cela  signifiait. 
Bahrâm  leur  dit  :  Voilà  la  récompense  de  ce  que  j'ai  fait  pour 
Hormuzd;  voilà  la  robe  d'honneur  qu'il  m'envoie.  Les  soldats 


PARTIE  11,  CHAPITRE  L.  267 

turent  irrités  contre  Hormuzd  et  dirent  :  Si  telle  est  ta  ré- 
compense, la  nàtre  sera  encore  pire;  nous  sommes  dëgoAtës 
de  lui.  Balirâm  leur  dit  :  Ne  parlez  pas  ainsi;  ce  n'est  pas  sa 
faute,  mais  c'est  le  fait  du  vizir  nommé  Yezdânbekhsch ,  qui 
est  jaloux  de  moi;  il  ne  vous  en  adviendra  aucun  mal.  Ils  ré- 
pliquèrent :  Nous  sommes  las  et  d'Hormuzd  et  du  vizir;  et  si 
tu  n'es  pas  avec  nous,  nous  serons  aussi  las  de  toi.  Bahrâm  se 
joignit  à  eux  et  tous  se  révoltèrent  contre  Hormuzd.  Bahrâm 
Ht  faire  douze  mille  couteaux  à  la  pointe  recourbée,  qu'il 
envoya  à  Hormuzd,  pour  lui  apprendre  que  ces' douze  mille 
hommes  s'étaient  révoltés  contre  lui.  Hormuzd  fit  briser  ces 
couteaux  et  les  renvoya  à  Bahrâm.  Celui-ci  dit  aux  soldats  : 
Hormuzd  veut  dire  par  là  qu'il  fera  couper  vos  têtes,  comme 
il  a  fait  avec  les  couteaux.  Les  troupes  en  conçurent  une  haine 
plus  grande  contre  Hormuzd. 

Un  jour,  Bahrâm  alla  a  la  chasse,  en  compagnie  d'Hormuz- 
Kharrâd-Barzin,  de  Bouzourg-Debir  et  d'un  certain  nombre 
de  «ses  amis.  Bahrâm  poursuivait  un  onagre,  qui  se  réfugia 
dans  un  grand  parc.  Tous  entrèrent  après  lui.  Après  avoir 
parcouru  le  parc,  ils  vinrent  dans  une  vallée  couverte  de 
jardins,  d'eaux  courantes  et  de  maisons  de  plaisance.  An 
loin,  on  voyait  un  château,  vers  lequel  Bahrâm  et  ses  amis 
se  dirigèrent.  Ils  mirent  pied  à  terre,  et  Bahrâm,  disant 
aux  autres  d'attendre  à  la  porte  son  retour  et  laissant  son 
cheval  entre  leurs  mains,  entra  dans  le  château.  Après  quel- 
que temps,  un  esclave  en  sortit,  prit  leurs  chevaux  et  leur 
donna  à  manger;  ensuite  il  revint  et  apporta  à  manger  aux 
hommes,  et,  après  qu'ils  curent  mangé,  il  leur  apporta  à 
boire.  Comme  Bahrâm  tardait  à  revenir,  Merdânschâh  entra 
dans  le  château  et  trouva  Bahrâm  assis  et  en  conversation 
avec  une  jeune  fille  telle  (ju'il  n'en  a>ail  jamais  vu  de  plus 


368  CUROMQIE  U£  TABARI. 

belle,  ui  paruii  Ie>  remmes  libres,  ni  parmi  les  esclaves.  Bah- 
ràm  lui  dit  :  Attends  que  je  sorte.  Merdâuschàh  s'en  retourna 
et  attendit.  Après  un  certain  temps,  Bahràm  sortit,  et  la 
jeune  lille  Taccompagna  jusqu'à  la  porte  du  château ,  et  tou» 
les  amis  de  Bahràm  la  virent  Bahrim  monta  à  cheval,  el  la 
jeune  lille  rentra  au  château.  Le  lendemain,  Hormuz-khar- 
ràd-Barzùi  et  Bouzourg-Debir  s'enfuirent  tous  les  deux 
d'auprès  de  Bahraiu,  allèrent  trouver  Hormuzd  et  lui  racon- 
tèrent Taventure  de  cette  jeune  fille.  Hormuid,  ayant  fait 
appeler  le  grand  mobed.  lui  raconta  cette  histoire  et  lui  en 
demanda  lexplicatiou.  Le  mobed  dit  :  Cette  jeune  fille  est 
une  des  p^^ris,  qui  est  devenue  amoureuse  de  Bahràm.  Partout 
où  Bahràm  a  à  livn^  une  bataille,  elle  vient  avec  ses  compa- 
gnons, se  place  devant  les  rangs  des  ennemis  et  les  met  en 
fuite. 

Hormuzd  avait  un  fils  nommé  Parwii,  qu'il  avait  désigné 
comme  son  successeur  au  trône.  Bahràm  et  toute  son  armée 
s'étant  révoltés  à  Balkh  contre  Hormuzd,  et  étant  venus  de 
Baikh  à  Reï,  Hormuzd  avait  l'intention  d'envoyer  Parwiz 
a\ec  une  armée  contre  Bahràm.  Celui-ci,  en  élant  averti, 
voulut  semer  l'inimitié  entre  Hommzd  et  Parwiz.  Il  ordonna 
à  ses  soldats  de  proclamer  Parwiz,  de  dire  que  Parwiz  était 
leur  roi  et  qu'ils  ne  voulaient  plus  d'Hormuzd.  Il  instruisit 
un  homme,  Tun  des  principaux  officiers,  inconnu  et  étranger 
h  son  armée,  à  venir  le  trouver  et  a  lui  dire  :  Je  suis  envoyé 
par  Parwiz;  il  l'ordonne  de  lui  prêter  hommage,  toi  et  tes 
troupes,  et  de  vous  déclarer  contre  Hormuzd.  Parwiz  igiio- 
rail  ces  faits.  Chaque  jour,  au  moment  où  Bahràm  donnait 
audience  publique,  on  criait  à  sa  porte  :  Où  est  fenvoyé  de 
Kesra-Parwîz?  Qu'on  l'introduise. 

■Bahràm  lit  frapper  à  Roï  cent  mille  dirhems  au  nom  de 


PARTIE  II,  CHAPITRE  L.  269 

Parwîz  et  à  son  elligie.  Du  temps  des  rois  do  Perse,  on 
avait  coutume  de  meltrc  sur  le  dirhem  Tefligie  du  roi,  tandis 
qu'à  présent  on  met,  d'un  côlé,  le  nom  de  Dieu  et  celui 
du  Prophète;  de  l'autre,  le  nom  du  calife  ou  du  gouverneur 
de  la  ville.  Du  temps  des  Perses,  les  deux  faces  du  dirhem 
portaient  l'image  du  roi:  d'un  côté,  le  roi  sur  son  trône  et 
avec  la  couronne;  de  l'autre,  le  roi  à  cheval,  tenant  une 
lance  dans  sa  main.  Ces  dirhems,  avec  l'eflBgie  de  Parwiz 
sur  les  deux  côtés,  furent  remis  par  Bahrâm  à  des  mar- 
chands, auxquels  il  ordonna  de  les  porter  à  Madâïn,  la  rési- 
dence d'Hormuzd,  et  d'en  acheter  différents  objets  et  mar- 
chandises. Lorsque  les  habitants  de  Madâïn  virent  sur  ces 
dirhems  l'effigie  de  Parwiz  et  non  celle  d'Hormuzd,  ils  en 
avertirent  le  roi,  qui  fit  appeler  les  marchands  et  leur  de- 
manda d'oii  ils  avaient  apporté  cet  argent.  Ils  répondirent  : 
Nous  l'avons  apporté  de  Reï;  c'est  Bahrâm  qui  nous  a 
donné  ces  dirhems,  qu'il  fait  frapper  à  Reï; il  dit  que  Kesra, 
c'est-à-dire  Parwiz,  l'a  ainsi  ordonné.  Le  roi  Hormuzd  dit: 
Allez,  vous  êtes  innocents.  Il  fit  appeler  Parwîz  et  lui  dit  :  Tu 
veux  l'emparer  de  la  couronne  de  mon  vivant;  tu  as  fait  dire 
à  Bahrâm  de  faire  frapper  de  la  monnaie  à  ton  etiigie  et  de 
te  proclamer  roi.  Parwiz  baisa  la  terre  et  répliqua  :  6  roi, 
c'est  là  un  stratagème  et  une  ruse  de  Bahrâm,  qui  est  un 
homme  plein  de  ruses  et  d'impostures;  il  veut  par  là  indis- 
poser le  roi  contre  moi.  Hormuzd  dit  :  Cela  peut  être.  Mais 
il  ne  se  fiait  pas  à  Parwiz.  Celui-ci,  craignant  son  père, 
s'enfuit  pendant  la  nuit  et  gagna  l'Aderbidjâu.  Quand  Hor- 
muzd en  fut  averti,  il  vit  son  soupçon  à  l'égard  de  Parwiz 
•confirmé.  Parwiz  avait  deux  oncles,  l'un  nommé  Bendouï, 
l'autre,  Bostâm.  Hormuzd  les  fit  saisir  et  mettre  en  prison, 
en  leur  disant  :  C'est  vous  qui  avez  fait  que  Parwîz  s'est  ré- 


"210  CHRO>IIQlJË  DE  TABAHI. 

voilé  contre  moi;  maintenant  dites  où  il  se  trouve.  Ils  répon- 
dirent qu'ils  rignoraient.  Arrivé  dans  TAderbMjân,  Parwîz 
s'était  rendu  dans  un  temple  du  feu,  où  il  s'adonnait  au  ser- 
vice religieux.  Personne  ne  fy  connaissait  ni  no  savait  qu'il 
était  fils  d'Hormuzd. 

Lorsque  Bahrâm  apprit  la  fuite  de  Parwiz,  il  reconnut  que 
sa  ruse  avait  réussi;  car  il  avait  craint  que  Parwîz  ne  vînt 
l'attaquer,  que  ses  soldats  n'inclinassent  vers  Parwîz  et  ne 
voulussent  pas  combattre  contre  lui;  car  il  avait  dit  lui-même 
à  ses  troupes  que  la  souveraineté  était  h  Parwîz.  Maintenant 
que  Parwîz  s'était  enfui  et  que  la  ruse  avait  réussi ,  Bahrâm 
était  tranquille.  Il  réunit  les  troupes  et  leur  dit  :  Hormuzd, 
ayant  appris  que  nous  nous  sommes  révoltés  contre  lui  et  que 
nous  avons  reconnu  Parwîz,  l'a  fait  mettre  à  mort.  Tous  les 
soldats  furent  Irès-irrités  contre  Hormuzd  et  dirent  à  Bahrâm  : 
Que  faut-il  faire?  Bahrâm  répliqua  :  Nous  allons  marcher 
contre  Hormuzd,  l'attaquer  et  le  tuer;  il  a  un  jeune  tîls, 
nommé  Schehryâr,  que  nous  placerons  sur  le  trône.  Les  sol- 
dats y  consentirent. 

Bahrâm  quitta  Beï  et  se  dirigea  sur  Madâïn.  Hormuzd,  a 
cette  nouvelle ,  fut  consterné.  Il  reconnut  qu'il  avait  eu  tort 
contre  Bahrâm  et  qu'il  avait  agi  avec  précipitation.  Il  réunit 
l'armée  et  le  peuple,  et  fit  venir  le  grand  mobed  et  leur  dit  : 
Bahrâm  et  son  armée  en  révolte  marchent  contre  nous.  Qu'y 
a-t-il  à  faire?  Tous  se  turent;  puis  legrand  mobed  dit  :  Quel 
est  l'avis  du  roi?  H  répondit  :  Je  sais  que  j'ai  agi  h  l'égard 
de  Bahrâm  avec  précipitation,  et  que  j'ai  eu  tort;  il  n'a  pas 
mérité  ce  que  j'ai  fait,  à  l'instigation  de  Yezdânbekhsch ,  qui, 
le  jour  où  l'on  m'a  présenté  le  butin ,  m'a  excité  contre  lui.* 
Maintenant  je  crois  devoir  envoyer  Yezdânbekhsch  vers  Bah- 
râm et  lui  faire  dire  :  C'est  celui-là  qui  m'a  excité  contre  toi. 


PARTIE  II,  CHAPITRE   L.  271 

je  le  l'envoie;  lu  peux  le  tuer  ou  lui  pardonner,  conune  tu 
voudras.  Bahrâm  est  un  homme  généreux;  quand  il  verra 
Yezdânbekhsch  lui  faire  ses  excuses,  il  les  acceptera,  lui 
pardonnera,  et,  en  recevant  mon  message,  il  rentrera  dans 
Tobéissance.  Le  grand  mobed  dit  :  Ce  plan  est  bon.  Tous  l'ap- 
prouvèrent. Flormuzd  fit  appeler  Yezdânbekhsch  au  milieu 
de  rassemblée  et  lui  exposa  son  avis.  Yezdânbekhsch  dit  : 
Que  le  roi  ait  longue  vie!  Ma  vie  est  la  rançon  du  roi;  j'irai 
et  je  solliciterai  Bahrâm;  s'il  me  pardonne,  ce  sera  bien; 
et  s'il  me  punit  et  me  tue,  ce  sera  pour  le  bien  du  roi; 
que  mon  âme  et  mon  corps  soient  ta  rançon  du  roi!  Hor- 
muzd  le  remercia  et  le  combla  d'éloges;  il  lui  ordonna  de 
partir  sans  emmener  personne  et  d'emporter  seulement  une 
lettre  du  roi.  Yezdânbekhsch  se  retira  et  fit  ses  préparatifs 
de  voyage. 

Yezdânbekhsch  avait  un  cousin  détenu  dans  la  prison  du 
roi  pour  une  faute  qu'il  avait  commise.  Lorsque  cet  homme 
apprit  dans  la  prison  que  Yezdânbekhsch  allait  partir,  il  lui 
écrivit  un  billet  ainsi  conçu  :  Tu  pars,  mais  mon  cœur  est 
avec  toi;  personne  ne  t'est  plus  attacbé  que  moi  et  plus  sin- 
cère. Demande  pour  moi  au  roi  la  permission  de  l'accompa- 
gner, afin  que,  dans  la  vie  et  dans  la  mort,  je  reste  avec  toi. 
Yezdânbekhsch  écrivit  un  billet  au  roi  et  lui  fit  cette  demande, 
et  Hormuzd  lui  accorda  cet  homme,  qui  partit  avec  lui.  Lors- 
qu'ils arrivèrent  à  Hamadân  et  qu'ils  s'y  arrêtèrent,  Bahrâm, 
qui  avait  établi  son  camp  aux  portes  de  Reï,  eut  connaissance 
de  leur  voyage.  Il  fut  très-content  et  se  proposa  d'agréer  les 
excuses  de  Yezdânbekhsch ,  de  lui  donner  des  présents  et  de 
faire  la  paix  avec  Hormuzd. 

Yezdânbekhsch  dit  au  propriétaire  de  la  maison  dans 
laquelle  il  était  descendu  :  S'il  y  a  dans  votre  ville  quelque 


272  ClIBONIQUE  DE  TABAllI. 

(ievin  ou  un  possédé,  faites-ie  chercher.  Le  propriétaire  lui 
dit  qu'il  n  y  avait  qu'une  femme  possédée.  On  la  fit  venir, 
et  Yezdânbckhsch  resta  seul  avec  elle.  Il  lui  demanda  quelle 
serait  pour  lui  Tissue  de  ce  voyage  et  comment  agirait  avec 
lui  te  roi  auprès  duquel  il  se  rendait.  La  femme  lui  dit  :  Pour- 
quoi crains-tu  ce  roi?  Tu  as  ta  mort  avec  toi.  Cette  femme 
parlait  encore,  lorsque  le  cousin  de  Yezdânbekhsch  entra  dans 
Tappartement.  La  femme  dit  tout  bas  à  Yezdânbekhsch,  de 
manière  que  son  cousin  ne  Fentendit  pas  :  Tu  périras  par  la 
main  de  celui-ci.  Lors  de  la  naissance  de  Yezdânbekhsch ,  les 
astrologues  avaient  tiré  son  horoscope  et  avaient  déclaré  que 
sa  perte  serait  causée  par  une  parole  qui  lui  aurait  échappé 
en  présence  du  roi,  et  qu'il  mourrait  de  la  main  de  son  cou- 
sin. Lorsque  la  femme  lui  parla  ainsi,  il  se  rappela  les 
paroles  des  astrologues,  et  il  lui  dit  :  Tu  dis  vrai.  La  femme 
se  leva  et  sortit.  Son  cousin  ayant  pris  place,  Yezdânbekhsch 
lui  dit  :  Il  m'est  survenu  une  affaire  relative  au  roi,  que,  en 
dehors  de  lui  et  de  moi ,  personne  ne  doit  savoir.  11  faut  que 
je  lui  écrive  une  lettre  à  cet  égard,  et  je  ne  me  lie  qu'à  toi 
pour  la  porter.  Tu  es  venu  avec  moi  dans  l'intention  de  m'as- 
sister  de  ta  personne  dans  le  cas  où  j'en  aurais  besoin.  Il  faut 
(jue  tu  portes  cette  lettre,  que  tu  la  remettes  au  roi  en  mains 
propres ,  et  que  tu  en  rapportes  la  réponse  et  me  la  donnes 
de  façon  à  ce  que  Bahrâm  ne  le  voie  pas.  Si  tu  me  rejoins  et 
que  je  sois  en  vie,  je  te  récompenserai.  L'autre  répliqua:  Je 
suis  à  tes  ordres;  et  il  fit  ses  préparatifs  de  départ  pour  le 
lendemain.  Yezdânbekhsch  écrivit  une  lettre  au  roi  Hormuzd 
en  ces  termes  :  L'homme  que  j'avais  demandé  au  roi ,  je  le 
renvoie  avec  cette  lettre  ;  il  faut  que  le  roi  te  fasse  immédia- 
tement mettre  a  mort;  car  c'est  un  méchant  homme,  qu'il  faut 
tuer.  Il  cacheta  la  lettre  et  la  remit  à  son  cousin ,  qui  la  prit 


PARTIE  II,  CHAPITRE  L.  278 

et  sortit,  en  pensant  en  lui-même  :  Est-ce  que  j'irai  trouver 
Hormuzd,  qui  m'a  retenu  en  prison  tant  d^annëes?  El  lui 
porterai-je  une  lettre,  ne  sachant  pas  comment  tourneront 
ces  aiïaires?  Il  ouvrit  la  lettre  et  la  tut.  Il  revint  plein  de 
colère,  entra  dans  la  maison,  saisit  une  ëpée  et  alla  trouver 
Yezdânbekhsch.  Celui-ci,  le  voyant  tenant  une  épée,  lui  dit  : 
0  mon  cousin,  n*agis  pas  avec  précipitation  à  mon  égard, 
avant  que  je  faie  parlé.  Mais  l'autre,  ne  prêtant  aucune  at- 
tention à  ses  paroles ,  le  frappa  de  son  épée  et  le  tua  ;  il  se 
rendit  ensuite  auprès  de  Bahràm,  k  Reï,  et  jeta  devant  lui  la 
tête  de  Yezdânbekhsch,  en  lui  disant  :  Voici  la  lête  de  Yez- 
dânbekhsch, ce  scélérat  qui  avait  excité  Hormuzd  contre  toi. 
Il  était  venu  maintenant  pour  te  tromper  et  te  faire  périr. 
J'étais  parti  avec  lui  de  Madâïn ,  j'ai  attendu  un  moment  pro- 
pice et  je  l'ai  tué  par  attachement  pour  toi ,  et  je  t'apporte  sa 
Icte.  Bahrâm  en  fut  très-aflligé,  abandonna  Tidée  de  paix  et 
dit  :  0  bâtard!  scélérat  que  tu  es  d*avoir  tué  un  vizir  si  dis- 
tingué, envoyé  de  la  part  du  roi  pour  négocier  la  paix  et  pré- 
senter des  excuses  !  Aussitôt  il  le  fit  mettre  à  mort. 

Lorsque  la  nouvelle  de  la  mort  de  Yezdânbekhsch  fut 
connue  à  Madâïn,  tous  les  ministres,  scribes,  fonctionnaires 
ot  mobeds  furent  très-affligés,  car  il  avait  été  le  premier 
d'entre  eux,  par  son  rang,  sa  science  et  son  autorité.  Tous 
blâmèrent  Hormuzd,  en  disant  :  Pour  une  parole  qu'il  avait 
prononcée  à  titre  de  conseil,  fallait-il  l'envoyer  auprès  de 
l'ennemi,  pour  qu'il  pérît  en  route  de  la  main  de  ce  chien 
d'homme?  Ils  se  concertèrent  tous  ensemble,  disant  :  Jus- 
ques  à  quand  aurons-nous  à  supporter  la  tyrannie  de  ce  re- 
jeton de  Turc  et  sa  rage  de  verser  le  sang?  Tous  les  cœurs 
s'enflammèrent  contre  Hormuzd.  Bendouï  et  Bostâm,  les 
oncles  de  Parwîz,  détenus  dans  la  prison,  eurent  ronnais- 
II.  i8 


iZk  «lliRM^l*^!  L  L»C  T%i%iL 

More  d^^  cH  éf  roeiiteoL  Beadooi  fil  parrenir  aoi  chftk  de 
ï^rmt^  k  nesàagi^  saifant  :  Combieo  de  leBi|»  eocorv  sap- 
porterez-fooâ  »a  UTanoîe?  Dépoàes-Ie  H  ôla-lai  la  soQTe- 
rainelé  ;  faite»  f enir  900  fils  de  FAderbidjaD  et  piaccs-le  sur 
le  Iràoe.  Nooà  deux,  bous  foos  (aiscos  notre  soumisâioii  el 
ooas  Dou»  eogageoQS  pour  Parvix  aa  bien  et  à  la  justice. 
Ces  paroles  ploreot  aoi  hommes .  qui  les  approuTèrenl  et 
fiièreot  ao  jour  où  ils  se  réuoiraient.  Le  jour  coofenu,  tous 
les  soldats  se  rassemblèreot,  brisèreot  les  portes  de  la  prisoD 
et  en  fireot  sortir  Beudouî  et  Bostàm.  Ensuite  ils  se  portè- 
rent fers  le  palais  d'Hormuid,  y  entrèrent,  enleièrent  la  cou- 
ronne de  dessus  sa  tète,  le  précipitèrent  do  trône  et  lui  cre- 
vèrent les  veux.  Le  lendemain ,  ils  envovèrent  la  couronne 
par  Bendoaî  à  Pamiz.  qui  se  trouvait  dans  FAderbidjân, 
dans  le  grand  pyrée,  et  le  rappelèrent  pour  occuper  le 
trône.  Parmiz,  dans  le  p\rée,  se  livrait  à  la  dévotion.  Bendouï 
y  entra  et  plaça  la  couroune  sur  sa  tète.  Cette  nouvelle  sVtant 
répandue  dans  l'Aderbidjàn,  tous  les  habitants  vinrent  saluer 
Pam^ iz  ;  te  lendemain ,  on  le  porta  à  Madâïn ,  et  on  le  fit  monter 
sur  le  trône. 

CHAPITRE  LL 

PARWiz  BT   BAHRÀV-TSCHOUBÎK. 

Lorsque  Parwiz  s'assit  sur  le  trône  et  mit  la  couronne  sur 
sa  tète,  le  peuple  vint  le  féliciter.  Il  répondit  aux  hommes 
avec  bonté,  les  harangua  et  leur  promit  la  justice;  ensuite 
ils  se  dispersèrent.  Parwiz  descendit  du  trône,  se  rendit  au- 
près de  son  père ,  à  pied ,  baisa  la  terre  devant  lui ,  et  lui  ex- 
prima, en  pleurant,  ses  regrets  de  ce  qui  lui  était  arrivé.  II  lui 
dit,  en  affirmant  ses  paroles  par  des  serments  :  J*ai  été  dans 


PARTIE  II,  CHAPITRE  Ll.  275 

rignorance  des  choses  qui  te  sont  arrivëcs,  ainsi  que  de  l'ar- 
gent que  Bahrâm  avait  fait  frapper;  je  n*en  savais  rien  et 
je  ne  Tavais  pas  ordonne.  C'est  Bahrâm  qui  a  agi  ainsi,  pour 
me  séparer  de  toi.  Je  n'ai  pas  approuvé  et  n'ai  pas  voulu  les 
attentats  des  hommes  contre  toi.  Mais  si  je  n'avais  pas  ac- 
cepté le  pouvoir,  les  hommes  l'auraient  enlevé  à  notre  fa- 
mille, et  il  aurait  été  perdu  pour  tes  enfants.  Hormuzd  agréa 
ses  excuses  et  dit  :  Je  savais  que  tu  n'étais  pas  complice  de 
Bahrâm  dans  ce  qu'il  a  fait,  et  que  tu  n'avais  pas  approuvé 
les  entreprises  de  mes  sujets;  et  tu  as  bien  fait  d'accep- 
ler  le  pouvoir;  je  suis  du  même  avis  que  toi.  Cependant,  ce 
que  je  te  demande,  c'est  que  tu  me  fasses  justice  de  ces 
hommes  qui  m'ont  précipité  du  trdne,  en  méconnaissant  mon 
autorité ,  et  qui  m'ont  crevé  les  yeux;  et  que  tu  le  leur  fasses 
expier  dans  leurs  corps  et  dans  leurs  âmes.  Parwîz  répliqua  : 
.l'exécuterai  tes  ordres;  mais  je  ne  peux  pas  agir  contre  eux 
iinmédiati^ment ,  pour  que  les  hommes  ne  conçoivent  pas  de 
frayeur  et  d'inimitié  contre  moi,  puisque  Bahrâm  est  à  mes 
trousses  et  cherche  à  s'emparer  du  pouvoir.  Il  faut  attendre; 
aussitôt  que  j'en  aurai  fini  avec  lui,  que  j'en  serai  débarrassé 
et  que  je  serai  en  possession  incontestée  du  royaume,  je  te 
ferai  justice.  Hormuzd  fut  très-content,  et  le  remercia. 

Bahrâm,  apprenant  que  les  hommes  avaient  crevé  les  yeux 
à  Hormuzd  et  qu'ils  avaient  donné  le  pouvoir  à  Parwîz,  aban- 
donna l'idée  qu'il  avait  eue  de  faire  la  paix  avec  Hormuzd 
et  de  rentrer  sous  son  obéissance.  Il  conçut  de  la  haine  pour 
Parwtz  et  le  soupçonna  d'être  l'auteur  de  tout  le  mal  que  l'on 
avait  fait  à  Hormuzd.  Il  se  proposa  d'attaquer  Parwtz,  de  lui 
enlever  le  pouvoir,  de  le  rendre  à  Hormuzd  et  de  se  mettre  à 
son  service.  Il  réunit  ses  soldats  et  leur  annonça  ce  qui  était 
arrivé  à  Hormuzd.  Les  soldats  furent  saisis  de  pitié  et  versèrent 

18. 


t>70  CHRONIQLE  DE  iVBAlil. 

(tes  larmes.  Ruliraiu,  lui  aussi,  pleura  el  dit:  Soldais,  si  Hor- 
muzd  a  mal  agi  envers  nous ,  il  Ta  fait  de  bonne  foi.  A  notre 
dëparl,  il  nous  a  comblé  de  richesses.  Le  mal  quil  nous  a 
fait  ne  provenait  pas  de  lui,  n\^is  de  Yezdânbekhsch ,  qu'il 
avait  enfin  envoyé  vers  nous  pour  nous  faire  des  excuses. 
Nous  lui  devons  donc  de  la  reconnaissance;  nous  devons  at- 
taquer Parwîz,  qui  est  un  criminel  et  fauteur  de  tout  ce  qui 
est  arrivé  à  Hormuzd.  Nous  allons  Tattaquer,  lui  enlever  la 
couronne  et  la  rendre  a  Hormuzd.  Les  soldats  répliquèrent  : 
C'est  à  toi  d'orflonner,  et  ce  que  tu  as  résolu  est  bien.  Ils 
s'engagèrent  Ions  envers  lui  et  firent  leurs  préparatifs.  Bah- 
râm  fit  quitter  à  farmée  ses  quartiers  des  environs  de  Reï 
et  la  fit  marcher  sur  Madàïn.  Parwiz,  averti  que  Bahrâm 
approchait  pour  venger  Homiuzd  et  pour  lui  rendre  la  sou- 
veraineté, rassembla  une  armée  el  alla  à  la  rencontre  de 
Bahram,  qui  fit  halle  sur  les  hauteurs  de  ^Holwân.  Les  deux 
armées  se  rencontrèrent  dans  la  plaine  de^Holwân ,  et  chacune 
y  établit  son  camp.  Le  lendemain,  Parwiz  sortit  seul  du  mi- 
lieu de  ses  troupes ,  se  dirigea  avec  Bendouï  et  Bostâni  vei-s  le 
camp  de  Bahrâm,  se  plaça  vis-à-vis  du  camp  et  s'écria  :  Dites 
à  Bahrâm  de  sortir  seul,  afin  que  je  lui  parle.  Bahram  sorlit 
à  cheval,  sans  armes  ,  avec  Merdânschâh  et  Bahràm-Seyâou- 
schan.  Lorsqu'ils  furent  en  face  fun  de  Tautre,  Parwiz  dît  : 
0  Bahram,  sipehbed  du  Khoràsân,  général  des  armées  des 
rois,  je  sais  combien  tu  m'es  attaché,  et  je  sais  quels  griefs  tu 
as  contre  ma  famille;  Hormuzd,  n'ayant  pas  reconnu  tes  ser- 
vices, a  été  puni  par  Dieu  et  a  perdu  la  couronne.  Si  tu  veux 
rentrer  sous  mon  obéissance,  je  te  donnerai  le  rang  de  frère, 
et  je  reconnaîtrai  tes  droits.  Bahrâm  répli(|ua  :  Qui  es -tu 
pour  m'assigner  un  rang  élevé?  L'autre  dit  :  Je  suis  Kesra- 
Parwîz.  Bahrâm  dit  :  Tu  mens!  Car  si  tu  étais  le  fils  d'Hor- 


PARTIE   11,  CHAPITRE  U.  277 

iiiuzd,  tu  n'aurais  pas  accompli  ces  attentats  contre  ton  p(>rc, 
et  tu  n'aurais  pas  poussé  les  gens  à  lui  crever  les  yeux  et  à  le 
précipiter  du  trône,  et  tu  ne  te  serais  pas  emparé  du  pouvoir. 
Jamais  un  fils  n'a  agi  envers  son  père  comme  tu  l'as  fait.  Parwîz 
entra  en  colère  et  dit  :  Les  hommes  savent  que  je  n'ai  pas  fait 
cela.  Tu  ne  veux  probablement  que  chercher  un  prétexte;  tu 
le  sais  bien  ;  vois  ce  que  tu  veux  faire.  Bahrâm  dit  :  Je  veux 
venger  Hormuzd  de  toi,  de  Bendouï  et  de  Bostâm,  et  de 
lous  ceux  qui  l'ont  offensé;  je  veux  lui  rendre  le  pouvoir, 
auquel  il  a  droit,  et  je  serai  son  serviteur.  Parwiz  répliqua  : 
0  scélérat!  est-ce  ton  affaire  de  donner  ou  d'ôter  le  pouvoir? 
Es-tu  de  la  famille  royale?  Où  donc  était  jusqu'à  présent  cette 
tendresse  pour  Hormuzd  que  tu  montres  maintenant,  quand 
tu  t'es  révolté  contre  lui,  en  lui  refusant  ton  obéissance? 
Bahrâm  dit  :  0  bâtard!  c'est  toi  qui  es  cause  de  ma  défection, 
car  lu  as  été  jaloux  de  moi  et  lui  as  dit  du  mal  de  moi;  tu 
l'as  empêché  de  reconnaître  mes  services.  Mais  h  présent  je 
reconnais  son  droit,  et  je  veux  le  délivrer  de  ton  oppression, 
t'enlever  le  pouvoir  et  le  lui  rendre.  Parwiz  répliqua  :  Quelle 
générosité,  ô  scélérat!  A  ces  mots,  ils  se  séparèrent. 

Le  lendemain,  les  deux  armées  étant  en  présence  l'une  de 
l'autre,  Bahrâm  sorlit  des  rangs  de  son  armée  et  dit  aux  sol- 
dats de  Parwîz  :  N'avez-vous  pas  honte,  o  guerriers  de  Perse, 
et  ne  craignez-vous  pas  Dieu,  d'avoir  précipité  du  trône  votre 
roi  Hormuzd ,  malgré  sa  bonne  conduite  et  sa  justice ,  de  lui 
avoir  enlevé  la  royauté  et  de  vous  être  déshonorés  dans  toute 
la  Perse,  de  sorte  que  tous  les  hommes  de  la  terre  vous  mau- 
dissent? Jamais,  avant  vous,  un  roi  n'a  été  traité  par  ses  sujets 
et  par  son  armée  comme  Hormuzd  l'a  été  par  vous.  Mainte- 
nant je  demande  aide  à  Dieu.  Les  soldats  dirent  :  Bahrâm  a 
raison;  ce  que  nous  avons  fait  n'est  jamais  arrivé.  Ensuite  toute 


278  CHRONIQUE  DE  TABARI." 

Tarmée  de  Parwîz,  devenue  furieuse ,  déserta.  Parwiz  fut  cous- 
terne;  il  ne  resta  avec  lui  que  dix  hommes  et  Bendouï,  Bos- 
tâm,  Hormuz-Kharrâd-Barzin  et  Bouzourg-Debîr.  Ceux-ci 
lui  dirent  :  0  Parwîz,  pourquoi  restes-tu?  Tu  ne  peux  pas 
lutter  contre  toute  cette  armée,  et  tu  vois  que  tes  soldats  t'ont 
abandonné.  Parwîz  s'en  retourna,  et  se  dirigea  vers  Madâîn. 
Bahrâm,  seul,  marcha  derrière  lui.  Arrivé  au  pont,  Parwîz,  se 
retournant  et  voyant  que  Bahrâm  le  suivait,  ajusta  une  flèche 
sur  son  arc  ;  mais,  remarquant  que  Bahrâm  était  complètement 
couvert  par  son  armure,  il  se  dit  qu*il  ne  servirait  de  rien  de 
tirer  sur  lui.  En  regardant,  il  vit  que  le  cheval  de  Bahrâm 
était  découvert  au  poitrail;  il  lança  le  trait  sur  cet  endroit 
du  cheval,  qui  tomba  à  la  renverse.  Bahrâm  s'en  dégagea; 
mais,  n'ayant  pas  de  cheval  de  rechange,  il  attendit  qu'on  lui 
en  amenât  un  ,  et  Parwîz  pendant  ce  temps  gagna  de  l'avance. 
Bahrâm  lui  cria  :  Tu  verras,  ô  bâtard  ! 

Parwiz  rentra  à  Madâîn  et  dit  à  son  père  :  Toute  mon  ar- 
mée a  passé  à  Bahrâm,  je  suis  resté  seul  avec  dix  hommes; 
j'ai  été  obligé  de  revenir.  Mais  il  ne  lui  dit  pas  que  Bahrâm 
voulait  le  replacer  sur  le  trône.  Ensuite  il  dit  :  Mon  père ,  où 
irai-je  pour  chercher  du  secours?  Dois-je  me  rendre  auprès 
de  Norman  ou  ailleurs  ?  Son  père  répondit  :  Les  Arabes 
sont  des  gens  pauvres,  et  Norman  n'a  pas  à  te  donner  de  l'ar- 
gent et  une  armée.  Les  Arabes  sont  des  maraudeurs  et  ne 
se  soucient  pas  de  l'empire.  Rends-toi  auprès  du  César,  le 
roi  de  Roum,  qui  a  de  l'argent,  des  troupes  et  des  armes. 
11  te  prêtera  aide  et  te  fera  recouvrer  la  royauté.  Je  suis  en 
bonnes  relations  avec  lui ,  car  je  lui  ai  rendu  le  royaume  de 
Syrie  et  ai  conclu  avec  lui  un  traité  de  paix.  Il  te  traitera 
comme  il  faut.  Parwîz,  ayant  pris  congé  de  son  père,  le  quitta. 
Il  dit  k  ses  oncles  :  Nous,  allons  nous  rendre  auprès  du  César, 


PARTIE  11,  CHAPITRE  Ll.  279 

comme  le  veut  mon  père.  Il  partit,  emmenant  avec  lui  ses 
oncles  et  les  dix  hommes  qui  lui  étaient  restés.  A  une  petite 
distance  de  Madâïn ,  ses  deux  oncles  s'arrêtèrent  et  dirent 
entre  eux  :  Nous  n'avons  pas  bien  fait.  Bahrâui  va  entrer 
dans  Madâïn;  il  placera  Hormuzd  sur  le  trône,  et  lui-même 
exercera  le  pouvoir  ;  il  nous  fera  poursuivre  par  ses  troupes 
et  nous  fera  saisir,  et,  s'il  ne  nous  atteint  pas,  Hormuzd  fera 
demander  au  César  de  nous  livrer.  II  faut  que  nous  fassions 
disparaître  Hormuzd  de  la  terre.  Ils  dirent  à  Parwîz  :  Conti- 
nue ton  chemin,  nous  allons  retourner  dans  la  ville  pour 
une  certaine  aifaire  ;  nous  allons  terminer  ce  qui  doit  être 
fait,  prendre  congé  de  nos  familles,  et  nous  te  suivrons.  Ils 
ne  lui  dirent  pas  ce  qu'ils  voulaient  accomplir.  Parwiz  pensa 
qu'ils  voulaient  l'abandonner  et  aller  rejoindre  Bahrâm.  Il 
poussa  son  cheval  en  avant  et  s'éloigna  avec  ses  dix  compa- 
gnons, le  cœur  irrité  contre  ses  oncles.  Ceux-ci  rentrèrent 
dans  la  ville  et  se  rendirent  au  palais.  Ils  trouvèrent  les  femmes 
et  les  jeunes  filles  pleurant  et  se  lamentant  à  cause  du  départ 
de  Parwîz,  et  tout  le  monde  occupé.  Ils  dirent  :  Nous  avons 
à  parler  seuls  au  roi;  nous  lui  apportons  un  message  de  la 
part  de  Parwiz.  Ils  entrèrent  donc ,  et  personne  dans  le  châ- 
teau, à  cause  du  trouble  et  de  la  tristesse,  ne  fit  attention  à 
eux.  Ils  lièrent  les  mains  à  Hormuzd,  lui  jetèrent  une  bande 
autour  du  cou  et  l'étranglèrent.  Ensuite  ils  sortirent,  mon- 
tèrent à  cheval  et  allèrent  rejoindre  Parwîz,  qui  fut  charmé 
de  les  voir.  Ils  lui  dirent  :  Nous  sommes  allés  chercher  dans 
nos  maisons  l'argent  nécessaire  pour  le  voyage,  et  nous  avons 
pris  congé  de  nos  familles.  Ils  ne  lui  dirent  pas  qu'ils  avaient 
tué  Hormuzd. 

Parwîz  et  ses  amis  continuèrent  leur  route  en  toute  hâte, 
et  arrivèrent  après  trois  jours  à  la  frontière  de  TMrâq.  Ils  mar- 


380  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

chèrent  jour  et  nuit  et  atteignirent  enfin  le  territoire  de  Syrie, 
où  ils  furent  en  sûretë.  Ils  aperçurent  de  loin  un  ermitage 
vers  lequel  ils  se  dirigèrent,  et  y  descendirent.  L'anachorète, 
sans  les  connaître,  leur  donna  un  morceau  de  gros  pain  sec, 
qu'ils  mangèrent  en  le  trempant  dans  deTeau.  Parwtz,  n'ayant 
pas  reposé  depuis  trois  jours,  fut  pris  de  sommeil,  mit  sa 
tête  sur  le  sein  de  Beudouï  et  s'endormit;  les  autres  se  mirent 
aussi  à  dormir. 

Lorsque  Bahrâm ,  arrive  à  Madâïn ,  apprit  la  mort  d'Hor- 
muzd ,  il  reconnut  que  ses  plans  étaient  renversés.  Il  s'informa 
de  quel  côté  Parwiz  s'était  enfui,  et,  ayant  su  qu'il  s'était  di- 
rigé du  côté  de  la  Syrie  pour  se  rendre  auprès  du  César,  il  fit 
venir  Bahrâm-Seyàouschân ,  lui  confia  quatre  mille  hommes 
et  lui  dit  :  Va  à  la  poursuite  de  Parwiz,  en  faisant  courir  les 
chevaux  à  toute  bride;  là  où  lu  le  rencontreras,  saisis -le  et 
ramène-le,  lui  et  ses  compagnons.  La  domination  de  Bahrâm 
à  Madâïn  dura  un  an. 

Parwiz  et  ses  amis  étaient  endormis  dans  l'ermitage;  l'a- 
nachorète vint  les  réveiller,  disant  :  Levez-vous,  il  arrive  une 
armée.  Ils  demandèrent  où  elle  était.  L'anachorète  dit  :  Je 
l'aperçois  à  deux  parasanges  d'ici.  Ils  furent  paralysés  par 
la  frayeur,  sachant  bien  que  ces  troupes  venaient  h  leur  re- 
cherche ,  et  ils  se  préparèrent  à  la  mort.  Parwîz  dit  :  Qu'allons- 
nous  faire?  Emettez  un  avis;  car  l'homme  intelligent,  quel- 
que grande  que  soit  sa  terreur,  ne  perd  pas  la  faculté  de  la 
résolution  et  de  l'action.  Bendouï  dit  :  Je  sais  une  ruse  par 
laquelle  je  pourrai  te  sauver,  en  m'exposant  à  ta  mort  moi- 
même.  Parwiz  dit  :  0  mon  oncle,  peut-être  ne  seras-tu  pas 
tué;  car  la  vie  est  entre  les  mains  de  Dieu.  Mais  si  tu  es 
tué  en  me  sauvant,  tu  auras  acquis  par  là  une  gloire  éter- 
nelle, et  si  tu  es  sauvé,  tu  en  auras  encore  plus  d'honneur. 


PARTIE  11,  CHAPITRE  Ll.  281 

Bcndouï  dit  :  Dépouilie-loi  de  tous  tes  vêtements  et  donne- 
les-moi  ;  monte  à  cheval  et  pars  avec  tes  compagnons,  et  laisse- 
moi  entre  les  mains  des  soldats.  Parwiz  déposa  ses  habits 
royaux,  les  donna  à  Bendouï,  et  partit  avec  Bostam  et  les 
autres  amis.  Bendouï  se  revêtit  des  habits  de  Parv^iz  et  dit  au 
moine  :  Si  tu  me  trahis ,  je  te  tuerai.  Le  moine  répliqua  : 
Fais  ce  que  tu  voudras,  je  ne  dirai  rien.  Bendouï,  revêtu 
des  habits  de  Parwiz,  ayant  sur  la  tête  le  diadème  avec  les 
pierres  précieuses,  monta  sur  le  toit  de  Termitage  et  y  resta 
jusqu'à  ce  que  Tarmée  approchât.  Les  soldats,  le  voyant 
avec  des  vêtements  brodés  d'or  et  les  pierres  précieuses  qui 
brillaient  au  soleil,  ne  doutèrent  point  que  ce  ne  fût  le  roi, 
et  ils  entourèrent  l'ermitage.  Alors  Bendouï  descendit  du 
toit,  mit  ses  propres  habits,  revint  sur  le  toit  et  cria  à  l'ar- 
mée :  Je  suis  Bendouï;  dites  à  votre  chef  d'approcher  d'ici, 
afin  que  je  lui  communique  un  message  de  la  part  de  Kesra, 
qui  l'a  ainsi  ordonné.  Bahrâm-Seyâouschân  sortit  des  rangs 
de  son  armée  et  s'approcha  de  l'ermitage.  Bendouï  le  salua,  et 
le  salua  de  la  part  de  Parwiz,  disant  :  Kesra  te  salue  et  te  fait 
dire  :  Loué  soit  Dieu  de  ce  que  c'est  toi  qui  es  venu  après 
nous!  Bahrâm  le  reconnut,  le  salua  et  dit  :  Je  suis  l'esclave 
de  Parwiz.  Bendouï  dit  :  Parwiz  te  fait  dire  :  11  y  a  aujour- 
d'hui trois  jours  que  je  suis  à  cheval  et  dans  l'affliction.  Je 
sais  qu'il  me  faudra  certainement  aller  avec  toi  et  me  confier 
à  la  décision  de  Dieu.  Si  tu  le  juges  convenable,  arrête-toi  un 
jour,  jusqu'au  soir,  afin  que  nous  nous  reposions ,  et  que  toi 
et  tes  hommes  vous  preniez  également  du  repos.  Quand  la 
nuit  tombera,  nous  partirons.  Seyâouschân  répondit:  Certai- 
nement; et  c'est  là  la  moindre  faveur  que  le  roi  Parwiz  puisse 
me  demander;  je  suis  son  serviteur.  Lorsque  le  soleil  baissa, 
Bendouï  vint  à  l'enceinte  de  l'ermitage,  appela  Bahrâm  et 


282  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

lui  dit  :  Pàrwiz  te  fait  dire  :  Tu  m'as  montré  de  la  bienveil- 
lance aujourd'hui,  en  m'accordant  un  délai  jusqu'à  la  nuit 
tombante;  il  faut  que  tu  m'accordes  encore  cette  nuit,  que 
nous  partions  au  matin.  Bahrâm  consentit.  Il  fit  demeurer 
ses  troupes  autour  de  l'ermitage,  et,  au  point  du  jour,  il  les 
rassembla ,  et  cria  à  Bendouï  :  Il  faut  partir.  Bendouï  dit  :  Il 
va  venir.  Ils  restèrent  ainsi  jusqu'à  ce  que  le  soleil  fût  com- 
plètement levé.  Bendouï  voulait  tarder  jusqu'au  milieu  du 
jour,  mais  Bahrâm  devint  pressant.  Alors  Bendouï  ouvrit  la 
porte ,  sortit  et  dit  :  Me  voilà  seul  ;  Parwtz  est  parti  dès  hier,  il 
est  en  pleine  fuite  ;  j'ai  voulu  vous  retarder  d'un  jour  et  d'une 
nuit,  afin  qu'il  pât  prendre  l'avance.  Maintenant,  à  moins  de 
marcher  avec  les  nuages  et  le  vent ,  vous  ne  l'atteindrez  pas. 
Faites  ce  que  vous  voudrez.  Bahrâm  -  Seyâouschân  fut  con- 
fondu; il  fit  saisir  Bendouï  et  l'amena  auprès  de  Bahrâm, 
qui  lui  dit  :  Scélérat,  n'était-ce  point  assez  d'avoir  tué  le  roi 
Hormuzd?  Devais-tu  encore  faire  échapper  d'entre  mes  mains 
ce  bâtard?  Je  te  ferai  mourir  devant  tout  le  peuple,  afin  que 
tu  lui  serves  d'exemple.  Mais  j'attendrai  jusqu'à  ce  que  j'aie 
pris  aussi  Bostâm  et  Parwiz ,  et  alors  je  vous  ferai  mettre  à 
mort  tous  ensemble.  Il  confia  Bendouï  à  Bahrâm  -  Seyâou- 
schân,  en  lui  recommandant  de  le  tenir  étroitement  enfermé 
jusqu'à  ce  que  Dieu  lui  eût  amené  les  autres. 

Bahrâm-Seyâouschân  conduisit  lui-même  Bendouï  dans  sa 
propre  maison  et  l'y  tint  enfermé.  Il  le  traitait  bien,  le  faisait 
demeurer  pendant  le  jour  dans  son  appartement,  et  passait 
les  nuits  à  boire  et  à  causer  avec  lui  jusqu'au  matin,  dans 
l'espoir  qu'un  jour  Parwiz  reviendrait  et  lui  ferait  du  bîeo. 
Or  il  se  passa  ainsi  plusieurs  mois,  Bahrâm  tenant  tou- 
jours le  pouvoir.  Il  existait  un  jeune  fils  d'Hormuid»  nommé 
Schehryâr.  Bahrâm  ne  se  fit  pas  proclamer  roi;  il  disait  : 


PARTIE  II,  CHAPITRE  Ll.  283 

Je  garde  la  souveraineté  à  Schebryâr,  fils  d^Hormuzd  ;  quand 
il  sera  grand,  je  la  lui  remettrai.  Après  trois  ou  quatre  mois, 
une  nuit,  Bahrâm-Seyâouschân  et  Bendouï  étant  à  boire  et 
à  causer,  Bendouï  dit  :  Je  suis  certain  que  le  pouvoir  de  Bah- 
râm  n'est  pas  solidement  établi  et  qu'il  ne  lui  restera  pas, 
car  il  exerce  la  tyrannie;  il  s'est  emparé  du  gouvernement 
par  la  violence,  et  Dieu  lui  demandera  justice  pour  Parwîz. 
Bahrâm-Seyâouschân  répliqua  :  Je  te  crois  comme  toi,  Dieu 
le  punira,  et  si  Dieu  me  donne  la  force,  j'espère  accomplir 
cette  punition.  Bendouï  dit  :  Que  comptes-tu  faire?  L'autre 
répondit  :  J'ai  l'intention,  un  jour  que  je  serai  dans  l'arène, 
sous  prétexte  déjouera  la  raquette,  quand  Babrâm  sortira 
du  palais,  de  le  tuer,  de  ramener  Parwîz  et  de  le  placer  sur 
le  trône.  Bendouï  dit  :  Mais  quand  veux-tu  le  faire?  Seyâou- 
schân  répondit  :  A  li'importe  quel  moment,  quand  j'en  trou- 
verai Je  moyen.  Bendouï  dit:  Ce  moment  est  demain.  L'autre 
répliqua  :  Tu  as  raison.  Ils  convinrent  donc  d'agir  le  lende- 
main. Ce  jour,  Bahrâm-Seyâouschân  se  leva  ,  mit  sa  cotte  de 
mailles  et,  par-dessus,  le  pourpoint  du  jeu,  et  prit  la  raquette 
pour  aller  sur  l'arène.  Bendouï  lui  dit  :  Si  tu  veux  exécu- 
ter ce  dessein,  délivre-moi  d'abord  de  mes  liens,  et  donne- 
moi  un  cheval  et  des  armes,  afin  que,  s'il  t'arrive  quelque 
chose,  je  puisse  te  secourir.  Babrâm  fit  ainsi,  monta  à  che- 
val et  partit,  tandis  qup  Bendouï  resta  dans  la  maison.  La 
nièce  de  Babrâm -Tschoubi'n,  qui  était  la  femme  de  Bah- 
râm-Seyâouschân, envoya  une  personne  à  son  oncle  et  lui 
fit  dire  :  Mon  mari  a  revêtu  aujourd'hui  l'habit  du  jeu  de 
raquette  et  est  parli  avec  la  raquette,  mais  il  porte,  par- 
dessous  le  pourpoint,  une  cotte  de  mailles.  Je  ne  sais  pas  ce 
que  cela  signifie  ;  garde-loi  de  lui.  Babrâm-TschouMn  eut 
des  appréhensions;  il  pensa  que  Bahrâm-Seyâouschân  avait 


284  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

conjurd  avec  toute  Tarinéc  pour  le  tuer.  Il  monta  à  cheval, 
prit  la  raquette  et  se  tint  h  un  bout  de  Farène,  frappant 
l(Ç|îèrement  sur  le  dos  tous  ceux  qui  passaient  près  de  lui. 
Comme  il  ne  trouva  personne  avec  une  cotte  de  mailles,  il 
reconnut  que  Bahràm-Seyâouschân  avait  formé  son  plan  à  lui 
seul.  Il  tint  son  épée  prête,  et  lorsque  Bahrâm-Seyâouschân 
vint  auprès  de  lui,  quil  le  toucha  avec  la  raquette  et  enten- 
dit le  son  de  la  cotte  de  mailles,  il  lui  dit  :  Fils  de  courtisane, 
pourquoi  as-tu,  dans  Tarène  et  pour  le  jeu  de  raquette,  une 
cotte  de  mailles?  Il  le  frappa  avec  Tépée  et  lui  trancha  la  i^\e. 
Bendouï,  à  cette  nouvelle,  monta  à  cheval  et  partit,  se  diri- 
geant vers  TAderbidjân.  Lorsque,  le  lendemain,  Bahrâm  fit 
chercher  Bendouï,  on  lui  dit  qu'il  s'ëtait  enfui.  Il  regretta 
beaucoup  de  ne  Tavoir  pas  tud. 

Le  lendemain,  Bahràm  apprit  que  Ton  disait  dans  Tar- 
mée  qu'il  n'avait  pas  le  droit  de  conserver  le  pouvoir.  Il 
fit  rassembler  toutes  les  troupes;  on  plaça  des  coussins  de 
brocart  les  uns  sur  les  autres  et  il  s'y  assit,  afin  que  tous 
pussent  le  voir;  il  occupa  le  trône  royal,  la  couronne  sur  la 
tête.  Il  harangua  l'assemblée,  adressa  des  louanges  à  Dieu, 
pria  pour  Nouschirwân  et  tous  les  rois,  puis  il  dit  :  Vous 
n'avez  jamais  entendu,  ô  hommes,  que  quelqu'un  ait  agi 
envers  son  père  comme  a  (ait  Parwiz,  qui ,  pour  la  possession 
du  monde,  a  tué  son  père;  mais  Dieu  lui  a  ôté  le  pouvoir 
et  le  punira  dans  l'autre  monde.  Jamais  homme  n'a  traité 
quelqu'un  avec  autant  de  bonté  que  j'en  ai  eu  pour  Bahrâm- 
Seyâouschân,  qui  m'a  trahi  et  a  cherché  h  me  tuer;  mais  Dieu 
l'a  fait  périr  par  ma  main.  Je  ne  veux  pas,  à  hommes,  ce 
royaume  pour  moi-même,  mais  je  veux  pour  roi  Schehryâr. 
Quant  à  Parwiz,  qui  a  tué  son  père,  il  n'a  pas  de  part  au 
royaume  de  son  père  et  n'a  pas  de  droits  â  l'héritage.  L'as- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LI.  285 

semblée  devint  tumultueuse;  les  uns  s'écrièrent  :  Nous  accep- 
tons Rahrâm  comme  roi  jusqu'à  la  majorité  de  Schekryâr. 
D'autres  dirent  :  Parwîz  a  plus  de  droits  au  trône,  car  il  est 
innocent  du  meurtre,  il  ne  Ta  ni  ordonné  ni  désiré.  Bahrâm, 
voyant  qu'ils  étaient  divisés,  dit  :  Faites  silence,  je  vais  dire 
une  parole  selon  la  justice.  Tous  se  turent,  et  Bahrâm  dit  : 
Ce  royaume  appartient  à  Schehryàr;  je  le  lui  transmettrai 
quand  il  sera  grand  ;  je  ne  reconnais  pas  le  droit  de  Parwfe 
au  trône  de  son  père,  et  je  ne  le  lui  donnerai  point.  Vous 
autres  qui  êtes  attachés  à  Parwîz,  je  ne  vous  ferai  pas  mettre 
à  mort  et  je  ne  vous  combattrai  pas;  je  vous  excuse.  Mais 
quiconque  lui  est  attaché  et  n'accepte  pas  le  gouvernement 
de  Schehryàr,  qu'il  quitte  le  royaume  en  paix  et  qu'il  aille  oii 
il  voudra.  Je  vous  accorde  un  délai  de  trois  jours.  Si,  après 
trois  jours,  je  trouve  un  de  ces  opposants  dans  le  pays,  je  le 
ferai  mettre  à  mort  sans  faute.  Sur  ces  [)aroles,  les  hommes 
se  dispersèrent.  Le  troisième  jour,  vingt  mille  hommes  des 
adversaires  de  Bahrâm  sortirent  de  Madâïn  et  se  dirigèrent 
vers  TAderbidjân,  auprès  de  Bendouï,  qui  leur  dit  :  Parwîz 
est  allé  auprès  du  roi  de  Roum  ;  j'attends  d'un  moment  a 
l'autre  qu'il  revienne  avec  une  armée  pour  attaquer  Bahrâm. 
Restez  ici  et  attendez.  Les  troupes  demeurèrent. 

Bahrâm,  ayant  saisi  le  pouvoir,  régnait  sans  contesta- 
tion. Il  envoya  des  lieutenants  dans  les  provinces.  Il  s'asseyait 
sur  le  trône  d'or,  mettait  la  couronne  sur  sa  tête  et  donnait 
audience  au  peuple.  Il  gardait  Schehryàr  dans  son  apparte- 
ment, ne  voulant  pas  le  faire  voir  au  peuple  avant  qu'il  fût 
grand.  Bahrâm  ne  s'intitulait  pas  roi  ;  il  écrivait  aux  fonc- 
tionnaires en  ces  termes  :  Moi  Bahrâm,  fils  de  Bahrâm,  fils 
de  ^Hasfs,  gardien  de  l'empire.  Il  recevait  les  impôts,  payait 
les  traitements  et  administrait  tout  le  royaume,  en  respec- 


i86  CHROIQIE  DE  TABARI. 

tant  les  lois.  Personne  ne  put  Tatteindre ,  jusqu'au  jour  où 
Pamii  reTint  de  Roum  et  Tatfaqua. 


CHAPITRE  LU. 

PARWÎZ  ET  LE  CÉSiR  DE  lOrV. IL  1AVÈ5K  CÏIB  AIM^B  À  «ADAÎ^. 

Lorsque  Pamiz,  ayant  donne  ses  habits  à  Bendouî,  fut 
sorti  de  Femiitage.  lui.  son  oncle  Bostâm  et  ses  dix  compa- 
gnons coururent  pendant  trois  jours  et  trois  nuits.  Alors, 
harassés  de  fatigue  et  de  faim .  ils  arrivèrent  à  un  parc  sur  les 
bords  de  FEuphrate.  Parwiz  dit  à  ses  amis  :  Entrei  dans  ce 
parc .  peut-être  trourerei-vous  quelque  gibier;  nous  ayons  tous 
faim.  Ils  se  dispersèrent  dans  le  parc,  leurs  arcs  tendus:  mais, 
malgré  leurs  courses,  ils  ne  trouvèrent  rien,  et  sortirent  affa- 
més et  épuisés.  Ils  virent  passer  sur  la  route  un  Arabe  monté 
sur  un  chameau.  Parwiz  Tappela  et  lui  demanda  d'oà  il  était. 
L'Arabe  lui  dit  qu'il  était  de  ta  tribu  de  Taj-y.  Parwii,  con- 
naissant la  langue  arabe  et  ayant  lu  les  généalogies  arabes, 
lui  dit  :  De  quelle  branche  des  Beni-Tayy  es-tu?  L*Arabe  dit  : 
Des  Beni-^Hanzhala.  Quel  est  ton  nom?  lui  demanda  Parwiz. 
L'Arabe  répondit  :  lyâs,  fils  de  QaWça.  Cétait  un  homme 
considérable,  Tun  des  principaux  de  la  tribu.  Parwtz  lui  dit  : 
Je  connais  ton  nom.  L'Arabe  dit  :  Qui  es-tu  ?  Je  suis  Parwîi, 
répondit  l'autre,  fils  d'Hormuzd.  lyàs  descendit  de  sa  mon- 
ture, baisa  la  terre  devant  lui  et  dit  :  0  roi,  quet'est-il  anÎTé? 
Parwiz  dit  :  L'un  de  mes  généraux  s'est  révolté  contre  moi  et 
je  suis  en  fuite  devant  loi;  maiotenant,  moi  et  mes  compa- 
gnons nous  sommes  affamés  plus  que  nous  ne  pooiFons  le  dire; 
donne-nous  aujourd'hui  l'hospitalité.  lyâs  dit  :  Certaineoient; 
vous  me  faites  honneur;  venez  avec  moi  dans  la  tribo.  Parwtz 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LU.  287 

dit  :  Ta  tribu  où  est-elle?  Elle  est  près  d'ici ,  répondit  [yàs,  qui 
se  mit  en  route ,  suivi  de  Parwîz  et  de  ses  compagnons.  Arrives 
sur  le  territoire  des  Benî-Tayy,  ils  trouvèrent  une  puissante 
tribu,  dont  les  principaux  membres  les  reçurent,  en  les  faisant 
descendre  chez  eux  et  en  prenant  leurs  chevaux,  à  qui  ils  don- 
nèrent de  la  paille.  Parwiz  dit  :  Nous  craignons  que  quelqu'un 
ne  vienne  à  notre  poursuite.  lyâslui  dit:  Aussi  longtemps  que 
tu  seras  dans  cette  tribu ,  sois  tranquille.  Parwîz  sourit  et  dit  : 
0  Arabe,  si  quelqu'un  venait  à  notre  poursuite,  comment  ta 
tribu  pourrait-elle  résister?  Donne-nous  vite  quelque  chose 
à  manger,  que  nous  parlions.  lyâs  remplit  un  vase  de  lait 
frais,  le  leur  présenta  avec  des  dattes  et  dit  :  Mangez ,  en  atten- 
dant que  le  pain  soit  prêt.  Ils  en  mangèrent  un  peu.  Ensuite 
lyâs  fit  fermenter  de  la  pâte  de  farine  et  la  fit  cuire ,  comme  font 
les  chameliers  et  les  bergers  dans  les  champs ,  en  creusant  un 
trou  dans  le  sol,  le  remplissant  de  feu,  et  en  mettant  la  pâte 
au  milieu  du  feu,  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  cuite.  Puis  il  fit  tuer 
et  rôtir  un  agneau ,  et  leur  présenta  ce  pain  et  cette  viande. 
Ils  mangèrent  et  furent  rassasiés;  ensuite  ils  se  mirent  à 
dormir  jusqu'au  soir.  Alors  ils  voulurent  partir,  mais  lyâs 
dit  :  n  y  a  d'ici  aux  confins  du  désert  trois  journées  de  route. 
Il  vous  faut  nécessairement  de  la  nourriture  pour  trois  jours, 
un  guide  qui  vous  conduise  en  dehors  du  désert,  et  des  mon- 
tures fraîches,  car  les  vôtres  sont  fatiguées*.  Parwîz  dit  :  Qui 
nous  donnera  ces  provisions  et  ces  montures?  lyâs  répondit  : 
C'est  moi  qui  vous  les  donnerai.  Couchez  ici  cette  nuit,  demain 
matin  j'aurai  tout  préparé.  Ils  firent  ainsi.  lyâs  fit  tuer  et 
rôtir  trois  moutons  et  cuire  sur  le  charbon  trois  grands  pains; 
on  amena  douze  dromadaires;  sur  dix  de  ces  animaux  il  fit 
monter  Parwîz  et  ses  compagnons,  en  monta  un  lui-même, 
et  sur  un  autre  il  fit  placer  les  provisions  et  monter  un  esclave. 


288  CHROiNIQUE  DE  TABARI. 

et  il  partit  ainsi  avec  eux.  Chaque  jour  de  route  il  leur  donna 
un  pain  et  un. mouton.  Le  troisième  jour,  ils  arrivèrent  à  la 
terre  cultivée,  montèrent  sur  leurs  chevaux  et  rendirent  les 
chameaux  a  lyâs.  Parwiz  lui  dit  :  Tu  m'as  fait  éprouver  ta 
bonté  et  tu  m'as  attaché  par  les  liens  de  la  reconnaissance. 
Il  faut,  quand  je  reviendrai  de  la  cour  du  roi  de  Roum  et  que 
je  recouvrerai  mon  royaume ,  que  tu  viennes  chez  moi ,  afin 
que  je  te  récompense.  lyâs  répliqua  :  Nousautres  Arabes,  quand 
nous  donnons  l'hospitalité  à  quelqu'un ,  nous  n'en  attendons 
pas  de  récompense  et  nous  n'allons  pas  la  chercher.  Mais  si 
tu  recouvres  ton  royaume,  et  lorsque  tu  occuperas  le  trône, 
j'irai  et  je  te  rendrai  hommage.  Parwiz  fut  honteux  de  ses 
paroles,  et  lyâs  retourna  dans  sa  tribu. 

Parwtz  et  ses  compagnons  s'arrêtèrent  à  Raqqa.  Cette  ville 
étant  sous  la  domination  du  roi  de  Roum,  ils  y  furent  en 
sûreté,  y  restèrent  trois  jours  et  s'y  reposèrent.  Ensuite  ils 
continuèrent  leur  voyage.  Ils  rencontrèrent  sur  leur  route 
un  ermitage ,  à  la  porte  duquel  ils  descendirent  pour  se  re- 
poser. L'anachorète  monta  sur  le  toit,  regarda  en  bas  et 
(lit  :  Qui  êtes- vous?  Parwjz  répondit  :  Je  suis  un  envoyé  du 
roi  de  Pei*se  et  je  me  rends  auprès  du  roi  de  Roum.  L'ana- 
chorète répliqua  :  Tu  n'es  pas  un  envoyé,  tu  es  le  roi  de 
Perse  lui-même,  en  fuite  devant  un  de  tes  propres  généraux^ 
tu  vas  trouver  le  roi  de  Roum  pour  obtenir  de  lui  du  secours 
et  une  armée.  Parwiz  dit  :  Quel  mal  y  aurait-il  si  tu  descen- 
dais auprès  de  nous  ?  L'anachorète  étant  descendu ,  Parwiz 
lui  dit  :  Excuse-moi ,  je  ne  savais  pas  que  ^ tu  avais  une  telle 
science.  Or  dis-moi  comment  je  réussirai  auprès  du  César. 
L'autre  répondit  :  Le  César  te  donnera  sa  fille  en  mariage, 
et  te  renverra  avec  son  fils  et  une  armée  de  soixante  et  dix 
mille  hommes,  et  tu  recouvreras  ton  royaume.  Parwtz  dit  : 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LU.  289 

Quand  occuperai-je  le  trône?  L'anachorète  répondit  :  Dans 
environ  dix-sept  ou  dix-huit  mois.  —  Quelle  sera  la  durée 
de  mon  règne?  —  Trente-huit  ans.  —  D'où  sais-tu  tout  cela? 
lui  demanda  Parwiz.  L'anachorète  dit  :  Des  écrits  du  pro- 
phète Daniel,  qui  a  prédit  le  nombre  des  rois  de  Perse,  la 
durée  du  règne  de  chacun  en  particulier  et  l'époque  où  il 
vivra.  Parwîz  reprit  :  Qui  aura  le  royaume  après  moi?  L'ana- 
chorète dit  :  Ton  fils,  nommé  Schîrouï,  pendant  quelques 
mois  seulement;  ensuite  ta  fille,  pendant  quelques  années, 
et  ensuite  ton  petit-fils;  puis  il  sera  enlevé  à  celui-ci  par 
des  Arabes,  les  descendants  d'Ismaël,  fils  d'Abraham,  qui 
s'établiront  en  Perse,  se  nourrissant  de  lait,  de  dattes  et  de 
viande,  et  qui  conserveront  ce  royaume  jusqu'au  jour  de  la 
résurrection.  Parwtz  dit  :  Est-ce  que  quelqu'un  se  révoltera 
contre  mon  pouvoir?  L'autre  répondit  :  Oui,  tu  as  un  oncle 
nommé  Bostâm,  qui  se  révoltera;  mais,  après  trois  ans,  tu 
triompheras  de  lui.  Parwîz  dit  à  Bostam  :  Remarque  ce  que 
dit  cet  anachorète,  que  tu  te  révolteras  contre  moi.  Bostâm 
répliqua  :  Il  ment.  Parwîz  dit  :  Alors  engage-toi  envers  moi 
par  serment  que  tu  ne  me  trahiras  pas  et  que  tu  ne  trameras 
aucun  acte  séditieux.  Bostâm  fit  ce  que  Parwîz  désira. 

Ils  partirent  de  là,  et  arrivèrent  à  Antioche.  Parwîz  fit 
écrire  une  lettre  au  César,  roi  de  Boum,  nommé  Maurice, 
et  la  fit  porter  par  Bostâm  et  cinq  hommes.  Lui-même 
demeura  à  Antioche.  La  lettre  était  ainsi  conçue  :  Je  viens 
pour  implorer  ta  protection  contre  un  de  mes  généraux, 
nommé  Bahrâm-Tschoubîu ,  qui  a  soulevé  l'armée  contre  moi 
et  m'a  enlevé  le  pouvoir.  Je  place  mon  salut  en  toi  et  forme 
l'espoir  que  tu  voudras  me  secourir  d'une  armée  et  de  moyens 
pour  recouvrer  mon  royaume.  Ces  messagers  partirent  pour 
Constantinople ,  se  rendirent  à  la  résidence  du  roi  et  deman- 
II.  19 


290  CHRONIQUK  DK  TABARI. 

dèrent  une  audience.  On  avertit  le  roi  que  des  envoyés  du 
roi  de  Perse  étaient  à  la  porte.  Il  les  fit  introduire  et  fit  placer 
pour  chacun  un  siège  d'or.  Ceux-ci  lui  remirent  la  lettre  de 
Parwîz.  Le  roi  leur  dit  de  s'asseoir.  Ils  répondirent  :  Noos 
sommes  des  solliciteurs,  à  qui  il  ne  convient  pas  de  s'asseoir 
avant  que  leur  demande  soit  agréée;  si  tu  accèdes  à  notre 
sollicitation,  nous  prendrons  place;  sinon,  permets  que  nous 
restions  debout  pour  nous  en  retourner  immédiatement.  Le 
César  dit  en  langue  grecque  à  ses  familiers  :  Ce  sont  des 
gens  intelligents.  En  lisant  la  lettre,  il  fut  fort  affligé  au  sujet 
de  Parwiz,  et  dit  aux  ambassadeurs  :  Hormuzd  fut  mon  frère, 
et  ParwJz  est  le  fils  de  mon  frère  ;  je  veux  lui  prêter  aide  et 
lui  donner  une  armée  et  de  l'argent.  Ils  remercièrent  le  César 
et  s'assirent  sur  les  sièges.  Après  quelque  temps,  ils  se  levèrent 
et  se  retirèrent.  Le  César  donna  ordre  de  les  loger  dans  les 
plus  beaux  châteaux.  Ensuite  il  convoqua  ses  ofiiciers,  leur  fit 
lecture  de  la  lettre  de  Parwiz,  et  demanda  leur  avis.  L'un 
d'eux  dit  :  0  roi ,  tu  sais  quels  malheurs  le  pays  de  Roum  a 
éprouvés  de  la  part  des  Perses  depuis  les  temps  d'Alexandre 
le  Grec;  combien  d'armées  ils  ont  envoyées  contre  nous,  et 
combien  de  massacres  ils  nous  ont  infligés.  Et  maintenant 
qu'ils  sont  occupés  d'eux-mêmes  et  qu'ils  se  font  la  guerre 
entre  eux,  nous  sommes  tranquilles;  laisse-les  dans  cette 
situation  ;  ne  prends  parti  ni  pour  l'un  ni  pour  l'autre.  Tous 
les  assistants  dirent  :  0  roi,  il  a  raison.  I^  grand  évéque 
garda  le  silence;  le  roi  lui  dit  :  Quelle  est  ton  opinion? 
L'évéque  répondit  :  Il  ne  sied  pas  au  roi  que  quelqu'un, 
victime  d'une  injustice,  ayant  été  dépouillé  de  son  royaume, 
venant  lui  demander  assistance,  et  pouvant  être  secouru, 
n'obtienne  pas  de  secours.  Aujourd'hui  cet  homme  vient  te 
solliciter,  demain  tu  pourras  être  solliciteur  auprès  de  lui. 


PARTIE  II,  CHAPITHE  LU.  291 

Le  roi  approuva  ces  paroles.  Il  donna  Tordre  à  son  arinëe  de 
se  préparer,  et  en  désigna  soixante  et  dix  mille  hommes,  aux- 
quels il  paya  la  solde,  et  plaça  à  leur  tête  son  fds  Binâtoui 
(Théodose).  Il  invita  Parwiz  par  une  lettre  à  venir  le  voir. 
Parwîz  arriva.  Le  César  lui  donna  en  mariage  sa  fille  nom- 
mée Marie,  et  lui  offrit  cette  armée,  complètement  armée  et 
pourvue  de  tout.  Il  y  avait  dans  les  rangs  de  cette  armée 
quelques  hommes  qu  on  appelait  ft  hommes  de  mille,  v  et  dont 
chacun  était  réputé  égal  à  mille  hommes.  Toutes  les  fois  que 
le  César  voulait  envoyer  quelque  part  mille  hommes,  il  fai- 
sait partir  Tun  de  ces  hommes,  qui  accomplissait  Tœuvre  de 
mille  soldats.  Le  César  les  confia  donc  à  Parwiz ,  en  lui  faisant 
connaître  ces  circonstances.  Il  lui  remit  Tarmée,  à  la  tête  de 
laquelle  il  avait  placé  son  fils  Théodose,  une  grande  somme 
d'argent  et  sa  fille  Marie ,  et  il  le  fit  partir  ainsi.  Il  raccom- 
pagna jusqu'à  la  troisième  station ,  ensuite  il  s'en  retourna. 

Parwiz,  quittant  le  pays  de  Roum,  avec  le  fils  et  la  fille  du 
roi,  avec  les  soixante  et  dix  mille  hommes  et  une  grande  quan- 
tité de  richesses,  se  dirigea  vers  l'Aderbidjân.  Lorsqu'il  arriva  à 
la  frontière  de  cette  province ,  son  oncle  Bendouï ,  accompagne 
des  vingt  mille  hommes  qui  l'avaient  rejoint,  vint  à  sa  rencontre. 
N'étant  plus  qu'à  une  courte  distance  de  Parwiz,  Bendouï 
et  un  de  ses  cavaliers  quittèrent  les  rangs  et  marchèrent  en 
avant.  Parwiz  etBostâm  devancèrent  également  leurs  troupes. 
Quand  les  deux  corps  d'armée  furent  en  vue  l'un  de  l'autre, 
Parwiz  dit  à  Bostâm  :  Quels  sont  les  deux  cavaliers  qui  arri- 
vent là?  Bostâm  répondit  :  L  un  d'eux  est  mon  frère  Ben- 
douï, mais  je  ne  connais  pas  l'autre.  Parwiz  répliqua  :  Tu  es 
fou!  Bendouï,  au  moment  où  il  fut  entrainé  de  l'ermitage,  a 
été  tué  ou  fait  prisonnier.  Lorsqu'ils  se  furent  rapprochés, 
Bendouï   reconnut  Parwîz;    il   descendit  de  son   cheval  et 

J9- 


29*2  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

baisa  la  terre  devant  lui.  Alors  Parwîz  le  reconnut  également, 
s'approcha  et  exprinna  sa  joie.  Il  fit  remonter  Bendoaî  sur 
son  cheval  et  continua  sa  route  avec  lui  et  Bostâm.  Tous  les 
trois  se  denriandèrent  réciproquement  de  leurs  nouvelles. 
Bendouï  raconta  ses  aventures  depuis  qu'il  ëtait  sorti  de 
l'ermitage,  l'histoire  de  Bahrâm  et  de  ses  adversaires,  qui,  au 
nombre  de  vingt  mille,  par  attachement  pour  Parwtz,  étaient 
venus  le  rejoindre.  Parwîz  dit  :  Je  suis  plus  heureux  de  t* 
présence  que  de  celle  de  cette  armée.  H  continua  sa  marche 
et  arriva  dans  la  ville  de  Schiz,  où  il  fit  halte.  Schiz  est  une 
ville  considérable  de  l'Aderbîdjân,  qui  renfermait  un  grand 
pyrée. 

Bahrâm ,  à  la  nouvelle  de  l'arrivée  de  Parwîz,  prépara  son 
armée  et  quitta  Madâïn  avec  cent  mille  hommes.  11  mar- 
chait à  sa  rencontre  et  n'était  plus  séparé  de  lui  que  par  la 
distance  d'une  parasange.  Le  lendemain,  les  deux  armées 
furent  en  présence,  se  formèrent  en  ordre  de  bataille,  prêtes 
à  combattre.  BahnAm,  se  tenant  au  centre,  monté  sur  un 
cheval  pie,  fut  reconnu  par  Parwîz,  que  de  son  côté  il  dis- 
tingua également.  Il  y  avait  dans  l'armée  de  Bahram  trois 
Turcs  d'une  remarquable  bravoure,  qui,  le  jour  où  Bahrâm 
avait  livré  bataille  à  l'armée  turque,  s'étaient  rendus  à  lui, 
lui  demandant  la  vie  sauve.  C'étaient  les  plus  vaillants 
hommes  de  tout  le  Turkestan.  Ces  trois  hommes  sortirent 
des  rangs  de  l'armoe  de  Bahrâm  et  dirent  à  Parwtz  :  Nous  te 
donnons  un  défi  ;  nous  allons  combattre  contre  toi  l'un  après 
l'autre;  avance.  Parwîz  s'avança;  mais  Théodose  lui  dit  : 
Ne  va  pas,  il  ne  faut  pas  que  le  roi  sorte  pour  combattre. 
Parwtz  répliqua  :  Quand  on  appelle  le  mattre  au  combat, 
il  ne  faut  pas  qu'il  recule;  cela  serait  honteux.  Si  un  âne 
perd  sa  charge,  le  maître  de  l'âne  est  obligé  de  la  remettre 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LU.  293 

sur  ràiie.  11  s  avança  donc,  el  Y  un  des  trois  Turcs  se  présenta 
devant  lui.  Parwiz  Tattaqua,  le  renversa,  avec  sa  lance,  de 
dessus  son  cheval ,  le  frappa  de  son  épée  et  le  tua.  Lorsque 
Tautre  parut,  Parwiz  lui  asséna  un  coup  d'épée,  qui  lui 
fendit  en  deux  le  heaume  et  la  tête.  Le  troisième  tourna  le 
dos  el  s'enfuit.  Parwîz  s'élança  après  lui ,  et  d'un  coup  d'épée 
sur  répaule  il  lui  enleva  la  moitié  du  corps.  Ensuite  il  rentra 
dans  son  camp.  Ni  les  Grecs  et  ni  les  Perses  ne  s'étaient  doutés 
que  Parwîz  eût  tant  de  courage  et  de  force;  tous  furent 
remplis  de  joie;  Théodose  descendit  de  cheval  et  baisa  Tétrier 
de  Parwiz,  et  tous  les  soldats  baisèrent  la  terre  devant  lui. 
L'un  des  dix  qui  avaient  la  valeur  de  mille  hommes  vint 
auprès  de  Parwîz  el  lui  dit  ;  0  roi,  toi  qui  as  tant  de  courage, 
pourquoi  donc  as- tu  fui  devant  un  de  tes  propres  généraux? 
Parwiz  fut  blessé  de  cette  parole  et  garda  le  silence.  L'autre 
dit  :  Où. est  ce  cavalier  devant  lequel  tu  as  pris  la  fuite,  en 
venant  en  Roum,  afin  que  j'aille,  seul,  le  combattre  pour  te 
délivrer  de  lui?  Parwîz  dit  :  C'est  celui  qui  est  monté  sur 
un  cheval  pie,  au  centre  de  l'armée,  r L'homme  de  mille t) 
dirigea  son  cheval  de  ce  côté  et  provoqua  Bahrâm  au  combat. 
Bahrâm  se  présenta,  et,  commençant  la  lutte,  frappa  le  Grec 
d'un  coup  d'épée  qui  lui  fendit  la  tête,  traversa  le  pourpoint, 
la  cotte  de  mailles  et  la  cuirasse,  jusqu'aux  arçons  de  la  selle, 
et  entra  dans  le  corps  du  cheval,  de  sorte  qu'une  moitié  de 
l'homme  tomba  d'un  côté  et  une  moitié  de  l'autre.  Parwîz 
éclata  de  rire.  Théodose  et  les  Grecs  furent  blessés  de  ce 
rire,  et  Théodose  lui  dit  :  Pourquoi  ris-tu  de  la  mort  d'un 
homme  si  brave?  Parwîz  répondit  :  Parce  qu'il  m'a  insulté 
au  sujet  de  Bahrâm;  mais  Dieu  lui  a  montré  les  coups  de 
Bahrâm.  Ensuite  Parwîz  le  fit  relever  du  lieu  où  il  était 
tombé,  le  fil  embaumer  avec  de  l'aloès,  du  vert-de-gris  et  du 


294  CHROMQIE  DE   r\BARi. 

camphre ,  et  (it  dessécher  le  corps;  puis  il  le  fil  transporter  sar 
des  dromadaires  auprès  du  Cësar,  avec  une  lettre  ainsi  conçue  < 
Je  t'écris  du  champ  de  bataille.  Tes  hommes  m'ont  insulte  en 
me  reprochant  de  m'étre  enfui  devant  l'un  de  mes  propres 
généraux.  Cest  cet  fr homme  de  millet)  qui  m'a  fait  ce  re- 
proche. Il  a  cherché  lui-même  le  combat  avec  Bahrâm,  qui 
l'a  ainsi  frappé.  Je  t'envoie  son  corps,  afin  que  tu  voies  quels 
sont  les  coups  de  Tliomme  devant  lequel  j'avais  pris  la 
fuite. 

Ce  même  jour,  il  y  eut  un  engagement  entre  les  deux  ar- 
mées, et  un  grand  nombre  de  soldats  furent  tués  ou  blessa. 
La  nuit  les  sépara.  Le  lendemain ,  on  recommença  la  bataille ,  et 
il  y  eut  également  un  grand  nombre  de  morts.  Dans  la  nuit  du 
troisième  jour,  Parwîz  fit  dire  aux  Grecs  :  Reposez-vous  de- 
main, ce  sont  les  vingt  mille  guerriers  perses  qui  combattront. 
Ceux-ci  étaient  commandés  par  un  général  nommé  Mousél 
(Mouschegh),  l'Arménien,  l'un  des  généraux  de  Perse.  Par- 
wiz,  le  lendemain,  lui  ordonna  d'engager  la  lutte.  Les  Perses 
sortirent  et  livrèrent  la  bataille.  Des  deux  côtés  il  y  eut  un 
grand  nombre  de  morts.  Le  soir,  les  deux  armées  rentrèrent 
dans  leurs  camps.  Bahrâm  envoya  à  Parwiz  le  message  sui- 
vant :  Demain  nous  allons  combattre  à  nous  deux,  corps  à 
corps;  je  te  tuerai  ou  je  périrai  par  ta  main.  Parwiz  répon- 
dit :  Très-volontiers.  Le  lendemain,  Bendôuï  et  Bostâm  dirent 
à  Parwîz  :  Nous  n'approuvons  pas  que  tu  te  rendes  à  la  pro- 
vocation de  Bahrâm.  Parwîz  répliqua  :  Qu'en  sera-t-il  î  S'il 
me  tue,  je  serai  délivré  de  moi-même,  et  vous  aussi  serez 
délivrés  de  moi;  car  il  y  a  assez  longtemps  que  vous  êtes 
dans  la  peine  à  cause  de  moi.  Toutes  leurs  prières  furent  inu- 
tiles. 

I^e  lendemain,  les  deux  armées  se  formèrent  en  ordre  de 


PAHT.IK  H,  CHAPITRE  Lil.  295 

bataille;  .Bahidin  sortit  du  milieu  de  sou  armée  et  cria  à 
Parwiz  :  Si  tu  veux  le  royaume,  avance!  Parwiz  sortit,  et  ils 
s'assaillirent.  Bahrùm  tomba  sur  Parwiz  et  voulut  lui  assener 
un  coup.  Parwiz  recula  et  se  mit  à  courir  vers  son  camp  ;  mais 
Bahràm  lui  coupa  le  chemin.  Restant  ainsi  entre  les  deux 
armées,  cherchant  une  issue,  Parwiz  se  sauva,  poursuivi  par 
Bahràm,  jusqu'à  une  montagne  qui  se  trouvait  à  droite  de 
Tarmée.  Alors  Bahràm  lui  cria  :  Où  vas-tu ,  6  bâtard?  Tu  as 
devant  toi  la  montagne  et  derrière  toi  Tépéc  !  Parwiz  descendit 
de  son  cheval,  l'abandonna,  se  dépouilla  de  son  armure  et  se 
mit  à  monter  pour  atteindre  le  sommet.  Bahràm,  arrivé  près 
de  la  montagne,  mit  pied  à  terre  pour  y  poursuivre  Parwii, 
qui  s'arrêta  au  milieu,  ne  pouvant  aller  plus  loin,  parce  que 
cette  montagne  était  fort  élevée  et  roide.  Bahràm ,  n'étant  plus 
qu'à  une  courte  distance ,  tendit  son  arc  pour  lancer  une 
flèche  sur  Parwiz.  Celui-ci  tourna  le  visage  vers  le  ciel  et  dit  ; 
0  Seigneur,  tu  sais  qu'il  agit  injustement  envers  moi;  pro- 
tége-moi  contre  cet  homme  criminel.  Alors  la  force  entra 
dans  le  corps  de  Parwiz;  il  fit  un  eflbrt  et  arriva  au  haut  de 
la  montagne.  Avant  que  Bahràm  eût  tendu  son  arc,  il  était 
déjà  hors  de  sa  vue.  Bahràm  voulut  le  suivre,  mais  il  ne  le  put 
pas.  Les  mages  disent  qu'un  ange  était  venu  prendre  Parwiz 
par  la  main  et  le  conduire  au  sommet  de  la  montagne  ;  mais 
c'est  là  un  mensonge.  Ensuite  Bahràm  descendit  de  la  mon- 
tagne, remonta  à  cheval  et  retourna  au  camp.  Après  quelque 
temps,  Parwiz  descendit  également  de  la  montagne,  remonta 
à  cheval  et  rentra  dans  son  camp.  11  réunit  en  un  seul  corps 
les  Perses  et  les  Grecs,  et  recommença  le  combat.  La  lutte 
dura  jusqu'à  la  nuit,  où  les  deux  armées  rentrèrent,  après 
avoir  perdu  beaucoup  de  monde. 

Bendouï  dit  à  Parwiz  :  0  roi,  les  soldats  de  Bahràm,  ce 


396  CHB«i?(|QlE  DE  TlBlBI. 

floot  te«  propre  «oldat«:  il«  ont  ap|iarfmo  à  Homoid.  H 
Bahrim  krar  fst  étrangler:  c'^  b  rrainte  qui  1^5  emp^be 
de  Tenir  le  rejoindre  ;  fai*-lear  promettre  la  ne  saore.  Parwiz 
\  consentit.  Pendant  la  nuit .  Bendonî  !ie  rendit  seul  derant  le 
camp  de  Bahrâm  et  cria  :  0  Perses .  je  ^ais  Bendonî,  Toncle 
de  Parwii.  ke^ra  vous  accorde  la  vie  sao^e:  tons  ceux  qoi 
tiendront  lai  faire  lear  <oamis$ion  cette  nait  n^amont  rien  à 
craindre  relativement  à  ce  «jui  s'est  pass^.  l^râm.  enten- 
dant cet  appel ,  monta  à  cheval .  prit  une  lance  et  chercha  k 
atteindre  Bendonî.  Ceiai-ci,  le  voyant .  s'enfuit  et  rentra  dans 
le  camp  de  Parwiz.  Cette  même  nait,  tonte  Tannée  de  Bahrim 
passa  dans  les  rangs  de  Parwiz ,  et ,  le  matin ,  des  cent  mille 
hommes  qu'il  avait  eus  il  n'en  resta  pas  plus  de  quatre  mille 
avec  Bahrâm.  Ceiai-ci  dit  à  Merdânschâh  :  Il  faut  partir.  Il 
fit  charger  les  bagages  et  prit  le  chemin  du  Khorâsân  avec 
ses  quatre  mille  hommes. 

Kesra  entra  dans  Madâîn  et  envoya  à  la  poursuite  de  Bah- 
râm  un  de  ses  généraux  avec  huit  cents  hommes,  qui  Tattei- 
gnit  le  troisième  jour.  Bahrâm  fit  halte,  lui  livra  un  combat, 
mit  sa  troupe  en  fuite  et  le  fit  prisonnier.  H  voulut  le  faire 
mettre  à  mort,  mais  le  général  lui  demanda  grâce,  en  disant  : 
Ne  me  fais  pas  tuer,  je  te  suivrai  partout  où  tu  voudras. 
Bahrâm  lui  rendit  la  liberté,  en  lui  disant:  Va,  retourne  au- 
près de  ton  maître;  je  n'ai  que  faire  de  toi.  Ensuite  Bahrâm 
continua  sa  route  et  arriva  près  de  Hamadân.  Il  s'arrêta  dans 
un  des  bourgs  de  ce  territoire,  et  descendit,  avec  les  esclaves 
attachés  h  son  service,  chez  une  vieille  femme  très-pauvre.  Il 
faisait  complètement  nuit,  li  fit  chercher  la  caisse  à  provisions 
qu'il  conduisait  avec  lui;  après  l'avoir  vidée,  ils  mangèrent  un 
peu  et  donnèrent  à  la  vieille  femme  ce  qui  restait.  Ils  avaient 
aussi  de  quoi  boire,  mais  les  coupes  se  trouvaient  dans  un 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LU.  297 

autre  endroit  des  bagages,  et  les  esclaves  dirent  qu'ils  ne  pou- 
vaient pas  les  déballer.  Bahràni  demanda  à  la  vieille  si  elle 
n'avait  pas  quelque  chose  pour  y  mettre  de  la  boisson.  Elle 
apporta  une  gourde  brisée,  disant  :  Je  bois  de  Teau  dans  ceci. 
Bahrâm  la  prit  et  but  du  vin.  Ensuite  il  demanda  des  su- 
creries. L'esclave  en  apporta  et  les  versa  devant  lui  sur  le  sol. 
Bahrâm  dit  :  IVas-tu  pas  un  plat?  L'esclave  répondit  qu'il 
était  dans  la  caisse  et  qu'il  ne  pouvait  pas  le  prendre.  Alors 
Bahrâm  dit  à  la  femme  :  As-tu  un  plat  pour  que  nous  y  met- 
tions ces  sucreries  ?  Elle  apporta  un  plat  d'argile  mêlée  de 
liente,  tel  qu'en  fabriquent  les  pauvres  femmes,  et  elle  dit  : 
C'est  dans  ce  plat  que  je  mange.  Bahrâm  y  mit  les  sucre- 
ries et  en  mangea ,  quoique  l'odeur  de  la  fiente  lui  montât  au 
nez.  Eprouvant  les  effets  du  vin,  tout  en  supportant  la  mau- 
vaise odeur  que  la  gourde  avait  communiquée  au  vin ,  il  dit  à 
la  vieille  femme,  qui  était  assise  devant  lui  :  Que  sais-tu  des 
événements  de  ce  monde?  Elle  répondit:  J'ai  appris  que 
Parwiz  a  amené  une  armée  de  Boum ,  qu'il  a  combattu  Bah- 
râm et  qu'il  l'a  mis  en  fuite.  Bahrâm  demanda' de  nouveau: 
Que  dit-on  de  Bahrâm?  A-t-il  bien  ou  mal  fait?  La  femme 
répondit  :  On  dit  qu'il  a  eu  tort;  le  pouvoir  ne  le  regardait 
pas,  il  n'était  pas  de  la  famille  royale;  il  aurait  dû  rester 
serviteur,  pour  bien  vivre.  Bahrâm  dit  :  0  femme,  il  en  est 
arrivé  qu'au  vin  de  Bahrâm  est  mêlée  l'odeur  de  la  gourde,  et 
que  ses  sucreries  exhalent  une  odeur  de  fiente. 

Le  lendemain,  Bahrâm,  avec  ses  troupes,  continua  sa 
marche,  et  vint  a  Reï.  De  là,  il  se  dirigea  vers  le  Khorâsân 
et  arriva  à  Qoumes,  au  territoire  de  Dâmeghân.  Il  y  a,  entre 
Qoumes  et  le  Djordjân,  une  montagne  dans  laquelle  se 
trouvent  un  grand  nombre  de  bourgs,  habités  par  des  mon- 
tagnards. Ceux-ci  avaient  un  roi  nommé  Qâren,  qui  éUiil  de 


298  CHRONIQUE  DE  TABARJ. 

sang  roval  el  qui  avait  été  établi  par  Nouschirwân,  à  cause 
lie  rau(orif(^  dont  il  jouissait  par  sa  naissance  et  ses  richesses. 
Nouschirwân  lui  avait  accordé  le  privilège  de  s'asseoir  sur 
un  trdne  d'or,  el  Hormuzd ,  devenu  roi ,  lui  avait  ëgalemen! 
accordé  ce  |)rivilégo.  Il  était  vieux  et  reconnu  comme  sou- 
verain de  ces  contrées  montagneuses,  souveraineté  qui  est 
restée  jusqu'à  aujourd'hui  dans  sa  famille.  Qâren  fit  avancer 
iiuc  armée,  coupa  le  chemin  à  Bahrâm  et  envoya  au-devant 
de  lui  son  fils  avec  douze  mille  hommes.  Bahrâm  fit  porter  à 
Qâren  le  message  suivant  :  Laisse-moi  passer,  je  ne  veux  pas 
t'inquiéler.  Je  n'ai  pas  mérité  de  toi  ce  que  tu  fais,  lorsque, 
en  passant  sur  ton  territoire  avec  mon  armée,  je  t'ai  laisse' 
en  paix.  Qâren  lui  fil  cette  réponse  :  Je  ne  t'accoi"de  pas  le 
passage  libre;  car  tu  t'es  révolté  contre  ton  maHre  et  tu  as 
rempli  le  monde  de  violences.  Je  veux  te  faire  retourner  au- 
près de  Parwîz;  si  tu  ne  rentres  pas  spontanément  sous  son 
obéissance,  je  te  livrerai  le  combat,  je  te  ferai  prisonnière! 
te  renverrai  à  lui.  A  ce  refus,  Bahrâm  se  préparé  au  combat. 
Avec  ses  quatre  mille  hommes  il  défit  complètement  l'armée 
de  Qâren,  composée  de  douze  mille  soldats,  et  tua  un  grand 
nombre  d'hommes.  Qâren  fut  fait  prisonnier,  et  Bahrâm  voulut 
le  faire  mourir.  Qâren  lui  demanda  grâce,  disant  :  Cest  mon 
fils  qui  m'a  poussé  à  te  combattre;  mon  fils  a  trouvé  la  mort, 
el  moi  je  suis  un  vieillard ,  fais-moi  grâce.  Bahrâm  lui  donna 
sa  liberté  et  continua  sa  route  vers  le  Khorâsân.  II  arriva  aux 
bords  du  DjHioun;  de  là  il  se  rendit  dans  le  Turkestân,  où 
il  y  avait  un  roi,  nommé  Khâqân,  qui  n'était  pas  parent  de 
Parwîz.  Balirâm  se  mit  sous  sa  protection;  le  Khâqân  la 
lui  accorda  et  le  traita  avec  bonté.  Bahrâm  accomplit  dans  le 
Turkestân  un  grand  nombre  d'actions  d'éclat.  Parwiz  chercha 
par  des  machinations  à  le  faire  périr  dans  ce  pays.  Une  sœur 


PARTIE  IJ,  CHAPITRE  LUI.  299 

de  Bahrain,  nommée  Kourdiyè,  vint  auprès  de  Parwiz,  qui 
l'épousa.  Nous  raconterons  plus  loin  la  mort  de  Bahrâni. 


CHAPITRE  LUI. 

HÈGNB  DE  PARWÎZ  APRES  LA   FUITE  DE  BAHRAM-TSCHOUBIN. 

L'auteur  dit  :  Parwîz,  en  annonçant  sa  victoire  au  César, 
fit  beaucoup  d'éloges  de  l'armée  de  Roum  et  de  Théodose. 
Le  César  fut  charmé  et  envoya  à  Parwîz  un  vêtement  d'hon- 
neur complet,  de  ses  propres  habits,  de  brocart  de  soie,  sur 
lequel  était  brodée  une  croix.  Kesra  fit  exposer  ce  vêtement 
devant  tout  le  peuple,  afin  que  tous  pussent  le  voir.  Théo- 
dose lui  dit  :  0  roi,  du  dois  t'en  revêtir  et  te  montrer  ainsi 
au  peuple  et  à  l'armée.  Kesra  dit  :  Il  y  a  une  croix  sur  ce 
vêtement,  et  si  je  le  porte,  mon  armée  pensera  que  je  suis 
devenu  chrétien  et  me  sera  hostile.  Théodose  répliqua  :  Si  tu 
ne  le  portes  pas,  tu  auras  montré  du  mépris  pour  l'empereur, 
ce  qu'il  n'a  pas  mérité  de  toi.  Kesra  demanda  l'avis  du  grand 
mobed,  qui  lui  dit  :  Les  hommes  savent  que  tu  n'as  pas  aban- 
donné ta  religion;  tu  peux  mettre  ce  vêtement  pour  un  peu 
de  temps  en  public,  tu  t'acquitteras  par  là  de  ton  devoir  en- 
vers l'empereur,  et  tu  feras  plaisir  à  Théodose  et  à  l'armée  de 
Roum.  Le  lendemain,  Kesra  fit  préparer  un  grand  banquet, 
auquel  il  invita  toute  l'armée  perse  et  l'armée  grecque.  Lorsque 
tous  furent  à  table ,  il  se  couvrit  de  ce  vêtement ,  parut  au  milieu 
d'eux  et  alla  se  placer  au  bout  d'une  des  tables.  Les  hommes 
mangeaient,  et  Théodose,  Bendouï  et  Bostâm  se  tenaient  de- 
bout. Les  hommes  dirent  entre  eux  :  Kesra  a  adopté  la  reli- 
gion du  César,  car  il  a  mis  ce  vêtement  avec  la  croix.  Bendouï 
en  avertit  Parwîz  à  voix  basse  et  lui  dit  :  Place-toi  au   bout 


:iOO  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

de  la  table,  prends  un  couteau,  accomplis  ia  rc^rémonie  de 
la  prière  et  du  silence,  afin  qu'ils  reconnaissent  que  tu  n'as 
pas  abandonne  ta  religion.  Il  est  d'usage,  en  Perse,  que, 
lorsque  plusieurs  personnes  mangent  ensemble,  Tune  d'elles 
prenne  un  couteau ,  dont  le  manche  est  de  fer,  récite  la  béné- 
diction et  prie  pour  les  convives.  Le  silence  s'établit,  et  tous 
mangent  sans  prononcer  une  parole  pendant  le  repas.  Les 
mages  font  ainsi  encore  aujourd'hui.  Donc  Kesra,  vêtu  de 
cet  habit  grec,  s'avança,  se  plaça  au  bout  de  ia  table  et 
voulut  accomplir  la  cérémonie.  Théodose  vint,  prit  le  cou- 
teau des  mains  de  Kesra,  le  jeta  sur  la  table  et  dit  :  On  ne 
peut  pas  accomplir  la  cérémonie  de  la  prière  et  du  silence, 
étant  revêtu  de  la  robe  avec  la  croix.  Bendouï  dit  à  Théodose: 
Kesra  n'a  pas  embrassé  votre  religion;  il  a  sa  propre  religion, 
la  croix  n'a  pas  de  valeur  à  ses  yeux.  Théodose  répliqua  : 
Elle  en  a  à  mes  yeux.  Ils  se  disputèrent  et  en  vinrent  aux 
mains.  Théodose  dit  à  Kesra  :  Voilà  comme  tu  me  récom- 
penses! Bendouï  donna  à  Théodose  un  soufflet;  ce  que  voyant, 
Kesra  se  retira.  Bostâm  s'approcha  et  sépara  les  deux  com- 
battants. Théodose,  en  colère,  sortit  aussitôt,  suivi  de  tous 
les  officiers  grecs  qui  se  trouvaient  à  cette  table.  Cette  fête 
devint  ainsi  un  sujet  d'affliction  pour  Kesra.  Le  jour  suivant, 
toute  l'armée  grecque  étant  rentrée  dans  son  camp.  Théodose 
fit  dire  à  Kesra  :  Si  tu  ne  m'envoies  pas  Bendouï  pour  que 
je  lui  coupe  la  main,  parce  qu'il  m'a  frappé  au  visage,  pré- 
pare-loi à  la  guerre.  Cette  alternative  fut  très-douloureuse 
pour  Kesra.  Il  alla  trouver  sa  femme,  Marie,  et  lui  dit  :  Vois- 
tu  comment  ton  frère  a  troublé  mon  pays?  Voilà  ce  qu'il  me 
fait  dire  maintenant.  Marie  dit  :  0  roi ,  je  connais  mon  frère, 
il  est  doux  et  généreux;  envoie-lui  Bendouï  et  laisse-le  libre 
de  lui  couper  la  main  ou  de  le  tuer;  il  l'épargnera  et  te  ie 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LUI.  301 

renverra  saiii  et  sauf.  Alors  Kesra  envoya  Bendouï  vers  Théo- 
dose et  lui  fit  faire  des  excuses.  Théodose  agit  comme  Marie 
l'avait  dit.  Il  reçut  Bendouï  en  grâce,  fit  mettre  pied  à  terre 
à  toute  son  armée,  et  lui-même  descendit  également  de  son 
cheval. 

Le  lendemain,  Kesra  chargea  Bouzourg-DebiV  (le  grand 
scribe)  d'aller  relever  les  noms  de  tous  les  soldats  de  Tarmée 
de  Roum.  Il  envoya  à  chacun,  selon  son  grade,  une  robe 
d'honneur,  des  pièces  d'argent  et  d'or.  Il  fit  remettre  à  Théo- 
dose, pour  l'empereur,  mille  perles  non  percées,  qui  avaient 
le  brillant  et  l'éclat  du  soleil  et  de  l'eau  limpide;  mille  vête- 
ments tissus  d'or,  dont  chacun  avait  la  valeur  de  dix  mille 
dirhems;  mille  chevaux  tokhariens  et  mille  chevaux  arabes, 
mille  chameaux  de  selle  et  mille  chameaux  persans  {bakht). 
Il  envoya  tant  de  richesses  à  Théodose,  que  celui-ci  en  (ut 
confondu.  Il  fit  de  même  pour  les  neuf  guerriers  qu'on  appe- 
lait fr hommes  de  mille, t»  et  fit  remettre  la  part  de  celui  qui 
avait  été  tué  à  son  héritier.  Ensuite  il  congédia  Théodose, 
l'accompagna  jusqu'à  ta  première  station  et  rentra  à  Madâïn , 
où  il  s'assit  sur  le  trône.  Les  dix  personnes  qui  avaient  été 
avec  Parwîz  à  Roum  furent  particulièrement  distinguées  par  lui  : 
il  leur  donna  des  commandements.  Il  distribua  des  richesses 
immenses  aux  vingt  mille  hommes  qui  avaient  fait  de  l'op- 
position à  Bahrâm  et  que  celui-ci  avait  chassés  de  Madâïn.  Il 
fit  aussi  de  nombreux  présents  à  Bendouï.  Quant  à  Bostâm  , 
il  l'envoya  dans  le  Khorâsân ,  comme  gouverneur  de  Reï,  du' 
Kliorâsân  et  du  Taberistân.  Enfin,  lui -môme,  assis  sur  le 
trône ,  exerçait  la  souveraineté  en  paix. 


%m2  «.Hfeu3ii<^l£  b£  TaEAEi. 


CHAPITRE  LIV. 


Or  BafaràiD  était  feoo  dans  le  Turfcesitâa,  oè  le  k'hàipn 
lai  avait  areordé  sa  protertioD.  Le  iLhàqân  avait  ui  frère 
nommé  Pégoù,  qui  tenait  envers  lui  des  propos  injnrinix  el 
diMiit  qu'il  avait  plus  de  titres  au  trdne  que  le  KhàqâB,  parte 
qo*il  était  plus  poifisanL  Le  khàqàn  en  eot  on  gra^  chagrin. 
Alors  Babrâm  lui  dit  :  Veoi-iu  que  je  te  délÎTre  de  Ion  frère? 
Le  Kbâqan  répondit  :  Je  le  veoi  bien;  mais  il  ne  iaul  pas 
que  Ton  saebe  que  cela  a  lieu  de  mon  aven.  Ln  jour,  lorsque 
Pégou  tenait  des  propos  contre  le  khàqân,  Babrim  lui  dit:  3ie 
parle  pas  ainsi,  tu  désbonores  le  roi.  L'autre  répliqua  :  Mais 
qui  es-tu  donc,  ô  fuyard?  Babrâm  répondit,  et  Pégoo  voulut 
se  jeter  sur  lui.  Babrâm  lui  dit  :  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de 
lutter;  montons  à  cbeval  et  sortons.  Pégou  consentit;  et  ils 
sortirent  immédiatement  Pégou  asséna  un  coup  à  Babrim, 
mais  il  ne  lui  fit  aucun  mal.  Alors  Babrâm  lui  lança  une 
flèche  qui  lui  entra  dans  le  ventre  et  sortit  par  le  dos;  ensuite 
il  Facheva.  Le  Khâqân  lui  en  sut  gré.  Ensuite  Babrâm  voulut 
aussi  rendre  un  service  à  la  grande  Kbâtoun  ;  car  chez  les 
Turcs  toutes  les  affaires  se  font  par  les  femmes.  Une  des  filles 
de  la  khâtoun  avait  été  emportée  par  un  ours  dans  la  mon- 
tagne. Babrâm  y  alla,  tua  Tours  et  ramena  la  jeune  fille,  et  la 
Kbâtoun  le  traita  également  avec  honneur.  Lorsque  Parwfz 
apprit  que  Babrâm  était  en  faveur  auprès  du  Khâqân,  crai- 
gnant qu  il  n'obtint  une  armée  el  qu  il  ne  revint  lui  faire  la 
guerre,  il  envoya  un  ofiicier  dans  le  Turkestân,  avec  quantité 
de  présents,  en  lui  recommandant  de  faire  périr  Babrâm  par 


PARTIE  H,  CHAPITRE  LIV.  303 

des  inlrifrues,  et  de  dire  au  Khâqâii  que  Bahrâni  était  un 
homme  sans  foi,  qui  s'était  révolté  en  Perse.  Quand  cet  en- 
voyé vinl  auprès  du  Khâqân  et  lui  tint  ce  langage,  celui-ci 
entra  en  colère  et  dit  :  Ni  moi  ni  vous  ne  possédons  un 
homme  pareil  à  Bahrâm;  s'il  s'est  révolté,  c'est  par  voire 
faute.  Alors  l'officier  se  rendit  auprès  de  la  Khâtoun,  lui 
remit  de  nombreux  présents  et  lui  dit  :  Cherche  à  perdre 
Bahrâm.  La  Khâtoun  avait  un  esclave,  auquel  elle  donna 
vingt  mille  dirhems  et  un  poignard  trempé  dans  du  poison, 
en  lui  disant  :  Va  à  la  demeure  de  Bahrâm;  dis  que  tu  lui 
apportes  un  message  de  ma  part,  et  quand  tu  auras  été  in- 
troduit et  que  tu  lui  parleras ,  frappe-le  de  ce  poignard.  L'es- 
clave, étant  en  présence  de  Bahrâm  et  lui  parlant,  sortit  de 
sa  manche  le  poignard  et  le  plongea  dans  le  ventre  de  Bah- 
râm. Celui-ci  se  précipita  sur  lui,  le  saisit  et  lui  demanda 
d'après  quelles  instigations  il  avait  agi.  L'esclave  lui  ayant 
appris  la  vérité,  Bahrâm  le  lâcha.  Il  mourut  dans  la  même 
nuit.  Lorsque  le  Khâqân  fut  informé  de  cet  événement,  il  fit 
mettre  à  mort  cet  esclave  et  tous  ses  complices. 

Bahrâm  avait  une  sœur  nommée  Kourdiyè,  qui  avait  été 
sa  femme.  Lorsqu'il  fut  mort,  elle  plaça  son  corps  dans  une 
bière  et  le  transporta  dans  sa  patrie,  où  elle  le  fit  enterrer. 
Ensuite  elle  se  rendit  dans  le  Khorâsân,  et  fut  la  femme  de 
Bostâm.  Quand  celui-ci  se  révolta,  Parwfz  fit  dire  à  Kourdiyè 
de  tuer  Bostâm  et  de  venir  auprès  de  lui  pour  ôtre  sa  femme. 
Kourdiyè  tua  Bostâm,  vint  à  Madâïn,  et  Kesra  l'épousa,  étant 
désormais  tranquille  à  l'endroit  de  Bahrâm. 


z^n  i:hrumqie  de  tab\ri. 


CHAPITRE  LV. 

SCITB  Dl   BK!iB  »B  PABWÎl.  SIS  E1CBIS6IS. 


Parwiz  occupa  le  troue  pendant  trente-huit  ans.  Aucun 
des  rois  de  Perse  n  aTait  amassé  autant  de  richesses  que  lui. 
il  avait  d'abord  un  trône  d'or  appelé  TâkdUj  haut  de  cent 
coudées,  dont  les  quatre  pieds  étaient  des  rubis  rouges, 
comme  aucun  roi  n'en  avait  possédé.  Sa  couronne  était  ornée 
de  cent  perles,  chacune  de  la  grosseur  d'un  œuf  d'oiseau.  Il 
avait  un  cheval,  nommé  SckebdL  (couleur  de  nuit),  qui  était 
plus  rapide  que  tous  les  chevaux  de  la  terre,  et  qui  hii  était 
venu  de  Roum.  Quand  on  le  ferrait,  on  employait  huit  clous 
pour  chaque  pied,  et  on  lui  donnait  à  manger  de  tous  les 
mets  que  mangeait  Parwiz.  Quand  ce  cheval  mourut,  Parwîi 
le  fit  ensevelir  et  enterrer,  et  fit  sculpter  en  bas-relief  son 
image,  qu  il  regardait  chaque  fois  que  le  souvenir  et  les  re- 
grets de  ce  cheval  assaillaient  son  cœur.  Cette  sculpture  existe 
encore  aujourd'hui  à  Kirmânschâhàn.  On  a  également  repré- 
senté Parwiz  monté  sur  Schebdiz. 

Parwiz  possédait  une  jeune  fille ,  nommée  Schirin ,  une  jeune 
fille  grecque,  qui  surpassait  en  beauté  toutes  les  femmes  de 
Roum  et  du  Turkestân.  Lorsqu'elle  mourut,  Parwiz  fit  sculpter 
son  image ,  qu'il  envoya  par  un  homme  dans  le  Turkestân ,  dans 
le  pays  de  Roum  et  dans  les  autres  contrées  de  la  terre  :  nulle 
part,  on  ne  trouva  sa  pareille  en  beauté.  C'est  de  cette  femme 
que  fut  amoureux  Ferhâd,  que  Parwiz  punit  en  l'envoyant 
extraire  des  pierres  à  Bisoutoun.  Ferhâd  fit  tant  que  chaque 
portion  qu'il  détachait  de  la  montagne  était  si  volumineuse 
qu'aujourd'hui  elle  ne  peut  être  soulevée  par  cent  hommes. 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LVI.  305 

Parwiz  avail  en  outre  un  trésor  qu'on  appelait  Bâdawerd 
(amené  par  le  vent),*  trésor  qui  avait  été  envoyé  par  le  roi 
de  Roum  en  Abyssinie,  et  qui  se  composait  de  mille  navires 
remplis  de  vêtements,  de  pierres  précieuses,  de  peries,  d'or 
et  d'argent.  Le  roi  de  Koum,  pressé  par  un  ennemi,  avait 
expédié  ses  richesses  en  Abyssinie.  Le  vent  avait  jeté  les  vais- 
seaux sur  la  côte  de  POman,  dans  le  royaume  de  Perse,  et 
c'est  ainsi  que  ce  trésor  était  tombé  entre  les  mains  de  Par- 
wiz, qui  l'avait  nommé  Bâdawerd.  Il  avait  cinquante  mille 
chevaux,  chameaux  et  ânes,  et  dans  ce  nombre  il  y  avait  huit 
mille  montures  pour  son  propre  usage.  Il  possédait  mille 
éléphants,  douze  mille  femmes,  libres  et  esclaves,  et  douze 
mille  chameaux  blancs  qu'on  appelait  chameaux  turcs.  II 
avait  en  outre  des  objets  que  jamais  aucun  roi  n'a  possédés, 
comme  de  l'or  malléable,  et  une  serviette  avec  laquelle  il  s'es- 
suyait les  mains;  quand  elle  était  sale  et  qu'on  la  jetait  dans 
le  feu,  elle  ne  brûlait  pas  :  le  feu  ne  faisait  qu'enlever  les 
taches.  Il  avait  des  musiciens,  comme  Barboud  et  Sergius. 

Dans  la  vingtième  année  du  règne  de  Parwîz,  le  Prophète 
commença  sa  prédication  à  la  Mecque;  sa  fuite  à  Médine 
eut  lieu  quand  Parwiz  avait  déjà  régné  trente  ans  accomplis. 
Il  ne  se  passa  pas  de  jour,  depuis  la  naissance  du  Prophète, 
que  Dieu  ne  fit  connaitre  un  signe  de  sa  mission  prophé- 
tique à«Parwiz. 

CHAPITRE  LVI. 

RÉCIT  DES  SIGNES  ET  MIRACLES  DU    PROPHETE. 

Le  premier  signe  fut  que  la  voûte  du  palais  de  Madâïn 
s'écroula  deux  fois,  et  sa  réparation  coûta  chaque  fois  un 
million  de  dirhems.  Parwiz  demanda  aux  astrologues  ce  que 

11.  90 


306  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

nignifiaii  cet  accident.  Ils  lui  dirent  :  Un  érénemenl  novreau 
va  m  panfi^r  dans  le  monde,  one  religion  noarelle  m  smgîr. 
Un  autre  Mgne  fut  qu'un  pont  près  de  Madafn  fol,  pendant 
que  Parwiz  y  passait,  emporté  par  le  fleave,  et  qoe  Parwii 
faillit  tomber  dans  Teau.  Le  rétablissement  de  ce  pont  exigea 
une  dépense  de  cinq  cent  mille  dirfaems.  Un  antre  signe  fnt 
que ,  Parwfz  élant  un  jour  dans  son  appartement  et  Dosant  la 
sieste,  un  homme  y  entra  par  la  porte,  tenant  dans  sa  main 
un  bâton  de  bois,  et  lui  dit  :  Ce  Mo^hammed  est  dans  ia  Te- 
nté; si  tu  ne  crois  pas  en  lui,  il  brisera  ta  religion  comme  je 
vais  briser  ce  bâton.  Et,  en  prononçant  ces  paroles,  ii  brisa 
le  bâton.  C'était  un  ange,  qui  vint  deux  fois,  parlant  ainsi! 
ParwJz. 

Un  autre  signe  fut  que  les  habitants  de  Roum  se  concer- 
tèrent et  tuèrent  leur  roi  et  toute  ia  famille  royale.  Ce  roi 
était  Maurice,  le  même  qui  avait  secouru  Parwiz,  en  en* 
voyant  son  fils  Théodose  pour  le  replacer  sur  le  trône  et  qni 
l'avait  fait  triompher  de  Bahrâm.  Après  avoir  tné  Maurice, 
les  habitants  de  Roum  mirent  sur  le  trône  Phocas.  Théodose 
vint  auprès  de  Parwiz  et  lui  dit  :  Tu  sais  quels  services  ta 
rendus  mon  père.  Maintenant  qu'il  a  été  tué,  agis  envers 
moi  comme  mon  père  a  agi  envers  toi.  Parwiz  traita  le  fils 
de  Maurice  avec  bonté  et  le  fit  partir  avec  douze  mille  hommes 
commandés  par  un  sipchbed,  nommé  Ferroukhân ,  .afin  de 
le  replacer  sur  le  troue.  Il  envoya  un  autre  général,  nommé 
Çadrân,  contre  Jérusalem,  pour  en  chasser  tous  les  chré- 
tiens et  rejoindre  ensuite  Ferroukhân.  Lorsque  Çadrân  ar- 
riva à  Jérusalem ,  les  chrétiens  de  cette  ville  avaient  caché 
sons  terre  la  croix.  Il  leur  enjoignit  de  la  lui  apporter;  [sur 
leur  refus,]  il  fit  mettre  i  mort  trois  mille  chrétiens  et  doc- 
teurs chrétiens;  enfin  ils  la  lui  remirent,  et  on  i*envaya  k 


Ik. 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LYl.  907 

Parwiz^qui  la  plaça  dans  aon  trésor.  Ferroukhân,  de  son  côte, 
entra  en  Roum,  et  fit  la  conquête  de  tout  le  pays»  pour  le 
rendre  à  Théodose.  Cependant  les  habitants  de  Roum  se 
concertèrent  et  dirent  :  Nous  ne  voulons  pas  du  fils  de  Mau- 
rice ,  qui  voudra  venger  sur  nous  la  mort  de  son  père.  Alors 
Ferroukhân  resta  dans  ce  pays  et  y  exerça  le  pouvoir.  Les 
habitants  de  la  Mecque  et  de  T^Irâq  furent  très-heureux  de 
cet  événement  et  dirent  :  Les  Perses  n  ont  pas  de  livre  sacr^, 
pas  plus  que  nous.  Nous  sommes  donc  leurs  égaux.  Or  ik  ont 
fait  la  conquéie  de  Roum,  et  il  n'y  aura  plus  jamais  de  roi 
grec  en  Roum.  Alors  Dieu  informa  le  Prophète  que  les  Perses, 
ayant  vaincu  les  Grecs,  seraient  vaincus  à  leur  tour  par  ceux- 
ci;  et  il  lui  révéla  le  verset  suivant  :  crLes  Grecs  n*ont-iIs  pas 
été  vaincus  dans  une  contrée  voisine?  Mais,  après  avoir  été 
vaincus ,  ils  triompheront  dans  quelques  années,  n  (Coran ,  sur. 
XXX,  vers,  i  et  suiv.)  Les  amis  du  Prophète  furent  très-satis- 
faits, et  Abou-Rekr-aç-Ciddiq  alla  au  temple  de  la  Mecque 
(ceci  se  passait  avant  la  Fuite),  communiqua  ce  fait  aux 
Qoraïschites  et  leur  récita  ce  verset.   Obaï,  fils  de  Khalaf, 
dit  :  Cela  est  impossible,  Mo^hammed  ment  ;  jamais  les  Grecs 
ne  seront  plus  vainqueurs.  Abou-Rekr  répliqua  :  Je  parie 
avec  toi  que,  d'ici  trois  ans,  ils  remporteront  la  victoire. 
Ce  pari  fut  conclu.  Lorsque  le  Prophète  en  eut  connais- 
sance, il  dit  à  Abou-Bekr  :  Ne  fixe   pas  le   terme  à  trois 
ans,  mais  -à  sept,  car  le  mot  quelques  employé  dans  le  Co- 
ran signifie  de  trais  h  neuf;  <t  augmente  la  gageure  et  recule 
le  terme.  1)  Abou-Bekr  porta  la  gageure  a  cent  chameaux,  et 
fixa  avec  Obaï  le  temps  à  sept  années.  Après  cela,  le  Pro- 
phète  resta   encore  cinq  ans  à  la  Mecque.  Il  était  depuis 
deux  ans  à  Médine  lorsque  les  Grecs  remportèrent  la  vic- 
toire, et  que   Tempire  échut  à  Héraclius.  Après  avoir  cbassé 


90 . 


308  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

les  Perses  et  Ferroukhân  de  Roum,  Héraclius,  en  \e»  pour- 
suivant, vint  attaquer  le  roi  de  Perse  et  le  mit  en  fuite.  Par- 
wîz  arriva  à  Deskerè,  qui  est  sur  la  route  de  ^Haddjâdj  et 
quon  appelle  Deskerè-al-Mélik.  Cette  ville,  défendue  par 
une  grande  et  solide  forteresse,  était  la  plus  grande  ville  du 
Sawâd  de  T^Iràq.  L'empereur  conclut  la  paix  avec  Parwfz  et 
retourna  en  Roum.  Alors  Dieu  dit  :  rCe  jour-là  les  croyants 
se  réjouiront, i>  etc.  (Sur.  xxx,  vers.  3-4.)  Le  sens  de  ce  verset 
est  que,  lorsque  les  chrétiens  de  Roum  obtinrent  la  victoire, 
les  croyants  furent  heureux  d'un  événement  qui  affligea  les 
Qoraischites  incrédules.  A  la  même  époque  où  les  Grecs  furent 
victorieux,  les  incrédules  firent  avancer  une  armée  vers  le 
puits  de  Bedr.  Lorsqu'ils  apprirent  que  les  Grecs  avaient 
triomphé,  ils  furent  découragés  et  Dieu  les  confondit. 

La  victoire  des  Grecs  eut  la  cause  suivante  :  après  que 
Ferroukhân  eut  gouverné  pendant  sept  ans  en  Roum ,  Héra- 
clius, étant  endormi  une  nuit  dans  une  église,  eut  un  songe: 
il  vit  un  ange  descendre  du  ciel  et  jeter  autour  du  cou  du 
roi  de  Perse  une  corde,  qu'il  fil  tenir  à  Héraclius.  Celui-ci, 
s'éveiilant,  dit  :  Dieu  m'a  donné  un  signe.  11  rassembla  une 
armée,  envahit  Plràq  avec  soixante  et  dix  mille  hommes,  atta- 
qua le  roi  de  Perse,  le  mit  eu  fuite  et  ravagea  toute  la  Perse. 

Les  astrologues  ayant  annoncé  à  Parwiz  qu'il  nattrait  dans 
sa  famille  un  enfant  mal  constitué,  qui  aurait  la  couronne  à 
sa  place,  il  fit  enfermer  tous  ses  fils  dans  la  forteresse  [de 
Deskerè]  et  plaça  auprès  d'eux  des  gardiens,  afin  qu'aucune 
femme  ne  pénétrât  près  d'eux.  Par  cette  mesure,  il  indisposa 
contre  lui  ses  fils.  Il  fit  également  mettre  en  prison  les  troupes 
qui  étaient  revenues  de  Roum,  parce  qu'elles  avaient  pris 
la  fuite.  Ces  soldats  aussi  conçurent  des  sentiments  hostiles 
à  son  ^ard.  Ensuite  Parwtz  conclut  la  paix  avec  le  roi  de 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LVll.  509 

Rouin,  qui  retourna  dans  son  pays,  el  lui-même  quitta  la  for- 
teresse. 

Ensuite,  un  ange  sous  la  forme  d'un  homme  se  présenta 
devant  Parwiz  et  lui  dit  :  Crois  à  Mo^hammed.  Parwîz  ne  crut 
pas. 

Un  autre  signe  de  ia  mission  prophétique  de  MoMiammed 
fut  la  guerre  de  Dsou-Qâr,  que  nous  allons  raconter. 


CHAPITRE  LVII. 

HISTOIRE   DE   LA   GUERRE   DE  DSOU-QAR. 

L*origine  de  celte  guerre  fut  la  suivante  : 

Il  y  avait  à  la  cour  des  rois  de  Perse,  (J^puis  le  règne  de 
Nouschirwâii,  et  même  avant  ce  prince,  d(is  interprètes,  des 
savants  qui ,  loi*squ  un  roi  adressait  une  lettre  au  roi  de  Perse, 
ia  lui  lisaient  et  écrivaient  la  réponse.  Pour  les  affaires  arabes , 
un  homme  sachant  également  la  langue  arabe  et  la  langue 
persane  était  attaché  au  service  de  Parwîz.  Quand  il  arrivait 
un  ambassadeur  ou  une  lettre  de  la  part  de  Tun  des  chefs 
arabes,  c'était  lui  qui  traduisait  en  persan  au  roi  les  paroles  de 
rambassadeur,  ou  qui  lui  lisait  la  lettre  et  écrivait  la  réponse. 
H  en  était  de  même  pour  les  négociations  avec  les  rois  de 
Roum,  du  Turkest^n,  de  Tlndostan  et  des  Khazars,  pour 
lesquelles  il  y  avait  autant  d'interprètes.  Celui  qui  était  Tin- 
terprète  de  Parwîz  pour  les  affaires  avec  les  chefs  arabes 
s'appelait  'Adî,  fils  de  Zaïd  al-*Ibâdî,  issu  d'une  illustre  fa- 
mille arabe  :  c'était  un  homme  versé  dans  l'art  d(»  l'écriture, 
el  Ton  a  de  lui  un  grand  nombre  de  poésies.  ^Adî  avait  sa  fa- 
mille à  ^Ilîra,  la  résidence  de  Norman,  fils  de  Moundsir,  roi 
des  Arabes.  Chaque  année  il  demandait  à  Kesra  un  rongé 


310  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

de  trois  mois,  quil  passait  h  ^Hira,  pour  régler  ses  affaires 
personnelles.  II  y  vivait  dans  la  familiarité  de  Norman.  En- 
suite il  retournait  à  la  cour  de  Kesra ,  où  il  rendait  des  ser- 
vices à  Norman.  Celui-ci  le  tenait  en  grande  estime  et  le 
comblait  de  marques  de  faveur.  Il  y  avait  longtemps  que  ^Adf 
était  à  la  cour  de  Kesra  :  son  père  Zaïd,  fils  d'Ayoub,  avait 
été  interprète  de  Kesra,  après  Tavoir  été  d'Hormuzd,  et  cette 
fonction  s'était  perpétuée  dans  sa  famille.  ^Adi  avait  un  frère, 
nommé  Obaî,  par  lequel  il  se  faisait  remplacer  lorsqu'il  quit- 
tait la  cour  pour  aller  dans  sa  patrie. 

Il  y  avait  à  ^Hira  un  homme,  nommé  Aus,  fils  d'Al-Mou- 
qarrin,  qui  nourrissait  des  sentiments  hostiles  envers  *Adi. 
Il  était  en  grande  faveur  auprès  de  Norman,  et  un  jour, 
causant  avec  lui  de  Kesra,  il  lui  dit  :  ^Adi,  fils  de  Zaïd,  se 
vante  à  la  cour  de  Kesra  que  c'est  lui  qui  te  maintient  au 
pouvoir;  c'est  moi,  dit-il,  qui  ai  conseillé  à  Kesra  de  donner 
le  commandement  à  Norman ,  et  si  je  voulais ,  je  pourrais  le 
lui  dter.  Norman  demanda  à  Aus  :  Qui  t'a  rapporté  ces  pa- 
roles? Aus  dit  :  Je  les  ai  entendues  de  lui-même.  Norman 
grava  ces  paroles  dans  son  cœur,  et  lorsque  ^Adt  vint  dans  sa 
famille,  il  le  fit  saisir  et  mettre  en  prison.  ^Adi,  ignorant  le 
crime  qu'on  lui  imputait,  composa  les  deux  vers  suivants,  qui 
sont  fort  beaux,  qu'il  adressa  à  Norman  : 

0  [No'mâD,  fib  de]  Moundsir,  tu  as  substitue  à  ramilië  la  haine;  Je 
suis  traité  par  loi  d^une  façon  digne  d^un  affreux  criminel  avouant  ses 
crimes. 

J'avais  reçu  de  toi  bien  des  témoignages  de  bienveillance;  je  n*ai  cepen- 
dant pu  démérité  de  ton  amitié. 

Mais  Norman  ne  s'en  soucia  pas,  retint  ^Adi  en  prison  et 
aoQgea  k  le  faire  mourir.  Alors  ^Adi  écrivit  une  lettre  à  son 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LVII.  311 

frère  pour  qu'il  informât  Kesra  de  sa  situation.  Celui-ci,  ayant 
reçu  cette  nouvelle  d'Obaï,  se  mit  en  colère  contre  Norman 
et  fit  partir  immédiatement  un  de  ses  principaux  officiers 
avec  une  lettre,  dans  laquelle  il  enjoignit  à  Norman  d'ëlargir 
*Adî  et  de  le  renvoyer  auprès  de  lui.  Lorsque  No*mân  apprit 
que  le  messager  du  roi  devait  arriver,  il  envoya  quelqu'un 
avec  Tordre  d'étouffer  ^Adi  dans  sa  prison  et  d  y  laisser  son 
corps.  Le  lendemain,  lorsque  le  délégué  de  Kesra  arriva 
et  remit  la  lettre  à  Norman,  celui-ci  lui  dit  :  C'est  par  plai- 
santerie que  je  Tai  retenu;  fallait-il  en  parier  à  Kesra?  Va 
toi-même  dans  la  prison  et  fais-l'en  sortir.  L'envoyé ,  se  ren- 
dant à  la  prison ,  y  trouva  ^Adt  mort.  Le  geôlier  lui  dit  :  Il 
est  mort  depuis  hier;  je  n'osais  pas  le  dire  à  Norman.  Le 
messager  du  roi  alla  trouver  Norman  et  l'interpella  en  cea 
termes  :  C'est  toi  qui  as  fait  tuer  ^Adî,  je  le  dirai  à  Kesra. 
Norman  donna  à  l'officier  mille  dinars,  le  priant  de  dire  que, 
sur  l'injonction  de  la  lettre  du  roi,  il  avait  élargi  'Adi,  qui 
ensuite  était  mort.  L'officier  fit  son  rapport  en  ces  tennes  k 
Kesra. 

^Adi  avait  à  ^Hira  un  fils  nommé  Zaïd,  qui  était  encore 
plus  instruit  et  plus  distingué  que  son  père.  Il  savait  les  deux 
langues  et  était  fort  habile  dans  l'art  de  l'écriture,  tant  arabe 
que  persane.  Lorsque  Norman  eut  fait  mourir  ^Adi,  Zaïd,  crai- 
gnant pour  sa  vie,  s'enfuit  de  ^Hira  et  se  rendit  à  la  cour  de 
Kesra.  Sur  la  demande  de  son  oncle,  Zaïd  reçut  du  roi  une 
robe  d'honneur  et  fut  investi  de  la  charge  et  des  fonctions 
de  son  père.  Il  se  passa  ainsi  deux  ou  trois  années,  pendant 
lesquelles  Zaïd  chercha  une  occasion  pour  nuire  à  Norman. 
Or  Kesra  envoyait  chaque  année  trois  eunuques,  l'un  dans 
le  pays  de  Roum,  l'autre  dans  le  pays  des  Khazars,  et  le  troi- 
sième en  Turkestân,  pour  lui  chercher  des  jeunes  filles  pour 


312  GHROMQUE  DE  TABARI. 

concubines.  On  leur  remettait  la  description  complète,  par 
écrit,  de  ces  femmes,  telles  que  le  roi  les  désirait.  Rs  par- 
taient, et  quand  Tun  d'eux  trouvait  une  jeune  fille  répon- 
dant à  ia  description,  il  Tachetait,  qu'elle  fût  de  condition 
libre  ou  esclave,  riche  ou  pauvre,  d'une  naissance  illustre  ou 
même  royale ,  et  Taménait  à  Kesra  pour  qu  il  en  fit  sa  maî- 
tresse. Telle  était  la  coutume  des  rois  de  Perse  dès  avant 
Parwtz ,  depuis  le  temps  de  Nouschirwân.  Cette  description 
écrite  avait  l'origine  suivante  :  Moundsir,  surnommé  fils  de 
Ma  es-Semâ ,  roi  des  Arabes  sous  la  suzeraineté  de  Nouschir- 
wân, avait  fait  une  expédition  en  Syrie,  avait  saccagé  ce  pays 
et  tué  le  roi ,  appelé  ^Hârith,  fils  d'Abou-Schammir,  le  Ghas- 
sânide.  Moundsir  ayant  trouvé  dans  son  palais  une  jeune 
fille  de  naissance  illustre,  l'avait  faite  prisonnière.  Cette 
femme  surpassait  en  beauté  toutes  les  femmes  de  Roum  et 
de  la  Perse.  Moundsir  l'envoya  à  Nouschirwân,  lui  faisant 
parvenir  en  même  temps  un  écrit,  en  langue  arabe,  conte- 
nant la  description  de  cette  jeune  fille.  L'interprète  de  Nou- 
schirwân traduisit  pour  lui  cette  pièce  en  langue  persane,  et 
quand  Nouschirwân  en  entendit  la  lecture,  cette  description 
lui  plut  beaucoup;  il  la  trouva  remarquable  et  frappante  de 
justesse,  et  la  fit  déposer  dans  son  trésor.  Ensuite,  toutes  les 
fois  qu'il  voulait  faire  chercher,  dans  les  différentes  contrées, 
des  jeunes  filles,  il  faisait  remettre  aux  eunuques  cette  descrip* 
tion,  qui  était  ainsi  conçue: 

(T C'est  une  jeune  fille  d'une  taille  bien  proportionnée,  ni 
trop  grande  ni  trop  petite;  son  teint  est  blanc,  tant  sa  figure 
et  son  cou  que  son  corps  jusqu'aux  ongles  de  son  pied;  la 
blancheur  rosée  ^e  son  teint  ressemble  à  l'éclat  du  soleil  et 
de  la  lune;  ses  sourcils  sont  arqués  et  bien  séparés;  elle  a  de 
grands  yeux  noirs;  le  blanc  des  yeux  est  pur;  ses  cils  sont 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LVII.  313 

noirs,  longs  et  bien  fournis;  le  nez  est  droit  et  aquilin;  elle 
a  la  figure  ovale,  ni  trop  longue  ni  trop  ronde;  les  cheveux 
noirs,  longs  et  dpais;  la  tête  ni  trop  grande  ni  trop  petite; 
le  cou  ni  trop  long  ni  trop  court,  de  façon  à  ce  que  les 
boucles  d'oreilles  touchent  les  épaules;  la  poitrine  large,  les 
seins  jolis,  ronds  et  fermes;  les  épaules  et  les  bras  bien  pro- 
portionnés; le  poignet  délicat  et  potelé;  les  doigts  effilés,  ni 
trop  longs  ni  trop  courts;  le  ventre  formant  une  même  ligne 
avec  la  poitrine;  la  croupe  rebondie  et  la  taille  mince;  les 
cuisses  rondes  et  bien  fournies;  les  genoux  ronds;  les  jambes 
charnues;  les  pieds  petits  et  ronds;  les  doigts  du  pied  petits 
et  rapprochés.  Elle  a  la  démarche  lente,  à  cause  de  son  em- 
bonpoint. Elle  est  docile ,  et  n'obéit  qu  à  son  maître.  Elle  n'a 
jamais  éprouvé  le  besoin,  et  a  été  élevée  dans  la  richesse  et 
l'abondance.  Elle  est  modeste,  intelligente  et  bien  élevée. 
Elle  est ,  du  côté  de  son  père ,  d'une  naissance  pure ,  et,  du  côté 
de  sa  mère,  d'une  naissance  respectable.  Si  tu  regardes  sa 
figure,  elle  te  semble  plus  belle  que  par  derrière;  et  si  tu  la 
regardes  par  derrière,  tu  la  trouves  plus  belle  que  par  devant; 
et  si  tu  considères  la  noblesse  et  la  distinction  de  ses  ma- 
nières, elles  paraissent  surpasser  la  beauté  de  sa  figure.  Elle 
est  laborieuse  dans  la  maison;  elle  travaille  de  ses  mains  et 
est  habile  pour  faire  la  cuisiné,  pour  laver,  coudre,  ranger 
et  ordonner.  Elle  n'est  pas  bavarde,  et,  quand  elle  parle,  elle 
parle  agréablement  et  a  une  voix  douce.  Si  tu  la  recherches, 
elle  répond  à  tes  désirs,  et  si  tu  t'éloignes  d'elle,  elle  s'éloigne 
de  toi.  Quand  tu  es  loin  d'elle,  ses  joues  et  ses  yeux  sont  en- 
flammés du  désir  de  te  {)osséder.  v 

Nouschirwân  avait  fait  déposer  ce  signalement  dans  son 
trésor,  pour  servir  quand  il  achetait  des  jeunes  filles.  Cette 
pièce  était  écrite  en  arabe  et  se  trouvait  entre  les  mains  de 


Uà  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

ZaRl,  fils  d'^AcU.  Donc,  lorsque  Kesni  Toahit  faire  rechcreliei' 
des  jeanes  filles  conformes  k  celle  descriptioD,  H  anûi  or- 
donné à  Zaîd  de  la  Iradoire  en  langue  persane.  Alors  Zaid«  fils 
d'^Adl,  dit  il  Kesra  :  Je  ne  connais  qu'une  seule  femme  dans 
le  monde  entier  qui  réponde  à  ce  portrait,  c'est  la  fiHe  de 
Norman ,  fils  de  Moundsir;  elle  s'appelle  ^Hadiqa,  ce  qui  feut 
dire,  en  persan,  «r jardin;^  son  visage  est  en  effet  beau  comme 
un  jardin.  Zaîd  savait  bien  que  cette  jeune  fiHe  ne  répondait 
pas  à  la  description,  mais  il  était  sûr  que  Kesra  ne  la  Yeirait 
jamais  et  ne  pourrait  pas  le  démentir  :  il  savait  que  NoHnân 
ne  donnerait  jamais  sa  fiHe  à  Kesra,  parce  que  les  Arabes  ne 
donnent  pas  leurs  filles  aux  Perses.  Zaîd  excita  donc  le  désir 
de  Kesra  pour  cette  jeune  fille,  et  Kesra  lui  dit  :  Ecris  à 
Norman  une  lettre  par  un  eunuque,  afin*  qu'il  m'envoie  sa 
fille;  et  il  dit  à  Teunuque  :  Va  porter  cette  lettre  i  Norman, 
puis  rends-toi  dans  le  pays  de  Roum;  avant  que  tu  re- 
viennes, il  aura  préparé  le  départ  de  sa  fille,  et  tu  me  l'amè- 
neras. Zaîd  dit  :  Il  y  a  en  Roum  beaucoup  de  femmes  pa- 
reilles à  ceUe-lè;  il  serait  mieux  de  ne  pas  demander  la  fille 
de  Norman,  car  les  Arabes  sont  des  gens  mal  élevés,  qui  ne 
donnent  pas  leurs  filles  aux  Perses;  s'il  la  refuse,  ce  sera  un 
désagrément  pour  le  souverain  ;  il  serait  préférable  et  plus 
sage  de  ne  pas  la  demander.  Alors  Kesra  s'obstina,  comme 
font  les  rois;  il  pensa  que  Zaîd  prenait  les  intérêts  de  Nohnân, 
et  il  dit  à  Teunuque  :  Je  ne  veux  pas  d'autre  femme  que  la 
fille  de  Norman;  rends- toi  directement  auprès  de  Norman; 
s'il  te  livre  la  jeune  fille,  amène-la-moi;  et,  s'il  la  refuse, 
reviens  immédiatement.  Puis  il  dit  à  Zaîd  :  Écris  k  Norman, 
comme  je  te  l'ai  dit.  Zaîd  écrivit  la  lettre,  et  l'eunuque  partit 
et  la  porta  k  No'mân.  Celui-ci  dit  :  Les  filles  arabes  sont 
noires,  mal  élevées  et  ne  conviennent  pas  au  service  des  rois. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LVII.  315 

Il  écrivit  a  ne  réponse  fort  polie  et  dit  à  Feunuque  :  Rapporte 
au  roi  que  tu  n  as  pas  trouvé  ma  fille  telle  qu'elle  puisse  lui 
convenir.  Et  dans  la  lettre  il  s'exprima  en  ces  termes  :  trN'y 
a-t-il  pas,  parmi  les  mahd  de  F^Irâq,  de  quoi  satisfaire  le  roi, 
plutôt  que  parmi  les  sawâd  (noires)  des  Arabes?  n  Ces  pa- 
roles étaient  très-polies  et  convenables,  mais  Zaïd,  en  les  tra- 
duisant, leur  donna  un  mauvais  sens;  car,  en  arabe,  le  mot 
mahâ  signifie  (t  vache  sauvage.  i)  On  dit  qu'il  n'y  a  pas  dans  le 
monde ,  tant  parmi  les  hommes  que  parmi  les  animaux ,  une 
créature  ayant  des  yeux  plus  beaux ,  plus  doux  et  plus  agréa- 
bles que  la  vache  sauvage.  Les  Arabes  appellent  les  femmes 
qui  ont  de  tels  yeux,  mahdy  par  métaphore.  Sawâd  veut  dire 
(«les  noires, T)  mais  soud  désigne  aussi  un  homme  d'un  rang 
élevé ,  de  même  que  sayyid.  Le  sens  des  paroles  de  Norman 
est  que  le  roi  trouve  dans  l'^Irâq  tant  de  femmes  aux  yeux 
grands  et  noirs,  qu'il  n'a  pas  besoin  de  rechercher  les  fenmies 
noires  des  Arabes.  Mais  Zaïd  interpréta  mahâ  par  rr  vaches  n 
et  Soudan  par  r nobles,^  et  traduisit  les  paroles  de  Norman 
ainsi  :  (rLe  roi  a  tant  de  vaches  en  Perse,  qu'il  n'a  pas  besoin 
des  femmes  nobles  des  Arabes.^  Ensuite  Zaïd  dit  à  Kesra  : 
Norman  a  été  malhonnête,  il  a  dans  la  tête  de  l'extravagance. 
Je  savais  bien  qu'il  ne  te  donnerait  pas  sa  fille.  Kesra  fut 
trè»-irrité  et  jura  qu'il  ôterait  à  Norman  le  commandement 
des  Arabes,  pour  le  conférer  à  un  autre.  Je  le  ferai  mourir, 
dit- il;  je  l'appellerai  en  ma  présence;  et  s'il  ne  vient  pas, 
je  le  ferai  venir  de  force. 

Mo^hammed  ben-Djarir  rapporte  dans  cet  ouvrage  que 
Zaïd,  fils  d'^Adi,  était  allé  lui-même  auprès  de  Norman,  fils 
de  Moundsir.  Il  aurait  dit  h  Kesra  :  Laisse-moi  partir  moi- 
m&ne,  car  peut-être  Norman  voudra-t-il  tromper  l'eunuque, 
et,  se  refusant  à  donner  sa  fille,  lui  remettra-t-il  une  autre 


316  CHRONIQUE  D£  TABARl. 

femme.  Kesi*a-Parwiz  aurait  donc  envoyé  Zaïd  et  Teunuque 
auprès  de  Norman.  Cest  à  son  retour  que  Zaïd  aurait  ainsi 
interprété  les  paroles  de  Norman,  et  Teunuque  les  aurait 
confirmées  par  son  témoignage.  Mais  ce  récit  est  inexact.  La 
vérité  est  que  Teunuque  était  allé  seul  auprès  de  Norman ,  et 
ce  sont  les  termes  de  la  réponse  de  Norman  qu'il  avait  rap- 
portée qui  furent  traduits  par  Zaïd. 

Il  y  avait  alors  à  la  cour  de  Kesra  un  homme  nommé  lyâs, 
fils  de  Qabtça,  de  la  tribu  de  Tayy,  à  la  tête  de  quatre  mille 
hommes.  C'était  le  même  qui  avait  rencontré  Kesra  sur  la 
route,  exténué  de  faim,  lorsque  celui-ci,  s'enfuyant  devant 
Bahrâm,  se  rendait  dans  le  pays  de  Roum.  lyâs  lui  avait 
donné  l'hospitalité  et  des  provisions  pour  trois  jours  pour  ta 
traversée  du  désert,  et  lui  avait  servi  de  guide.  Ces  faits  ont 
été  rapportés  ci-dessus.  Quand  Kesra  fut  établi  sur  le  trône, 
il  appela  lyâs  à  sa  cour;  celui-ci  vint  lui  rendre  hommage 
avec  cinquante  hommes  de  sa  famille.  Parwiz  lui  donna  le 
commandement  d'une  troupe  de  quatre  mille  hommes,  qu'il 
avait  dans  sa  résidence.  Lorsque  Parwîz  fut  irrité  contre 
Norman,  il  appela  lyâs,  lui  donna  une  armée  nombreuse, 
composée  tant  d'Arabes  que  de  Perses ,  et  lui  dit  :  Va ,  empare- 
toi  du  royaume  de  ^Hira,  établis-toi  là,  et  envoie-moi  Norman 
enchaîné.  No*mân,  averti,  s'enfuit  devant  lyâs,  emportant 
avec  lui  toutes  ses  richesses,  en  fait  de  chevaux  et  d'armures, 
et  emmenant  toute  sa  famille,  ses  femmes  et  sa  fille  ^Hadiqa. 
Il  les  confia  à  un  homme  nommé  Hânt,  fils  de  Mas^oud,  de 
la  tribu  de  Schaïbân,  qui  demeurait  dans  le  désert.  Hânf 
était  le  premier  de  sa  tribu  et  le  plus  puissant  par  le  noaibre 
de  têtes  de  sa  famille  et  de  ses  amis.  Norman  vint  donc  au- 
près de  Hâni  et  lui  dit  :  Je  mets  sous  ta  protection  ma  famille» 
mes  enfants  et  mes  biens.  Norman  avait  dans  son  arsenal 


PARTIE  II.  CHAPITRE  LVII.  317 

quatre  cents  cuirasses  et  dans  ses  écuries  quatre  cents  che- 
vaux arabes.  Les  ayant  confiés,  ainsi  que  ses  autres  richesses 
de  tout  genre,  à  Hâni,  il  partit  avec  sa  femme  Moutadjar^ 
rada,  se  rendant  dans  la  tribu  de  Tayy,  dans  laquelle  il  avait 
beaucoup  d^influence;  il  demanda  asile  aux  Beni-Tayy;  mais 
ceux-ci  ne  voulurent  pas  le  recevoir,  par  crainte  de  Kesra.  il 
vint  ensuite  chez  les  Beni-Sa^d,  qui,  redoutant  aussi  le  roi 
de  Perse ,  refusèrent  également  de  le  recevoir.  Norman ,  dans 
son  embarras,  ne  savait  plus  où  tourner  ses  pas.  Alors  sa 
femme  lui  dit  :  Allons,  rends-toi  à  la  cour  de  Kesra  pour  lui 
présenter  tes  excuses.  Comme  tu  nas  commis  aucune  faute, 
il  ne  te  fera  pas  mettre  à  mort.  Mais  quand  même  il  te  ferait 
périr,  la  mort  vaudrait  mieux  que  Tavilissement  et  le  mépris 
que  tu  trouves  auprès  de  tous. 

Norman,  approuvant  cet  avis,  partit  pour  la  résidence  de 
Kesra.  Il  savait  que  sa  perte  avait  été  tramée  par  Zaïd ,  fils 
d'^Adi.  Donc,  lorsqu'il  fut  en  présence  du  roi,  il  baisa  la 
terre  devant  lui,  le  salua  de  bénédictions  et  lui  demanda  par- 
don; puis  il  ajouta  :  Cet  esclave,  c'est-à-dire  Zaïd,  a  falsifié 
dans  la  traduction  la  lettre  que  j'ai  écrite,  et  il  m'a  calomnié. 
Zaïd  dit  :  Depuis  qu'il  occupe  le  trône  et  porte  la  couronne 
et  boit  du  vin,  il  pense  que  tu  es  son  esclave,  et  non  son 
maitre.  Ensuite,  se  tournant  vers  Norman,  Zaïd  ajouta  :  N'as- 
tu  pas  dit  à  ^Hira,  étant  sur  le  trône,  que  le  royaume  de 
Perse  était  à  toi,  qu'il  te  reviendrait,  à  toi  ou  à  tes  fils?  Zaïd 
confirma  devant  Kesra  ces  paroles  par  un  serment.  Kesra  fit 
garder  Norman  pendant  trois  jours;  le  quatrième  jour,  on  le 
jeta  aux  pieds  des  éléphants,  qui  le  tuèrent. 

Norman  et  ses  enfants  avaient  abandonné  la  religion  des 
Arabes  et  étaient  tous  chrétiens.  Lorsque  ^Hadiqa  apprit  la 
mort  de  son  père,  elle  se  rendit  dans  le  couvent  de  Hind. 


318  CHRONIQUE  DE  T4BARI. 

Hind,  fille  de  Moundsir  le  Grand,  surnomme  fils  de  Ma  es- 
Semâ,  avait  été  chrétienne  et  avait  fondé  un  couvent  sur  les 
bords  de  TEuphrate,  où  elle  s^était  livrée  à  la  dévotion  et  oà 
elle  était  morte.  Ce  couvent  est  appelé  aujourd'hui  Daïr  Hmi. 
^Hadiqa  se  rendit  dans  ce  couvent ,  et  y  vécut ,  jusqu'à  sa  mort, 
dans  la  pratique  de  la  religion  chrétienne. 

Après  avoir  fait  périr  No^mftn,  Kesra  écrivit  à  lyâs,  fils  de 
Qabîça ,  de  rechercher  les  biens  laissés  par  No^mftn  et  de  les 
lui  envoyer.  lyâs  envoya  un  messager  auprès  de  Hânt,  fils  de 
Mas^oud,  pour  réclamer  les  biens  laissés  par  Norman.  Hânt 
répondit  que,  tant  qu'il  vivrait,  il  ne  les  rendrait  à  personne, 
lyâs  écrivit  à  Kesra  une  lettre  dans  laquelle  il  disait  :  Les  gens 
des  Benî-Schaïbân,  des  Benî-Bekr,  des  Bent-^Idjl,  des  Benf- 
Wâïl  et  des  Benl-Dsohl  sont  nombreux  ;  ce  sont  des  hommes 
braves  et  belliqueux,  comme  le  roi  lui-même  le  sait  Pour 
leur  faire  la  guerre,  il  me  faudra  une  forte  armée.  Ayant  reço 
ce  message,  Kesra  voulut  expédier  une  armée.  Un  homme 
nommé  Norman,  fils  de  Zor^a,  de  la  tribu  de  ThaMab,  qui 
se  trouvait  à  la  cour,  lui  dit  :  0  roi,  ces  gens,  pendant  l'hiver, 
sont  dispersés  dans  le  désert;  on  peut  difficilement  les  at* 
teindre.  Mais,  en  été,  Hânî  et  les  Benî-^chaïbân  viennent 
auprès  d'un  puits  nommé  Dsou  -*  Qâr,  situé  entre  Bassore 
et  Médine.  Comme  ils  doivent  nécessairement  venir  à  ce 
puits,  tant  les  Benî-Schaïbân  que  les  Benf-Bekr,  les  Bent* 
^Idjl,  les  Beni-Dsohl,  les  Beni-Waïl  et  toutes  les  branches 
de  la  tribu  de  Schaïbân,  tu  les  trouveras  tous  ensemble,  et 
alors  tu  enverras  ton  armée.  Kesra  approuva  cet  avis,  et  fit 
dire  à  lyâs  de  se  tenir  prêt  à  combattre  les  Arabes,  qu'il  lui 
enverrait  des  troupes.  lyâs  reçut  à  eontre-ccenr  cet  ordre  de 
faire  la  guerre  aux  Arabes ,  mais  il  n'osa  rien  dire. 

Il  y  avait  un  homme  de  la  tribu  de  Schaïbân,  nommé 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LVII.  319 

Qaïs ,  fils  de  Mas^oud,  qui  était  agent  de  Kesra  dans  le  SawAd 
de  T'Irâq.  C'était  un  des  principaux  cheis  arabes,  et  il  ayait 
des  troupes  nombreuses  sous  ses  ordres.  Kesra ,  par  une  lettre, 
lui  envoya  Tordre  de  réunir  toutes  les  troupes  arabes  qa*ii 
avait  dans  le  Sawâd ,  de  se  rendre  à  ^Hira  auprès  de  son  lieu- 
tenant et  son  vassal,  lyâs,  fils  de  Qabîça,  et  de  lui  prêter  aide 
dans  l'expédition  contre  les  Schaïbân,  les  Bekr,  les  Waïl, 
les  ^Idjl  et  les  Dsohl.  Qaïs,  fils  de  Mas^oud,  reçut  également 
avec  chagrin  cette  lettre  qui  lui  ordonnait  de  faire  la  guerre 
aux  tribus  arabes  et  à  ses  parents;  mais  il  n  osa  rien  dire,  par 
crainte  de  Kesra.  Il  rassembla  dix  mille  guerriers  arabes,  et 
vint  à  ^Hira  se  joindre  k  lyâs.  Ensuite  Kesra  envoya  à  ^Htra 
un  des  grands  de  la  Perse,  nommé  Hâmarz,  avec  douze  mille 
hommes,  puis  un  autre  officier,  nommé  Hormuz-KharrAd, 
avec  huit  mille  hommes.  Ces  troupes  se  réunirent  à  celles 
d'Iyâs,  à  qui  Kesra  donna  le  commandement  et  la  direction  de 
la  guerre.  Sur  Tordre  de  Kesra,  lyâs  mit  en  mouvement  Tar: 
mée  et  commença  Texpédition,  en  se  dirigeant  vers  Dsou-Qâr. 
Hâni,  fils  de  Mas^oud,  avec  les  Beni-Schaïbân  et  les  au- 
tres tribus,  était  campé  auprès  de  Dsou-Qâr.  A  la  nouvelle  de 
Tarrivée  d*une  armée,  Hâni  réunit  ses  hommes  et  leur  dit  : 
Quel  est  votre  avis?  C'est  à  cause  des  biens  qui  ont  appar- 
tenu à  Norman,  et  qui  m'ont  été  confiés  par  lui,  que  Kesra 
envoie  contre  nous  cette  armée,  forte  de  quarante  miUe« 
hommes,  tandis  que  nous  sommes  moins  de  dix  mille.  Un 
des  chefs  présents,  ^Hanzhala ,  fils  de  ThaHaba ,  descendant  de 
Schaïbân,  dit  :  Garde  les  choses  qui  t'ont  été  confiées;  nous 
donnerons  notre  vie,  mais  nous  ne  livrerons  pas  à  Tennemi  ce 
qui  nous  a  été  confié.  Lorsque  lyâs  fut  arrivé,  les  deux  armées 
campèrent  en  face  Tune  de  l'autre.  Les  Perses  n'avaient  de 
Teau  que  pour  deux  jours, 'et  les  troupes  de  Hâni  tinrent  les 


%iê  i.HKO!ilQCE  bC  Tj|»4ftL 

abovdA  do  poft«.  Alors  hâ»,  osaot  dmn  «'ipéclmt .  enmya  cher- 
rlMT  de  Feaa  am  poite  de  Ooriijer  H  de  'Habimba.  Le  len- 
demain,  on  engagea  la  bataille  :  ramée  pêne  fit  plearoir 
«or  les  ennemi*  une  gréie  de  traite,  et  Hâni  prit  la  faite, 
emportant  airee  loi  toi»  ses  b^;^es.  Les  troupes  pênes .  fa- 
t^ée*  et  troiif  ant  maintenant  de  Feati .  ne  le  poursaitireni 
pa.«(,  <^pui«èrent  complètement  le  poits  et  restèrent  ce  joor  et 
la  noit  soÎTante  près  do  poits  de  Dsoa-Q2r. 

Hànîj  après  aToir  marché  toote  one  joomëe,  royant  qoll 
n'était  pas  poorsoif  i ,  fit  halte,  réonit  toos  ses  hommes  et  leor 
dit  :  Oà  allons-noos?  Derant  noos  est  le  désert  dépoonro  d^eao . 
oA  noos  moorrons  tons  de  soif.  Je  Tais  leor  liTrer  les  biens  de 
No^miin  ;  n'exposez  pas  Totre  vie  dans  le  désert.  Les  hommes  des 
tribosarabes  se  sentirent  horoiliés  de  ces  paroles ,  et  ils  répliqoè- 
rent  :  To  ne  dois  pas  rompre  ton  engagement  et  lirrer  le  dépôt 
qoi  t'a  été  confié;  noos  allons  retoomer  et  combattre  josqoa 
la  mort.  Ils  revinrent  donc  en  présence  de  Tannée  dlyis 
et  recommencèrent  le  combat  le  même  joor.  Les  Perses  et  les 
troopes  d'Iyâs  souffrirent  de  la  soif.  Toos  les  Arabes  qoi  se 
trouvaient  dans  Tannée  d'Iyâs  avaient  été  très-afl9igés  de  la 
fuite  de  Hânf  et  de  ses  troupes  arabes.  lyâs  envoya  aoi  aotres 
poits  pour  chercher  de  Teau ,  mais  on  n'en  trouva  pas  ;  toos 
ses  soldats,  Arabes  et  Perses,  étaient  affaiblis  par  la  soif, 
^lors  lyâs  envoya  à  Hâni  le  message  suivant  :  Faites  une  de 
ces  trois  choses  :  ou  rendez  les  objets  laissés  par  Norman, 
et  nous  nous  en  retournerons,  et  je  demanderai  votre  pardon 
k  Kesra,  afin  qu'il  renonce  à  la  punition  de  vos  actes;  ou, 
quand  la  noit  sera  venue,  prenez  la  fuite  et  allez  où  voos 
voodrez,  afin  que  je  puisse  allier  que  vous  voos  êtes  ^nfois 
et  qoe  nous  n'avons  pas  pu  voos  atteindre;  ou  préparez- 
vous  ao  combat.  Les  Arabes  se  rassemblèrent  toos  aotoor  de 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LVIÏ.  321 

tiini  et  de  'Hanzhala  et  dirent  :  Si  nous  livrons  le  dépdt  qui 
nous  a  éié  confié,  nous  ne  pourrons  jamais,  de  notre  vie, 
lever  la  tête  au  milieu  des  Arabes,  et,  aussi  longtemps  que  ie 
monde  durera,  nous  ne  serons  lavés  de  celte  honte.  Si  nous 
prenons  la  fuite,  ce  sera  d'abord  un  grand  déshonneur  pour 
nous,  et  puis  nous  périrons  tous  dans  le  désert;  la  seule  voie 
que  nous  ayons  serait  de  traverser  le  territoire  des  Beni-Te- 
mim ,  avec  lesquels  nous  sommes  en  hostilité  :  ils  nous  tueront 
tous.  Nous  n'avons  pas  d'autre  moyen  que  de  combattre.  Ils 
firent  dire  à  lyâs:  Nous  voulons  le  combat;  fais  tes  préparatifs; 
nous  aimons  mieux  mourir  en  combattant  que  de  périr  de  soif 
dans  le  désert  ou  de  nous  jeter  entre  les  mains  de  nos  ennemis. 
Dans  la  nuit,  ^Hanzhala,  fils  de  ThaMaba,  coupa  les  cordes 
de  toutes  les  litières.  Comme  les  bommes  de  Hâni  étaient 
venus  à  Dsou-Qâr  pour  y  passer  Fêté,  ils  avaient,  suivant  la 
coutume  des  Arabes,  amené  leurs  femmes  et  leurs  enfants, 
dans  des  litières  qui  étaient  attachées  [sur  le  dos  des  cha- 
meaux] par  des  sangles,  qu'on  appelle  en  arabe  wotuUioun; 
ce  sont  ces  sangles  que  ^Hauzhala  coupa,  afin  d'enflammer 
entièrement  le  courage  des  Arabes  au  combat.  ^Hanzhala  reçut 
par  la  suite  le  surnom  de  Mouqattt^oul-Woudhoun  (coupe - 
sangles).  Dans  la  même  nuit,  Hàni  distribua  à  ses  honmies 
les  quatre  cents  chevaux  et  les  quatre  cents  cuirasses  [de 
Norman],  disant  :  Si  nous  remportons  la  victoire,  nous  les 
remettrons  à  leur  place;  mais  si  nous  sommes  tués  et  que  la 
victoire  reste  aux  ennemis ,  il  vaut  mieux  que  tout  cela  soit 
perdu  en  même  temps. 

Le  lendemain,  les  deux  armées  se  rangèrent  en  ordre  de 
bataille.  lyâs  plaça  à  l'aile  droite  Hâmarz  avec  les  troupes 
perses,  à  l'aile  gauche  Hormuz-Kharrâd,  et  lui-même  occupa 
le  centre.  Hânf  plaça  à  l'aile  droite  Yezîd,  fils  de  Mousch^ir 


322  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

le  Schaîbânite ,  chef  des  Bent-Bekr  ;  à  l*aiie  gauche ,  ^Hanxhala , 
fils  de  Thaiaba,  chef  des  Bent-^ldjl;  lui-même  occupa  le 
centre.  Le  premier  qui  sortit  de  Taile  droite  dlyâs,  se  plaçant 
entre  les  deux  armées,  fut  Hâmarz,  qui  fit  appel  à  un  combat 
singulier,  en  s*ëcriant  en  langue  persane  :  Homme  contre 
homme!  Yezid ,  fils  de  Mousch^r,  à  Taile  droite  de  Hânî,  dit  : 
(rQue  dit  ce  chien  ??>  On  lui  répondit  :  11  dit  :  Homme  contre 
homme.  Yezid  répliqua  :  «rD^égal  àégalli»  Alors  un  homme 
de  Tannée  de  Hâni,  nommé  Mazyad,  fils  de  ^Hâiitha,  le 
Yaschkorite,  se  présenta  à  Hâmarz.  C^était  un  champion  fort 
brave  dans  le  combat.  Us  engagèrent  la  lutte.  Mazyad  frappa 
de  son  épée  Tépaule  droite  de  Hâmarz,  et  lui  enleya  la  moi- 
tié du  corps.  Hâmarz  tomba  de  cheval  et  mourut  C'est  le 
premier  qui  fut  tué  de  Tannée  perse.  Hâni  et  Tarmée  arabe 
s*en  réjouirent,  et  en  tirèrent  un  présage  favorable  pour  leur 
victoire. 

Les  Perses  ont  un  livre,  distinct  des  ouvrages  contenant  les 
traditions  et  des  chroniques,  qu'on  appelle  Unre  des  préiageiy 
et  qui  renferme  tous  les  présages  qui  ont  été  établis  dans  les 
guerres  des  Perses.  Il  est  dit  dans  ce  livre  :  Kesra  avait  en- 
voyé à  cette  guerre  Hâmarz ,  parce  qu  il  tirait  de  son  nom  un 
présage,  disant  :  Tu  dois  remporter  la  victoire  sur  Tarmée  de 
Hâni.  Hâni,  en  langue  pehlewi  et  persane,  qui  est  Tancienne 
langue  des  rois  de  Perse  et  des  Cosroès ,  et  qui  est  encore 
parlée  aujourd'hui  à  Ispâhâu  et  en  Fars,  signifie  «r reste l^^ 
et  Hâmarz  signifie  (rdeboutlT)  Kesra,  en  tirant  un  présage,  dit 
à  Hâmarz  :  Ton  nom  signifie  «r  debout  !  ^  celui  de  ton  adversaire 
signifie  v  reste  I  n  il  faut  donc  que  tu  aies  le  dessus  et  que  tu 
remportes  la  victoire.  Mais  ce  présage  ne  se  réalisa  point; 
et  Hâmarz  fut  tué  le  premier.  Le  combat  eut  lieu  ce  jour-là. 
U  y  avait  dans  Tarmée  perse  un  grand  nombre  d'archers,  qui 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LVIl.  323 

firent  pleuvoir  une  gréle  de  traits  sur  les  Arabes ,  dont  beau- 
coup furent  tués.  Les  Perses,  souffrant  de  la  soif  et  ne  trou- 
vant point  d'eau,  soutinrent  le  combat  jusqu'au  soir.  Alors 
les  deux  armées  rentrèrent  dans  leurs  camps. 

Qaïs,  fils  de  Mas^oud,  qui  faisait  partie  de  Tannée  dlyâs, 
sympathisait  avec  les  troupes  de  Hâni,  qui  étaient  ses  parents, 
et  désirait  la  victoire  pour  elles.  Pendant  la  nuit,  il  envoya 
vers  Hânî,  ^Hanzhala  et  les  autres  Arabes,  un  messager,  et 
leur  fit  dire  :  Notre  cœur  est  avec  vous;  nous  désirons  que 
vous  obteniez  la  victoire,  et  non  lyâs  ni  les  Perses,  qui  sont 
des  étrangers  pour  nous,  tandis  que  vous  êtes  nos  parents. 
Cependant  nous  ne  pouvons  pas  nous  rendre  à  vous,  parce  que 
nous  ne  savons  pas  à  qui  sera  la  victoire.  Maintenant,  aimez- 
vous  mieux  que  nous  nous  en  allions  cette  nuit,  abandon-, 
nant  les  Perses,  ou  voulez-vous  que,  demain ,  quand  la  lutte 
sera  engagée,  nous  prenions  la  fuite,  afin  de  jeter  le  trouble 
dans  Tannée  perse  et  de  Taffaiblir,  pour  qu'elle  prenne 
également  la  fuite?  Hân{,  ^Hanzhala  et  les  autres  Arabes  ré- 
pondirent :  Nous  désirons  que  vous  preniez  la  fuite  demain 
pendant  le  combat.  Les  Arabes,  très-contents  du  message 
de  Qaïs,  fils  de  Mas^oud,  furent  pleins  d'ardeur  pour  le 
combat  et  disposés  à  jouer  leur  vie.  ^Hanzhala  dit  à  Hân!  : 
Demain  nous  placerons  cinq  cents  hommes  en  embuscade, 
qui,  pendant  que  nous  serons  engagés  dans  la  lutte,  charge- 
ront les  Perses  qui  voudraient  fuir.  Hânt  envoya  cinq  cents 
hommes,  sous  les  ordres  de  Zaïd,  fils  de  ^Hayyân,  pour  se 
placer  en  embuscade. 

Ce  combat  eut  lieu  à  Tépoque  où  le  Prophète  était  arrivé 
à  Médine  et  avait  livré  aux  incrédules  de  la  Mecque  le  combat 
de  Bedr,  et  remporté  la  victoire  sur  eux.  Hâni,  ^Hanzhala  et 
leurs  troupes  dirent  :  Nous  avons  appris  qu'il  a  été  suscité 

91  . 


324  CHRONIQUE  DE  TABA'Rl. 

d*enire  les  Arabes  un  prophète,  nommé  Mo*hammed,  qui  a 
livré  deux  ou  trois  combats.  On  dit  que  quiconque  professe 
son  nom  obtient  l*objet  de  ses  désirs.  Quand  un  homme  est 
égaré  dans  le  désert,  qu*il  est  menacé  par  un  lion,  ou  qu*il  a 
perdu  quelque  chose,  s'il  prononce  le  nom  de  Mo^hammed,  il 
retrouve  son  chemin ,  ou  il  est  sauvé  du  danger.  Demain ,  dans 
le  combat,  prenons  comme  signe  le  nom  de  Mo^hammed,  afin 
qu'il  nous  soit  en  aide.  Lorsque,  le  lendemain,  ils  se  rangè- 
rent en  ordre  de  bataille ,  tous  les  hommes  de  Hâni  s'écrièrent  : 
(rMo^hammed,  notre  aide  \yi  Au  milieu  de  ces  cris,  ^Hanzhala 
fit  exécuter  une  charge  générale  sur  l'armée  perse;  les  cinq 
cents  hommes  embusqués  apparurent  également,  en  s'écriant  : 
trMo^hammed,  notre  aidel^  Les  troupes  arabes  de  l'armée 
d'Iyfts  tournèrent  le  dos,  abandonnant  lyâs.  Les  soldats  perses, 
déjà  affaiblis  par  la  soif,  en  apprenant  cette  fuite ,  furent  com- 
plètement découragés,  et  les  Arabes,  lorsque  les  cinq  cents 
hommes  de  leur  armée  sortirent  de  leur  embuscade,  les  char- 
gèrent avec  l'épée  par  devant  et  par  derrière.  Les  Perses  se 
mirent  à  fuir,  ayant  à  leurs  trousses  les  Arabes.  Dans  aucune 
bataille  antérieure  un  aussi  grand  nombre  de  soldats  perses 
n'avaient  été  tués.  Ce  fut  la  première  fois  que  les  Arabes 
prirent  leur  revanche  des  Perses. 

Au  moment  où  eut  lieu  cette  bataille,  l'ange  Gabriel  était 
auprès  du  Prophète  et  lui  fit  le  récit  de  ce  combat,  lui  disaiit 
que  les  Arabes  tiraient  l'épée  en  prononçant  son  nom,  qu'ils 
avaient  pris  comme  signe  de  ralliement,  et  que  Dieu  assistait 
les  Arabes  contre  les  Perses.  La  distance  de  Médine  à  Dsou- 
Qâr  est  de  plusieurs  journées  de  marche.  Gabriel  étendit 
ses  ailes  de  Médine  jusqu'à  Dsou-Qâr,  et  écarta  de  devant  les 
yeux  du  Prophète  tout  ce  qui  gênait  la  vue ,  de  sorte  qu'il 
pût  voir  le  champ  de  bataille  et  les  deux  armées.  Le  Pro- 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LVlll.  3^5 

phèle  était  entouré  de  ses  amis;  il  leur  dit  :  Les  Arabes  et 
les  Perses  se  livrent  une  bataille.  Lorsque  Farinée  perse  fut 
défaite,  il  s'écria  :  «rDieu  est  grand,  Dieu  est  grand.  Dieu  est 
grandi  Cest  la  première  fois  que  les  Arabes  prennent  leur 
revanche  des  Perses;  ils  ont  vaincu  par  mon  nom,  car  ils 
ont  pris  mon  nom  comme  signe  de  ralliement,  t^  11  y  avait  h 
Médine  plusieurs  des  gens  et  des  amis  de  Hâni,  et  beaucoup 
d'Arabes  du  désert  et  de  Médine  étaient  avec  lui.  Or  les  amis 
du  Prophète  notèrent  le  jour  et  Theure  où  il  avait  prononcé 
ces  paroles.  Lorsque  les  Arabes  de  Médine  qui  avaient  été  è 
Dsou-Qâr  revinrent,  ils  les  interrogèrent,  et  trouvèrent  leur 
récit  conforme  aux  paroles  du  Prophète. 

Le  jour  du  combat,  Hâni  rencontra  lyâs  et  voulut  le  tuer. 
^Hanzhala  Ten  empêcha  ;  lyâs  s'enfuit,  se  rendit  à  la  cour  de 
Kesra  et  lui  raconta  le  rôle  qu'avait  joué  le  nom  de  Mo^ham- 
med.  Kesra  fut  courroucé  et  prit  Mo^hammed  en  haine. 


CHAPITRE  LVIU. 


LETTRE  Dl)  PROPHETE  À  EESRA-PARWIZ. 


On  rapporte  qu'après  le  combat  de  Dsou-Qâr,  dans  lequel 
Kesra  avait  été  humilié  et  où  les  Arabes  avaient  triomphé  de 
lui ,  le  Prophète  écrivit  à  Parwiz  une  lettre  ainsi  conçue  : 

ff  Au  nom  du  Dieu  clément  et  miséricordieux;  de  la  part 
(tde  Mo^hammed,  apôtre  de  Dieu,  à  Parwiz,  fils  d'Hormuzd. 
tt  Or  je  rends  grâces  à  Dieu.  Il  n'y  a  pas  de  dieu  en  dehors 
(tde  Lui,  le  vivant,  l'étemel,  qui  m'a  envoyé,  avec  la  vérité 
(rpour  annoncer  et  avertir,  vers  un  peuple  misérable  et  de 
(rpeu  d'intelligence.  Celui  que  Dieu  dirige  n'est  pas  égaré, 
(tet  celui  qu'il  égare  n'a  pas  de  direction.  Dieu  regarde  la 


326  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

rr  condition  de  ses  servitenrs;  rien  ne  lui  ressemble  :  il  voit 
rret  entend  tout.  Or  mets-toi  bien  à  Tabri  du  châtiment  de 
frDieu,  ou  prëpare-toi,  de  la  part  de  Dieu  et  de  son  apdtre, 
(t  à  une  lutte  pour  laquelle  tu  n'es  pas  assez  fort,  ft 

Kesra ,  en  recevant  cette  lettre ,  se  mit  en  colère  et  dit  : 
Qui  est  celui  qui  a  mis  son  nom  avant  le  mien?  Puis  il  fit 
déchirer  la  lettre  et  traiter  avec  mépris  le  messager  qui  favait 
apportée.  Lorsque  le  Prophète  en  fut  averti,  il  dit  :  Il  a  dé- 
chiré son  royaume. 

J'ai  lu ,  dans  le  livre  des  expéditions  guerrières  du  Pro- 
phète {Meghdzt)y  que  Kesra ,  lorsque  les  affaires  de  Mo^hammed 
firent  des  progrès ,  envoya  deux  des  grands  de  la  Perse  comme 
messagers  auprès  du  Prophète.  Le  nom  de  Tun  d'eux  était 
Bâqour(?),  l'autre  s'appelait  Khour-Khosrou  (?).  Kesra  écrivit  à 
Bâdsân,  son  vice-roi  dans  le  Yemen,  une  lettre  ainsi  conçue  : 
Il  faut,  quand  tu  auras  pris  connaissance  de  cette  lettre,  en- 
voyer quelqu'un  à  Yathrib,  vers  cet  homme  nommé  Mo*ham- 
med,  qui  se  prétend  prophète,  et  que  tu  ordonnes  qu'on  l'en- 
voie enchainé  vers  moi.  Kesra  remit  en  outre  à  ses  envoyés  une 
lettre  adressée  k  Mo^hammed ,  et  leur  donna  les  instructions 
suivantes:  Allez  d'abord  à  Médine,  et  invitez  cet  homme  à 
venir  auprès  de  moi,  afin  que  je  l'entende.  S'il  vient,  revenez 
avec  lui;  s'il  ne  vient  pas,  laissez-le,  partez  pour  le  Yemen 
et  donnez  cette  lettre  à  Bâdsân,  qui  enverra  quelqu  un  pour 
le  faire  enchainer  et  pour  me  l'amener.  Cela  se  passa  vers  la 
fin  de  la  vie  de  Kesra.  Les  deux  ambassadeurs  arrivèrent  au- 
près de  Mo^hammed,  qui  fut  fort  étonné  de  les  voir  ayant  la 
barbe  rasée  et  de  longues  moustaches.  Il  leur  dit  :  Pour- 
quoi étes-vous  ainsi?  Ils  répondirent  :  Notre  mattre  nous 
ordonne  de  couper  la  barbe  et  de  laisser  pousser  les  mous- 
taches. Le  Prophète  répliqua  :  Mon  Seigneur  m'ordonne  de 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LVlil.  3'i7 

tailler  les  moustaches  et  de  laisser  pousser  la  barbe.  Selmàn 
servit  d'interprète  entre  lui  et  les  envoyés.  Ensuite  ils  lui 
remirent  la  lettre  de  Kesra.  Mo^hammed  ne  fit  pas  de  réponse 
et  ne  lut  pas  la  lettre;  il  leur  dit  :  Restez  ici,  afin  que  j'a- 
vise. Il  les  fit  loger  dans  la  maison  de  Selmàn,  les  fit  traiter 
avec  égards  et  les  fit  pourvoir  abondamment  de  farine  et 
de  dattes.  Chaque  jour  ils  venaient  trouver  le  Prophète  pour 
le  presser;  mais  il  leur  donnait  de  bonnes  paroles  et  les 
payait  de  politesse.  Après  six  mois,  iU. s'impatientèrent.  Alors, 
à  minuit,  Gabriel  vint  auprès  du  Prophète  et  l'informa  que 
Kesra  avait  été  tué  par  Schirouï.  Le  lendemain,  les  ambas- 
sadeurs vinrent  avec  Selmàn  et  dirent  :  Notre  patience  est 
épuisée;  viens  avec  nous  ou  laisse-nous  partir.  Selmàn  in- 
terpréta ces  paroles  au  Prophète,  qui  dit  :  Attendez  encore  un 
peu.  Ils  se  levèrent  mécontents  et  dirent  :  Notre  maître  ne 
nous  pardonnera  pas  un  si  long  retard.  Selmàn  traduisit  ces 
paroles  au  Prophète.  Celui-ci  répliqua  :  Dis-leur  :  «rMon  Sei- 
gneur a  fait  mourir  votre  maitre  et  l'a  livré  entre  les  mains 
de  Schirouï,  son  fils,  qui  l'a  tué  hier.7)  Les  deux  ambassa- 
deurs, tout  en  ne  croyant  pas  à  ces  paroles,  se  dirent  qu'il 
leur  était  impossible  de  demeurer  plus  longtemps  avec  ces 
hommes.  Ils  partirent  la  même  nuit,  et,  n'osant  pas  retourner 
auprès  de  Kesra,  ils  se  rendirent  dans  le  Yemen,  et  remirent 
à  Bàdsàn  la  lettre  de  Kesra.  Bàdsàn  avait  déjà  reçu  de  Schi- 
rouï une  lettre  ainsi  conçue:  Parwiz  est  mort,  et  je  suis  monté 
sur  le  trône;  rendez-moi  hommage,  toi  et  toutes  les  troupes 
que  tu  as  sous  les  ordres.  Quant  à  cet  homme,  à  Yathrib, 
qui  se  prétend  prophète ,  et  au  sujet  duquel  Kesra  t'a  écrit  de 
le  lui  envoyer,  garde- toi  de  l'inquiéter,  jusqu'à  nouvel  ordre 
de  ma  part.  Les  deux  ambassadeurs  restèrent  auprès  de  Bàd- 
sàn, qui  fut  le  dernier  vice-roi  de  Perse  dans  le  Yemen. 


328  CHRONIQUE  DE  TABARL 


CHAPITRE  LIX. 

SGh!rOUÏ  tue  son  PBRB.  RÈGflB  DE  SGh!rOUÎ. 

Or,  vers  la  fin  de  son  règne,  Parwfz,  par  ses  mauvaises 
actions,  s*était  aliéné  tout  le  peuple.  Tannée  elles  citoyens.  Il 
avait  fait  mettre  en  prison  tous  les  soldats  qui,  les  uns  après 
leur  fuite  devant  le  César  de  Roum ,  les  autres  en  se  sauvant 
dans  la  journée  de  Dsou-Qâr,  étaient  revenus  auprès  de  lui. 
Il  se  proposait  de  faire  mettre  à  mort  tous  les  officiers  et  leurs 
fils,  disant  :  Je  vous  ai  élevés  et  bien  traités,  mais  vous  m'a- 
vez trahi,  en  ne  combattant  pas  contre  rennemi:  j'ai  donc  le 
droit  de  vous  dter  la  vie.  Il  en  retint  mille,  et  ordonna  au  chef 
des  gardes  d'en  tuer  chaque  nuit  quatre  ou  cinq.  Le  chef  des 
gardes  épargna  les  principaux  officiers,  et  tua  d'abord  ceux  d'un 
rang  inférieur,  afin,  disait-il,  de  ne  pas  irriter  l'armée.  Mais 
l'armée  fut  mécontente  de  Kesra.  Kesra  mécontenta  aussi  les 
citoyens  en  chargeant  Ferroukhzâd  de  faire  rentrer,  de  gré 
ou  de  force,  l'arriéré  de  l'impôt  depuis  vingt  et  trente  ans. 

Kesra  avait  fait  enfermer  ses  propres  fils,  parce  que  les 
astrologues  lui  avaient  dit  qu  il  naîtrait  dans  sa  famille  un 
enfant  ayant  un  défaut  au  corps,  et  que  cet  enfant  lui  ferait 
perdre  l'empire,  à  lui  et  a  sa  dynastie.  C'est  Yezdedjerd,  fils 
de  Schehryâr,  qui  était  désigné.  Kesra  avait  fait  mettre  ses  fils 
dans  la  forteresse,  et  les  faisait  surveiller  par  des  gardiens,  afin 
qu'aucune  femme  ne  pénétrât  auprès  d'eux.  Ils  étaient  treize 
jeunes  gens,  ou,  selon  d'autres,  dix-sept,* tous  dans  l'âge  de  la 
maturité,  ayant  besoin  du  commerce  des  fenunes  :  ils  étaient 
donc  très-mécontents.  Schehryâr,  l'atné  de  tous,  fit  demander 
k  Schlrtn  de  lui  envoyer  en  secret  une  femme,  quelle  qu^eRe 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LIX.  329 

fdL  Schtrln  avait  une  esclave  noire,  uae  coiffeuse,  qui,  dans 
le  palais,  coiffait  les  jeunes  filles.  Cest  cette  femme  que  Schî- 
rin  envoya  à  Sckekryâr,  qui  eut  commerce  avec  elle  et  qui 
la  rendit  enceinte.  Quelques-uns  disent  que  Schirin  avait 
envoyé  cette  femme  vers  Sckehryâr,  pour  le  coiffer,  en  lui  re- 
conmiandant  de  ne  pas  lui  parler,  pour  qu'il  ne  sût  pas  son 
sexe;  mais  lorsqu'elle  posa  sa  main  sur  la  tête  et  le  cou  de 
Schehryâr,  celui-ci  reconnut  la  main  d'une  femme,  et  abusa 
d'elle.  Schirîn,  ayant  appris  que  cette  fille  était  enceinte,  la 
garda  dans  ses  appartements,  où  elle  donna  le  jour  à  un  fils, 
que  Scfaîrin  nomma  Yezdedjerd  et  qu'il  fit  éloigner  de  Ma- 
dâïn  et  élever,  dans  un  des  bourgs  du  Sawâd  sous  la  garde 
de  quelques  nourrices.  Celles-ci,  quand  l'enfant  fut  âgé  de 
cinq  ans,  le  rapportèrent  à  Schirîn,  qui  le  tint  caché  dans 
ses  appartements. 

Un  jour,  Parwiz,  causant  avec  Schirtn,  dit  :  J'ai  enrayé 
follement  ma  postérité,  en  refusant  à  mes  fils  des  femmes. 
Il  s'en  était  repenti.  Schirîn  lui  dit  :  Veux-tu  voir  un  de  tes 
rejetons,  un  enfant  né  de  ces  mêmes  fils?  Parwiz  répondit  : 
Je  veux  bien.  Alors  on  présenta  Yezdedjerd  à  Kesra,  qui  dit  : 
A  qui  est  cet  enfant?  Schirîn  répliqua  :  Cet  enfant  a  été  en- 
gendré par  Schehryâr,  mais  je  l'ai  appelé  mon  fils  et  je  l'élève 
depuis  cinq  ans.  Parwiz  fut  très-heureux,  prit  l'enfant  dans 
ses  bras,  le  caressa  et  lui  donna  beaucoup  d'argent.  Ensuite 
Parwiz,  se  rappelant  la  parole  des  astrologues,  qu'il  aurait 
un  petit-fils  ayant  un  défaut  au  corps,  par  les  mains  duquel 
l'empire  de  Perse  périrait,  devint  soucieux  et  dit  à  Schirîn  : 
Déshabille-le,  afin  que  je  voie  tout  son  corps.  Schirîn  désha- 
billa l'enfant,  qui  était  bien  constitué,  sauf  qu'il  avait  deux 
08  de  la  hanche  de  moins  du  côté  gauche  que  du  côté  droit. 
Parwiz  dit  :  C'est  de  lui  que  je  dois  me  garder.  Il  le  saisit  et 


330  CHRONIQUE  DE  TABARL 

▼oolat  le  jeter  par  terre.  SchirtD  te  lui  enleva  et  dît  :  Si  Dieu 
Ta  résolu,  tu  ne  pourras  pas  Tempècher;  et  peut-être  n*est- 
ce  pas  lui  que  tu  dois  craindre.  Parwlk  répliqua  :  Cest  juste; 
mais  éloigne  de  moi  cet  enfant ,  je  ne  veux  plus  jamais  le  voir. 
Schfrin  TenToya  dans  le  Sawâd.  Parwti  redoubla  de  rigueur 
envers  ses  fils  et  augmenta  le  nombre  de  leurs  gardiois.  Ses 
fils  conçurent  de  la  haine  contre  lui. 

Un  antre  des  forfaits  de  Parwîi  lut  le  suivant  :  il  avait  un 
officier  d*un  rang  élevé,  qui  lui  était  tràs-soumis  et  attaché  à 
son  service,  et  qui  avait  déjà  servi  son  père  pendant  de  longues 
années;  il  était  très-considéré  en  Perse,  tant  par  Tannée  que 
par  les  citoyens.  Cet  homme,  nommé  Merdânschâh,  avait  été 
investi  par  Parwfz  du  gouvernement  de  Ziboul  (Zâboulistân), 
qui,  compris  dans  le  territoire  deT^Irâq,  renfermait  un  grand 
nombre  de  villes,  et  qui  avait  encore  un  autre  gouverneur 
[en  dehors  de  Merdânschâh].  Une  de  ces  villes  est  Nimroui, 
qui  était  la  résidence  de  tous  les  gouverneurs  du  Zâboulistân, 
et  aussi  de  Merdânschâh.  Vers  la  fin  de  sa  vie,  deux  ans  avant 
sa  mort,  Parwiz  demanda  aux  astrologues  de  quelle  manière 
il  (inirait.  Ceux-ci  lui  dirent  qu  il  périrait  par  la  main  d'un 
homme  de  son  armée  qui  serait  gouverneur  de  Zâboulistân 
et  de  Nimrouz.  Parviriz  eut  des  craintes  à  Tendroit  de  Mer- 
dânschâh, qui  était  un  honmie  vaillant,  en  possession  de 
grands  biens  et  de  beaucoup  de  troupes,  et  il  résolut  de  le 
tuer.  11  lui  écrivit  de  quitter  son  armée  et  de  venir  le  trouver, 
seul  avec  ses  familiers,  parce  qu  il  avait  une  communication 
à  lui  faire.  Lorsque  Merdânschâh  arriva,  Parwiz,  le  voyant 
devant  lui,  considérant  sa  vieillesse,  et  se  rappelant  les  ser- 
vices et  les  conseils  de  cet  homme,  qui  ne  Tavait  jamais  of- 
fensé, eut  honte,  par  respect  pour  lui  et  les  hommes,  de  le 
(aire  mettre  à  mort.  Il  eut  Fidée  de  lui  faire  couper  la  main 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LIX.  331 

droite,  de  lui  douner  ensuite  beaucoup  d'argent  et  de  le  ren- 
voyer, pour  être  tranquille  à  son  égard,  puisqu'il  n'aurait 
plus  qu'une  main.  Kesra  lui  fit  donc  couper  la  main  droite 
et  le  renvoya  dans  sa  maison.  Merdânschâh  mit  la  main  dé- 
tachée dans  son  sein,  et  pleura  en  silence  pendant  trois  jours, 
ne  prenant  aucune  nourriture  et  ne  dormant  pas.  Le  troi- 
sième jour,  Kesra  envoya  quelqu'un  à  sa  maison,  lui  fit  de- 
mander pardon,  le  fit  consoler  et  lui  fit  remettre  beaucoup 
d'argent.  II  lui  fit  dire  :  Dieu  l'avait  ainsi  décrété;  je  sais  que 
tu  es  innocent;  je  te  donnerai  encore  tant  d'argent,  que  tu 
seras  satisfait  Merdânschâh  répondit  :  Je  n'ai  que  faire  de 
l'argent;  mais  j'ai  une  demande  à  t'adresser;  si  tu  me  l'ac- 
cordes, je  serai  réconcilié  avec  toi.  Kesra  se  déclara  disposé 
à  la  lui  accorder.  Merdânschâh  dit  :  Fais  venir  ton  mobed, 
prends-le  à  témoin  et  promets  devant  lui  que  tu  accompliras 
mon  désir,  quelque  difficile  qu'il  soit  pour  toi.  Kesra,  en  con- 
sidération du  traitement  qu'il  avait  infligé  à  Merdânschâh, 
fit  venir  le  grand  mobed  et  s'engagea  par  serment  devant  lui; 
ensuite  il  dit:  Maintenant  fais  ta  demande,  puisque  j'ai  juré. 
Merdânschâh  dit  :  Ma  demande  est  que  tu  me  fasses  tuer. 
Kesra,  ne  pouvant  se  dégager  de  son  serment,  donna  ordre 
de  le  mettre  à  mort  Merdânschâh  avait  un  fils,  nommé  Mihr- 
Hormuzd,  que  Kesra  voulut  envoyer  à  la  place  de  son  père 
en  Zâboulistân;  mais  il  n'accepta  pas,  malgré  les  instances 
du  roi,  et  se  retira  du  service  militaire. 

Tout  le  peuple  de  Perse  fut  indigné  de  la  mort  de  Mer- 
dânschâh. Toute  l'armée  se  rassembla  et  demanda  à  Kesra  de 
mettre  en  liberté  les  vingt  mille  hommes  qu'il  tenait  en  pri- 
son. Le  roi  refusa.  Les  soldats  lui  dirent  :  Si  tu  ne  veux  pas  les 
relâcher  tous,  donne  au  moins  la  liberté  aux  mille  officiers. 
Kesra  refusa  encore  et  jura  qu'il  les  ferait  mettre  à  mort.  Alors 


332  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

les  soldats  et  les  officiers,  d'un  accord  unanime,  résolurent  de 
le  déposer  et  de  conférer  la  royauté  à  Tun  de  ses  fils.  Kesra 
avait  un  fils  de  Marie,  la  fille  du  César,  nommé  Schîrouî, 
qui,  d'après  quelques-uns,  était  Tainé  des  fils  de  Parwiz.  Les 
troupes  le  firent  consentir  à  participer  à  leur  complot  d'âter 
la  couronne  à  son  père  et  de  le  proclamer  roi.  Parwiz,  pour 
montrer  qu'il  n'avait  pas  été  complice  du  meurtre  de  son 
père  et  qu'il  ne  l'avait  pas  approuvé,  avait  fait  mettre  à  mort 
son  oncle  Bendouï,  malgré  toutes  les  peines  que  celui-ci 
s'était  données  pour  lui.  11  avait  voulu  en  faire  autant  de 
Bostâm ,  et  l'avait  rappelé  du  Khorâsân  ;  mais  Bostâm  s'était 
révolté  contre  lui,  et  n'était  pas  venu.  Le  fils  de  Bendouï, 
nourrissant  des  sentiments  hostiles  contre  Parwiz,  fut  enrôlé 
dans  le  complot  de  l'armée. 

Parwiz  avait  régné  trente-huit  ans  accomplis,  lorsque  les 
Perses  mirent  à  exécution  leur  projet.  Une  certaine  nuit,  à 
minuit,  les  soldats  se  rassemblèrent,  brisèrent  les  portes  des 
prisons  et  firent  sortir  les  vingt  mille  honmies  détenus.  Us  se 
portèrent  immédiatement  après  au  palais  de  Schirouï  et  le 
proclamèrent  roi.  Ils  voulaient,  dans  la  nuit  même,  chasser 
Parwiz  de  son  palais;  mais  Schirouï  leur  dit  :  II  est  nuit,  lais- 
sez-le jusqu'à  demain  matin.  Tous  les  habitants  reconnurent 
Schirouï.  Cela  se  passa  dans  la  nuit  du  jour  d'âdsar  du  mois 
d'âdsar.  Les  soldats  renoncèrent  à  leur  dessein  [pour  cette 
nuit]  et  restèrent,  montés  sur  leurs  chevaux,  à  l'entrée  du 
palais  de  Parwiz  jusqu'à  ce  que,  le  matin ,  on  ouvrit  les  portes. 

Il  était  d'usage  chez  les  Perses  que,  chaque  nuit,  les  gar- 
diens proclamassent,  du  haut  de  la  terrasse  du  palais»  le 
nom  du  roi,  pour  faire  connaître  aux  citoyens  qne  le  roi  était 
en  bonne  santé.  La  nuit  où  Schirouï  fut  reconnu  pour  roi» 
comme  on  allait  proclamer  le  nom  de  Parwiz,  roi  des  roi», 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LIX.  333 

conformëment  à  la  coutume  suivie  sous  tous  les  rois  de  Perse, 
le  chef  des  gardiens  dit  aux  gardes  de  proclamer  le  nom  de 
Schtrouï,  quoiqu^il  ne  (ùi  pas  dans  le  palais.  Les  gardes  criè- 
rent :  Que  Schîrouï,  roi  des  rois,  soit  heureux!  Lorsque 
Parwîz,  se  réveillant  le  matin,  apprit  ce  qui  s'était  passé, 
il  comprit  qu'il  avait  été  déposé,  et  que  Schirouï  avait  été 
reconnu  roi.  Pendant  qu'il  faisait  encore  obscur,  il  monta, 
avec  ses  femmes,  sur  la  terrasse,  se  fit  descendre  par  le  mur, 
et  s'enfuit  i  pied  dans  son  parc,  sortit  de  la  ville  et  se  cacha. 
Quand  le  jour  fut  venu,  on  ouvrit  les  portes  du  palais;  les 
hommes  y  entrèrent,  pour  chercher  Parwiz,  mais  ils  ne  l'y 
trouvèrent  plus.  Ils  allèrent  prendre  Schfrouî,  et  l'étahlirent 
dans  le  palais.  Ensuite,  s'étant  mis  à  la  recherche  de  Parwiz, 
ils  le  saisirent  dans  le  parc,  lui  mirent  une  corde  au  cou  et 
le  ramenèrent  ainsi  à  Schfrouî,  qui  le  tint  dans  un  appar- 
tement du  palais,  le  fit  revêtir  d'une  robe  royale,  fit  orner 
sa  chambre  d'un  tapis  brodé  d'or,  et  le  fit  surveiller  par  des 
gardiens.  Puis  il  lui  demanda  pardon ,  en  disant  :  Ce  n'est 
pas  moi  qui  ai  cherché  à  m'emparer  du  pouvoir,  et  je  ne  l'ai 
pas  accepté  de  mon  libre  consentement;  ils  m'y  ont  forcé, 
parce  qu'ils  ne  voulaient  plus  de  toi  ;  j'ai  accepté  le  pouvoir 
pour  que  la  royauté  ne  sortit  pas  de  notre  famille. 

Après  deux  ou  trois  jours,  les  habitants,  voyant  que  Schf- 
rouî ne  faisait  pas  mettre  à  mort  Parwfz ,  comme  ils  l'avaient 
pensé,  se  réunirent  autour  de  Schfrouî  et  lui  dirent  :  Il  ne  se 
peut  pas  qu'il  y  ait  deux  rois  dans  un  même  palais;  fais-le 
mourir,  sinon  nous  lui  rendrons  la  couronne,  et  il  te  fera 
mourir  toi-même.  Schfrouî,  très-embarrassé,  demanda  un 
délai  de  trois  joui^.  Ils  lui  dirent  :  Envoie-le  en  prison,  car 
il  n'est  pas  convenable  qu'il  y  ait  deux  rois  dans  un  même 
lieu.  Schfrouî,  ayant  fait  mettre  9urla  tête  de  Parwfz  une  pièce 


33A  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

d*ëtofic  y  cl  l'ayant  fait  monter  à  cheYal ,  le  plaça  sous  la  garde 
d'un  officier  et  de  cinq  cents  hommes,  et  le  fit  conduire  ainsi 
à  la  maison  d'un  officier  nommé  Mâh-lsfend.  Parwiz ,  qui  avait 
la  tête  cachée  par  Tétoffe,  passa  avec  ce  cortège  devant  la  bou- 
tique d'un  cordonnier.  Celui-ci  reconnut  Parwiz,  Tinsulla  et 
jeta  sur  lui  une  forme,  qui  l'atteignit  à  la  tête.  L'officier  re- 
vint et  dit  au  cordonnier  :  Chien  I  qui  es-tu  donc  pour  étendre 
la  main  sur  un  roi  et  lui  lancer  des  formes?  Ensuite  il  le 
frappa  de  son  épée  et  lui  trancha  la  tête.  Arrivé  à  la  maison 
de  M âh-Isfend ,  l'officier  mit  Parwiz  entre  ses  mains.  Scfaî- 
rouï  envoya  à  Parwiz  des  tapis  et  des  vêtements  brodés  d'or, 
et  chargea  un  officier,  nommé  Djalinous  (Galien),  un  homme 
brave,  vaillant  et  de  haute  stature,  de  garder  la  porte  de  Màh* 
Isfend,  avec  cinq  cents  hommes  armés. 

Lorsque  le  délai  qu'il  avait  fixé  fut  expiré,  les  hommes 
dirent  à  Schiroui:  Si  tu  es  roi,  donne  Tordre  de  tuer  Par- 
wiz; sinon  autorise-nous  à  le  faire.  Schiroui  dit:  Accordez- 
moi  encore  un  jour,  afin  que  je  lui  fasse  reprocher  ses  mé- 
faits, pour  voir  quelles  raisons  et  quelles  excuses  il  donnera. 
Schiroui*  fit  venir  un  homme  nommé  Isfâdekhsis,  principal 
scribe,  très-savant  et  intelligent,  et  lui  dit  :  Porte  de  ma  part 
à  Kesra  un  message,  et  dis-lui  :  Le  malheur  que  tu  éprouves 
t'est  arrivé  de  ton  fait  ;  il  n'a  été  causé  ni  par  moi ,  ni  par 
aucune  autre  personne.  Tu  as  commis  le  crime.  Dieu  t'a  puni 
et  t'a  précipité  du  trône.  Ton  premier  crime  a  été  d'aveugler 
et  de  tuer  ton  père.  Le  second  a  été  d'enfermer  de  grands 
fils  et  de  les  empêcher  de  se  créer  •une  postérité,  et  de  nous 
défendre  ce  que  Dieu  a  pernns  aux  hommes.  Ton  troisième 
crime  a  été  de  tenir  en  prison  vingt  mille  hommes,  pour  les 
tuer,  sous  prétexte  qu'ils  avaient  pris  la  fuite  [devant  le  Cé- 
sar] de  Roum  et  à  [la  journée  de]  Dsou-Qâr.  Cependant  le 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LIX.  335 

sort  de  la  guerre  favorise  tantôt  celui-ci,  tantôt  celui-là;  et 
si  Dieu  ne  fa  pas  accordéia  victoire,  était-ce  la  faute  de  ces 
hommes?  En  bonne  administration  royale,  tu  aurais  dû  les 
bien  traiter  et  leur  donner  des  armes  et  de  Targent ,  et  les  faire 
partir  pour  recommencer  la  guerre.  Quatrièmement,  tu  as  dé- 
tenu en  prison  des  personnes  que  tu  voulais  faire  mourir  et 
dont  tu  as  fait  tuer  chaque  nuit  quatre  ou  cinq,  tandis  qu'elles 
étaient  assez  affligées  et  punies  d'être  en  prison  ;  il  n'était  pas 
nécessaire  de  les  tuer.  Cinquièmement,  tu  as  amassé  dans  ton 
trésor  tout  l'argent  du  monde,  ne  donnant  rien  à  personne, 
pour  que  ton  trésor  fût  rempli  d'or,  d'argent,  de  pierres  pré- 
cieuses et  de  tout  genre  de  richesses,  que  personne  ne  saurait 
évaluer,  et  plus  qu'aucun  roi  n'en  a  jamais  réuni.  Sixièmement, 
tu  as  eu  dans  ton  palais  tant  de  milliers  de  femmes,  de  condi- 
tion libre  et  esclaves ,  que  tu  ne  pouvais  pas  toutes  posséder;  tu 
en  as  privé  les  hommes,  et  tu  t'es  contenté  d'une  seule.  Ton 
septième  méfait  a  été  de  charger  un  méchant  homme  d'exiger 
des  habitants ,  par  la  force ,  l'arriéré  de  l'impôt  depuis  vingt  et 
trente  ans.  Ton  huitième  crime  a  été  contre  le  roi  de  Roum , 
qui  t'avait  comblé  de  tant  de  bienfaits  en  te  donnant  une 
armée,  en  envoyant  son  fils  avec  toi,  te  mettant  à  même  de 
chasser  Bahrftm,  et  en  t'accordant  sa  (ille  en  mariage.  Puis, 
lorsque  tu  as  été  en  force,  tu  as  subjugué  le  pays  de  Roum ,  et 
quand  le  César  t'a  fait  demander  la  croix,  qui  était  tombée  entre 
tes  mains,  tu  ne  l'as  pas  rendue;  tu  as  été  ingrat  envers  lui. 
Ton  neuvième  crime  a  été  de  vouloir  tuer  Yezdedjerd,  l'enfant 
né  de  ton  propre  fils  Schehryâr;  seulement  Schirîn  t'en  a 
empêché,  en  t'enlevant  l'enfant  et  en  le  cachant.  Le  dixième 
crime  que  tu  as  commis  est  d'avoir  tué,  à  cause  d'une  femme, 
Norman,  fils  de  Moundsir,  qui  était  innocent.  C'était  Moundsir, 
fils  d'Imrou'1-Qaïs,  le  Kindien,  qui  avait  élevé  Bahramgour 


33C  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

et  qui  lui  avait  reudu  la  couronne.  Nos  aïeux  et  nos  pères  ont 
conservé  de  la  reconnaissance  pour  Norman;  mais  toi,  tu  as 
été  ingrat  envers  lui,  tu  Tas  fait  périr  par  suite  du  mensonge 
d'un  scribe,  parce  qu  il  ne  l'avait  pas  accordé  sa  fiile.  Ton 
onzième  crime  enfin  est  d'avoir  fait  couper  la  main  droite  à 
Merdânschâh ,  malgré  tant  de  services  qu  il  a  rendus  à  ton 
père  Hormuzd  et  à  toi-même,  et  malgré  la  reconnaissance  que 
tu  lui  devais  pour  sa  fidélité  et  ses  conseils.  Il  n'y  avait  pa& 
dans  toute  la  Perse  un  homme  de  sa  valeur.  Tu  Tas  fait  venir» 
tu  lui  as  fait  couper  la  main  droite ,  sans  cause ,  de  sorte  que  lui , 
par  chagrin  et  dépit,  désirait  mourir;  et  tu  Tas  fait  tuer,  ou- 
bliant ses  services  et  sans  respect  pour  son  extérieur  [véné- 
rable]. A  cause  de  tous  ces  méfaits,  Dieu  t'a  puni  et  fa  ôté  la 
couronne  ;  il  a  mis  les  hommes  h  même  de  me  dire  aujourd'hui 
que,  si  je  ne  te  fais  pas  périr,  ils  me  tueront  d'abord  et  toi 
ensuite.  Donc ,  si  tu  as  quelque  raison  à  produire,  dis-la-moi, 
afin  que  je  leur  en  fasse  part;  peut-être  seras-tu  sauvé  de  la 
mort. 

Le  scribe  alla  porter  ce  message,  et  arriva  à  la  maison  où 
Parwiz  était  prisonnier.  Les  gardiens,  en  le  voyant,  se  le- 
vèrent. L'envoyé  de  Schfrouï  prit  place  et  dit  à  l'officier  qui 
commandait  la  garde  :  Pourquoi  vous  chargez-vous  de  ces 
lourdes  armes?  Personne  ne  viendra  t'attaquer,  car  Schirouï 
est  solidement  établi  sur  le  trône ,  et  le  peuple  tout  entier  lui 
a  fait  sa  soumission.  L'officier  répondit  :  Tu  as  raison;  cepen- 
dant la  réunion  dans  laquelle  je  me  trouve  est  une  réunion 
militaire,  et  il  faut  respecter  les  règles  de  chaque  réunion  et 
y  paraître  dans  l'apparat  nécessaire.  Quand  les  hommes  sont 
réunis  à  un  banquet,  ils  pourraient  bien  boire  sans  manger  des 
douceurs  et  sans  autre  apparat;  mais  on  y  présente  des  dou- 
ceurs, du  basilic  et  des  fruits,  et  on  y  fait  venir  des  musiciens, 


,      PARTIE  II,  CHAPITRE  LIX.  337 

pour  rendre  le  banquet  parfait  et  plus  agréable.  Il  en  est  de 
même  d'une  réunion  militaire.  Ensuite  le  messager  dit  à  Tof- 
ficier  :  J'ai  un  message  pour  Parwtz  de  la  part  de  Schirouï;  va 
lui  demander  pour  moi  la  permission  d'entrer.  Le  chef  des 
gardes  alla  Fannoncer  à  Parwiz,  qui  dit  :  Si  c'est  Schirouï 
qui  est  roi,  je  n'ai  pas  besoin  de  portier,  et  s'il  me  faut  un 
portier,  alors  c'est  moi  qui  suis  roi,  et  non  Schfroui. 

Parwtz  ayant  accordé  l'audience,  le  messager  entra  et  s'in- 
clina devant  lui  jusqu'à  terre.  Parwiz  lui  dit  de  lever  la  tête. 
Il  tenait  dans  la  main  un  coing,  qu'il  plaça  ensuite  sur  son 
bras,  se  soulevant  de  dessus  le  coussin  sur  lequel  il  était 
appuyé;  le  coing  tomba  sur  le  coussin,  roula  sur  le  tapis  et 
puis  sur  le  sol.  Parwiz  en  tira  un  mauvais  présage  et  fut 
affligé.  Le  messager  de  Schirouï  prit  le  coing,  l'essuya  et  le 
présenta  à  Parwiz.  Parwiz  dit  :  Mets-le  loin  de  moi.  Ensuite 
il  lui  dit  de  s'asseoir.  L'envoyé  étant  assis,  Parwiz  laissa 
tomber  sa  tête ,  et  resta  longtemps  ainsi.  Enfin  il  leva  la  tête 
et  dit  :  Une  affaire  perdue  ne  peut  être  réparée  par  aucun 
moyen.  Ce  présage  m'apprend  que  la  royauté  sera  perdue 
pour  moi,  qu'elle  ne  restera  pas  à  celui  qui  l'aura  de  moi, 
ni  à  l'autre  qui  l'aura  après  lui,  ni  au  troisième  après  lui; 
elle  sortira  de  ma  famille  et  ira  à  des  gens  étrangers  à  ce 
pays.  Il  ajouta  ensuite  :  Dis-moi  ce  que  veut  Schirouï.  L'en- 
voyé lui  rapporta  tous  les  points  du  message.  Parwiz  ré- 
pliqua :  Dis  à  Schirouï  :  0  misérable,  la  brièveté  de  la  vie 
me  sert  d'^excuse  pour  les  fautes  que  j'ai  commises.  Mais  quand 
même  je  n'aurais  pas  d'excuse,  tu  n'aurais  pas  dû  me  faire 
le  compte  de  mes  fautes;  personne  n'a  ce  droit  envers  un 
autre,  excepté  celui  qui  est  complètement  innocent;  mais  en 
ce  monde  il  n'existe  pas  d'homme  complètement  innocent.  En 
ce  qui  concerne  ton  reproche  relatif  à  mon  père  Hormuzd, 

11.  aa 


338  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

cela  ne  s*est  pas  passé  comme  tu  dis.  Tu  n'étais  pas  encore 
né  alors  qu'un  différend  s'éleva  entre  mon  père  et  moi ,  et  je 
n'étais  pas  encore  allé  dans  le  pays  de  Roum  et  n'avais  pas 
encore  épousé  ta  mère.  Bahrâm>Tschoubin ,  ayant  ourdi  une 
intrigue  contre  moi,  en  faisant  frapper  de  la  monnaie  en  mon 
nom  et  à  mon  effigie  pour  que  mon  père  eût  des  soupçons 
contre  moi,  je  m'enfuis  dans  l'Aderbidjân,  et  séjournai  dans 
un  pyrée,  m'adonnant  à  la  dévotion.  Tous  les  hommes  savent 
que  le  malheur  qui  a  frappé  mon  père  n'avait  pas  été  pré- 
paré, ni  consenti,  ni  désiré  par  moi ,  qui  étais  absent.  Quand 
je  revins,  je  trouvai  mon  père  dans  un  état  qui  le  rendait  in- 
capable d'exercer  le  pouvoir  :  il  était  aveugle,  et  sa  santé  était 
ruinée.  S'il  avait  été  bien  portant,  je  ne  serais  jamais  monté 
sur  le  trdne.  Ensuite,  lorsque  je  me  rendis  dans  le  pays  de 
Roum,  en  fuyant  devant  Bahrâm-Tschoubtn,  et  que  mon  oncle 
Bendouï  retourna,  je  n'ai  pas  su  qu'il  voulait  tuer  mon  père; 
je  n'ai  ni  ordonné,  ni  approuvé  ce  meurtre.  Plus  tard,  quand 
j'eus  recouvré  le  trône  et  que  tout  fut  rentré  dans  l'ordre,  je 
fis  mettre  à  mort  Bendouï  et  ses  complices  dans  le  jneurtre 
de  mon  père;  j'.ai  réduit  leurs  familles  à  l'impuissance  et  les 
ai  chassées  du  royaume.  Cet  état  de  choses  est  connu  de  tous. 
En  ce  qui  concerne  ta  détention  et  celle  de  tes  frères ,  j'ai  agi 
ainsi  afin  que  vous  vous  livrassiez  à  Télude  pour  être  aptes  au 
trône;  mais  vous  ne  songiez  qu'au  jeu,  et  ne  cherchiez  que  le 
plaisir.  Cependant  je  vous  ai  bien  pourvus  de  nourriture ^et  de 
vêtements  et  de  tout  ce  qui  vous  était  nécessaire.  Je  vous  ai 
empêchés  de  vous  donner  des  enfants-,  parce  que  les  astrolo- 
gues m'avaient  annoncé  qu'il  naîtrait  de  mes  fils  un  rejeton 
dans  les  mains  duquel  le  royaume  de  Perse  périrait.  Je  n*ai 
pas  voulu  que,  aussi  longtemps  que  je  serais  vivant,  cet  enfant 
vînt  au  monde.  Lors  de  ta  naissance ,  les  astrologues  m'avaient 


PARTIE  H,  CHAPITRE  LIX.  339 

aussi  prédit  que  ce  serait  loi  qui  m'ôterais  la  couronne,  le 
jour  d'âdsar  du  mois  d'âdsar,  dans  la  trente-huitième  année 
de  mon  règne;  ils  avaient  trouvé  la  même  prédiction  en 
tirant  ton  horoscope;  leur  écrit,  cacheté  de  mon  sceau,  a 
été  remis  par  moi  entre  les  mains  de  Schirin;  si  tu  veux, 
demande-le-lui  et  vois-le.  Sachant  cela,  j'aurais  dû  te  tuer; 
mais  je  ne  Tai  pas  fait,  par  affection  paternelle.  Quand  tu  fus 
grand,  le  roi  d'Indostan  m'envoya  un  ambassadeur  avec  une 
lettre  et  des  présents.  Dans  sa  lettre  je  trouvai  des  avis  sur 
chacun  de  mes  fils  en  particulier;  relativement  à  toi,  il  m'avait 
averti  que  tu  t'emparerais  du  pouvoir  le  jour  d'âdsar  du  mois 
d'âdsar.  J'ai  cacheté  celte  lettre  et  l'ai  remise  entre  les  mains 
de  Schirin  ;  fais-te-la  donner  et  lis-la.  Malgré  ces  nombreuses 
indications  qui  me  furent  révélées  à  ton  égard ,  je  ne  t'ai  pas 
fait  tuer,  je  ne  t'ai  pas  rigoureusement  enfermé,  et  je  te  les 
ai  laissé  ignorer,  d'abord  parce  que  je  savais  que  personne  ne 
saurait  changer  la  décision  de  Dieu,  et  ensuite  parce  que  j'en 
étais  détourné  par  mon  affection  paternelle  ;  et  je  ne  regrettais 
pas  que  celte  couronne  dût  te  revenir. 

Quant  à  ce  que  tu  dis  relativement  à  ces  vingt  mille  hommes 
que  j'ai  détenus  en  prison,  dans  l'intention  de  les  tuer,  sache 
que  c'étaient  des  hommes  que  j'avais  fait  élever  pour  com- 
battre mes  ennemis.  Le  jour  où  j'ai  eu  besoin  d'eux ,  ils  se 
sont  enfuis,  en  m'abandonnant  et  oubliant  mes  bienfaits.  De 
l'aveu  des  docteurs  et  des  sages,  j'avais  donc  droit  sur  leur 
vie;  cette  mesure  aussi  était  sage,  car  je  n'avais  plus  rien  à 
espérer  d'eux.  Réunis  les  docteurs  de  la  loi  et  interroge-les  ; 
ils  te  feront  connaître  si  leur  mort  est  légitime  ou  non.  J'ap- 
prends que  tu  vas  leur  faire  grâce  et  rétablir  leurs  noms  sur 
les  rôles;  ils  ne  te  seront  jamais  utiles.  Je  n'ai  pas  usé  de 
clémence  envers  les  prisonniers ,  parce  qu'il  n'y  avait  en  prison 

93. 


U^  «.nBt'XIOLE  DE  TiBiRL 

qoe  r^oi  qni  a^annit  mmlé  la  mort.  IVinaiiiie  hearç  <lciA^«^r$ 
H  li.«  la  «^e  4e  i^orç  méfaîU  :  ta  ^iinfc«  «11<  «nnf  dignes  de 
nKirt  cHi  non.  ^ihaqoe  jonr  que  j'ai  difieré  à  le»  Eure  mourir 
a  été  de  ma  part  nue  griee  poar  em. 

En  re  qoi  eonreme  le  reproche  que  to  me  fais  de  ce  que 
Jai  ama.Mé  plo^i  d*ar]^fit  qu'aoeun  antre  roi .  saebeqne  Ton  ne 
peut  goat emer  $an9  année  et  qu'on  ne  pent  annr  une  aimée 
j^ns  argent.  La  forée  de  Tannée  e$t  Pappni  dn  roi,  et  la  pni^ 
ianee  et  la  forre  da  roi  sont  dans  le  6dUe  attachement  de 
Tarmée.  Or  Tarmée  sera  fidèlement  attachée  an  roi,  raimera 
et  comptera  sur  lai,  et  les  rois  étrangers  le  redouteront  et  n  o- 
seront  pas  enrahir  son  pays.  si.  chaque  fois  qn^nne  gnerre 
sunrient.  il  donne  libéralement  deTaigent  Un  roi  panne  n*a 
aufune  influence  sur  Tannée  et  sur  le  peuple,  et  n  est  pas  re- 
douté des  ennemis.  Toi ,  cherche  k  garder  cet  argent  que  f  ai 
amassé,  et  k  Taugmenter;  ne  le  prodigue  pas  à  la  populace  qui 
t*a  porté  au  trdne;  ne  te  laisse  pas  tromper  par  leurs  paroles, 
pour  l'appauvrir.  (Test  par  des  circonstances  heureuses  et 
menreilleuses  que  cet  argent  a  été  amassé;  et  toi,  tu  n^auras 
pas  le  même  pouvoir  ni  la  fortune  d'en  recueillir  autant. 

Pour  ce  qui  est  de  ton  reproche  relativement  aux  femmes 
que  j'ai  eues  dans  mon  palais  en  grand  nombre,  ne  les  pou- 
vant pas  contenter  toutes  et  les  empêchant  de  jouir  du  com~ 
merce  des  hommes,  sache  que  je  les  ai  si  bien  traitées,  en 
comblant  leurs  désirs  et  en  leur  prodiguant  de  Targent, 
qu'elles  ne  m'ont  préféré  aucun  homme  de  la  terre.  Je  les  fai- 
sais réunir  chaque  année  par  Schtrin;  celles  qui  auraient  dé- 
siré quitter  le  palais  et  se  marier  auraient  obtenu  de  moi  une 
dot  et  un  mari;  mais,  par  suite  des  nombreux  bienfaits  que 
je  leur  prodiguais,  aucune  n'exprimait  le  désir  de  quitter  le 
palais.  Aujourd'hui  que  je  suis  tombé,  et  qu'elles  se  marient. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LIX.  341 

elles  sont  moins  coiiteDtes  de  leur  situation  actuelle  que  de 
celle  qu  elles  avaient  chez  moi. 

Concernant  ton  reproche  de  ce  que  j*ai  charge  un  homme 
de  faire  rentrer  Tarriéré  de  Timpôt  depuis  vingt  et  trente  ans  ^ 
sache  que  Timpât  est  une  nécessite  ;  TEtat  subsiste  par  Timpôt  j 
c  est  aux  sujets  d'entretenir  le  trésor.  Ce  n'est  pas  moi  qui  ai 
fait  cette  innovation;  cet  impât  a  été  établi  sur  les  sujets  par 
Nouschirwân ,  qui  savait  que  les  rois  ne  peuvent  se  passer 
d'argent.  Ayant  réuni  tout  le  peuple,  et  ayant  fait  exécuter  le 
mesuragede  toutes  les  terres,  il  a  établi  avec  le  consentement 
de  tous  cet  impdt,  que  l'on  devait  payer  chaque  année  en 
trois  ou  quatre  fois.  C'est  pour  cela  qu'on  a  appelé  cet  impât 
hemdâstâny  c'est-à-dire,  «r impôt  consenti p  ce  nom  lui  a  été 
donné  par  Nouschirwân ,  dont  la  monnaie  portait  cette  lé- 
gende  :  Le  roi  des  rois,  le  Juste  y  Nouschirwân;  et  le  bâtiment 
dans  lequel  on  recevait  l'impôt  était  appelé  Schoumourdè  (comp- 
toir). Il  est  juste  que  le  roi  exige  la  rentrée  de  l'impôt  de 
ceux  qui  ne  le  payaient  pas  et  qui  le  laissaient  s'accumuler, 
et  qu'il  les  punisse;  car  ils  pourraient  causer  la  ruine  du 
trésor  royal.  Mais  moi,  je  n'ai  fait  qu'exiger  mon  droit,  sans 
punir  personne.  Si  les  agents  leur  ont  fait  tort,  en  exigeant 
d'eux  ce  qui  n'était  pas  dû ,  la  faute  n'en  est  pas  à  moi  ;  car 
j'avais  fait  établir  dans  ma  résidence  deux  pavillons ,  assez 
grands  pour  que  tout  le  monde  les  pût  voir,  que  j'avais  appe- 
lés/?atu2/on«  de  justice,  oii  je  me  tenais  chaque' mois  un  jour 
jusqu'à  midi,  pour  examiner  les  requêtes  du  peuple,  où  tout 
solliciteur,  sans  être  arrêté  par  un  gardien  ou  un  portier, 
trouvait  libre  accès  et  pouvait  me  parler.  Ceux  qui  n'ont  pas 
demandé  justice  se  sont  fait  tort  eux-mêmes  et  non  moi. 

Concernant  mon  ingratitude  envers  le  roi  de  Roum ,  si  celui- 
ci  m'a  fourni  une  armée  et  envoyé  son  fils  avec  moi  et  m'a 


342  CHRONIQUE  DE  TABAlU. 

accordé  en  mariage  sa  fille  Marie ,  moi ,  après  avoir  mis  eu 
fuite  Bahrâm-Tschoubîn,  je  lui  ai  expédié  des  richesses  dont 
la  quantité  dépassait  tout  ce  qu  il  avait  jamais  vu  ou  imaginé; 
j'ai  donné  à  son  fils  tant  d'argent  qu  il  en  demeura  interdit, 
de  même  à  chaque  individu  de  son  armée.  Lorsque  la  croix 
tomba  entre  mes  mains,  je  les  avais  par  là  dans  mon  pouvoir, 
et  c'est  pour  cette  raison  que  je  ne  la  leur  ai  pas  restituée , 
sachant  que,  aussi  longtemps  que  cette  croix  resterait  en  ma 
possession,  nous  les  aurions  dans  nos  mains,  et  quils  seraient 
humiliés  et  soumis;  et  que,  si  la  croix  leur  était  rendue,  ils 
seraient  nos  maîtres.  Garde-toi  de  la  leur  rendre,  car  tu  les 
constituerais  les  maitres  de  ton  pays. 

Quant  à  Yezdedjerd,  fils  de  Schehryâr*  que  j'ai  voulu  tuer 
en  le  jetant  sur  le  sol,  j'ai  agi  ainsi,  parce  que  les  astrologues 
m'avaient  annoncé  qu'il  naîtrait  de  mes  fils  un  enfant  qui 
perdrait  le  royaume  de  Perse,  qui  passerait  aux  Arabes.  Yez- 
dedjerd portait  sur  lui  le  signe  qu'ils  m'avaient  indiqué;  lors- 
que je  le  vis,  j'en  fus  convaincu;  je  devais  donc  le  tuer;  car 
il  ne  peut  pas  naître  sur  la  terre  un  enfant  plus  infortuné  que 
celui  qui  perdrait  un  royaume  qui  a  été  transmis  de  père  en 
fils,  pendant  de  si  longues  années.  Il  faut  que  vous  aussi  vous 
le  regardiez  comme  votre  ennemi ,  et  que,  partout  où  vous  le 
trouverez,  vous  le  fassiez  périr. 

Tu  m'accuses  d'avoir  tué  No'mân,  fils  de  Moundsir,  à  cause 
d'une  femme  et  par  suite  du  mensonge  d'un  scribe,  oubliant 
ainsi  la  reconnaissance  que  je  lui  devais,  à  lui  et  à  ses  pères. 
Ce  n'est  pas  pour  ces  motifs  que  je  l'ai  fait  mourir.  Lors- 
que je  fuyais  devant  Bahrâm-Tschoubin,  me  rendant  dans 
le  pays  de  Roum,  je  rencontrai  en  route  un  anachorète,  qai 
me  prédit  tous  les  événements  de  ma  vie  jusqu'à  ce  jour;  il 
m'annonça  en  outre  que  cette  royauté  sortirait  de  ma  famille 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LIX.  3A3 

el  loiuberail  entre  les  mains  d'un  homme  considérable  parmi 
les  Arabes.  Mais  il  ne  me  dit  pas  qui  serait  cet  homme.  Ne 
connaissant  parmi  les  Arabes  aucun  homme  plus  dievé  que 
Norman,  j'ai  pense  que  cet  Arabe  c'était  lui;  j'ai  cherché  un 
prétexte,  et  je  l'ai  fait  mourir  pour  le  salut  du  royaume  et 
pour  conserver  la  souveraineté  dans  ma  famille.  I^  où  il  y  9 
un  danger  a  craindre  pour  le  royaume,  la  reconnaissance  n'est 
pas  à  sa  place. 

Tu  m'accuses  d'avoir,  sans  cause,  fait  couper  la  main  à 
Mcrdânschah ,  malgré  les  nombreuses  preuves  d'attachement 
qu'il  m'avait  données  ainsi  qu'à  mon  père,  et  malgré  son  mé- 
rite et  sa  bravouroi  Sache  que  Merdânschâh,  lorsqu'il  était  au 
service  de  mon  père,  avait  plus  que  personne  son  entière  con- 
fiance; mon  père  l'initiait  à  tout  ce  qui  concernait  l'armée; 
Merdânschâh  était  l'un  de  nos  favoris.  Quand  je  m'enfuis  de- 
vant Bahrâm ,  me  rendant  dans  le  pays  de  Roum ,  je  lui  de- 
mandai de  venir  avec  moi,  car  tu  es,  lui  dis-je,  l'un  des  amis 
et  des  conseillers  de  notre  famille  et  de  notre  gouvernement.  11 
ne  voulut  pas  venir,  et  me  laissa  dans  la  détresse;  etlejouf  où 
Bahrâm-Tschoubin  s'établit  à  ma  place  et  à  la  place  de  mon 
père,  Merdânschâh  se  présenta  devant  lui,  le  salua  et  le  féli- 
cita. En  apprenant  cela,  je  fus  très-irrité  et  je  jurai  que,  s'il 
tombait  en  mon  pouvoir,  je  lui  ferais  couper  la  main  ou  je  le 
ferais  mourir.  Les  astrologues  m'avaient  aussi  annoncé  que  je 
périrais  par  la  main  d'un  homme  qui  serait  gouverneur  du 
Zâboulistân.  Merdânschâh,  ayant  suivi  Bahrâm  pour  me  com- 
battre, et  étant  venu  ensuite,  en  quittant  Bahrâm,  se  mettre 
sous  ma  protection  et  me  demander  pardon ,  je  lui  pardonnai, 
et  lorsque  je  fus  établi  sur  le  trône,  je  lui  donnai  le  gouverne- 
ment du  Zâboulistân  et  un  rang  élevé.  Il  fut  donc  élevé  par 
moi.  [Plus  lard]  je  me  rappelai  les  paroles  des  astrologues 


3&4  CUKU.MQLE  DE  TlBlBi. 

qa  il  in*arrif erait  malbeur  de  sa  part.  Je  n'avais  pas  le  cœur 
de  le  toer,  mais,  à  cause  de  moo  serment,  je  loi  fis  couper 
la  main ,  et  lui  rendît  son  commandement  II  ne  Toolot  pas 
Taccepter,  et  me  Gt  prendre ,  derant  les  mobeds,  rengageinent 
de  lui  accorder  une  demande,  sans  que  je  susse  à  rat^nce 
en  quoi  elle  consisterait.  Après  que  Jeus  juré,  il  dit  :  Ma  de- 
mande est  que  tu  me  fasses  mourir.  En  conséquence ,  je  doonai 
Tordre  de  le  tuer. 

Parwtx  ajouta  :  Je  viens  d'expliquer  toutes  mes  actions, 
non  que  cela  puisse  m'étre  de  quelque  utilité,  c^r  je  sais  main- 
tenant que  ma  carrière  est  arrivée  à  son  terme,  et  que  ma  for- 
tune est  anéantie;  mais  fai  voulu  t'instruire,  voyant  que  ta 
ignorais  tout,  que  tu  m'accusais  dans  ton  ignorance,  etqueto 
ne  connaissais  pas  mes  raisons.  J'ai  pitié  de  toi;  car  si  tu  me 
(ais  mourir,  tu  ne  jouiras  pas  du  pouvoir:  tous  les  hommes,  et 
de  toute  croyance,  les  juifs,  les  chrétiens  et  les  mages  sont 
d accord  en  ceci,  que  celui  qui  tue  son  père  n'a  pas  de  part 
à  son  héritage ,  et,  s'il  le  prend,  il  n'en  jouit  pas.  Tu  seras  le 
plus  méprisé  de  tous  ceux  qui  régnent  sur  la  terre,  et  ton 
règne  sera  plus  court  que  celui  de  tous  les  autres.  Adieu. 

L'envoyé  retourna  auprès  de  Schfroul,  et  lui  répéta  mot 
pour  mot  la  réponse  de  Parwiz.  Il  lui  raconta  Clément  Fin- 
cident  du  coing.  Scbtrouî  pleura  et  eut  des  regrets  de  tuer 
son  père.  Le  lendemain,  toute  l'armée  se  réunit  auprès  de 
lui.  Schirouï  fit  venir  l'envoyé  et  lui  dit  de  répéter  le  message 
qu'il  avait  porté  à  Parwiz  et  la  réponse  qu'il  en  avait  rap- 
portée. L'envoyé  exposa  de  nouveau ,  devant  l'année  et  les 
grands  de  Perse,  les  paroles  de  Parwiz.  Ensuite  Schirouï  dit  : 
Toutes  les  actions  que  nous  regardions  comme  criminelles, 
Parwiz  les  a  expliquées  et  en  a  donné  les  raisons.  U  ne  serait 
pas  juste  de  verser  son  sang,  il  faut  le  laisser  dans  sa  situation 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LIX.  Zàb 

actuelle.  Les  hommes  de  Tarmée  n  approuvèrent  pas  ces  pa- 
roles et  dirent  :  L'État  ne  sera  pas  en  repos  avec  deux  rois. 
Il  y  a  dans  le  peuple  beaucoup  de  personnes  qui  désirent  ton 
père  ;  si  tu  ne  le  fais  pas  mourir,  il  fera  des  manœuvres  et  sus- 
citera des  troubles  parmi  les  habitants,  et  tu  ne  pourras  pas 
exercer  le  pouvoir.  Donc,  si  tu  ne  le  fais  pas  mourir,  nous  lui 
rendrons  la  couronne;  et  quand  il  Taura,  tu  sais  qui!  n'hési- 
tera pas  un  seul  jour  à  te  tuer.  Schirouï  fut  fort  embaijrassé; 
il  savait  que,  si  Parwiz  remontait  sur  le  trône,  il  le  ferait  mou- 
rir immédiatement.  Alors  il  donna  Tordre  à  Tun  des  princi- 
paux officiers  de  se  rendre  auprès  de  Parwiz  et  de  le  tuer. 
L'officier  prit  ses  armes  et  partit.  Étant  en  présence  de  Par- 
wiz, il  ne  lui  dit  pas  dans  quelle  intention  on  Tavait  envoyé. 
Parwiz  lui  dit  :  Va,  tu  n*es  pas  celui  qui  peut  me  tuer;  je  ne 
suis  pas  destiné  à  mourir  de  ta  main.  L'officier  revint  au- 
près de  Schirouï,  pendant  que  l'armée  était  encore  réunie. 
Schirouï  en  envoya  un  autre;  Parwiz  lui  dit  les  mêmes  paroles. 
Schirouï,  apercevant  au  milieu  de  l'assemblée  le  fils  de  ce 
Merdânschâh  auquel  Parwiz  avait  fait  couper  la  main ,  lui  dit  : 
Va  et  tue  Parwiz.  Cet  homme,  nommé  Mihr-Hormuzd ,  arriva 
auprès  de  Parwiz.  Celui-ci  lui  dit  :  Qui  es-tu?  L'autre  répon- 
dit :  Je  suis  Mihi^Hormuzd ,  fils  de  Merdânschâh.  Parwiz  dit  : 
C'est  toi  qui  dois  me  tuer;  car  les  astrologues  m'avaient  pré- 
dit que  je  mourrais  de  la  main  d'un  homme  de  la  province 
de  Nimrouz;  je  ne  savais  pas  que  ce  serait  toi,  ne  te  connais- 
sant pas;  portant  mes  soupçons  sur  ton  père,  je  l'ai  fait  pé- 
rir. Tu  es  son  fils,  et  celui  qui  ne  tue  pas  le  meurtrier  de  son 
père  est  un  enfant  illégitime.  Mihr-Hormuzd  prit  sa  hache 
et  frappa  Parwiz  sur  l'épaule;  mais  elle  ne  pénétra  pas,  parce 
que  Parwiz  avait  attaché  au  bras  un  amulette  qui  le  préser- 
vait de  l'action  du  fer.  Sachant  que  la  hache  ne  pourrait  pas 


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«f  /f/M?  loi  fut  b;  4iv-^^s;p(Mmi«.  ii  ie»  fit  ton»  pcrir,  afis  «Tctiv 
«JKM#^  /1m  ^/^jf /mi^ffiM^L  Apr^ qiu:  Scfaîrotticiit  laé  ses  Crène». 
il  IM;  r/;%U  |#ftA  /faillira  d^sMr^TiiilaiiU  de  Parwix  que  deu  filles, 
I  Mil/;  Htftuiné'M  T/;fjféiid//klit  (Fourâodokhtj,  et  Fautre  lier- 
liil/|/ikliL  TotiU'A  U^  d/;ux  ^Uieot  filles  de  Parwiz;  Poanui- 
/l/ililit  /?liiit  I  tfiri/;/;.  Az/;rmidokht  cftt  celle  qui  [par  la  suite] 
fit  Umr  U  |ifcfD  di}  BoiMtem,  de  ce  Roostem  qoi  plaça  sur  le 
if 6m  YifX^lmijifrd,  fiU  de  Scbebryâr,  dont  le^ii^oe  fat  cou- 
tofiijNiriiiN  di*  eiHiii  d*'Omart  fi'*  <le  Khattâb,  comme  nous  le 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LX.  Ul 

racoiilerous  plus  loin  eu  sou  lieu.  Or  ces  deux  sœurs  allèrent 
trouver  Scbirouï  et  lui  firent  des  reproches,  en  lui  disant  : 
Ton  ambition  de  régner  t'a  porté  à  tuer  ton  père  et  tes  frères; 
tu  as  accompli  ces  actions  dans  Tespace  de  trois  ou  quatre 
mois;  tu  Tas  fait  dans  Icspoir  de  conserver  à  tout  jamais  le 
pouvoir.  Quand  même  tu  vivrais  longtemps,  4  la  fin  tu  dois 
mourir.  Puisse  Dieu  te  priver  du  bonheur  de  cette  royauté! 
Elles  Taccablèrent  ainsi  de  reproches  et  do  malédictions.  Sch{- 
rouï  tomba  malade,  et  il  dépérissait,  ne  trouvant  aucune  joie 
dans  Texercice  du  pouvoir.  Après  avoir  vécu  ainsi  sept  mois 
en  tout,  il  mourut.  Il  laissa  un  fils,  nommé  Ardeschîr,  âgé 
de  sept  ans,  ou,  d'après  d'autres  traditions,  d'un  an.  On  le 
fit  monter  sur  le  trône,  Yezdedjerd  étant  absent  depuis  que 
Schîrîn  l'avait  envoyé  dans  le  Sawâd. 


CHAPITRE  LX. 

nÈGNE  D^ARDESCIiIr  ,  PILS   DE  SClllROUÏ.  . 

En  plaçant  Ardeschir  sur  le  trône,  sachant  qu'il  ne  pour- 
rait pas  administrer  le  royaume  à  cause  de  sa  grande  jeunesse . 
on  lui  atUcha  comme  vizir  un  homme,  nommé  Mihr-^Hasis, 
qui  avait  été  chef  de  la  table  de  Parwîz.  C'était  un  homme  de 
bon  conseil  et  d'un  bon  caractère.  Il  fut  chargé  de  l'adminis- 
tration du  royaume,  jusqu'à  ce  qu' Ardeschîr  fût  grand.  Mihr- 
'Hasis  remplit  ces  fonctions  et  eut  soin  d' Ardeschir. 

Un  des  généraux  de  Parwîz,  qui  avait  été  chargé  par  lui 
de  garder  les  frontières  de  Roum,  nommé  Schehrabrâz,  qui 
était  à  la  tète  d'environ  soixante  mille  hommes,  et  qui  avait 
été  honoré  également  par  Scbirouï  et  consulté  par  lui  en  toute 
chose,  fut  très-mécontent,  lorsqu'on  eut  placé  Ardeschîr  sur 


348  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

ie  trône,  de  u avoir  pas  été  averti,  ui  consulté.  Il  se  révolu, 
fit  marcher  son  armée,  vint  à  Madâïn,  se  saisit  d'Ardesch^r  et 
le  tua,  de  même  que  Mihr-^Hasis  et  un  certain  nombre  des 
grands  de  la  Perse ,  les  accusant  d'avoir  tué  Parwîz ,  pour  s'em- 
parer du  royaume.  Ensuite,  comme  il  n*y  restait  plus  de  des- 
cendants de  Parwiz,  Schehrabrâz,  quoiqu'il  ne  fAt  pas  de  la 
famille  royale,  prit  la  couronne  pour  lui-même  et  monta  sur 
le  trône ,  au  grand  mécontentement  des  Perses.  Le  règne  d'Ar- 
descliir  avait  duré  dix-huit  mois. 


CHAPITRE  LXI. 


REGNE  DE    SCUBURABRAZ. 


Schehrabrâz  étant  sur  le  trône,  les  soldats  furent  mécon- 
tents d'être  obligés  de  se  prosterner  devant  lui  et  de  recevoir 
ses  ordres.  Il  était  d'usage  chez  les  Perses  que,  quand  le  roi 
tenait  une  cour  publique,  toute  la  suite  du  roi  et  toute  l'armée 
fussent  à  cheval  et  rangées  en  file  en  attendant  le  roi.  Or, 
un  jour,  Schehrabrâz  étant  monté  à  cheval,  sortit  du  palais; 
l'armée  se  tenait  rangée  en  file.  Alors  un  des  soldats  s'ap- 
procha de  lui,  le  blessa  avec  sa  lance  au  côté  et  le  fit  tom- 
ber de  cheval.  Immédiatement  les  autres  se  précipitèrent 
sur  lui,  le  criblèrent  de  blessures  et  le  tuèrent.  Ensuite  ils 
lui  attachèrent  une  corde  aux  pieds  et  le  traînèrent  par  toutes 
les  rues,  en  criant  :  Quiconque,  n'étant  pas  de  la  famille 
royale,  usurpera  le  trône  aura  le  sort  de  celui-ci. 

Schehrabrâz  avait  régné  quarante  jours.  Comme  on  ne  trou- 
vait pas  de  descendant  de  la  famille  royale,  sauf  les  deux 
filles  de  Parwiz ,  l'armée  fit  monter  sur  le  trône  Pourândokht , 
qui  était  l'ainée  des  deux. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXII.  349 


CHAPITRE  LXII. 

RÈGNE  DE  PODRANDOKHT,  FILLE  DE  PABWÎZ. 

Pourândokht,  après  être  moulée  sur  le  trône,  s'appliqua 
à  faire  régner  la  justice  et  les  lois  et  à  faire  cesser  l'oppres- 
sion. Elle  fit  venir  celui  qui  avait  tué  Scbehrabrâz,  lui  montra 
de  la  bienveillance  et  le  prit  pour  vizir.  Cet  homme,  nommé 
Fsafrou^h ,  était  du  Khorâsân.  Pourândokht  fit  écrire  une 
lettre  et  convoqua  auprès  d'elle  toute  l'armée,  et  lui  en  fit 
lecture;  puis  on  fit  de  cette  lettre  des  copies,  qu'on  envoya 
dans  toutes  les  villes.  Pourândokht  s'y  exprimait  ainsi  :  Ce 
royaume  ne  peut  être  gouverné  ni  au  moyen  de  la  vaillance, 
ni  au  moyen  des  trésors,  mais  par  la  puissance  de  Dieu.  Le 
souverain  ne  peut  exercer  le  pouvoir  que  par  la  justice  et  par 
la  bonne  administration.  L'armée  ne  peut  triompher  de  l'en- 
nemi que  si  elle  est  récompensée  ;  et  l'on  ne  peut  garder  une 
armée  que  par  la  justice,  l'équité  et  la  discipline.  En  faisant 
régner  les  lois,  on  peut  gouverner  l'État,  que  le  souverain 
soit  un  homme  ou  une  femme.  Pespère  que  la  libéralité  et 
la  justice  que  vous  me  verrez  pratiquer  seront  au-dessus 
de  celles  que  vous  aurez  vues  dans  aucun  homme.  Pou- 
rândokht fit  annuler  l'arriéré  de  l'impôt  du  temps  de  Parwfz 
et  effacer  les  registres;  elle  fit  remise  en  outre  aux  habitants 
de  la  moitié  de  l'impôt  de  cette  année.  Jamais,  à  aucune 
époque,  les  hommes  n'avaient  été  témoins  d'une  justice  telle 
que  la  sienne. 

Pourândokht  restitua  au  roi  de  Roum  la  croix  qu'on  avait 
enlevée  du  pays  de  Roum,  et  que  Parwîz  n'avait  pas  voulu 
rendre.  Par  suite  de  cette  restitution,  l'empereur  eut  de 


3à0  LURuMQLE  de  TABARl. 

ramitié  pour  Pouràndokht ,  et  empêcha  qui  que  ce  fût  de 
pénétrer  dans  son  pays. 

Du  temps  de  Pourândokht,  notre  Prophète,  Mo^Munnied. 
mourut,  et  Abou-Bekr  fut  investi  du  cali&L 

Pourândokht  régna  un  an  et  quatre  mois,  Fsafiron^h,  du 
Khoràsân,  remplissant  les  fonctions  de  ^izir.  A  la  mort  de 
Pourândokht,  un  des  |>arents  éloignés  de  Parwîi,  nommé 
kbouscbensadè,  lui  succéda  au  trône.  Il  mourut  après  un 
mois  de  règne.  Ensuite  la  couronne  passa  a  ÂxenDMokhL 


CHAPITRE  LXIII. 

BBGXE  D'AzKBlliDOKBT,  FILLB  DB  PABIflI. 

Après  être  montée  sur  le  trône,  Azermîdokht  s'appliqua  à 
faire  régner  la  justice  et  les  lois.  Elle  ne  prit  point  de  viiir  et 
administra  elle-même  le  royaume ,  se  guidant  par  son  propre 
jugement.  Azcrmidokht  était  la  plus  belle  femme  de  Tempiro 
de  Kesra.  Or  il  y  avait  un  homme,  Tun  des  plus  considé- 
rables de  Perse,  tant  par  sa  naissance  que  par  sa  valeur,  un 
sipebbed,  nommé  Ferroukh-Hormuzd,  à  qui  Parwiz  avait 
confié  le  gouvememcnf  du  Khorasân.  Il  était  resté  à  la  cour, 
au  service  du  roi,  el  avait  envoyé  dans  le  Khorasân  son  fils 
Roustem  comme  son  lieutenant.  C'est  ce  même  Roustem  qui 
était  le  plus  vaillant  homme  de  son  temps,  en  Perse.  Dans 
la  suite,  sous  le  règne  de  Yezdedjerd,  lorsque  'Omar,  fils 
de  Khatfâb,  envoya  une  armée  contre  la  Perse,  Yezdedjerd 
nomma  Roustem  général  en  chef  de  Tarméc  qu'il  opposa  aux 
Arabes,  ne  trouvant  pas  dans  toute  la  Perse  un  homme  plus 
brave  qiic  lui.  Ce  récit  sera  rapporté  plus  loin,  en  son  lieu. 
Le  i)ère  de  Roustem,  Ferroukh-Hormuzd,  le  grand  sipehbed 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXllI.  351 

el  gouverneur  du  Khorâsân,  fit  demander  à  Azcrmidokhi  si 
elle  voulait  ôtre  sa  femme.  Âzermidokht  lui  fit  répondre  :  Si 
tu  m'en  avais  parlé  plus  tôt,  j'aurais  accepté  ta  proposition, 
mais,  maintenant,  une  reine  ne  doit  pas  prendre  publique- 
ment un  époux;  en  outre,  j'ai  besoin  de  toi  pour  les  affaires 
de  rÉtat.  Cependant  je  te  désire  aussi;  si  tu  veux,  je  te  don- 
nerai un  rendez-vous  cette  nuit.  Quand  il  fera  touf  à  fait  obs- 
cur, présente-toi  à  la  porte  du  palais;  je  préviendrai  le  chef 
des  gardes  que  j'ai  à  conférer  avec  toi  sur  une  affaire;  il 
t'introduira ,  et  nous  nous  réjouirons  cette  nuit.  Ferroukh- 
Hormuzd  fit  ainsi ,  et  Àzermîdokht  donna  l'ordre  au  chef  des 
gardes  de  la  prévenir,  dans  la  nuit,  quand  Ferroukh-Hor- 
muzd  viendrait.  Ferroukh-Hormuzd ,  lorsque  la  nuit  fut  tom- 
bée, s'étant  rendu  au  palais,  seul,  dit  au  chef  des  gardes  qu'il 
était  appelé  par  la  reine,  qui  voulait  lui  parler.  Le  chef  des 
gardes  vint  avertir  Âzermidokht,  qui  lui  dit:  Va,  tranche- 
lui  la  tête  et  apporte-la-moi.  Le  chef  des  gardes  fit  ainsi. 
Ensuite  la  reine  fit  jeter  la  tête  et  le  corps  à  la  porte  du  châ- 
teau*. Le  lendemain,  l'armée, se  rendant  à  la  cour  de  la  reine, 
vit  le  cadavre  de  Ferroukh-Hormuzd.  Ferroukh-Hormuzd 
était  connu  pour  un  homme  débauché;  l'armée  soupçonna 
[que  quelque  affaire  de  femme  avait  causé  sa  mort],  et  de- 
manda ati  chef  des  gardes  quel  crime  Ferroukh-Hormuzd 
avait  commis.  Le  chef  des  gardes  répondit  :  Il  a  commis  un  si 
grand  forfait  qu'il  fallait  le  tuer.  Les  soldats  surent  alors 
qu'il  avait  convoité  la  reine;  ils  ne  dirent  rien,  mais  ils  blâ- 
mèrent Ferroukh-Hormuzd. 

Roustem,  fils  de  Fen*oukh-Hormuzd ,  et  son  lieutenant 
dans  le  Khorâsân,  averti  de  cet  événement,  fit  marcher  son 
armée,  et  vint  du  Khorâsân  aux  portes  de  Madâïn.  Il  y  livra 
un  combat.  Azermîdokht  tomba  entre  les  mains  de  Roustem, 


352  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

qui  la  viola,  lui  fit  crever  les  yeux  et  la  tua  ensuite.  11  fit 
périr  également  le  chef  des  gardes. 

Le  règne  d'Âzermidokht  avait  duré  six  mois.  Après  sa 
moi-t,  les  Perses  furent  fort  embarrassés;  car  ils  ne  trouvèrent 
aucun  rejeton  de  la  famille  royale  qu'ils  pussent  faire  mon- 
ter sur  le  Irône. 


CHAPITRE  LXIV. 

REGNE  DE  KESRA  ,  FILS  DE  MIHB-^HASis,  [eT  DE  SES  SDCGBSSBUKs]. 

En  faisant  faire  des  recherches  dans  toutes  les  contrées, 
pour  trouver  un  rejeton  de  la  famille  royale  à  qui  Ton  pût 
donner  la  couronne ,  on  rencontra  dans  TAhwâz  un  homme 
descendant  d'Ardeschir,  fils  de  Bâbek,  nommé  Kesra,  fils  de 
Mihr-^Hasîs.  On  Tamena ,  on  le  fit  monter  sur  le  trône  et  on  mit 
la  couronne  sur  sa  tête.  Après  quelque  temps,  Kesra  n'étant 
pas  capable  de  diriger  TÉtat ,  et  étant  trop  faible  pour  gou-* 
vcrner  les  hommes,  les  Perses  le  tuèrent. 

On  fit  venir  de  Nisibe  un  homme,  nommé  Khorzâd-Khos- 
rou,  un  des  fils  de  Parwiz,  qui  s'était  échappé  des  mains  de 
Schîrouï,  lorsque  celui-ci  fit  périr  ses  frères.  On  lui  donna 
la  couronne,  mais  il  se  montra  également  incapable.  On  le 
déposa  et  on  Texpulsa ,  en  disant  :  Il  n'est  pas  fils  de  Parwîz. 

Ensuite  les  Perses  en  recherchèrent  un  autre,  et  trouvèrent, 
dans  la  province  de  JVIézène,  un  descendant  de  Nouschirwân 
le  Juste,  nommé  Firouz,  fils  de  Mihrân;  sa  mère  était  Ma- 
hârbakht,  fille  de  Yezdâd,  fils  de  Nouschirv^ân.  On  Famena, 
et  on  lui  remit  le  pouvoir.  Lorsqu'on  mit  la  couronne  sur  sa 
tête,  l'armée  se  tenant  devant  lui,  il  dit  :  Je  ne  veux  pas  de 
cette  couronne,  elle  est  trop  étroite  pour  ma  tête.  Les  Perses 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXIV.  353 

tirèrent  de  ces  paroles  un  mauvais  augure  et  dirent  :  La  pre-  . 
mière  parole  qu'il  prononce  est  teng  (étroit);  il  n'est  pas  apte 
au  trône  ;  il  ne  connaît  pas  le  langage  qui  convient  à  la  cou- 
ronne et  au  gouvernement;  lui ,  non  plus,  n  est  pas  de  la  des- 
cendance royale.  Ils  le  firent  immédiatement  descendre  du 
trdne  et  le  chassèrent. 

Ensuite  ils  trouvèrent  dans  une  des  villes  occidentales,  près 
de  Nisibe,  un  fils  de  Parwiz,  nommé  Ferroukhzâd-Khosrou, 
qui  s'était  enfui  lorsque  Schîrouï  fit  périr  ses  frères.  L'ayant 
fait  venir,  ils  lui  donnèrent  le  pouvoir.  Après  six  mois,  ils  le 
tuèrent  également. 

Alors  les  Perses  se  trouvèrent  embarrassés,  n'ayant  plus 
personne  qui  fût  apte  au  trône.  C'était  la  volonté  de  Dieu  que 
la  souveraineté  leur  fût  enlevée,  et  que  l'islamisme  se  ré- 
pandit; c'est  pour  cette  raison  qu'il  les  laissa  dans  cet  em- 
barras. Comme  ils  étaient  ainsi  à  rechercher  de  tous  les  côtés 
quelqu'un,  la  nouvelle  en  vint  à  Yezdedjerd ,  fils  de  Schehryàr, 
qui,  après  avoir  échappé  à  Parwiz,  se  tenait  caché  à  Içtakhr, 
en  Perside.  On  le  fit  venir,  et  on  le  plaça  sur  le  trône.  Il  était 
alors  âgé  de  seize  ans.  Son  règne  dura  quatre  ans.  Le  royaume 
déclinait;  les  ennemis  l'attaquaient  de  tous  les  côtés.  ^Omar, 
fils  de  Khattâb,  expédia  une  armée  vers  Madâïn;  un  combat 
eut  lieu,  Yezdedjerd  s'enfuit  et  fut  tué  à  Merw  :  il  perdit  ainsi 
le  royaume  de  Perse,  qui  échut  aux  musulmans.  Le  long  récit 
des  événements  et  des  batailles  du  règne  de  Yezdedjerd  sera 
rapporté  dans  l'histoire  du  califat  d'^Omar.  Mais,  auparavant, 
nous  allons  donner  l'histoire  du  Prophète  et  celles  d'Abou- 
Bekr  et  d'^Omar,  dont  nous  n'avons  pas  encore  parlé;  ensuite 
nous  reviendrons  à  l'histoire  de  Yezdedjerd,  et  nous  racon- 
ferons  sa  mort  et  la  fin  de  son  royaume. 

II.  a3 


354  CHROMQllE  DE  TABAUI. 


CHAIMTHK  LXV. 

SUR   LA  DIPFBRR?iCR    DES  SYSTÈMRS  CHROKOLOGIQURS. 

Nous  avons  dc^Jà  parlé  de  ce  sujet  au  commencement  de 
cet  ouvrage.  Nous  y  revenons  avec  plus  de  détails,  parce  que 
Mo'liammed  ben-Djarir  en  a  traité  en  cet  endroit. 

Or  sache  que  les  juifs  prétendent  que,  depuis  le  temps  oîi 
Adam  l'ut  mis  sur  la  terre  jusqu'à  la  naissance  de  notre  Pro- 
phète, il  s'est  écoulé  quatre  mille  trois  cent  quatre  ans.  Ils 
disent  que  cela  est  ainsi  consigné  dans  le  Pentateuque.  De- 
puis la  naissance  du  Prophète  jusqu'à  sa  mission  prophétique, 
il  y  a  un  espace  de  quarante  ans;  depuis  sa  mission  jusqu'à  sa 
fuite,  il  y  a  dix  ans  ;  il  séjourna  treize  ans  à  Médine.  Les  chré- 
tiens prétendent  qu'il  y  a,  depuis  Adam  jusqu'à  Mo^hammed, 
six  mille  trois  cent  treize  ans.  Ces  deux  chiiïres  ne  s'accordent 
pas.  Il  est  probable  que  le  comput  que  Ion  rapporte  d'après 
^Abdallah  ben-^Abbàs  est  plus  exact.  Ibn-^Abbàs  dit  :  Depuis 
Adam  jusqu'à  Noé,  il  s'est  écoulé  deux  mille  deux  cent  cin- 
quante-six ans;  depuis  le  déluge  jusqu'à  Abraham,  mille 
soixante  et  dix-neuf  ans;  depuis  Abraham  jusqu'à  Moïse,  cinq 
cent  soixante-cinq  ans;  depuis  Moïse  jusqu'à  Salomon,  fils  de 
David,  qui  bâtit  le  temple  de  Jérusalem,  six  cent  trente-six 
ans;  depuis  Salomon  jusqu'à  Alexandre  Dsou'l-Qamaïn,  sept 
cent  dix-sept  ans;  depuis  Alexandre  jusqu'à  la  naissance 
de  Jésus,  trois  cent  soixante-neuf  ans;  depuis  Jésus  jusqu'à 
MoM)ammed,  cinq  cent  cinquante  et  un  ans.  On  prétend  géné- 
ralement que,  depuis  Jésus  jusqu'à  Mo^hammed,  il  n'y  a  pas 
eu  de  prophète;  mais  les  paroles  du  Coran  sont  plus  con- 
formes à  la  vérité;  il  y  est  dit  :  tr Quand  nous  leur  envoyâmes 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXV.  355 

deux  prophètes , 'î  etc.  (Sur.  xxxvi,  vers.  i3.)  Cela  sa-rapporte 
au  temps  après  Jésus,  qui  dura  quatre  cent  trente-quatre  ans, 
époque  qu'on  appelle  interstice.  Quoique,  pendant  cet  espace 
de  temps,  il  n'y  eût  pas  de  révélation,  il  faut  cependant  ad- 
mettre que  la  terre  ne  peut  pas  rester  sans  manifestation 
divine.  Or,  à  cette  époque,  c'étaient  de  nombretix  disciples  de 
Jésus ,  dispersés  dans  le  monde ,  qui  appelaient  les  hommes 
à  Dieu.  Si,  un  moment,  la  terre  restait  sans  manifestation 
divine,  quiconque  mourrait  pendant  ce  temps,  comme  Dieu 
ne  lui  aurait  pas  été  manifesté,  n'irait  pas  en  enfer.  Il  faut 
donc  admettre  que  Dieu  ne  laisse  pas  le  monde  sans  mani- 
festation divine. 

Quant  au  désaccord  dans  la  chronologie  de  l'époque  écoulée 
depuis  Adam  jusqu'à  présent,  il  ne  pourra  jamais  être  résolu 
parmi  les  hommes.  Ce  désaccord  repose  sur  ce  que  nous 
avons  dit  au  commencement  de  cet  ouvrage ,  savoir  :  que 
tous  étant  d'^accord  que  depuis  Adam  jusqu'au  jour  de  la  ré- 
surrection il  y  a  sept  mille  ans,  si  l'on  savait  au  juste  combien 
de  temps  s'écoulera  encore  jusqu'au  jour  de  la  résurrection , 
on  saurait  quand  aurait  lieu  le  jour  de  la  résurrection.  Or 
Dieu  n'a  fait  connaître  ce  terme  à  personne,  comme  il  le  dit 
dans  le  Coran.  C'est  pour  cette  raison  que  personne  ne  sait 
combien  d'années  se  sont  déjà  écoulées,  ni  combien  il  en  reste 
encore.  De  là  tant  d'opinions  différentes.  Mais  il  n'y  a  point 
de  désaccord  dans  notre  propre  chronologie  :  il  y  a  quarante 
ans  depuis  la  naissance  de  Mo'hammed  jusqu'à  sa  mission  pro- 
phétique, et  vingt-trois  ans  depuis  sa  mission  jusqu'à  sa  mort. 
Quelques-uns  disent  qu'il  est  resté  treize  ans  à  la  Mecque ,  et 
dix  ans  à  Médine;  d'autres  disent  qu'il  est  resté  dix  ans  à  la 
Mecque,  et  treize  ans  à  Médine. 


23. 


356  CHRONIQUE  DE  TABARI. 


CHAPITRE  LXVI. 

Géll^ALOr.lB    DU    PBOPHBTB, 

La  généalogie  du  Prophète  est  constatée  par  les  généalo- 
gistes; elle  commence  h  son  père  et  remonte  jusqu'à  Adam. 
Dans  cet  ouvrage  on  a  indiqué  des  opinions  différentes  rela- 
tives à  la  série  entre  Ma^add,  fils  d'^Adnân,  et  Ismaël;  les  uns 
prétendent  qu'il  y  a  trois  générations;  d'autres,  cinq,  et  d'an- 
tres encore,  dix.  La  généalogie  que  nous  allons  donner  n'est 
pas  contestée;  elle  est  admise  par  les  généalogistes,  et  se 
trouve  exactement  ainsi  dans  les  traités  de  généalogie  : 

MoMiammed,  fils  d'^Abdallah,  fils  d 'Abdou'i-Mottalib,  fils 
de  Hâscliim,  fils  d'^Abd-Manâf,  fils  de  Qoçayy,  fils  de  Kilâb, 
fils  de  Morra,  fils  de  Ka^b,  fils  de  Lowayy,  fils  de  Ghâlib,  fils 
de  Fihr,  fils  de  Mâlik,  fils  de  Nadhr,  fils  de  Kinâna,  fils  de 
Khozaïma,  fils  de  Modrika,  fils  d'Elyâs,  fils  de  Modhar,  fils 
de  Nizâr,  fils  de  Ma'add ,  fils  d'^Adn^n ,  fils  d'Odd ,  fils  d'Odad , 
fils  de  Homaïsa^  fils  de  YaVob,  fils  de  Yaschdjob,  fils  de 
^Hamal,  fils  de  Qaïdâr,  fils  d'Ismaël,  fils  d'Abraham,  fils  de 
Tharé,  fils  de  Na'hor,  fils  de  Saroug,  fils  de  Ragou,  fils  de 
Phaleg,  fils  d'Heber,  fils  de  Salé,  fils  d'Arphaxad,  fils  de  Sem, 
fils  de  Noé,  fils  de  Lamech,  fils  de  Mathusalé,  fils  d'Enoch, 
fils  de  Jared,  fils  de  Malaléol,  fils  de  Caïnan,  fils  d'Enos,  fils 
de  Seth,  fils  d'Adam. 

Chacun  de  ces  ancétjos  du  Prophète  avait,  outre  son  nom 
ordinaire,  un  surnom  provenant  d'une  action  ou  d'un  fait 
remarquable  accompli  par  lui,  et  chacun  a  son  histoire.  Or 
Nizâr,  fils  de  Ma'add,  fils  d"Adnân,  avait  le  surnom  d'Abou- 
Rabfa  ou  d'Abou-Iyâd;  car  il  avait  quatre  fils,  qui  se  nom- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXVl.  357 

niaient:  faine,  Rabra;  le  second,  lyâd;  le  troisième,  Mo- 
dhar,  et  le  quatrième,  Aumdr.  Cest  de  Modhar  que  descend 
le  Prophète.  Nizâr  demeurait  dans  le  désert,  au  même  endroit 
où  avait  été  Ma^add,  Gis  d'^Adnân.  De  là  il  vint  à  la  Mecque 
et  y  établit  sa  résidence,  et  il  fut  tantôt  dans  le  désert  avec  sa 
tribu,  tantôt  à  la  Mecque.  Modhar  avait  le  surnom  de  ^Hamrâ 
{de  la  tente  rouge) ^  qui  avait  Torigine  suivante  : 

Nizàr,  qui  possédait  une  grande  fortune,  partagea,  en  mou* 
rant,  ses  biens  entre  ses  fils.  Il  donna  une  tente  de  cuir  rouge 
à  Modhar,  à  Rabfa  un  cheval  noir,  à  Ânmâr  un  tapis  de 
cuir  noir,  et  à  lyâd  une  esclave.  Il  leur  dit  :  Partagez-vous 
tous  mes  biens  de  cette  manière.  S'il  s'élève  entre  vous  des 
contestations,  allez  à  Nadjrân,  où  il  y  a  un  devin  nommé  Afa, 
de  la  tribu  de  Djorhom,  qui  est  très-habile  et  savant,  afin 
qu  il  fasse  le  partage  entre  vous.  Nizâr  était  lui-même  un  de- 
vin, connaissant  Tart  des  présages,  des  augurer  et  de  la  divi- 
nation; et  ses  fils  en  avaient  également  quelques  notions. 
Après  sa  mort,  ses  fils,  en  prenant  possession  des  objets  que 
leur  père  avait  donnés  à  chacun,  eurent  des  contestations  re- 
lativement aux  autres  biens.  Alors  ils  montèrent  sur  des  cha- 
meaux pour  se  rendre  à  Nadjrân  auprès  du  devin,  voulant 
soumettre  à  son  jugement  le  partage.  Sur  la  route,  ils  ren- 
contrèrent un  terrain  couvert  d'herbe ,  dont  une  partie  était 
broutée,  et  une  partie  intacte.  Modhar  dit  :  Le  chameau  qui 
a  brouté  cette  herbe  est  borgne  de  Tœil  droit.  Rabf  a  dit  :  Il 
est  boiteux  du  pied  droit.  lyâd  dit  :  Il  a  la  queue  coupée.  An- 
mâr dit  :  11  s  est  échappé  des  mains  de  son  maître,  parce  qu'il 
est  farouche.  Un  peu  plus  loin ,  ils  rencontrèrent  un  homme 
monté  sur  un  chameau  ;  ils  lui  demandèrent  qui  il  était.  H  ré- 
pondit qu'il  était  de  telle  tribu ,  et  qu  il  était  a  la  recherche 
d'un  chameau  qui  s'était  échappé.  Modhar  lui  dit  :  Ce  chameau 


a>*  «.h: '^iMlE  DE  î^fciBI. 

nVait-i!  [As  l^jTgiît  d»f  Fœîl  «in>tl  7  —  Oui,  répondit  i'Lommtr. 
—  .V  [^lî^hrA-îl  {►*<  dn  <rô*r  droit?  d«iiuiida  Babr^.  — 
Oui.  —  Il  n'a  paî  d»i-  qofra^».  dit  Kàd. —  Cest  irai.  r^poo<Jit 
rbomm^.  —  Anmâr  ajouta  :  Il  <e^S  farouche.  —  Ooi .  dit 
rhoainje:  o^j  ^-îl,  ce  chameau?  —  Xoos  ne  FaTons  pa<  vu, 
direo  l  fc»  frêns. — Si  vous  ne  Fa^  ei  f#aî  vu ,  répliqua  rhoinme , 
comrijeDt  sa«ez-«ou>  toutes  ces  [.arlicularités?  Il  insista  et  dit  : 
Cest  certaioement  voo?  qui  Favez;  reodcz-leHDoL  —  Nous 
ne  Favooâ  pas.  Il  leur  demanda  où  il>  allaient.  Les  frères  lui 
dirent  qu'ils  se  rendaient  à  Xadjràn.  auprès  d^Afa,  le  devin, 
pour  soumettre  à  son  jugement  un  différend  qui  s'était  élevé 
entre  eui.  Cet  homme,  qui  était  seul,  s'attacha  à  leurs  pas, 
et  suivit  les  quatre  frères  jusqu'à  Nadjràn. 

Afa  ne  les  connaissait  pas,  mais  il  les  reçut  gracieusement 
H  leur  demanda  le  but  de  leur  voyage.  Ils  lui  dirent  :  Notre 
{lère  est  mort,  et  nous  ne  pouvons  pas  nous  accorder  sur  le 
partage  de  ses  biens;  nous  sommes  venus  aGn  que  tu  pro- 
nonces entre  nous  quatre;  nous  sommes  tombés  d'accord 
de  nous  soumettre  à  ton  jugement.  Alors  le  propriétaire  du 
chameau  dit  :  Arrange  d'abord  l'affaire  de  mon  chameau 
entre  eux  et  moi;  j'ai  perdu  un  chameau,  ce  sont  eux  qui  le 
tiennent.  Afa  lui  dit:  Comment  sais-tu  qu'ils  Fout?  L'homme 
répondit  :  Farce  quiis  in  ont  donné  son  signalement;  s'ils 
ne  l'avaient  pas  vu,  comment  le  sauraient-ils?  Modhar  dit  : 
J*ai  reconnu  que  ce  chameau  était  borgne  de  Fœil  droit,  parce 
qu'il  avait  brouté  Fherbe  d'un  coté  seulement,  et  qu'il  ne 
l'avait  pas  touchée  du  côté  où  elle  était  meilleure.  Rabfadit: 
J'ai  remarqué  que  son  pied  droit  avait  imprimé  sur  le  sol  des 
traces  bien  marquées,  cl  je  n'ai  pas  vu  celles  de  l'autre  pied; 
de  là  j'ai  su  qu'il  penchait  du  coté  droit,  lyàd  dit  :  J'ai  vu  que 
ses  crottins  étaient  réunis  en  las,  comme  ceux  du  bceuf,  et 


PARTIE  II,  CHAPITRK  LXVl.  359 

non  coinuie  soiil  ordinaireiuenl  ceux  du  chameau,  qui  les 
écrase  avec  sa  queue;  j'ai  reconnu  par  là  qu'il  n'avait  pas  de 
queue.  Anmàr  dit:  J'ai  remarqué  que  l'herbe  n'était  pas 
broutée  à  un  seul  et  même  endroit,  mais  qu'il  avait  pris  par- 
tout une  bouchée  :  j'ai  su  que  le  chameau  était  d'un  caractère 
farouche  et  inquiet.  Le  devin  admirait  le  savoir  et  l'intelli- 
gence des  quatre  frères.  Cette  manière  déjuger  fait  partie  de 
l'art  de  la  divination,  et  on  l'appelle  bdb-al-tazkin ;  c'est  une 
des  branches  de  la  science.  Ensuite  le  devin  dit  au  propriétaire 
du  chameau  :  Ces  gens-là  n'ont  pas  ton  chameau  ;  va-t'en. 
Ayant  demandé  aux  quatre  frères  qui  ils  étaient,  et  ceux-ci 
lui  ayant  déclaré  qu'ils  étaient  les  (ils  de  Nizâr,  fils  de  Ma'add, 
fils  d'^Adnân ,  le  devin  dit  :  Excusez-moi  de  ne  vous  avoir  pas 
reconnus;  j'ai  été  lié  d'amitié  avec  votre  père;  soyez  mes 
hôtes  ce  jour  et  cette  nuit;  demain  j'arrangerai  votre  affaire. 
Ils  consentirent.  Le  père  et  les  ancêtres  de  ce  devin  avaient 
été  chefs  de  Nadjràn. 

Le  devin  leur  fit  préparer  un  repas.  On  leur  servit  un 
agneau  rôti  et  une  cruche  de  vin,  et  ils  mangèrent.  Lorsque 
le  vin  leur  monta  à  la  tête,  Modhar  dit  :  Je  n'ai  jamais  bu  un 
vin  plus  doux  que  celui-ci;  mais  il  vient  d'une  vigne  plantée 
sur  un  tombeau.  Rabi^a  dit  :  Je  n'ai  jamais  mangé  de  la  viande 
d'agneau  plus  succulente  que  celle-ci  ;  mais  cet  agneau  a  été 
nourri  du  lait  d'une  chienne.  Anmâr  dit  :  Le  blé  qui  a  servi  à 
faire  le  pain  que  nous  venons  de  manger  a  été  semé  dans  un 
cimetière.  lyàd  dit  :  Notre  hôte  est  un  excellent  hommie;  mais 
il  n'est  pas  un  fils  légitime;  ce  n'est  pas  son  père  [légal]  qui 
l'a  engendré,  mais  un  autre  homme  ;  sa  mère  l'a  conçu  dans 
l'adultère.  Le  devin  recueillit  leurs  paroles,  mais  il  ne  leur  en 
dit  rien.  Quand  la  nuit  lut  venue  et  qu'ils  furent  endormis,  il 
appela  son  intendant  et  lui  demanda  de  quelle  vigne  provenait 


360  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

le  vin  [que  Foq  avait  seni  aux  hôtes].  L'ioteiidaut  dit  :  Lue 
vigne  a  poussé  sur  le  tombeau  de  ton  père,  et  elle  est  dere- 
nue  grande;  j'en  ai  recueilli  le  raisin,  et  ce  vin  en  proTÎenl. 
Ensuite  le  devin  fit  venir  le  bei^er,  et  le  questionna  relative- 
ment à  Tagneau.  Le  berger  dit  :  Quand  cet  agneau  vint  au 
monde,  il  était  très-joli  ;  mais  sa  mère  mourut,  et  il  n*y  avait 
pas  alors  de  brebis  qui  eût  mis  bas.  Une  chienne  avait  eu  des 
petits;  je  mis  cet  agneau  avec  la  chienne  jusqu'à  ce  qu^il  fat 
grand.  Je  n'en  ai  pas  trouvé  de  meilleur  pour  te  Tapporter, 
lorsque  tu  m'as  fait  demander  un  agneau.  Enfin  le  devin  ap- 
pela le  métayer,  et  l'interrogea  sur  le  blé.  Le  métayer  lui  dit  : 
Il  y  a  d'un  côté  de  notre  champ  un  cimetière.  Cette  année-ci 
j'ai  ensemencé  une  partie  du  cimetière,  et  c'est  de  là  que 
provient  le  blé  que  je  t'ai  apporté.  Le  devin,  fort  étonné  de 
ces  explications,  dit  :  Maintenant  c'est  le  tour  de  ma  mère, 
n  alla  trouver  sa  mère  et  lui  dit  :  Si  tu  ne  m'avoues  pas  la  vé- 
rité en  ce  qui  me  concerne ,  je  te  fais  mourir.  Sa  mère  paria 
ainsi  :  Ton  père  était  le  chef  de  ce  peuple  et  possédait  de 
grandes  richesses.  Comme  je  n'avais  pas  d'enfant  de  lui,  je 
craignis  qu'à  sa  mort  ses  biens  ne  tombassent  entre  des  mains 
étrangères  et  qu'un  autre  ne  prit  le  pouvoir.  Un  Arabe,  homme 
de  belle  figure,  fut  un  jour  l'hôte  de  ton  père  ;  je  m'aban- 
donnai à  lui,  la  nuit;  je  devins  enceinte,  et  c'est  à  lui  que 
tu  dois  ta  naissance.  J'ai  dit  à  ton  père  que  tu  avais  été  en- 
gendré par  lui. 

Le  lendemain,  le  devin  interrogea  les  quatre  frères  sur 
leurs  paroles,  en  disant  :  Je  veux  que  vous  me  fassiez  con- 
naître comment  vous  avez  su  les  choses  que  vous  avex  dites. 
Modhar,  le  premier,  lui  dit  :  J'ai  su  que  la  vigne  était  plantée 
sur  un  tombeau,  parce  que,  quand  nous  avions  bu  le  vin, 
nous  devenions  tristes  et  nous  avions  la  figure  altérée;  ce  qui 


362  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

descendanls  de  iVizâr  et  de  la  l'amille  de  Ma'add,  fils  d''Âd- 
iiàn,  qui  se  multiplièrent  tant,  que  leur  noiubre  fui  immense. 
Modbar  fut  le  chef  de  toutes  les  tribus  arabes.  Il  eut  un  fils, 
nommd  Elyàs ,  qui  lui  succéda  dans  sa  cbarge.  Elyâs  eut  deux 
fils  :  Modrika  et  Tàbikba;  c'est  le  premier  des  deux  qui  con- 
tinua la  lignée  du  Prophète.  Ces  deux  noms  étaient  des  so- 
briquets :  le  véritable  nom  de  Modrika  était  ^Âmrou;  celui  de 
Tàbikba,  ^Amir.  Un  jour,  lorsqu'ils  étaient  déjà  grands,  ils  se 
trouvaient  avec  leur  père  auprès  de  leurs  chameaux  et  faisaient 
cuire  [quelque  mets  dans]  un  pot.  Les  chameaux  s'échappèrent. 
Elyàs  dit  à  ^Amrou  :  Va ,  et  ramène  les  chameaux  ;  et  il  dit  à 
'Âmir  :  Toi,  fais  cuire  le  pot.  Ayant  fait  ainsi,  ils  reçurent  ce 
jour-là  les  sobriquets  Modrika  et  Tâbikhay  qui  leur  restèrent 
Elyàs  réunit  entre  ses  mains  le  commandement  de  tous  les  des- 
cendants de  Rabi'a ,  de  Modbar,  d'Anmàr  et  d'Iyâd,  et  fut  ainsi 
le  chef  de  toutes  les  tribus  de  Nizàr,  qui  demeuraient  en  par- 
tie dans  le  désert,  et  en  partie  à  la  Mecque.  Mais  la  souverai- 
neté de  la  Mecque  ne  leur  appartenait  pas;  elle  était  entre  les 
mains  des  Beni-Khozà'a  ;  car  la  Mecque  était  habitée  par  les 
descendants  de  Ma'add,  d'^Adnàn  et  dlsmaël,  qui  formaient 
une  population  nombreuse.  A  l'époque  où  Abraham  amena 
Ismaël  à  la  Mecque,  il  y  trouva  établie  une  tribu  djorhomite. 
Plus  tard  des  khozà'ites  arrivèrent,  soumirent  les  Djorho- 
mites,  en  tuèrent  un  grand  nombre  et  s'établirent  à  la  Mecque. 
Les  Khozà^ites  sont  une  des  tribus  de  Sabà ,  qui ,  lors  de  la 
destruction  de  cette  ville  par  les  eaux,  se  répandirent  dans  le 
monde.  Les  Beni-khozà^a  vinrent  à  la  Mecque  ;  Tayy  se  fixa 
daus  le  désert  ;  Ans  et  Khazradj ,  à  Yathrib.  Les  Arabes  furent 
donc  dispersés  dans  le  monde,  comme  il  est  dit  dans  le  Co- 
ran :  ffNous  les  avons  dispersés  de  tous  côtés.''  (Sur.  xxxiv, 
vers.  18.) 


PARTIE  II.   CHAPITRE  LXVI.  363 

Los  Arabes  se  composent  de  deux  populations  distinctes  : 
les  Ma\iddiles  el  les  Qa'htanides.  Les  habitants  de  Sabâ  et 
du  Yemen  sont  (ja'htanides,  et  les  Arabes  du  dessert,  Ma^ad- 
dites.  L'histoire  des  Djorhomites  a  été  rapportée  dans  Thistoire 
d'Ismaëi,  (ils  d'Abraham.  Isniaël  avait  épousé  une  femme  de 
cette  tribu ,  et  il  en  avait  eu  des  Gis.  Ses  descendants  étaient 
répandus  dans  le  désert,  et  les  descendants  de  Ma^add  et 
d'^Adnàn  habitaient  également  et  exclusivement  le  désert, 
de  même  que  ceux  de  Nizâr,  de  Modhar  et  d'EIyàs.  De  temps 
eu  temps  ils  venaient  à  la  Mecque,  sans  y  rester.  Lorsqu'ils 
devinrent  nombreux,  une  partie  d'entre  eux  vint  se  fixer  à 
la  Mecque,  et  une  partie  demeura  dans  les  montagnes.  Mais 
la  souveraineté  de  cette  ville  appartenait  aux  Kbozâ^a.  Cette 
souveraineté  comprenait  deux  fonctions  :  Le  ^Hidjâba  (garde 
des  clefs  de  la  Ka'ba)  et  le  Siqâya  (distribution  des  eaux). 
Quant  aux  descendants  d'Ismaël,  ils  étaient  en  partie  dans  le 
désert  et  en  partie  à  la  Mecque. 

Lorsque  Eiyâs  mourut,  le  commandement  de  tous  les 
Arabes  passa  à  son  fils  Modrika,  qui  le  laissa  à  son  fils  Kho- 
zaïma,  auquel  succéda  son  fils  Kinàna,  qui  eut  pour  succes- 
seur son  fils  Nadhr.  Celui-ci  fixa  sa  résidence  à  la  Mecque  et 
devint  le  chef  de  tous  les  descendants  de  Nizâr.  Son  véritable 
nom  était  Qaïs;  on  l'avait  surnommé  Nadhr,  à  cause  de  l'éclat 
et  de  la  beauté  de  sa  figure.  Il  voulut  s'emparer  de  la  souve- 
raineté de  la  Mecque,  et  enlever  aux  Beni-Khozà^a  le  ^Uidjàba 
et  le  Siqâya.  Mais  il  n'y  réussit  pas,  parce  que  les  Khozà^a 
étaient  nombreux,  et  que  ses  propres  gens,  les  descendants 
de  Kinàna ,  de  Khozaïma ,  de  Modrika  et  de  Modhar,  étaient 
dispersés  dans  le  désert  et  dans  les  montagnes.  Ne  pouvant 
pas  triompher  des  Beni-Khozà'a ,  Nadhr  leur  dit  :  Donnez-moi 
le  Siqâya,  et  gardez  les  clefs  de  la  Ka'ba  et  la  souveraineté 


364  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

de  la  Mecque.  Ils  lui  coufièreot  donc  leSiqâya.  Après  lui,  Tau- 
torité  passa  à  son  fils  Mâlik,  puis  successivemeaty  de  père  en 
fils,  à  Fibr,  Ghâlib,  Lowayy,  Ka'b,  Morra  et  Kilâb,  par  les- 
quels fut  continuée  la  lignée  de  Mo'hammed.  Tous  ces  per- 
sonnages exercèrent  l'autorité  sur  les  Arabes  de  la  famille  de 
Nizâr,  jusqu'à  Qoçayy,  fils  de  Kilàb.  Lorsque  Kilâb  mourut, 
son  fils  Qoçayy  était  encore  un  enfant  à  la  mamelle.  L'auto- 
rité et  la  fonction  du  Siqâya  firent  retour  aux  Khozâ'a.  Le 
véritable  nom  de  Qoçayy  fut  Zaîd;  Qoçayy  était  un  sobriquet, 
qu'on  lui  avait  donné  parce  qu'il  était  allé  jusqu^aux  limites 
extrêmes  de  l'Arabie.  Voici  en  quelles  circonstances  : 

Qoçayy,  qui  était  encore  à  la  mamelle  lorsque  sod  père 
mourut,  avait  un  frère,  nommé  Zobra,  également  fils  de 
Kilâb.  Leur  mère  était  Fâtima,  fille  de  SaM,  de  la  tribu  de 
Khath^am.  Après  la  mort  de  Kilâb,  elle  se  remaria  avec  uo 
homme  de  la  tribu  de  Qodliâ^a,  nommé  Rabfa,  fils  de  *Ha- 
zâm,  qui  était  venu  à  la  Mecque  en  pèlerinage.  Rabfa  em- 
mena Qoçayy  avec  lui  dans  la  tribu  de  Qodhâ^a,  loin  de  la 
Mecque,  vers  le  Yemen.  Zohra,  qui  était  déjà  grand,  resta  à  la 
Mecque,  eut  plusieurs  fils  et  mourut  dix  ans  après.  Comme 
il  n'y  avait  plus  de  fils  de  Kilâb,  le  Siqâya  fit  retour  aux  Kho- 
zâMtes.  La  mère  de  Qoçayy  cul  de  son  second  man  un  fils, 
nommé  Dorrâdj.  Les  deux  enfants  grandirent  ensemble  »  et 
lorsque,  vingt  ans  après,  Rabfa,  qui  était  le  chef  de  la  tribu 
des  Qodhâ^a ,  vint  à  mourir,  Dorrâdj  lui  succéda.  Alors  Qoçayy 
lui  dit  :  Ton  père  a  été  le  chef  des  Reni-Qodhâ^a ,  et  tu  as 
hérité  de  sa  dignité.  Mon  père  aussi  a  été  chef,  à  la  Mecque, 
des  tribus  de  Nizâr  et  des  descendants  d'Ismaël.  Je  vais  aller 
pour  recouvrer  mon  autorité  légitime.  Dorrâdj  lui  répondit  : 
Fais-le,  et  si  tu  dois  entreprendre  la  guerre  et  que  tu  aies 
besoin  d'aide,  avertis-moi,  je  te  porterai  secours.  Arrivé  à  la 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXVl.  365 

iMecque,  Qoçayy  trouva  les  Khozâ'a  en  possession  des  fonctions 
du  ^Hidjâba  et  du  Siqâya.  Us  avaient  pris  pour  chef  ^Holaîl, 
fils  de  'Hobschiyya,  le  Khozâ^iie.  Voyant  que  ses  parents  des 
Benî-Fihr,  des  Beni-Morra,  des  Benî-Nadhr,  des  Beni-Ki- 
nâna,  et  les  descendants  de  Lowayy,  fils  de  Ghâlib,  étaient 
dispersés  dans  les  montagnes  de  la  Mecque  et  dans  le  désert, 
Qoçayy  reconnut  qu*il  ne  pourrait  rien  tenter  contre  les  Ben(- 
Khozâ'a.  Il  resta  donc  à  la  Mecque,  sans  chercher  à  recouvrer 
le  Siqâya,  Plus  tard,  les  gens  de  sa  famille  et  ses  amis  se 
groupèrent  autour  de  lui ,  lui  témoignèrent  du  respect  et  re- 
connurent son  autorité.  Quelques  années  après,  étant  devenu 
un  personnage  important,  il  demanda  en  mariage  la  fille  du 
chef  des  Khozâ^ites,  qui  la  lui  accorda,  en  considération  de 
sa  noble  origine  et  parce  qu  il  était  le  chef  de  sa  tribu ,  et  que 
son  père  Kilab  avait  été  chef  de  tous  les  Arabes. 

Quelques  années  après,  'Hola'd  mourut.  11  y  avait,  parmi 
les  Beni-Khozâ'a,  un  homme  nommé  Solaïmân,  fils  d'^Âm- 
rou,  surnommé  Abou-Ghoubschârij  homme  joyeux  et  gour- 
mand, aimé  des  Khozâ^ites.  ^Holaïl,  en  mourant,  le  désigna 
comme  son  successeur  et  lui  remit  les  fonctions  du  Siqâya  et 
du  "^Hidjâba.  Qoçayy  se  lia  d^amitié  avec  Âbou-Ghoubschàn, 
qui,  ne  se  souciant  pas  de  Tautoriténi  du  gouvernement, 
vendit  sa  charge  pour  une  outre  de  vin  à  Qoçayy,  qui  prit 
possession  de  la  souveraineté  de  la  Mecque,  des  clefs  du 
temple,  du  ^Hidjâba  et  du  Siqâya.  Les  Benî-Khozâ'a  s'étant 
réunis  pour  Tattaquer,  Qoçayy  appela  ses  proches  et  ses  cou- 
sins, les  descendants  de  Lowayy,  fils  de  Ghâlib,  ceux  de  Fihr, 
de  Kinâna,  de  Khozaïma,  de  Modrika,  d'Elyâs,  de  Modhar, 
de  Ma'add  et  d'^Adnàn,  en  tout  douze  tribus,  et  fit  la  guerre 
aux  Khozâ^ites.  Ceux-ci  eurent  le  dessus,  tuèrent  un  grand 
nombre  des  gens  de  Qoçayy  et  les  chassèrent  de  la  Mecque. 


366  ClIRO.MQLl!:  DE  TABARl. 

Qoçayy  alla  demander  du  secours  au  chef  de  la  tribu  des 
Qodhâ^a,  qui  était  son  frère  utérin.  Dorràdj  vint  avec  une  ar- 
mée nombreuse.  Ceux  du  parti  de  Qoçayy  qui  étaient  à*  la 
Mecque,  ceux  qui  étaient  répandus  dans  les  montagnes,  et  la 
troupe  qui  avait  été  mise  en  fuite  par  les  Khoza^ites,  vinrent 
se  grouper  autour  de  Qoçayy,  et  tous  ensemble  livrèrent  une 
grande  bataille  aux  Khozà'ites,  en  tuèrent  un  grand  nombre 
et  les  mirent  en  fuite.  Qoçayy  s'empara  du  gouvernement  de 
la  Mecque,  des  fonctions  du  ^Hidjâba  et  du  Siqéya  et  de  l'in- 
tendance du  temple.  Quand  il  fut  bien  établi ,  il  congédia  son 
frère  Dorrâdj,  qui  retourna  dans  sa  tribu. 

Qoçayy,  ayant  saisi  le  gouvernement,  réunit  à  la  Mecque 
les  gens  de  sa  famille,  ses  alliés  et  la  tribu  de  Ma^add,  (ils 
d'^Adnàn,  les  y  fit  demeurer  et  leur  donna  les  maisons  des 
Reni-Khozà^a.  Quand  il  les  eut  tous  rassemblés  dans  la  ville, 
il  les  appela  Qoraïsch,  ce  qui  signifie  en  arabe  une  réunion 
d'hommes.  On  n'avait  jamais  auparavant  employé  ce  nom. 
Depuis  lors  les  Arabes  désignent  Qoçayy  par  le  nom  de  Qo- 
raïsch.  Les  Beni-Khozâ^a ,  après  avoir  été  mis  en  fuite,  ne 
pouvant  pas  rester  dans  le  désert,  revinrent  à  la  Mecque,  se 
mirent  sous  la  protection  de  Qoçayy,  conclurent  un  traité  avec 
lui  et  reconnurent  son  autorité.  Qoçayy  leur  accorda  sa  pro- 
tection, mais  il  ne  les  laissa  pas  a  la  Mecque;  il  leur  assigna 
des  demeures  dans  les  montagnes  autour  de  la  ville. 

Qoçayy  était  donc  en  même  temps  chef  des  Khozà^a ,  des 
Qoraïsch  et  de  la  Mecque.  11  était  bienveillant  envers  le  peuple, 
avait  soin  des  pauvres  et  passait  son  temps  à  rechercher  et  à 
examiner  la  condition  de  chacun ,  et  donnait  des  secours  à 
ceux  qui  étaient  dans  une  position  difficile.  Quoiqu'il  n'eût 
pas  une  grande  fortune,  le  bien  qu'il  faisait  aux  pauvres 
avait  plus  de  valeur,  par  la  bénédiction  qui  y  était  attachi^e. 


PARTIK  11,  CHAPITRE  LXVI.  S67 

que  les  bienfaits  des  autres.  En  outre,  il  prenait  aux  riches 
pour  donner  aux  pauvres,  dont  il  était  le  soutien.  Les  Benf- 
Khozâ^a  étaient  soumis  au  peuple  de  Qoçayy,  qui  leur  avait 
accordé  sa  protection. 

Les  hommes  de  Qoçayy  s'appelaient  Qoraïsch  depuis  le 
jour  où  il  les  avait  réunis  :  c'est  d'eux  que  les  Qoraïschites 
actuels  tirent  leur  origine.  Quelques-uns  disent  que  le  nom 
de  Qoraïsch  signifie  ff investigation. ^  En  effet,  Qoçayy  s'in- 
formait de  la  position  de  ses  concitoyens,  des  étrangers,  des 
pauvres  et  des  nécessiteux,  qui  venaient  chaque  année  pour  le 
pèlerinage.  Tous  ceux  qui  étaient  dans  le  besoin  étaient  entre- 
tenus par  lui  jusqu'à  leur  départ. 

Chaque  année  Qoçayy  faisait  contribuer  les  tribus  arabes 
à  l'entretien  des  pèlerins,  et  lui-même  y  contribuait  de  ses 
propres  ressources,  en  leur  donnant  un  potage  composé  de 
dattes  et  de  lait,  mets  que  les  Arabes  appellent  ^haU.  Il  tuait 
des  chameaux  et  offrait  aux  pèlerins  de  grands  repas,  et  fai- 
sait mettre  à  un  endi*oit  de  grandes  quantités  de  dattes  et  de 
gruau.  Lorsque  les  pèlerins  accomplissaient  leurs  tournées 
et  qu'ils  revenaient  d"Ârafât  à  la  Mecque,  Qoçayy  traitait 
toute  la  foule,  qu'elle  fût  de  cent  mille  hommes  ou  plus,  à 
Bat^hâ  ;  il  faisait  étendre  des  nattes  de  cuir  rouge  et  faisait  ser- 
vir la  nourriture  à  tous,  riches  et  pauvres.  Puis  il  prenait  des 
informations  sur  la  position  des  gens  ;  ceux  qui  n'avaient  pas 
de  provisions  recevaient  de  lui  des  dattes,  de  la  farine,  des 
gâteaux  et  autres  choses,  et  tous  s'en  retournaient  de  la  réunion 
annuelle  chargés  de  vivres.  C'est  à  cause  de  ces  enquêtes  que 
Qoçayy  reçut  le  nom  de  Qoraïsch.  D'autres  prétendent  que 
Qoraïsch  est  le  nom  d'un  cheval  marin,  qui  épouvante  tout  ce 
qui  habite  la  mer,  poissons  et  autres  animaux.  Comme  Qoçayy 
et  son  peuple  avaient  pris  le  dessus  sur  les  Khozâ^a ,  on  les 


368  CHRONIQLE  DE  TABARI. 

avait  appelés  Qanuiek^  par  mëUphore.  'Abdallah,  fils  cTAb- 
baSy  a  dit  à  ce  sujet  le  vers  suivant: 

Qornidi.  qui  ert  [eei  aDÎmal]  qui  kabile  li  mer,  ém  non  dinjad  fl*ap- 
peOcnt  les  Qoruscliileft. 

Donc  Qoçayy  exerçait  le  pouvoir,  à  la  Mecque,  sur  les  Qo- 
raîschites  et  sur  les  autres.  Après  lui ,  le  gouvernement  passa  a 
ses  descendants ,  de  père  en  fils ,  d'abord  à  son  fils  'Abd-Manâf , 
qui  eut  pour  successeur  son  fils  Hâschim,  a  qui  succéda  son 
fils  ^Abdoul-Mottalib,  qui  le  laissa  à  son  fils  Abou-Tâlib, 
nommé  aussi  ^Abd-Manâf.  La  prééminence  des  Qoraîschites 
était  reconnue  par  tous  les  Arabes  et  Ta  été  jusqu'à  ce  jour. 

Qoça)-)',  après  avoir  enlevé  le  pouvoir  aux  Khozi'ites,  avait 
ajouté  aux  prérogatives  du  ^HiJjâba  et  du  Siqdjfa  quatre 
autres  attributions,  savoir  :  le  Rifâdoy  le  A'trdii,  le  Liœa  et  le 
\adwa.  Quiconque  réunissait  entre  ses  mains  ces  six  préro- 
gatives avait  le  gouvernement  de  la  Mecque.  Le  Rifâda  consis- 
tait dans  Tattribution  de  nourrir  les  pèlerins,  comme  nous 
avons  dit  que  le  faisait  Qoçayy ,  chaque  année,  en  traitant  les 
riches  et  les  pauvres,  un  soir  à  Mouzdalifa,  l'autre  soir  à  la 
Mecque.  En  effet,  le  jour  où  les  pèlerins  vont  à  'Arafat,  res- 
tant toute  la  journée,  jusqu'au  coucher  du  soleil,  sur  pied, 
sur  le  sommet  de  la  montagne  d" Arafat,  à  prier,  personne 
n'a  le  temps  de  préparer  le  repas  du  soir.  Ils  s'en  retour- 
nent ,  lorsque  le  soleil  décline ,  et  récitent  la  prière  du  soir 
et  la  prière  du  coucher,  à  Mouzdalifa.  Ils  ne  se  reposent  pas 
avant  d'y  arriver,  et  ils  n'y  arrivent  que  quand  la  nuit  est 
déjà  avancée.  Qoçayy  donnait  donc  son  repas  à  Mouzdalifa,  le 
jour  d"^ Arafat;  il  réunissait  tous  les  pèlerins,  et  tous  man- 
geaient à  satiété  et  se  couchaient  ensuite.  Puis,  à  la  fin  du  pè- 
lerinage, lorsqu'ils  faisaient  les  dernières  tournées  à  la  Mecque, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXVI.  369 

il  les  Iraitait  de  la  même  façon,  et  donnait  à  tous  les  pauvres 
des  provisions  de  voyage  autant  qu'il  leur  en  fallait  jusqu'à 
leur  retour  dans  leur  pays.  Cette  distribution  de  nourriture 
s'appelle  rifâda,  car  le  verbe  rafada  veut  dire  cr  donner  du  se- 
cours, n  Cette  coutume  s'est  maintenue  jusqu'à  aujourd'hui  :  le 
sultan  fait  donner  un  repas  à  Mouzdalifa,  et  fait  distribuer 
aux  pèlerins  pauvres  des  subsistances.  Khaizerânè,  la  mère  de 
llaroun  ar-Kaschid,  donnait  ce  repas  chaque  année,  et,  après 
elle,  Zebidè,  femme  de  Haroun  ar-Raschid,  fille  de  DjaTar 
al-Mançour;  ensuite  Scha'b,  mère  de  Mouqtadir. 

Le  ^îrân  est  l'éclairage  par  des  feux ,  lorsque  les  pèlerins 
reviennent,  dans  l'obscurité  de  la  nuit,  d"Arafàt,  afin  que 
personne  ne  s'égare  sur  la  route  de  Mouzdalifa. 

Le  Liwa  (drapeau)  consistait  dans  la  pratique  suivante  : 
chaque  fois  que  Qoçayy  faisait  partir  de  la  Mecque  une  expé- 
dition guerrière,  il  mettait  à  la  tête  de  l'armée  un  chef  qui 
recevait  de  ses  mains  le  drapeau,  une  pièce  d'étoffe  de  soie 
blanche,  que  Qoçayy  lui-même  attachait  au  bout  d'une  lance, 
et  l'on  portait  ce  drapeau  devant  le  chef,  comme  signe  de 
commandement.  Cette  coutume  se  perpétua  depuis  loi*s  parmi 
les  descendants  de  Qoçayy,  et  fut  aussi  maintenue  par  le  Pro- 
phète, qui,  chaque  fois  qu'il  envoyait  un  général  contre  une 
ville,  attachait  de  ses  propres  mains  le  Liwa, 

Le  Nadwa  ou  conseil  était  une  institution  qui  avait  égale- 
ment été  établie  par  Qoçayy.  Pour  toute  affaire  qu'il  voulait 
entreprendre,  il  réunissait  les  Qoraïschites  et  les  principaux 
habitants,  pour  eu  délibérer  avec  eux.  Aucune  décision  prise 
par  les  principaux  habitants  relativement  aux  affaires  des 
citoyens  n'avait  de  force  si  elle  n'avait  été  délibérée  dans  la 
maison  de  Qoçayy,  où  ils  se  réunissaient  en  conseil  ap])elé 
Nadwa.  Qoçayy  avait  acheté  à  cet  effet  une  maison  à  côté  du 
II.  'i/i 


370  CHRONIQUE  DK  TABARI. 

temple  qui  reçut  le  nom  de  Ddr-en-Nadwa ,  et  cette  maisou 
appartenait  aux  Qoraïschites.  Cette  institution  dura  jusqu'au 
moment  où  le  Prophète  prit  la  ville  de  la  Mecque.  Le  jour  où 
il  y  entra  et  détruisit  toutes  les  coutumes  du  paganisme,  ii 
abolit  aussi  le  Dâr-en-Nadwa. 

Donc  Qoçayy  réunissait  entre  ses  mains  ces  six  attributs 
du  pouvoir  :  le  ^Hidjâba,le  Siqâya,\e  Rifàda,  le  lÀwa,  le  Nirdn 
et  le  Nadwa.  Qoçayy  avait  quatre  fils  :  ^Abd  ben-Qoçayy,  ^Abd 
ed-Dâr,  'Abdou  l-'Ozza  et  Âbd-Manàf.  Ce  dernier  était  le  plus 
jeune  ;  c'est  de  lui  que  descend  le  Prophète.  Qoçayy  faimait 
plus  que  SCS  autres  fils.  On  lui  avait  donné  le  sobriquet  Qamrà, 
à  cause  de  sa  beauté;  son  véritable  nom  était  Moghira;  mais 
sa  mère,  Tayant  amené  auprès  de  Manâf,  une  des  idoles  qui 
se  trouvaient  dans  la  Ka'ba,  Tavait  placé  devant  Tidole  et 
avait  dit  :  tr  Voilà  le  serviteur  de  Manàf?)  {^ Abd-Manàf),  Ce 
nom  lui  est  resté  et  a  prévalu  sur  ses  autres  noms.  Qoçayy, 
en  mourant,  légua  les  six  attribuLs  du  gouvernement  à  ^Abd- 
Manâf,  en  lui  disant  :  0  mon  fils,  il  im|)orte  peu  que  tu  di- 
minues le  pouvoir  d'une  de  ces  prérogatives;  mais  ne  renonce 
jamais  au  Rjfâda,  c'est-à-dire  à  la  prérogative  de  traiter  les 
pèlerins;  car  vous  êtes  les  ministres  du  temple  de  Dieu,  et 
les  pèlerins  sont  les  hôtes  de  Dieu  ;  vous  avez  plus  que  qui  que 
ce  soit  le  droit  de  leur  donner  l'hospitalité.  ^Abd-Mauâf  eut 
soin  de  conserver  ces  attributs,  et  exerça  le  pouvoir  sur  la 
Mecque,  le  ^Hedjâz  et  sur  tous  les  Arabes.  Son  autorité  était 
plus  grande  que  celle  de  son  père  Qoçayy,  qui  n'avait  pas 
eu  une  fortune  suffisante  pour  ses  besoins.  Chaque  année,  à 
l'époque  du  pèlerinage,  il  avait  fait  la  distribution  de  vivres 
aux  pèlerins,  en  partie  à  ses  propres  dépens,  et  pour  une 
partie  il  avait  demandé  une  contribution  aux  Qoraïschites;  et, 
au  bout  de  Tannée,  il  se  trouvait  avoir  contracté  une  certaine 


PARTIE  H,  CHAPITRE  LXVI.  371 

dette.  'Abd-Manâf,  qui  avait  beaucoup  de  biens,  faisait  cette 
aistribution  de  ses  propres  ressources,  sans  rien  demander 
aux  Qoraïschites.  Même  en  dehors  de  Tépoque  du  pèlerinage, 
^Abd-Manàf  faisait  tuer  des  chameaux  et  en  donnait  la  chair 
aux  pauvres.  Il  luttait  contre  le  vent  du  nord,  et  sa  libéralité 
remportait  :  les  jours  où  le  vent  du  nord  soufflait,  ^Abd-Manâf 
tuait  un  chameau  pour  les  pauvres;  et  si  le  vent  soufflait  «pen- 
dant dix  jours  consécutifs,  il  tuait  chaque  jour  un  nouveau 
chameau.  Cest  lui  qui  introduisit  la  coutume  d'offrir  aux 
repas  du  R^âda  la  boisson  de  miel  ;  il  en  faisait  faire  une  si 
{grande  quantité,  en  y  employant  du  miel  purifié,  que  tous 
les  pèlerins  avaient  à  boire. 

'Abd-Manâf  avait  quatre  fils  :  'Abdou'l-Schams,  Tainé, 
Hâschim,  Al-Mottalib  et  Naufal.  Haschim,  dont  ie  véritable 
nom  était  ^Amrou,  lui  était  le  plus  cher.  Cest  après  la  mort 
de  son  père  seulement  quil  reçut  le  nom  de  Hâschim,  parce 
qu'il  introduisit  la  coutume  d*offrir  aux  pèlerins,  aux  repas 
duRifâda,  le  potage  appelé  therîd.  A  la  mort  d'^Abd-Manâf,  ses 
fils  se  partagèrent  ses  biens;  le  gouvernement  échut  à  Hâ- 
schim, qui  jouissait  d'une  plus  grande  influence  que  son  père, 
tant  par  sa  fortune  que  par  son  autorité  parmi  le  peuple  :  il 
était  appelé  ^Amrou  al-^Ali,  à  cause  de  son  autorité.  Il  con- 
servait toutes  les  prérogatives  du  pouvoir,  en  y  ajoutant  en- 
core celle  du  Ûierid,  Auparavant  on  donnait  à  chaque  homme 
quatre  pains,  du  bouillon  et  un  peu  de  viande.  'Amrou  y 
ajouta  le  therîd,  augmentant  ainsi  la  portion  de  pain  :  pour 
cette  raison,  on  l'appelait  Hâschim,  c'est-à-dire  i? celui  qui 
émiette  le  pain  dans  le  bouillon.  71  A  l'exemple  de  son  père 
^Abd-Manâf ,  Hâschim ,  même  en  dehors  de  l'époque  du  pèle- 
rinage ,  tuait  des  chameaux ,  dont  il  offrait  la  chair  aux  habitants 
de  la  Mecque.  Une  certaine  année,  du  temps  de  Hâschim,  une 

•j/i. 


372  CHKOiMQUE  DK  TABARI. 

famine  élaut  survenue  à  la  Mecque,  Hâschiui  partit  |>our  ia 
Palestine  el  en  rapporta  des  vivres,  qu  il  avait  achetés  de  ses 
propres  ressources,  et  il  les  distribua  aux  habitants  de  la  Mec- 
que. Pendant  toute  la  durée  de  ia  famine,  il  faisait  donner  à 
chacun,  régulièrement,  chaque  jour,  un  vase  de  therîd;  et  le 
nom  de  Hâschim  lui  resta.  C'est  à  ce  propos  qu'un  poète  a  dit: 

'Amrou,  le  noble,  a  émiellé  le  pain  du  therid  pour  ses  compatriotes,  les 
f^ns  de  la  Mecque,  affamés  et  épuisés. 

Pendant  cette  famine,  Hâschim ,  n'ayant  pas  de  provisions  à 
Tépoque  du  pèlerinage,  partit  lui-même  pour  la  Syrie,  en  ra|>- 
porla  de  la  farine,  dont  il  fit  faire  du  pain,  et  donna  les  i*epas 
du  Rifâda  d'une  manière  plus  parfaite  que  les  autres  années. 
La  famine  dura  trois  ans;  cha<|ue  année,  Hâschim  faisait  deux 
fois  le  voyage  de  Syrie,  pour  aller  chercher  de  la  farine,  une 
fois  en  hiver  et  une  fois  en  été,  comme  il  est  dit  dans  le  Coran  : 
tr ...  leurs  caravanes  qu'ils  envoient  en  hiver  et  en  été.  ^  (Sur.  cvi , 
vers.  3.)  Cette  coutume  fut  introduite  parmi  les  Qoraïschites 
par  Hâschim,  qui,  même  lorsque  la  famine  eut  cessé,  allait 
deux  fois  par  an  en  Syrie ,  pour  y  faire  le  commerce  et  poury  cher- 
cher des  vivres.  Les  autres  fils  d''Abd-Manâf,'Abdou'l-Schams, 
Naufal  et  Mottalib,  distribuèrent  également,  de  leurs  propres 
ressources,  des  vivres  aux  habitants  de  la  Mecque ,  pendant  ces 
années  de  disette.  Ils  ne  voulaient  pas  souffrir  qu'une  seule  per- 
sonne mourût  de  faim.  Cependant  ils  avaient  laissé  le  privilège 
du  Rifdda  à  Hâschim,  parce  qu'il  exerçait  le  pouvoir.  Si,  pen- 
dant cette  famine,  les  fils  d^Abd-Manâf  n'avaient  pas  été  à  la 
Mecque,  tous  les  habitants  auraient  succombé  à  la  faim.  Les 
quatre  frères  se  rendirent  dans  toutes  les  contrées,  en  Syrie, 
dans  le  Yemen,  en  Abyssinie  et  dans  Tlrâq,  et  obtinrent  des 
souverains  de  ces  pays  des  sauf-conduits  pour  les  Qoraïschites, 


PARTIE  II,  CHAPITHK  LXVI.  373 

pour  y  chercher  des  vivres  et  y  voyager  pour  le  coumierce, 
sans  être  inquiétés  par  personne.  Hâschini  obtint  un  sauf- 
conduit  des  rois  de  Syrie;  'Abdou  l-Schams,  des  rois  d'Abys- 
sinie;  Mottalib,  des  rois  du  Yemen,  et  Naufal,  des  rois  de 
r^Irâq;  ils  les  rapportèrent  aux  Qoraïschites  en  même  temps 
que  des  vivres.  Matroud,  fils  de  Ka^b,  le  Khozâ^ite,  a  fait 
reloge  de  Hàschim  et  de  ses  frères  dans  les  vers  suivants  : 

0  loi,  hôte,  dont  la  selle  est  toujours  en  mouvement,  pourquoi  nVs-lu 
pas  descendu  chez  las  gens  d''Abd-Manâf?  etc. 

Les  iils  d''Abd-Manâf  étaient  ainsi,  tous  les  quatre,  les 
princes  des  Qoraïschites  :  Hâschim  exerçait  le  gouvernement, 
et  ses  frères  étaient  ses  auxiliaires.  Ensuite  ^Abdou  1-Schams 
mourut,  et  laissa  un  fils  nommé  Omayya.  Quelques-uns  pré- 
tendent que  son  véritable  nom  était  Hâschim,  et  Omayya  un 
surnom.  Omayya,  qui  avait  hérité  de  son  père  une  grande 
fortune,  était  traité  par  Hâschim  avec  beaucoup  de  considé- 
ration. Or,  une  certaine  année,  à  Tépoque  du  pèlerinage,  où 
Hâschim  se  disposait  à  offrir  aux  pèlerins  les  repas,  Omayya 
sollicita  de  lui  la  permission  d'offrir,  pour  cette  fois,  le  Rifâda, 
Hâschim  y  consentit  avec  peine.  En  conséquence,  Omayya 
prépara  les  repas,  et  y  dépensa  toute  sa  fortune;  mais  le  Ri- 
fâda ne  fut  pas  suffisant,  et  les  pèlerins  manquèrent  de  nour- 
riture. Hâschim,  très -embarrassé,  fit  immédiatement  tuer 
cinquante  de  ses  chameaux,  et  compléta  ainsi  le  repas.  En- 
suite, étant  en  colère  contre  Omayya,  il  lui  dit  :  Pourquoi  ne 
t'occupes-tu  pas  de  jeux  d'enfant?  et  il  l'exila  de  la  Mecque. 
Omayya  se  rendit  en  Syrie,  oi!i  il  resta  dix  ans,  n'osant  pas 
revenir  à  la  Mecque  du  vivant  de  son  oncle.  Il  ne  revint  qu'à 
la  mort  de  Hâschim.  Hâschim  avait  plusieurs  fils;  Omayya 
avait  également  plusieurs  fils,  dont  l'ainé  était  ^Harb,  le  père 


37à  CHROiNIQUE  DK  TABAKl. 

d'Âbou-Sofyàu.  C  est  là  rorigiue  de  Tluiiuitié  qui  se  perpéUia 
entre  les  familles  de  Hàschim  et  d'Omayya,  jusqua  Tépoque 
où  Abou-Sofyàu  exerça  tant  d'hostilités  contre  le  Prophète  :  le 
siège  de  Médine,  le  combat  d'O'hod ,  le  massacre  de  tant  de  ses 
compagnons  et  de  'Hamza.  Le  jour  de  la  prise  de  la  Mecque, 
Abou-Sofyàn  devint  musulman,  et  le  Prophète  lui  douna,  du 
butin  du  combat  de  'Honaïn ,  cent  chameaux ,  pour  se  le  conci- 
lier et  gagner  son  amitié;  mais  ce  fut  en  vain.  L'inimitië  entre 
les  descendants  de  Hâschim  et  ceux  d'Omayya  durait  tou- 
jours :  aucun  membre  de  la  famille  d'Omayya,  sauf  ^Othmâu, 
ne  sympathisa  avec  le  Prophète.  C'est  là  aussi  Torigine  de  la 
haine  qui  existait  entre 'Ali,  fils  d'Abou-Tàlib,et^Othaiàn,  et, 
plus  tard ,  entre  'Ali,  prince  des  croyants ,  et  Mo'awiya  ;  c'est  la 
cause  de  tout  ce  qui  s  est  passé  entre  eux,  des  dix-sept  batailleti 
qu'ils  se  sont  livrées,  de  la  mort  de  quarante  mille  musulmaus, 
tués  à  la  bataille  de  ÇifTin,  et  des  actions  de  Yezid,  Cls  de 
Mo'awiya,  dont  une  partie  sera  rapportée  plus  loin  :  tout  cela 
est  la  suite  de  l'inimitié  des  familles  Hâschim  et  Omayya, 
inimitié  qui  s'est  perpétuée  jusqu'à  ce  jour. 

Hâschim,  en  mourant,  laissa  le  gouvernement  à  sou  frère 
Mottalib;  car  ses  propres  fils  étaient  trop  jeunes  pour  exer- 
cer le  pouvoir,  et  ses  autres  frères ,  'Abdou'l-Schams  et  Naufal , 
étaient^  morts.  Mottalib  prit  le  gouvernement  et  se  mootra 
soigneux  d'en  conserver  les  six  attributions.  Il  avait  aussi  soin 
des  enfants  de  Hâschim.  L'un  de  ces  enfants,  'Abdou'1-Mot- 
talib,  encore  fort  jeune,  se  trouvait  à  Médine.  Voici  par  quelle 
cause  :  Une  certaine  année,  comme  Hâschim  se  rendait  en 
Syrie  pour  le  commerce,  étant  arrivé  à  Médine,  il  y  était  des- 
cendu chez  un  habitant,  l'un  des  principaux  de  la  tribu  de 
Khazradj,  nommé  'Amrou,  fils  de  Zaïd,  fils  d'Asad.  'Amrou 
avait  une  fille  très-belle,  nommée  Salma.  Hâschim  la  lui  de- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXVI.  375 

manda  en  mariage,  et,  Tayant  obtenue,  il  passa  un  certain 
temps  auprès  d'elle,  et  elle  devint  enceinte.  Ensuite,  après 
avoir  fait  son  voyage  en  Syrie,  Hàschim  revint  à  Médine  et 
donna  à  Tenfant  que  Salma  avait  mis  au  monde  le  nom  de 
Scbaïba.  Il  voulut  emmener  la  mère  et  Tenfant  avec  lui  à  la 
Mecque;  mais  ^Amrou,  (ils  de  Zaïd,  ne  voulut  pas  laisser  partir 
sa  Glle,  et  comme  Tenfant  était  encore  à  la  mamelle,  Hâschim 
ne  pouvait  pas  le  séparer  de  sa  mère.  Il  le  laissa  donc  avec 
elle,  et  retourna  seul  à  la  Mecque,  où  il  mourut  bientôt  après. 
Mais,  avant  de  mourir,  en  instituant  Mottalib  son  successeur, 
il  lui  dit  qu'il  avait  à  Médine  un  fils,  du  nom  de  Schaïba, 
dont  la  mère  était  une  telle,  fille  d'un  tel,  de  la  tribu  de 
Khazradj.  Mottalib,  ayant  pris  possession  du  gouvernement, 
oublia  ce  qui  concernait  Schaïba.  Dix  ans  se  passèrent  ainsi. 
Alors  un  habitant  de  la  Mecque,  se  rendant  en  Syrie  pour 
son  commerce ,  arriva  à  Médine  et  y  remarqua  Schaïba ,  qui , 
au  milieu  d'une  troupe  de  garçons,  se  glorifiait  en  disant  : 
Je  suis  Schaïba,  fils  de  Hâschim,  fils  d'^Abd-Manâf;  je  suis 
fils  du  seigneur  de  Bat^hâ ,  fils  du  seigneur  de  la  Mecque  et 
du  ^Hedjâz;  je  suis  fils  du  chef  de  tous  les  Qoraïschites  des- 
cendant de  Nadbr,  qui  l'emporte  en  noblesse  sur  tous  les 
Arabes.  Cet  homme  fut  fort  étonné  et  dit  :  Comment  Hâschim 
a-t-il  un  fils  à  Médine?  Il  dit  à  l'enfant  :  Quel  est  ton  nom? 
L'enfant  répondit  :  Schaïba,  fils  de  Hàschim,  fils  d'^Abd- 
Manâf,  prince  des  Qoraïschites,  prince  des  Arabes,  seigneur 
de  Bat'hâ,  de  la  Mecque  et  du  ^Hedjâz.  Lorsque  cet  homme 
fut  de  retour  à  la  Mecque,  causant,  un  jour,  avec  Mottalib, 
dont  le  surnom  était  Abou'l-'Hârith ,  parce  qu'il  avait  un  fils 
nommé  ^Hàrith,  il  lui  dit  :  Ô  Abou'l-^Hârith,  j'ai  vu  à  Médine 
une  chose  étonnante.  —  Qu'y  as-tu  vu?  demanda  Motlalib. 
L'autre  dit  :  J'y  ai  vu  un  garçon  qui,  au  milieu  de  ses  cama- 


.H76  CUROiMQLK  DK  TABARI. 

rades,  loul  eu  jouaut,  eu  sexerçaut  aux  armes,  eu  couraut 
et  eu  jetaut  la  balle,  se  glorifiait,  eu  disant  :  Je  suis  Schaïba, 
fils  de  Hâschim,  fils  d'^Abd-Manâf.  Mottalib,  se  rappelant  les 
dernières  recommandations  de  Hâschim ,  monta ,  le  lendemain , 
sur  un  chameau  et  partit  pour  Médine.  Il  reçut  Schaîba  des 
mains  de  sa  mère ,  le  fit  monter  derrière  lui  sur  le  chameau 
et  remmena  à  la  Mecque.  Les  habitants  de  la  Mecque  lui 
demandèrent  :  Qui  est  ce  garçon?  Mottalib  répondit  :  Cest 
mon  esclave.  Ils  dirent  :  ^  Cest  1  esclave  de  Mottalibv  Ç'Abdaul- 
Mott€dib)y  et  le  nom  d'^Abdou  1-Mottalib  lui  est  reste;  car  per- 
sonne ne  savait  qu'il  s'appelait  Schaîba. 

Mottalib,  en  mourant,  confia  le  gouvernement,  le  Bjfâda 
et  les  autres  prérogatives  à  ^Abdoul-Mottalib,  dont  la  libéra- 
lité égalait  celle  d'^Abd-Manàf;  il  triomphait,  comme  celui-ci, 
(lu  veut  du  nord.  Il  était  appelé  tr nourricier  des  hommes  et 
des  bétes,?)  sobriquet  qui  n  avait  encore  été  douné  à  personne. 
Lorsque  les  hommes  de  TEléphant  vinrent  aux  portes  de  la 
Mecque  et  que  tous  périrent,  'Abdoul- Mottalib  y  trouva  un 
butin  immense,  et  son  autorité  devint  plus  grande  que  celle 
de  Qoçayy,  d''Abd-Manâf  et  de  Hâschim;  il  surpassait  tous 
ses  ancêtres  par  sa  libéralité,  qui  n'avait  pas  de  borne».  Le 
surnom  d'^Abdou'l-Mottalib  était  également  AbouVHârith. 

^Abdoul-Mottalib  avait  eu  connaissance  d'une  tradition 
disant  qu'un  homme,  du  temps  d'Ismaël,  voulant  quitter  la 
Mecque,  avait  enfoui  ses  richesses  dans  le  puits  de  Zemzem. 
On  dit  aussi  que  c'était  Ismaël  lui-même  qui  avait  enfoui  ces 
richesses.  On  prétend  enfin  que  ces  richesses  se  composaient  de 
deux  gazelles  d'or,  de  cent  épées  damasquinées  et  de  cent  cui- 
rasses davidiennes.  ^Abdou'l-Mottalib  voulut  creuser  le  puits  de 
Zemzem ,  pour  enlever  ce  trésor,  dont  il  avait  entendu  parler; 
mais  il  ne  savait  pas  à  quel  endroit  il  devait  fouiller.  Alors, 


\ 


PARTIE  IK  CHAPITRE  LXVl.  377 

une  uuit,  il  vit  en  songe  quelqu'un  qui  lui  dit  :  Lève-toi  et 
creuse  où  est  le  puils  de  ton  père  Ismaêl,  fils  d'Abraham. 
A  son  réveil,  ^Abdoul-Mottalib  hésitait;  car  il  ne  savait  pas  si 
les  objets  se  trouvaient  au  bord  ou  au  milieu  du  puits.  La  nuit 
suivante,  il  rêva  qu'on  lui  disait  :  Va  creuser  à  l'endroit  où  est 
la  boue.  La  troisième  nuit,  il  entendit  une  voix  qui  lui  dit  : 
Creuse  à  l'endroit  où  un  corbeau  noir  viendra  frapper  le  sol 
avec  son  bec.  Alors  il  sut  que  le  trésor  se  trouvait  au  milieu 
du  puits,  mais  il  n'osa  pas  y  toucher,  craignant  de  détruire 
le  puits  en  le  fouillant.  Il  fut  très-embarrassé;  puis  il  résolut 
d'en  retirer  l'eau  et  d'en  explorer  le  fond.  En  commençant 
à  creuser,  il  fit  le  vœu  de  sacrifier  à  Dieu  un  de  ses  dix  fils 
s'il  réussissait,  après  avoir  retiré  l'eau  et  après  avoir  creusé 
le  sol  et  trouvé  le  trésor,  à  remettre  le  puits  en  bon  état.  Il 
creusa  donc,  et  trouva  le  trésor;  ensuite  il  remit  le  puits  en 
bon  élat,  et  l'eau  monta.  'Abdou'l-Mottalib  en  fut  très-heu- 
reux. Avec  les  épées  d'acier  il  fit  faire  une  porte  pour  la  Ka^ba  ; 
il  fondit  les  deux  gazelles  d'or,  en  fit  des  plaques  et  en  re- 
vêtit les  portes  de  fer.  'Abdou'l-Mottalib  fut  le  premier  qui 
revêtit  de  plaques  d'or  la  porte  de  la  Ka^ba  et  qui  la  couvrit 
d'étoffes  de  brocart. 

Ensuite  'Abdou'l-Mottalib  voulut  "îiccomplir  son  vœu,  en 
sacrifiant  un  de  ses  dix  fils,  dont  le  plus  jeune  était  ^Abdallah, 
le  père  du  Prophète.  ^Abbâs  et  ^Hamza  n'étaient  pas  encore 
nés.  'Abdallah  et  Abou-Tâlib  étaient  nés  de  la  môme  mère, 
nommée  Fâtima,  fille  d'^Omrân,  fils  d'^Amrou  al-Makhzoumî. 
'Abdou'l-Mottalib  jeta  le  sort  trois  fois  sur  tous  ses  fils,  et  trois 
fois  le  sort  tomba  sur  ^4bdallah.  Alors  'Abdou'l-Mottalib  se 
disposait  à  le  tuer.  Abou-Tâlib  et  ses  autres  fils  vinrent  tous 
et  dirent  à  'Abdou'l-Mottalib  qu'ils  ne  le  souffriraient  pas. 
'Abdou'l-Mottalib  leur  dit  :  Je  me  suis  engagé  par  un  vœu 


378  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

• 

envers  Dieu;  Dieu  ayant  fait  réussir  mon  entreprise,  je  ne 
peux  pas  me  soustraire  à  la  nécessité  de  lui  offrir  en  sacrifice 
un  de  mes  fils,  pour  accomplir  mon  vœu.  Ses  fils  répliquèrent  : 
Nous  ne  te  laisserons  pas  faire;  et  ils  lui  enlevèrent  ^Abdallah. 
Abou-Tâlib,  frère  d'^Abdallah  de  père  et  de  mère,  qui  avait 
pour  lui  encore  plus  d'affection  que  les  autres,  alla  trouver 
ses  oncles  des  Beni-Makhzoum,  et  leur  dit  que  son  père  vou- 
lait offrir  en  sacrifice  ^Abdallah.  Les  Beni-Makhzoum  se  ren- 
dirent auprès  d'^Abdou'l-Mottalib  et  lui  déclarèrent  qu'ils  ne 
le  souffriraient  pas;  ils  lui  dirent  :  Tu  es  le  chef  des  Qoraï- 
schites;  si  tu  offres  en  sacrifice  ton  enfant,  la  coutume  s'en 
maintiendra  parmi  eux,  et  la  race  des  Qoraïschites  s'éteindra. 
^Âbdoul-Mottalib  répliqua  :  Que  faire?  Je  me  suis  engagé 
par  un  vœu  envers  Dieu,  et  il  faut  que  je  l'accomplisse.  Les 
autres  dirent  :  Abraham,  Tami  de  Dieu,  qui  fut  plus  grand 
que  toi,  ayant  fait  vœu  d'offrir  en  sacrifice  Ismaël,  reçut  de 
Dieu  une  rançon  pour  son  fils;  toi  aussi  offre  une  rançon  à  la 
place  de  ton  fils.  ^Abdou'i-Moltalib  dit  :  Que  Dieu  veuille  ac- 
cepter pour  sa  rançon  tout  ce  que  je  possède!  Je  sacrifierais 
volontiers  tous  mes  biens;  car  il  m'est  le  plus  cher  de  tous 
mes  enfants.  Les  autres  dirent  :  Il  y  a  à  Khaïbar  une  devine- 
resse, la  plus  savante  de  ce  temps;  il  faut  te  rendre  auprès 
d'elle;  elle  te  dira  ce  qu'il  faut  faire.  ^Abdou'l-Mottalib  partit 
pour  Khaïbar,  avec  ^Abdallah ,  ^ Abbâs  et  Abou-Tâlib,  et  adressa 
sa  demande  à  la  devineresse.  Celle-ci  dit  :  Place  d'un  côté  dix 
chameaux,  et  de  l'autre  ^Abdallah;  puis  consulte  le  sort.  Si 
le  sort  tombe  sur  les  chameaux ,  tu  sauras  que  Dieu  accepte 
la  rançon  de  ton  fils;  si  le  sort  tombe  sur  ton  fils,  augmente 
le  nombre  des  chameaux,  et  recommence,  et  augmente  tou- 
jours le  nombre  jusqu'à  ce  que  le  sort  tombe  sur  eux;  alors 
tu  sauras  que  Dieu  accepte  cette  rançon,  et  tu  offriras  les 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXVl.  379 

cbauicaux  eu  sacrifice.  ^Abdou'i-Mottalib  retourna  heureux  à 
la  Mecque.  Il  plaça  dix  chameaux  en  face  d'^ Abdallah ,  et  con- 
sulta le  sort;  le  sort  tomba  sur  \4bdallah.  Alors  il  ajouta  dix 
autres  chameaux,  puis  dix  autres,  et  ainsi  de  suite;  enfin, 
quand  le  nombre  fut  de  cent  chameaux,  le  sort  tomba  sur 
les  chameaux.  ^Abdou'l-Mottalib  les  offrit  en  sacrifice  et  en 
donna  la  chair  aux  pauvres.  Le  Prophète  a  dit  :  tr  Je  suis  le 
fils  de  deux  victimes, ?)  c'est-à-dire  deux  de  mes  ancêtres  ont 
dû  être  immolés,  Ismaël  et  ^Abdallah;  mais  Dieu  a  accordé 
à  Tun  et  à  Tautre  une  rançon. 

Lorsque  ^Abdallah  eut  atteint  l'âge  viril,  ^Abdou'l-Mottalib 
le  maria  avec  A  mina,  fille  de  Wahb,  fils  d'^Abd-Manâf,  fils 
de  Zohra ,  de  la  tribu  de  Zohri.  ^Abdallah ,  ayant  conduit  sa 
femme  dans  sa  maison ,  vivait  avec  elle. 
'  Il  y  avait  à  la  Mecque  un  chrétien  nommé  Waraqa,  fils 
de  Naufal,  qui  était  devin.  Il  avait  une  sœur  devineresse, 
nommée  Oumm-Iqbâl  (?).  Celle-ci,  étant  assise  un  jour  k  la 
porte  de  la  Ka^ba,  lorsque  ^Abdallah  en  sortit  et  se  dirigea 
vers  sa  maison,  remarqua  sur  son  front  un  éclat,  qui  était 
celui  du  Prophète.  Elle  avait  lu  dans  les  Écritures  que  le 
Prophète  devait  naître.  Elle  appela  ^Abdallah  auprès  d'elle 
et  lui  dit  :  Qui  es-tu?  Il  répondit  :  Je  suis  le  fils  d'^Abdou'l- 
Mottalib.  —  Es-tu  celui  qu^Abdou'l-Mottalib  a  voulu  offrir 
en  sacrifice,  par  suite  de  son  vœu? —  Oui. — Je  suis,  dit-elle, 
la  fille  de  Naufal,  sœur  de  Waraqa;  si  tu  me  prends  pour 
femme,  je  te  donnerai  cent  chameaux.  Elle  ne  savait  pas 
qu 'Abdallah  était  marié.  11  consentit  et  lui  dit  :  Reste  ici , 
je  vais  à  la  maison  pour  en  parler  à  mon  père.  Quand  il 
entra  dans  sa  maison,  Amina  se  jeta  à  son  cou;  cédant  à  sa 
passion,  il  s'unit  à  elle,  et  le  Prophète  fut  conçu  dans  le  sein 
d'Amina.  L'éclat  dont  avait  été  entouré  le  front  d'^Abdallah 


380  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

avait  disparu  lorsqu'il  se  rendit  ensuite  auprès  d'Où  mm - 
Iqbâl.  Celle-ci,  ne  voyant  plus  le  rayonnement  sur  sa  figure, 
reconnut  que  le  trésor  quil  avait  porté  en  lui  était  sorti  de 
son  corps.  Ayant  appris  de  lui  qu  il  avait  une  femme  et  qu'il 
venait  de  s'unir  à  elle,  Oumm-Iqbâl  lui  dit  :  Va,  je  n'ai  plus 
de  désir.  ^Abdallah  s'en  alla. 

Nous  avons  déjà  raconté  la  naissance  du  Prophète  et  son 
histoire  jusqu'au  moment  où  il  entra  dans  la  maison  d'Abou- 
Tâlib,  qui  le  traitait  avec  bonté.  11  y  resta  jusqu'à  l'âge  de 
vingt-cinq  ans.  Dans  sa  vingt- cinquième  année,  il  épousa 
Khadidja. 

CHAPITRE   LXVII. 

MARIAGE  DU  PROPHETE  AVEC  KHADIDJA. 

Kbadidja  était  de  la  parenté  de  Mo^hammed,  de  la  tribu 

de  Qoraïsch  :  elle  était  fille  de  Khouwaïlid,  fils d'Asad,  fils 

d'^Abdou'l-^Ozza ,  fils  de  Qoçayy .  Elle  avait  perdu  son  mari , 
qui  lui  avait  laissé  une  fortune  considérable,  et  elle  faisait  le 
commerce.  Elle  avait  un  afi*ranchi,  nommé  Maïsara,  homme 
probe  et  sûr,  qu'elle  envoyait,  chaque  année,  avec  une  cara- 
vane de  marchandises,  en  Syrie.  Mo^hammed  était  connu 
parmi  les  Qoraïschites  pour  sa  probité,  son  honnêteté  et  sa 
droiture  :  on  l'appelait  Mo^hammed  al-Amîn  (l'homme  sûr). 
Lorsqu'on  parla  de  lui  à  Khadidja,  elle  le  fit  appeler  et  lui  dit  : 
Fais,  cette  année,  le  voyage  commercial  en  Syrie  avec  mon 
esclave.  Il  n'y  avait  presque  personne  à  la  Mecque  qui  eût  une 
si  grande  quantité  de  marchandises  que  Khadidja.  Quelques- 
uns  disent  qu'elle  engagea  Mo^hammed  pour  un  salaire,  d'au- 
tres prétendent  qu'elle  le  prit  comme  associé. 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXVlï.  381 

Mo'hainnied  partit  avec  Maïsara.  Pendant  le  voyage ,  chaque 
fois  que  le  soleil  devenait  brûlant,  un  nuage  venait  abriter 
la  tête  de  Mo'hainmed;  quelquefois  il  venait  un  ange  qui  lui 
donnait  de  Tombre.  Ces  circonstances  étaient  observées  par 
Maïsara.  Arrivée  près  du  territoire  de  la  Syrie,  la  caravane 
fit  halte  près  d'un  ermitage,  à  Tombre  d'un  arbre.  Pendant 
que  MoUiammed  dormait  à  l'ombre  de  cet  arbre,  à  un  certain 
moment,  le  soleil  étant  monté  plus  haut,  l'ombre  s'éloigna. 
Alors  l'arbre  se  courba  vers  la  terre,  les  branches  s'étendirent 
du  côté  où  tombaient  les  rayons  du  soleil,  et  abritèrent 
ainsi  Mo^hammed.  L'anachorète  qui  habitait  cet  ermitage, 
regardant  au  dehors  et  voyant  [ce  phénomène],  descendit 
et  demanda  quel  était  le  chef  de  la  caravane.  Ayant  été 
conduit  auprès  de  Maïsara,  il  lui  dit  :  Qui  est  cet  homme 
qui  dort  là?  Maïsara  répondit  :  C'est  un  de  mes  serviteurs. 
L'anachorète  dit  :  Garde-toi  de  le  considérer  comme  un  ser- 
viteur; il  est  prophète  de  Dieu,  c'est  le  plus  parfait  de  tous 
les  êtres.  Ensuite  les  gens  de  la  caravane  entrèrent  en  Syrie 
et  vendirent  les  marchandises;  les  objets  qu'ils  avaient  ache- 
tés pour  un  dirhem,  ils  les  vendirent  avec  un  profit  de  dix 
dirhems;  puis  ils  s'en  retournèrent. 

Quand  la  caravane  de  Maïsara  rentra  à  la  Mecque  (cette 
circonstance  ne  se  trouve  pas  rapportée  dans  cet  ouvrage  [de 
Tabari],  elle  se  trouve  dans  d'autres  traditions),  Khadidja, 
assise  sur  son  balcon  et  regardant  sur  la  place,  remarqua  que 
Mo^hammed  sur  le  chameau,  au  milieu  de  la  caravane,  était 
abrité  par  un  nuage  contre  l'ardeur  du  soleil.  Elle  s'en  étonna 
en  silence.  Lorsque  toutes  les  marchandises  furent  vendues 
avec  grand  profit,  Khadidja  dit  à  Maïsara  :  Ce  jeune  homme 
de  la  famille  de  Hàschim  m'a  porté  bonheur;  quand  tu  con- 
duiras encore  une  caravane ,  prends-le  avec  toi.  Alors  Mai- 


382  CHRONIQIE  DE  TABARI. 

sara  lui  raconla  ce  quil  avait  vu  coDcernant  Mo^hammed 
pendant  le  voyage,  ainsi  que  les  paroles  de  ranachorète. 
Khadidja,  qui  ëtait  une  femme,  intelligente ,  dont  les  affaires 
étaient  très-étendues  et  la  fortune  considérable,  avait  été 
demandée  en  mariage  par  les  principaux  personnages  de  ia 
Mecque;  mais  elle  n'en  avait  accepté  aucun.  Elle  appela  Mo- 
^hammed  et  lui  dit  :  Tu  sais  que  je  suis  une  femme  considé- 
rée et  que  je  n  ai  pas  besoin  d'un  mari;  j'ai  refusé  tous  les 
hommes  importants  qui  m'ont  demandée.  Mais  j'ai  beaucoup 
de  biens  qui  se  perdent ,  et  j'ai  besoin  d'un  surveillant.  J'ai 
jeté  les  yeux  sur  toi,  car  je  t'ai  trouvé  honnête,  et  tu  pren- 
dras  soin  de  ma  fortune.  Va  trouver  ton  oncle  Abou-Tâlib  et 
dis-lui  qu'il  me  demande  pour  toi  à  mon  père. 
■  Le  père  de  Khadidja,  Khouwaïlid,  vivait  encore.  Mo*ham- 
med  parla  à  Abou-Tâlib,  qui  alla  trouver  Khouwaïlid  et  lui 
demanda  la  main  de  Khadidja  pour  Mo^hammed.  Khouwaï- 
lid lui  dit  :  Tous  les  grands  personnages  des  Qoraïschites  ont 
demandé  ma  fille  en  mariage;  je  ne  la  leur  ai  pas  accordée; 
et  je  la  donnerais  maintenant  à  un  orphelin  pauvre,  qui  a 
été  son  commissionnaire!  Informée  de  cette  réponse,  Khadidja 
prépara ,  le  lendemain ,  un  festin ,  auquel  elle  invita  les  princi- 
paux habitants  de  la  Mecque,  son  père,  Abou-Tâlib  et  Mo^ham- 
med.  Elle  dit  à  ce  dernier  :  Dis  à  Abou-Tâlib  que,  lorsque  mon 
père  sera  ivre,  il  me  demande  en  mariage  pour  toi,  et  que,  si 
mon  père  donne  son  consentement,  Abou-Tâlib  lui  demande 
de  conclure  le  mariage  dans  cette  réunion  même,  sans  tarder. 
Khadidja  fit  verser  à  son  père  du  vin  en  grande  quantité  et 
plus  qu'à  Abou-Tâlib.  Quant  à  Mo^hammed,  il  n'a  jamais  bu 
de  vin,  ni  avant,  ni  après  sa  mission  prophétique.  Quand 
Khouwaïlid  fut  ivre,  Abou-Tâlib  lui  fit  la  demande  de  Kha- 
didja; Khouwaïlid  consentit,  et  l'on  conclut  le  mariage.  A  la 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXVII.  383 

tombée  de  ia  uuil,  les  hâtes  se  retirèrent,  et  Khadidja  fit  cou- 
cher son  père  et  le  couvrit  d'aromates,  de  khahuq  et  de  safran. 
Il  était  d'usage  chez  les  Arabes  que ,  lorsqu'un  père  mariait  sa 
fille ,  il  se  couvrit  d'aromates ,  de  khalouq  et  de  safran.  Au  ma- 
tin ,  lorsque  Khouwaïlid  se  réveilla ,  voyant  ces  aromates ,  il  diK: 
Que  signifie  ceci?  On  lui  répondit  :  Tu  as  marié  hier  Khadidja 
à  Mo'hammed,  le  neveu  d'Abou-Tâlib.  Khouwaïlid  le  nia. 
On  lui  dit  :  Tu  lui  as  donné  Khadidja  en  présence  de  tous  les 
Qoraïschites  et  des  habitants  de  la  Mecque.  Alors  il  se  rendit 
auprès  de  Khadidja  et  lui  dit  :  Que  signifie  ce  langage,  que  je 
t'aurais  mariée  hier  a  Mo^hammed?  Khadidja  répondit  :  Tu 
le  sais  bien ,  que  te  dirai-je?  Khouwaïlid  dit  :  J'irai  aujourd'hui 
dans  l'assemblée  des  Qoraïschites,  au  temple  de  la  Ka^ba,  et 
je  me  dédirai;  j'intenterai  un  procès  à  Abou-Tàlib  et  je  que- 
rellerai Mo'hammcd,  afin  qu'il  te  répudie.  Khadidja  dit  :  Ne 
le  fais  pas,  tu  me  déshonorerais;  si  ce  n'est  pas  une  honte  de 
séparer  une  femme  de  son  mari,  il  est  déshonorant  pour  elle 
de  le  quitter  sitôt.  Je  suis  une  femme  considérée;  personne 
ne  me  soupçonne  de  rien,  et  l'on  sait  que  je  n'ai  pas  de  pas- 
sion pour  Mo^iammed;  on  dira  donc  que  tu  as  conclu  cette 
affaire  avec  Abou-Tâlib,  par  amitié  pour  lui.  Mais  si  tu  en 
fais  un  litige,  on  causera  sur  moi,  et  cela  sera  fâcheux  pour 
moi.  Khouwaïlid  répliqua  :  Les  personnages  les  plus  impor- 
tants de  la  Mecque  t'ont  demandée  en  mariage,  et  j'ai  refusé 
de  te  donner,  et  je  t'accorderais  maintenant  à  un  homme 
pauvre  I  Que  dira-t-on?  Khadidja  répondit  :  On  sait  que  je 
n'ai  pas  besoin  de  la  fortune  d'un  autre;  ce  qu'il  faut,  c'est  que 
j'épouse  un  homme  qui  soit  mon  égal.  Or  Mo^hammed  est  mon 
égal  dans  la  famille  des  Qoraïschites;  il  a  une  bonne  réputa- 
tion parmi  les  hommes,  il  est  connu  pour  sa  probité  et  son 
honnêteté;  personne  ne  le  soupçonne  d'aucun  des  vices  dont 


384  GHnoMQLE  DE  TABARl. 

on  accuse  d'ordinaire  les  jeunes  gens.  Plus  tu  considéreras 
celte  affaire,  plus  elle  te  semblera  acceptable.  Khouwaïlid 
garda  le  silence,  et  ne  parla  plus  de  ce  mariage.  Le  lende- 
main ,  Khadidja  installa  Mo'hammed  chez  elle.  Quelques  tra- 
ditions rapportent  que  le  père  de  Khadidja  était  déjà  mort, 
et  que  cest  son  oncle 'Amr,  fils  d'Asad ,  qui  la  maria. 

Mo'hammed  était  marié  avec  Khadidja  depuis  quinze  ans, 
lorsque,  à  Tâge  de  quarante  ans,  il  reçut  sa  mission  prophé- 
tique; Khadidja,  à  partir  de  cette  époque,  vécut  encore  cinq 
ans.  Cest  elle  qui  la  première  embrassa  Fislamisme.  Elle 
mourut  après  avoir  vécu  vingt  ans  avec  Mo^hammed,  et,  pen- 
dant ce  temps,  Mo'hammed,  par  affection  pour  elle,  n'avait 
pas  pris  d'autre  femme.  Il  avait  eu  d'elle  trois  fils  et  quatre  - 
filles.  Ses  Gis  étaient  :  Qâsim ,  qui  Gt  donner  à  Mo^hammed 
le  surnom  d'Abou'l-Qàsim,  Tàhir  et  Tayyib.  Les  quatre  filles 
se  nommaient  :  la  première,  Zaïnab;  la  deuxième,  Roqayya; 
la  troisième,  Oumm-Kolthoum,  et  la  quatrième,  Fâtima.  Les 
trois  Gis  moururent  avant  sa  mission,  mais  ses  quatre  filles 
survécurent.  Mo'hanmied  usait  généreusement  de  la  fortune 
de  Khadidja;  tous  les  habitants  de  la  Mecque  s'accordaient  à 
reconnaître  son  influence  et  sa  droiture;  on  l'appelait  A/o^Aam- 
%mà  al-Amîn,  Quiconque  avait  un  dépôt  à  placer  le  lui  appor- 
tait, et  tous  ceux  qui  avaient  un  litige  ensemble  venaient 
le  soumettre  à  l'arbitrage  de  Mo'hammed.  C'était  l'opinion 
générale  que,  lorsque  Abou-Tâlib  viendrait  à  mourir,  il  n'y 
aurait  pas  d'homme  plus  digne  que  Mo^hammed  d'exercer 
le  gouvernement  de  la  Mecque. 

Lorsque  MoMiammed  fut  âgé  de  trente -cinq  ans,  les  Qo- 
raïschites  démolirent  le  temple  de  la  Ka'ba,  pour  le  recons- 
truire à  nouveau.  Au  moment  de  poser  la  pierre  Noire,  tous 
avaient  la   prétention  de  le  faire.  Alors   ils  convinrent  de 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXVIII.  385 

réserver  cet  honneur  à  Mo^hammed,  qui  posa  la  pierre  de 
ses  propres  mains. 

CHAPITRE  LXVm. 

RROONSTRUCTION  DU  TBMPLE   DK  LA   KA^RA. 

Le  temple  de  la  Ka^ba  n'avait  pas  été  touche  depuis  le 
temps  d'Abraham.  La  cause  pour  laquelle  on  le  démolit 
fut  la  suivante  :  Abraham  et  Ismaêl  l'ayant  construit  entre 
deux  collines,  sur  le  sol  plat,  chaque  fois  que  la  pluie  for- 
mait un  torrent,  Teau  entrait  dans  le  temple.  Depuis  de  lon- 
gues années  on  avait  l'intention  de  le  démolir,  pour  exhaus- 
ser le  sol,  afin  d'empêcher  l'eau  de  pénétrer  dans  l'édifice; 
mais  personne  n'avait  osé  y  porter  la  main.  Les  Qoraïschites 
étaient  divisés  en  quatre  grandes  tribus  :  les  Benî-Hâschim , 
les  Beni-Omayya,  les  Benî-Zohra  et  les  Benî-Makhzoum.  On 
attribua  à  chacune  de  ces  quatre  tribus,  auxquelles  on  adjoi- 
gnit les  autres  habitants  de  la  Mecque,  la  démolition  de  l'un 
des  quatre  côtés  de  l'édifice;  les  Benî-Djouma*h  et  les  Benî- 
Sahm  furent  chargés  de  la  réparation  du  toit.  On  convint  d'un 
commun  accord  de  commencer  la  démolition  tous  en  même 
temps,  afin  que,  si  Dieu  punissait  l'entreprise,  le  châtiment 
frappât  tout  le  monde  également.  Alors  ils  vinrent  un  jour, 
puis  le  jour  suivant,  ensuite  le  troisième  et  le  quatrième 
jour,  munis  de  pioches,  se  tenant  à  distance  du  temple,  et 
personne  n'osait  commencer.  Le  cinquième  jour,  Walid,  fils 
de  Moghaïra,  le  doyen  d'âge  des  Beni-Makhzoum ,  s'appro- 
cha et  dit  :  0  hommes,  il  ne  fallait  pas  prendre  cette  réso- 
lution. Mais  maintenant  que  vous  l'avez  prise,  il  faut  la 
mettre  à  exécution.  Dieu  connaît  nos  intentions  relativement 

II.  'JÔ 


386  CllUONiglË  1)£  TABARf. 

à  ce   leiii|)le.  Les  autres  lui  répondirenl  :   Tu    es   le   plus 
âgé;  couimcnce  toi-uièine.  Walid  saisit  sa  pioche,  s^approeba 
du  uiur  de  Fedifice,  du  coté  qui  avait  été  assigné  aux  Beni- 
Makhzouni,  et  dit  :  0  Seigneur,  tu  sais  que  uotre  intention, 
dans  celte  œuvi  e  de  destruction ,  est  la  reconstruction  de  ce 
temple,  que  nous  voulons  rebâtir  plus  solidement  qu'il  nest 
à  présent.  Ensuite  il   attaqua   avec  sa  pioche  un    coin   du 
mur,  et  pratiqua  de  ce  côté  une  large  ouverture.  Les  autres 
le  regardèrent  de  loin,  et  aucun  d'eux  n'osa  s'approcher.  Puis 
Walid  s'en  alla;  tous  les  autres  s'en  retournèrent  également, 
en  disant  :  Si,  cette  nuit,  il  n arrive  à  Walid  aucun  accident, 
nous  nous  mettrons  tous,  demain,  à  démolir.  La  nuit  s'étant 
bien  passée  poiu*  Walid,  ils  revinrent  le  lendemain,  et  cha- 
cun se  mit  à  attaquer  son  côté,  et  la  démolition  fut  ache- 
vée jusqu'au  ras  du  sol;  ils  continuèrent  au-dessous  du  sol, 
jusqu'à  la  profondeur  de  la  mesure  d'un  homme.  Alors  ils 
rencontrèrent  une  pierre  verte,  qui  résisUiità  l'action  du  fer; 
elle  formait  le  fondement  du  temple,  dont  il  est   dit  dans 
le  Coran  :  rrEt  lorsque  Abraham  et  Ismaël  eurent  élevé  les 
fondations  de  la  maison.  .  .  -n  (Surate  ii,  vers,  lai.)  Lors- 
qu'ils reconnurent  qu'ils  ne  pourraient  pas  pénétrer  plus 
avant,  ils  entassèrent  immédiatement  au-dessus  de  ces  fou- 
dations  des  pierres,  comme  on  les  voit  encore  aujourd'hui, 
et  élevèrent  ces  soubassements  au-dessus  du  sol,  à  la  hau- 
teur d'un  homme;  ensuite  ils  commencèrent  la  maçonnerie. 
De  cette  façon ,  ils  étaient  sûrs  que  Teau  des  torrents  qui 
viendrait  assaillir  les  murs  ne  pourrait  plus  les  endomma- 
ger. Us  élevèrent  les  quatre  murs  à  leur  hauteur  primitive,  . 
formés  chacun  d'une  seule  |)ierre,  et  ces  pierres  furent  adap- 
tées les  unes  aux  autres,  (h*  même  que  le  toit.  Ensuite  ils  Cxè- 
reut  la  |)orte,  la  méuie  porte  de  fer,  couverte  de  plaques  d'or. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXVIIl.  387 

qui  avait  été  fabriquée  par  ^Abdoul-Mottalib,  et  qui  existe 
encore  aujourd'hui. 

Au  moment  où  l'on  devait  poser  la  pierre  Noire  à  l'en- 
droit où  elle  était  placée  auparavant,  les  quatre  tribus  des 
Qoraïschites,  les  Benî-Hâschim ,  les  Benî-Omayya,  les  Bent- 
Zohra  et  les  Beni-Makhzoum ,  se  disputèrent  Thonneur  de  la 
poser.  Chaque  tribu  et  chaque  parti  prétendait  y  avoir  plus 
de  droits  que  les  «autres,  alléguant  sa  plus  grande  noblesse,  sa 
puissance  ou  sa  gloire  parmi  les  Arabes.  Alors  les  anciens 
(les  quatre  sections  se  réunirent  en  assemblée  à  la  mosquée; 
la  pierre  Noire  était,  placée  devant  eux.  Chaque  parti  fai- 
sait valoir  sa  gloire  ètcelle  de  ses  ancêtres.  Les  uns  disaient  : 
Nos  ancêtres  ont  combattu  à  telle  journée,  dans  telle  guerre, 
à  telle  époque  :  notre  noblesse  a  la  prééminence.  Les^  autres 
alléguaient  leur  noblesse  et  celle  de  leur  famille  et  leur  ori- 
gine. Ces  discours  se  prolongèrent  pendant  quatre  ou  cinq 
jours.  Les  anciens  se  réunissaient  et  se  séparaient  chaque 
jour,  en  tenant  le  même  langage,  et  s'accusaient  entre  eux 
de  mensonge;  ils  s'injuriaient  et  lançaient  les  uns  contre 
les  autres  les  pierres  du  temple.  Cette  lutte  durant  toujours, 
ils  allaient  en  venir  à  se  combattre.  Dans  cette  crainte,  les 
anciens  s'étant  réunis  un  jour,  Walid,  (ils  de  Moghaïra,  le 
doyen  d'âge,  les  exhorta  à  cesser  cette  contestation  pour 
éviter  la  guerre  civile,  et  il  leur  dit  :  Convenons  entre  nous 
de  prendre  pour  arbitre  le  premier  homme  qui  entrera  dans 
le  temple,  et  de  nous  soumettre  h  sa  décision  pour  savoir 
qui  posera  cette  pierre.  Tous  consentirent  et  s'engagèrent 
par  serment.  Ils  étaient  encore  à  parler  lorsque  Mo'hammed 
parut  au  loin.  Ils  s'écrièrent  :  C'est  Mo^hammed  al-Amin  qui 
vient,  nous  acceptons  son  arbitrage.  MoMiammed  prit  place 
parmi  eux,  et  ils  lui  firent  part  de  leur  convention,  en  lui 


388  CHRONIQUE  DE  TABARL 

disant  :  Nous  accepterons  ta  décision;  tu  désigneras  celui  qui 
aura  Thonneur  de  poser  à  sa  place  la  pierre  Noire.  Mo^ham- 
med  ôta  de  ses  épaules  son  manteau,  Télendit  par  terre, 
plaça  la  pierre  au  milieu  de  ce  vêtement  et  dit  :  Que  chacun 
des  quatre  partis  saisisse  un  coin  du  manteau  et  Télève  à  la 
hauteur  du  mur  du  temple;  vous  tous  participerez  ainsi  à 
rhonneur.  Fort  heureux  de  voir  cesser  leur  lutte,  les  quatre 
partis,  les  Benî-Hâschim,  les  Beni-Omayya,  les  Benî-Makh- 
zoum  et  les  Beni-Zohra,  saisirent  chacun  un  coin  du  manteau 
et  le  soulevèrent,  avec  la  pierre  posée  au  milieu,  jusqu'à  la 
hauteur  du  mur.  Ensuite  ils  dirent  :  Qui  prendra  maintenant 
la  pierre  pour  la  poser  h  la  pince  où  elle  doit  être  sur  le  mur? 
Mo^hammed  dit  :  Maintenant  que  vous  avez  tous  une  part  de 
l'honneur  d'avoir  soulevé  la  pierre,  mettez-vous  d'accord  sur 
la  personne  qui  devra  la  poser.  Ils  désignèrent  tous  unani- 
mement Mo^hammed,  qui  prit  de  sa  main  la  pierre  et  la  posa 
sur  le  mur  à  la  place  qu'elle  devait  occuper.  La  maçonnerie 
du  temple  fut  terminée,  mais  il  restait  à  faire  la  toiture,  et, 
à  cette  époque,  il  n'y  avait  à  la  Mecque  ni  bois,  ni  charpen- 
tier.  Or  un  vaisseau   marchand   contenant  du  bois  ayant 
abordé  à  Djeddah,  les  Mecquois  achetèrent  ce  bois  et  char- 
gèrent de  la  construction  un  charpentier  copte,  fixé  à  la 
Mecque. 

Suivant  une  autre  tradition,  rapportée  par  Mo^hammed 
ben-Djarîr  d'après  les  récits  du  livre  Moubtedây  le  Nedjâschi, 
le  roi  d'Abyssinie,  désirait  faire  construire,  à  Ântioche  en 
Syrie,  une  église  qui  porterait  son  nom.  A  cet  effet,  ayant 
envoyé  une  personne  pour  évaluer  les  dépenses  nécessaires 
et  le  bois  qu'il  faudrait,  il  rassembla  tout  le  bois  de  petite 
et  de  grande  dimension ,  coupé  et  préparé  pour  être  mis  en 
œuvre,  le  fit  charger  sur  un  grand  vaisseau,  y  fit  ajouter  un 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXVIll.  389 

surplus  de  bois,  el  fit  mouler  sur  le  vaisseau  d'habiles  char- 
pentiers et  un  inspecteur,  avec  l'argent  nécessaire  aux  dé- 
penses. Il  les  fit  donc  partir  pour  la  Syrie,  aGn  d'y  construire 
l'église.  Il  y  avait  en  Syrie  quantité  de  bois,  mais  le  roi 
d'Abyssinie  voulait  y  employer  son  propre  bois,  suivant  un  de 
ces  caprices  habituels  aux  rois.  Ce  vaisseau ,  passant  près  de 
Djeddah,  échoua;  le  bois  surnagea,  les  gens  du  vaisseau  s'y 
placèrent,  et  le  vent  les  porta  à  Djeddah ,  où  ils  abordèrent.  Ils 
recueillirent  et  portèrent  à  terre  tout  le  bois  qui  flottait  à  la 
surface  de  la  mer.  Ensuite  l'inspecteur  et  les  autres  délibé- 
rèrent sur  ce  qu'ils  devaient  faire.  Les  uns  disaient  :  Nous 
sommes  charpentiers,  nous  avons  ici  assez  de  bois  pour  cons- 
truire un  autre  vaisseau  et  pour  porter  le  reste  en  Syrie.  Les 
autres  disaient  :  [Cette  petite  quantité]  ne  serait  pas  digne 
du  roi;  nous  allons  louer  un  autre  vaisseau,  par  lequel  nous 
nous  ferons  transporter.  L'inspecteur  dit  :  Je  n'ose  rien  faire 
sans  demander  l'autorisation  du  roi;  je  vais  lui  écrire;  nous 
attendrons  ici  ses  ordres. 

Lorsque  les  habitants  de  la  Mecque  eurent  connaissance, 
de  cet  événement,  Abou-Tâlib  el  les  anciens  de  la  ville  se 
rendirent  à  Djeddah,  et  demandèrent  à  l'inspecteur  de  lui 
acheter  ce  bois  au  prix  qu'il  voudrait.  Ils  lui  dirent  :  Vends- 
nous  ce  bois,  et  prête-nous  ces  charpentiers  pour  un  salaire 
que  tu  fixeras;  car  nous  sommes  en  train  de  reconstruire  le 
temple  de  la  Ka'ba  f  ce  temple  qui  a  été  élevé  à  Dieu  par 
Abraham.  L'inspecteur  répondit:  Attendez  que  je  demande  les 
ordres  du  roi.  Il  loua  un  vaisseau,  envoya  un  messager  avec 
une  lettre  au  Nedjâschi,  lui  raconta  ce  qui  lui  était  arrivé,  la 
perte  du  vaisseau ,  et  lui  demanda  s'il  devait  revenir  ou  aller 
en  Syrie.  A  la  fin  de  la  lettre,  il  mentionna  la  proposition 
des  habitants  de  la  Mecque.  Le  Nedjâschi  écrivit  à  l'inspec- 


390  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

tear  :  Je  donne  tout  ce  bois  au  lemple  de  la  Ka^ba.  lieiids- 
loi  à  la  Mecque  avec  les  charpentiers ,  fais  construire  ce  temple , 
et  emploie  Targent  que  lu  as  avec  toi  aux  dcîpenses  de  la 
construction.  L'inspecteur  (il  ainsi;  ensuite  il  s'en  retourna. 
Le  lemple  existe  encore  aujourd'hui  tel  qu'il  fut  ronstmil 
alors,  sauf  que  ^Haddjàdj ,  fils  de  Yousouf,  en  détruisit  avec 
une  machine  de  guerre  un  coin,  qu'il  fit  reconstruire  tel 
*  qu'il  avait  été  auparavant.  Au  moment  de  la  construction 
du  temple,  Mo'hammed  était  âgé  de  trente -cinq  ans.  Lors- 
qu'il eut  accompli  sa  quarantième  année,  il  re(,^ul  sa  mission 
prophétique. 

CHAPITRK  LXIX. 

MISSION    DE    HoSlAMMKD. 

Lorsque  MoMiammed  eut  accompli  sa  quarantième  an- 
née, Dieu  envoya  vers  lui  Gabriel,  pour  lui  porter  une  vision. 
D'après  une  autre  version,  Mo^iammed  avait  alors  quarante- 
trois  ans.  MoMiammed  ben-DjanV  mentionne  une  tradition 
d'après  laquelle  le  Prophète  reçut  la  vision  à  l'âge  de  vingt 
ans.  iMais  cela  n'est  pas  exact;  car  MoMiammed  a  dit  qu'au- 
cun prophète  n'a  reçu  sa  mission  avant  Fàge  de  quarante 
ans,  parce  que  ce  n'est  qu'à  cet  îige  que  la  raison  et  l'intelli- 
gence arrivent  à  tout  leur  développenienl.  Or,  vers  Tépoque 
011  Gabriel  allait  apporter  à  MoMiammed  sa  mission  prophé- 
tique, celui-ci  en  remarquait  les  signes.  11  voyait,  la  nuit,  en 
songe,  sans  le  connaître  et  non  sans  en  éprouver  de  la  crainte, 
Gabriel  sous  la  forme  d'un  être  énorme.  Quand  il  marchait 
seul  dans  la  ville  de  la  Mecque,  il  entendait  sortir  des  pierres, 
des  décombres  et  des  animaux,  des  voix  qui  lui  disaient  : 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXIX.  391 

Salut  a  toi,  ô  apôtre  de  Uieu!  Mo^liainmed  en  éprouvait 
des  craintes. 

Il  était  d'usage  parmi  les  Qoraïschites  que  tous  ceux  qui 
tenaient  à  la  réputation  dliommes  pieux  se  rendissent  chaque 
année ,  au  mois  de  redjeb ,  sur  le  mont  ^Hirâ ,  pour  y  vivre  jour 
et  nuit  dans  le  recueillement,  désirant  se  retirer  du  commerce 
des  hommes,  et  regardant  cette  solitude  comme  un  acte  de 
dévotion  religieuse.  Cette  pratique  avait  d'abord  été  en  usage 
parmi  les  Beni-Hâschim;  les  autres  tribus  qoraïschites 
avaient  suivi  leur  exemple;  mais  les  Beni-Hàschim  Tob- 
servaient  plus  rigoureusement.  Chaque  tribu  avait  sur  le 
sommet  de  la  montagne  un  endroit  où  Ton  avait  élevé  des 
constructions  dans  lesquelles  on  passait  le  temps  de  la  re- 
traite. Cette  année,  MoMiammed,  en  quittant  la  montagne, 
vint  auprès  de  Kliadidja  et  lui  dit  :  0  KhadMja,  je  crains  de 
devenir  fou.  —  Pourquoi?  lui  demanda  celle-ci.  —  Parce  que, 
dit-il ,  je  remarque  en  moi  les  signes  des  possédés  :  quand  je 
marche  sur  la  route,  j'entends  des  voix  sortant  de  chaque 
pierre  et  de  chaque  colline;  et,  dans  la  nuit,  je  vois  en  songe 
un  être  énorme  qui  se  présente  à  moi,  un  être  dont  la  tête 
touche  le  ciel  et  dont  les  pieds  touchent  la  terre;  je  ne  le 
connais  pas,  et  il  s'approche  de  moi  pour  me  saisir.  Kha- 
didja  lui  dit  :  0  Mo^hammed,  ne  t'inquiète  pas;  avec  les  qua- 
lités que  tu  as,  toi  qui  n'adores  pas  les  idoles,  qui  t'abstiens 
du  vin  et  de  la  débauche,  qui  fuis  le  mensonge,  toi  qui  pra- 
tiques la  probité,  la  générosité  et  la  charité,  tu  n'as  rien  à 
craindre;  en  considération  de  ces  vertus.  Dieu  ne  te  laissera 
pas  tomber  sous  le  pouvoir  du  diw.  Avertis-moi,  si  tu  vois 
quelque  chose  de  ce  genre. 

Or,  un  jour,  se  trouvant  dans  sa  maison  avec  Khadidja, 
Mo'hammed  dit  :  0  Kliadidja,  cet  être  m'apparait,  je  le  vois. 


Zn  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

Khadidja  s'approcha  de  Mo*haiiimed,  s'assit,  le  prit  sur  son 
sein  et  lai  dit  :  Le  vois-tu  encore?  —  Oui,  dil-il.  Alors  Kha- 
didja découvrit  sa  tête  et  ses  cheveux,  et  dit  :  Le  vois  tu  main- 
tenant? —  Non,  dit  Mo^hammed.  Khadidja  dit  :  Rëjouis-toi, 
6  Mo^hammed;  ce  n*est  pas  un  diw,  c'est  un  ange.  Car  si 
c'était  un  diw,  il  n'aurait  pas  montré  de  respect  pour  ma 
chevelure  et  n'aurait  pas  disparu.  Quand  Mo^hammed  était 
triste,  il  se  rendait  sur  le  mont  ^Hirâ  et  s'y  livrait  à  la  soli- 
tude; le  soir,  il  rentrait  à  la  maison ,  la  figure  triste  et  abattue. 
Khadidja  en  était  fort  affligée. 

Enfin  le  jour  arriva  où  Dieu  fit  parvenir  à  Mo^hammed 
sa  mission  prophétique.  Ce  fut  un  lundi.  Il  est  dit  dans  cet 
ouvrage  [de  Tabari]  que  ce  fut  le  dix-huitième  jour  du  mois 
de  ramadhân.  D'après  d'autres  traditions,  ce  fut  le  lundi, 
douzième  jour  du  mois  de  rabi^a  premier,  que  Mo^hammed 
reçut  sa  mission,  le  même  jour  du  même  mois  où  il  était 
né,  et  qui  fut  plus  tard  le  jour  de  sa  mort.  Or,  le  jour  du 
lundi.  Dieu  envoya  Gabriel  avec  l'ordre  de  se  faire  connaitre 
à  Mo^hammed ,  et  de  lui  porter  sa  mission  prophétique  et 
la  surate  du  Coran  appelée  Iqrâ,  qui  fut  la  première  que 
Mo^hammed  reçut  de  lui.  Gabriel  descendit  du  ciel  et  trouva 
Mo^hammed  sur  le  mont  ^Hirâ.  Il  se  montra  à  lui  et  lui 
dit  :  tr Salut  à  toi,  ô  Mo^hammed,  apôtre  de  Dieuîw  Mo^ham- 
med  fut  épouvanté.  Il  se  leva,  pensant  qu'il  était  deveuu  fou. 
Il  se  dirigea  vers  le  sommet  pour  se  tuer  en  se  précipitant 
du  haut  de  la  montagne.  Gabriel  le  prit  entre  ses  deux  ailes, 
de  façon  qu'il  ne  pûl  ni  avancer  ni  reculer.  Ensuite  il  lui 
dit  :  0  Mo^hammed,  ne  crains  rien,  car  tu  es  le  prophète  de 
Dieu,  et  moi  je  suis  Gabriel,  l'ange  de  Dieu.  Mo^hammed 
resta  immobile  entre  les  deux  ailes.  Puis  Gabriel  lui  dit  : 
rrO  Mo^hammed,  lis,r>  MoMiammed  dit  :  ft  Comment  liraia-je, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXIX.  393 

moi  qui  ne  sais  pas  lire?»  Gabriel  dit  :  (tLis  :  Au  nom  de  ton 
Seigneur,  qui  a  tout  créd,  qui  a  créé  Thomme  de  sang  coa- 
gulé. Lis  :  Ton  Seigneur  est  le  généreux  par  excellence;  c'est 
lui  qui  a  enseigné  Técriture;  il  a  enseigné  aux  hommes  ce 
quils  ne  savaient  pas.^  Ensuite  Gabriel  le  laissa  à  cet  en- 
droit et  disparut. 

Mo^hammed  descendit  de  la  montagne.  Il  fut  saisi  d'un 
tremblement  et  retourna  à  sa  maison,  tout  en  répétant  en  lui- 
même  la  surate.  Son  cœur  était  fort  rassuré  par  ces  paroles, 
mais  il  tremblait  de  tout  son  corps  par  suite  de  la  peur  et  de 
la  terreur  que  lui  avait  inspirées  Gabriel.  Rentré  dans  la 
maison,  il  dit  à  Kbadidja  :  Gelui  qui  m'avait  toujours  apparu 
de  loin  s'est  présenté  aujourd'hui  devant  moi.  —  Que  t'a-l^il 
dit?  demanda  Khadidja.  —  Il  m'a  dit  :  Tu  es  le  prophète  de 
Dieu,  et  je  suis  Gabriel;  et  il  m'a  récité  cette  surate  :  rrLis  : 
Au  nom  de  ton  Seigneur,  -n  etc.  Kbadidja,  qui  avait  Iules 
anciens  écrits  et  qui  connaissait  l'histoire  des  prophètes,  avait 
aussi  appris  à  connaître  le  nom  de  Gabriel.  Ensuite  Mo^ham- 
nied  fut  saisi  du  froid,  il  pencha  la  tête  et  dit  :  Couvrez-moi, 
couvrez-moi!  Khadidja  le  couvrit  d'un  manteau,  et  il  s'en- 
dormit. 

Khadidja  se  rendit  auprès  de  Waraqa,  fils  de  Naufal,  qui  était 
un  savant  chrétien ,  vivant  à  la  Mecque  dans  la  religion  de  Jésus 
et  pratiquant  le  culte  de  Dieu.  Il  avait  lu  beaucoup  de  livres, 
connaissait  l'Evangile  et  savait  que  le  temps  était  venu  où 
un  prophète  devait  paraître.  Khadidja  lui  dit  :  N'as-tu  trouvé 
nulle  part  dans  les  anciens  livres  le  nom  de  Gabriel ,  et  sais-tu 
ce  que  c'est  que  Gabriel?  Waraqa  dit  :  Pourquoi  fais-tu  cette 
demande?  Khadidja  lui  fit  le  récit  de  ce  qui  était  arrivé  à 
MoMiammed,  du  commencement  à  la  fin.  Waraqa  dit  :  Ga- 
briel est  le  grand  Nanww,  l'auge  qui  est  l'intermédiaire  entre 


:m  CHRONIQl  E  DE  TABARI. 

Dieu  et  les  prophètes,  qui  leur  apporte  les  messages  de  Dieu. 
C/est  lui  qui  est  venu  trouver  Moïse,  ainsi  que  Jésus;  et  si  ce 
que  tu  racontes  est  vrai,  iMoMianimed,  Ion  mari,  est  le  pro- 
phète qui  doit  être  suscité  à  la  Mecque,  au  milieu  des  Arabes, 
et  dont  il  est  fait  mention  dans  les  Ecritures.  Waraqa  de- 
manda encore  :  Ne  lui  a-t-il  donné  aucun  ordre?  Lui  a-l-il 
dit  d'appeler  les  hommes  à  Dieu?  Khadidja  lui  récita  la 
surate  Iqrâ,  Waraqa  dit  :  S*il  lui  avait  ordonné  d^appeier 
les  hommes  à  Dieu,  le  premier  qui  lui  aurait  répondu  et  qui 
aurait  cru  en  lui,  cj'aurait  été  moi;  car  depuis  de  longues 
années  je  l'attends. 

khadidja  retourna  à  la  maison  et  trouva  Mo^hamnied  en- 
dormi sous  le  manteau.  Alors  (iahriel  revint,  s'annouçant  à 
Moh^ammed  par  un  bruit,  et  dit  :  (t Lève-toi,  toi  qui  es  cou- 
vert d'un  manteau.''  MoMiammed  répliqua  :  rrMe  voilà  levé, 
que  dois-je  faire ?-^  Gabriel  dit  :  "Lève-toi  ei  avertis  les  hommes 
et  appelle 'les  à  Dieu;  ton  Seigneur,  glori(ie-le  par  la  vertu; 
tes  vêtements,  tiens-les  purs,  c'est-à-dire  purifie  ton  ceeur  du 
doute;  fuis  l'abomination,  c'est-à-dire  le  mensonge,  en  diêsimur- 
tant  ta  mission  aux  hommes;  ne  donne  pas  pour  amasser  des  ré- 
compenses,  et  endure  pour  ton  Seigneur  les  mauvais  traitements 
des  liommes,r,  (Sur.  lxxiv,  vers.  1-7.)  Dans  ces  paroles.  Dieu 
a  résumé  pour  le  Prophète  la  prophétie,  la  prière,  la  religion , 
la  pureté,  la  foi,  la  libéralité,  le  bon  naturel  et  la  persévé- 
rance, toutes  les  parties  de  la  religion  et  les  qualités  de  la 
l'onction  prophétique. 

Knsuite  le  Prophète  rejeta  le  manteau  dont  il  était  cou- 
vert, et  se  leva.  Khadidja  lui  dit  :  0  Abou'l-Qâsim ,  pourquoi 
ne  dors- tu  pas  pour  te  reposer?  Il  répondit  :  C'en  est  fait 
pour  moi  du  sommeil  et  du  repos.  Gabriel  est  venu  et  m^a 
ordonné  de  transmettre  \v  message  de  Dieu  aux  hommes. 


l'ARTIE  II,  CHAPITRE  LXIX.  395 

et  de  pi'uliquer  la  prière  et  Tadoration.  Khadidja ,  remplie 
de  joie ,  se  leva  et  dit  :  0  apôtre  de  Dieu ,  que  fa  ordonne 
Gabriel?  Mo^liammed  dit  :  Il  me  recommande  d'appeler  les 
hommes  à  Dieu.  Mais  qui  appellerai-je,  qui  me  croira?  Kha- 
didja dit  :  Tu  peux  au  moins  m'appeler,  moi,  avant  tous  les 
autres  hommes;  car  je  crois  en  toi.  Le  Prophète  fut  très-heu- 
reux, présenta  la  formule  de  foi  à  Khadidja,  et  Khadidja  crut 
Gabriel  étant  présent  dit  au  Prophète  :  Demande  de  Teau ,  afin 
que  je  f  enseigne  les  ablutions,  la  manière  de  laver  les  mains, 
et  la  prière,  pour  que  tu  saches  comment  tu  dois  adorer 
Dieu.  Le  Prophèle  demanda  de  Teau,  et  Gabriel  lui  montra 
Tablution  des  mains,  et  lui  indiqua  la  façon  de  prier;  ensuite 
il  se  plaça  devant  lui  et  dit  :  Nous  allons  prier.  H  fit  deux 
rak^at  (inclinations),  et  le  Prophète  les  répéta  après  lui,  et 
Khadidja  après  le  Prophète.  'Ali,  fils  d'Abou-Tàlib,  entra  en 
ce  moment  dans  Tappartement.  Il  était  âgé  alors  de  sept  ans, 
ou,  d'après  d'autres,  de  neuf  ans,  ou,  d'après  d'autres  encore, 
de  dix  ans;  mais  la  majorité  des  traditions  rapportent 
qu'il  n'avait  alors  que  sept  ans.  Voyant  MoMiammed  et  Kha- 
didja s'incliner,  et  ne  voyant  devant  eux  ni  idole  ni  autre 
objet,  il  dit  :  0  Mo'hammed,  que  fais- lu?  Devant  qui  t'in- 
cliues-lu?  Mo'hammed  répondit:  Devant  Dieu,  dont  je  suis  le 
prophète.  Gabriel  m'a  commandé  d'adorer  Dieu  et  d'appeler 
les  hommes  à  Dieu.  Si  lu  crois  en  ma  religion,  abandonne 
le  paganisme  et  l'idolâtrie.  *Ali  dit  :  Attends  que  je  consulte 
Abou-Tàlib,  car  je  ne  peux  rien  l'aire  sans  son  autorisation. 
'Ali  sortit,  et  le  Prophète  lui  dit  ;  Tiens  cette  affaire  secrète 
et  n'en  parle  à  personne  qu'à  Abou-Tàlib.  Arrivé  à  la  porte 
de  la  maison,  'Ali  rentra  et  dit  :  0  Mo'hammed,  Dieu  m'a 
créé  sans  consulter  Abou-Tàlib.  (Ju'ai-je  besoin  de  consulter 
Abou-Tàlib  pour  suivre  la  religion  de  Dieu  et  pour  l'adorer? 


396  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

Expose-moi  la  religion  qu'on  fa  ordonnée.  Le  Prophète  pré- 
senta la  formule  de  foi  à  ^Ali,  qui  la  prononça  et  qui  ac- 
complit avec  Mo^hammed  la  prière  primitive,  et  ils  gardaient 
le  secret  sur  cet  événement.  Gabriel  s'en  alla. 

'Ali  avait  été  élevé  par  Mo'hammed,  qui  Tavait  reçu  d'Abou- 
Tâlib.  Il  vivait  constamment,  jour  et  nuit,  avec  lui,  dans  la 
maison  de  Khadtdja.  Antérieurement  à  Tépoque  où  Mo'ham- 
med  reçut  sa  mission,  il  y  avait  eu,  à  la  Mecque,  pendant 
trois  ou  quatre  ans,  une  disette,  et  les  moyens  de  subsistance 
étaient  devenus  très-difliciles.  Abou-Tâlib,  qui  avait  une  nom- 
breuse famille,  des  fils  et  des  filles,  n'avait  plus  une  fortune 
suffisante  [pour  les  nourrir].  Mo'hammed,  riche  de  la  for- 
tune de  Khadidja,  était,  avec  'Abbâs,  le  plus  opulent  des  des- 
cendants de  Hâschim.  Lors  de  cette  famine,  Mo'hammed  dit 
à  SVbbàs  :  Tu  vois  dans  quel  embarras  se  trouve  ton  frère 
Abou -Tâlib  avec  sa  nombreuse  famille,  et  la  diflficultë  de 
Teutreteuir.  Dieu  nous  a  donné  de  Taisance;  allons,  prenons 
chacun  un  de  ses  fils  avec  nous  pour  diminuer  les  charges  de 
sa  famille.  Ils  se  rendirent  donc  tous  deux  auprès  d*Abou- 
Tâlib  et  lui  firent  cette  proposition.  Abou-Tâiib,  qui  de  tous 
ses  fils  chérissait  le  plus  'Aqil,  leur  dit  :  Laissez-moi  ^Aqil 
et  prenez  des  autres  ceux  que  vous  voudrez.  Mo'hammed  prit 
'Alî,  et  Abbâs  prit  Dja'far. 

La  première  de  toutes  les  femmes  qui  embrassèrent  Tisla- 
misme  fut  Khadidja;  le  premier  enfant  fut  'Ali,  et  le  pre- 
mier de  tous  les  hommes,  Abou-Bekr. 

-Toute  celle  nuit  et  le  jour  suivant,  le  Prophète  resta 
plongé  dans  la  réflexion,  et  fut  très-soucieux,  ne  sachant  pas 
à  qui  il  révélerait  d'aboi d  son  secret,  craignant  que  les 
honunes  ne  le  regardassent  comme  fou  et  qu'ils  ne  voulussent 
pas  le  croire. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LX\.  397 

CHAPITRE  LXX. 

CONVERSION   D'ABOU-BEKR  BÇ-ÇIDDIQ. 

Mo^hammed  et  Abou-Bekr  eç-Çîddiq  étaient  Hés  d'amitié. 
Abou-Bekr  était  un  homme  très-aimé  parmi  les  Qoraïschites, 
ayant  de  Tautorité,  honnête  et  riche;  il  faisait  le  commerce. 
Quand  il  se  tenait  dans  la  mosquée,  les  hommes,  jeunes  et 
vieux,  l'entouraient;  il  leur  parlait,  et  ils  Técoutaient,  et  lui 
demandaient  des  conseils.  Le  cercle  d'Abou-Bekr,  dans  la 
mosquée,  était  plus  grand  que  celui  d'Abou-Tâlib  ou  celui 
d'Abou-Djahl  ou  de  Walid ,  fils  de  Moghaïra.  M o^hammed  choi- 
sissait toujours,  quand  il  venait  à  la  mosquée ,  le  cercle  d'Abou- 
Bekr  et  causait  avec  lui  de  ses  affaires.  Ceux  qui  entraient 
dans  la  mosquée  faisaient  d'abord  les  processions  d'usage 
autour  de  la  Ka^ba,  adoraient  une  des  idoles  qui  se  trouvaient 
dans  le  temple,  et  venaient  ensuite  choisir  une  place  dans 
un  des  cercles  des  grands  personnages.  Il  y  avait  dans  la 
mosquée  de  la  Mecque  trois  cent  soixante  idoles,  outre  celles 
qui  se  trouvaient  dans  la  Ka^ba ,  Hobal  et  M anâf ,  et  d'autres. 
Toutes  les  idoles  étaient  de  pierre  et  avaient  la  forme  hu- 
maine; elles  étaient  couvertes  de  vêtements  de  différentes  cou- 
leurs, de  khalouq,  de  safran  et  d'autres  arômes.  Mo^hammed 
n'avait  jamais  adoré  aucune  idole.  Lorsqu'il  venait  au  temple, 
il  faisait  les  tournées  autour  de  la  Ka^ba  et  allait  ensuite  s'as- 
seoir auprès  d'Abou-Bekr.  Il  était  souvent  dans  la  maison 
d'Abou-Bekr,  et  celui-ci  venait  aussi  chez  Mo'hammed-  Quel- 
quefois Abou-Bekr  lui  disait  en  secret:  Pourquoi,  ô  Mo^hatn- 
med,  n'adores-tu  pas  les  idoles,  comme  font  tous  les  autres î 
Mo^hammed  lui  répondait  :  Je  ne  peux  pas  me  faire  à  la  pensée 
d'adorer  un  objet  que  j'aurais  gravé  moi-même  ou  une  iïï**8 


398  CHRONIQLI:;  DE  TABABl. 

que  j'aurais  faite  de  mes  mains,  puisque  je  sais  qu^il  ne  m'en 
peut  venir  ni  dommage,  ni  avantage,  et  que  c'est  Dieu  qui 
m'a  créé  et  qui  me  conserve  et  me  donne  ma  subsistance. 
Abou-Bekr  répliquait:  Tu  as  raison,  ô  Mo^hammed;  la  même 
idée  s'est  présentée  à  mou  esprit;  je  ne  sais  pas  quelle  est 
cette  religion  dans  laquelle  nous  vivons  et  dans  laquelle  vi- 
vaient nos  pères  depuis  tant  dannées. 

Or,  le  jour  où  Mo^hammed  reçut  sa  mission  et  où  Gabriei 
lui  enseigna  la  prière,  où  khadidja  et  ^Âli  embrassèrent  Tis- 
lamisine  et  prièrent  avec  le  Prophète,  comme  celui-ci,  après 
le  départ  de  Gabriel,  qui  lui  avait  recommandé  d'appeler  les 
hommes  à  Dieu ,  réfléchissait  continuellement  à  qui  il  pour- 
rait d'abord  révéler  ce  secret,  il  songea  à  Abou-Bekr.  11  se  dit  : 
Abou-Bekr  est  un  homme  âgé  et  mon  ami;  il  est  intelligent, 
judicieux  et  de  bon  conseil.  Tirai  le  trouver  demain  matin 
pour  lui  demander  son  avis  sur  ce  que  je  dois  faire  et  à 
(|ui  je  devrai  m'adresser.  Mo^hammed  ne  prévoyait  pas  ni 
n'espérait  qu' Abou-Bekr  deviendrait  croyant  aussitôt.  Abou- 
Bekr,  cette  même  nuit,  ne  pouvait  pas  trouver  le  sommeil;  il 
faisait  les  réflexions  suivantes:  Ce  culte  des  idoles  que  nous 
pratiquons,  et  que  pratiquaient  nos  ancêtres,  est  absurde.  Ces 
idoles  ne  peuvent  produire  ni  avantage  ni  dommage.  Le  Dieu 
qui  a  créé  la  terre  et  le  ciel  et  les  hommes  ne  souifre  pas 
qu'on  adore  autre  chose  que  lui.  Je  voudrais  trouver  quelqu'un 
qui  pût  me  diriger  dans  la  voie  de  la  vraie  religion;  je  ne  sais 
à  qui  m'ouvrir  à  cet  égard.  Alors  il  songea  à  Mo^hammed  et 
se  dit  en  lui-même  :  Mo'hammed,  le  neveu  d'Abou-Tàlib,  est 
un  homme  sage;  il  est  mon  ami  intime  et  un  homme  sûr. 
Il  méprise,  comme  moi  ce  culte  et  il  n'a  jamais  adoré  les 
idoles.  Demain  matin  j'irai  chez  lui,  je  m'ouvrirai  à  lui  et  le 
consulterai;  peut-être  me  inontrora-t-il  la  bonne  voie. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  L&X.  399 

Au  malio,  le  Prophète  se  leva  et  sortit  pour  se  rendre  chez 
Abou-Bekr,  qui,  de  son  côté,  s*ëtait  mis  en  route  pour  aller 
chez  Mo^hammed.  Ils  se  rencontrèrent  dans  la  rue,  et,  s'étant 
adressé  des  questions  sur  cette  rencontre,  Mo^hammed  dit  : 
J'allais  chez  toi  pour  te  consulter  sur  une  certaine  chose. 
Ahou-Bekr  répliqua  :  Et  moi ,  je  me  rendais  chez  toi  pour  le 
demander  un  avis.  Mo^hammed  lui  en  ayant  demandé  Tobjet, 
Abou-Bckr  dit  :  Parle  d'abord,  toi;  car  mon  récit  est  long. 
Alors  Mo^hammed  lui  dit  :  Hier,  un  ange  m'est  apparu,  m'ap- 
portant  un  message  de  la  part  de  Dieu,  me  disant  d'appeler 
les  hommes  à  Dieu,  afin  qu'ils  croient  en  Dieu  et  en  ma  mis- 
sion prophétique  et  qu'ils  abandonnent  le  culte  des  idoles.  Je 
me  rendais  chez  toi  pour  te  demander  à  qui  je  dois  adresser 
cet  appel,  et  à  qui  je  pourrais  en  parler.  Abou-Bekr  répliqua  : 
0  Mo^hammcd,  que  je  sois  le  premier  de  tous  les  hommes  a 
qui  tu  adresseras  cet  appel  I  J'ai  réfléchi  toute  cette  nuit  à  cette 
afiaire,  et  c'est  pour  cela  que  je  me  suis  mis  en  roule  pour 
aller  chez  toi  ;  ce  n'était  pas  pour  autre  chose.  Engage-moi  à 
cette  religion  avant  tous  les  autres,  afin  que  je  sois  le  premier 
croyant.  Le  Prophète,  qui  n'avait  pas  formé  cet  espoir,  l'ut 
très-lieureux ,  lui  exposa  à  l'instant  la  formule  de  l'islamisme, 
et  Abou-Bekr  prononça  la  profession  de  foi. 

Le  Prophète  n'a  jamais  été  aussi  heureux  d'aucune  conver- 
sion que  de  celle  d' Abou-Bekr.  On  rapporte,  d'après  Abou- 
^Obaïda  ^Abdallah  ben-Sellâm,  dans  son  livre  sur  les  événe- 
ments remarquables  de  la  vie  du  Prophète,  que  Mo^hammcd 
a  dit  :  De  tous  les  hommes  à  qui  j'ai  présenté  l'islamisme  il 
n'y  en  a  pas  eu  un  seul  qui  n'ait  fait  des  difficultés  {kabwa)^ 
sauf  Abou-Bekr,  qui  n'a  pas  hésité  un  instant  (tala^'atham). 
L'expression  tala^^atham  s'emploie  de  quelqu'un  qui  refoule  sa 
parole  dans  sa  bouche  et  qui  hésite  à  la  prononcer.  I^  sens 


400  CIIROMQl  E  DE  TABARL 

du  mot  kabwa  est  dérivé  du  briquet,  qu'on  appelle  en  arabe 
kabwa.  Quand  on  frappe  une  pierre  avec  le  métal  et  qu'il  en 
sort  des  étincelles,  on  dit  que  la  pierre  est  warâ-zendè;  quand 
on  frappe  à  plusieurs  reprises  sans  produire  d'étincelles,  on 
rappelle  nâzendè.  Le  Prophète  veut  dire  par  cette  phrase  que 
tous  ont  refoulé  leur  parole  dans  leur  bouche,  excepté  Abou- 
Bekr,  qui,  dès  que  Tappel  tomba  dans  son  esprit,  eut  Tétin- 
celle  de  Tislamisme  au  bout  de  la  lang[ue. 

Mo^hammed  ben-Djarir  dit  dans  cet  ouvrage  que  Zaîd,  fils 
de  'Hâritha,  Tesclave  du  Prophète,  embrassa  Tislamisme  avant 
Abou-Bekr,  qui  se  serait  converti  seulement  lorsque  cinquante 
personnes  furent  devenues  musulmanes.  Cette  version  n'est 
pas  fondée;  elle  est  contredite  par  tous  les  traditionnistes  et 
par  tous  les  croyants,  qui  rapportent  que  le  premier  croyant 
fut  Abou-Bekr;  après  lui  vint  Zaïd,  fils  dé  ^Hâritha,  l'es- 
clave du  Prophète;  ensuite  Belàl,  esclave  d'Abou-Bekr;  en- 
suite plusieurs  autres,  qui  embrassèrent  successivement  l'is- 
lamisme en  secret.  ^Hasân ,  fils  de  Thâbit,  a  fait  quelques  vers 
à  l'éloge  d'Abou-Bekr,  parce  qu'il  avait  cru  avant  tous  les 
autres  : 

Si  tu  rappelles  quelque  grande  action  d'un  frère  fidèle,  souviens-toi  de 
ton  frère  Abou-Bekr  et  de  ce  qu'il  a  fait; 

Lui,  le  meilleur  des  hommes,  le  plus  Gdèle  et  le  plus  juste  après  le  Pro- 
phète, par  la  grandeur  de  sa  tiche; 

Le  second  qui  suivit  la  doctrine,  bénie  est  sa  tombe,  il  est  le  premier  des 
hommes  ayant  atteste  la  vérité  de  la  mission  divine. 

J'ai  lu  dans  toutes  les  traditions  qu' Abou-Bekr,  après  sa 
conversion,  tint  sa  foi  secrète;  mais  chaque  fois  qu'il  se 
trouvait  dans  la  mosquée  à  causer  avec  quelqu'un,  il  lui  en 
parlait  et  l'engageait  à  l'islamisme;  il  conduisait  auprès  du 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXX.  40i 

Prophète  ceux  qui  acceptaient;  et  ils  prononçaieut  la  pro- 
fession de  foi.  Le  premier  qui  fui  converti  par  Abou-Bekr  fut 
^Olhmàu,  lils  d'^Affàn;  il  convertit  ensuite 'Abd  er-Ra^hmàn, 
fils  d'^Auf,  puis  Zobaïr,  fils  d"A  wwâni,  puis  Tarbâ,  fils  d'^Obaïd- 
allah ,  puis  Sa'd ,  fils  d'Abou-Waqqàç.  Ils  furent  ainsi  trente- 
neuf  adhérents,  qui  tenaient  leur  foi  secrète.  Ils  n osaient 
pasâe  rendre  à  la  mosquée  de  la  Mecque  pour  prier,  ni  eux  ni 
le  Rrapbèle;  ils  priaient,  soit  à  la  maison,  soit  sur  le  mont 
^Hirâ.  Le  premier  qui  en  eut  connaissance  fut  Abou-Tàlib,  qui 
demanda  à  Mo'hammed  quelle  était  la  religion  qu'il  avait  éta- 
blie. Le  Prophète  le  lui  dit  et  voulut  le  convertir.  Abou-Tâlib 
lui  répondit  :  Je  ne  veux  pas  abandonner  ma  religion,  qui  est 
celle  de  mes  pères;  si  Dieu  t'a  ordonné  celte  œuvre,  accom- 
plis-la; je  te  protégerai,  et  personne  ne  pourra  te  molester. 
Un  jour,  Abou-Tàlib  vit^AU  faire  la  prière.  Il  lui  dit  :  Mon  fils, 
qu  est-ce  que  ce  cuUe?  ^Ali,  craignant  la  colère  de  son  père, 
répondit  :  C'est  Mo*hammed,  le  prophète  de  Dieu,  qui  m'a 
converti  à  cette  religion.  Abou-Tàlib  dit:  Si  Mo'hammed  te 
l'a  dit  ainsi,  observe-le;  car  Mo'hammed  n'a  jamais  dit  et  ne 
dit  pas  le  mensonge. 

On  disait,  dans  les  réunions  de  la  mosquée,  que  Mo^hani- 
med  avait  fondé  une  nouvelle  religion ,  qu'il  prétendait  être 
le  prophète  de  Dieu  et  avoir  reçu  de  Dieu  un  message;  que 
quelques  personnes  avaient  cru  en  lui  et  pratiquaient  la  prière 
en  secret.  Abou-Djahl,  fils  de  Hischàm,  parla  ainsi  :  Si 
j'apprends  que  quelqu'un  ait  cru  en  lui,  j'écraserai  sa  léte 
comme  celle  d'un  serpent;  et  si  je  vois  Mo'hammed-  venir  à  la 
mosquée  et  adorer  un  autre  objet  que  Hobal,je  lui  lancerai  à 
la  tête  une  pierre  et  ferai  jaillir  son  cerveau;  et  Abou-Tàlib 
perdra  le  commandement,  quand  j'aurai  frappé  son  neveu. 

Abou-Tàlib  était  lo  chef  des  descendants  de  Hàschim;  le 
II.  •  •-H» 


402  GURONIQlili:  DE  TABARL 

chef  des  Beni-Makhzouin  ëtait  Abou-Djahl,  iîls  de  Hischâin, 
qui  portait  ie  surnom  d'Abou'PHikain.  C'est  le  Prophète  qui 
Tavait  appelë  Abou-Djahl.  Le  chef  des  Beni-^Adi  était  ^Omar, 
(ils  d'Al-Khattàb,  dont  le  pouvoir  était  égal  à  celui  d'Abou- 
Djahi.  Après  Abou-Tâlib,  le  commandemcul  des  Beni-Hâ- 
schim  passa  à  ^Abbâs,  son  frère,  qui  était  ami  du  Prophète, 
mais  qui  ne  pouvait  pas  le  protéger  contre  les  incrédules.  Le 
plus  hostile  de  ceux-ci,  parmi  les  Hàschimites  et  les  oncles 
de  MoMiammed,  était  Abou-Lahab,  fils  d^'Abdoul-Mottalib: 
les  plus  hostiles  des  Beni-Makhzoum  étaient  Abou-Djahl  et 
Waltd,  fdsde  Moghaïra;  et,  parmi  les  Beni-^Adi,  ^Omar,  fils 
d'Al-Khattib. 

Le  Prophète  avait  le  désir  de  faire  la  prière  dans  la  mos- 
quée, mais  il  ne  Tosait  pas,  craignant  Abou-Djahl  et  ^Omar, 
les  deux  personnages  les  plus  puissants  de  la  Mecque  et  ses 
plus  grands  adversaires.  Lorsque  ses  sectateurs  furent  au 
nombre  de  trente-neuf  personnes,  le  Prophète  adressa  à  Dieu 
la  prière  suivante  :  Dieu,  tu  sais  que  ta  religion  n'a  pas  de 
plus  grands  ennemis  parmi  les  hommes  que  ces  deux  per- 
sonnîiges  :  Abou-Djahl  et 'Omar,  fils  d'AI-Khattâb.  Dirige  celui 
des  deux  que  tu  préfères  dans  la  bonne  voie,  et  favorise-le  de 
rislamisme,  afin  que  cette  religion  soit  répandue  par  lui. 

Mo'hammed  bcn-Djarir  n'a  pas  raconté  dans  son  livre  la 
conversion  d'^Omar,  fib  d'Ai-Khattâb,  quoique  ce  soit  uo 
récit  agréable.  Je  vais  le  rapporter  tel  que  je  Tai  lu  dans 
d'autres  livres,  comme  je  viens  de  rapporter  la  conversion 
d'Abou-Bekr  eç-Çiddi(|. 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXXI.  ^03 


CHAPITRE  LXXI. 

CONVERSION    D'^OMAn,  FILS  D'AL-KIIATTAB. 

^Omar  avait  une  sœur  mariée  à  TaPhà,  fils  d'^ObaïdaHah. 
Un  jour,  ^Omar,  venant  chez  sa  sœur,  entendit  qu'elle  réci- 
tait le  Coran.  Il  entra  dans  la  maison  et  lui  dit  :  Qu'est-ce 
que  tu  viens  de  réciter?  Est-ce  que  tu  as  embrassé  la  religion 
de  ce  fou?  Sa  sœur  lui  répondit  :  H  n'est  pas  fou;  il  est  le 
prophète  de  Dieu.  ^Omar  dit  :  Laisse-moi  voir  Técrit  que  tu 
viens  de  lire.  Sa  sœur  répliqua  :  Tu  le  souillerais;  tu  ne  dois 
pas  le  toucher.  ^Omar  dit  :  Que  dois-je  faire  pour  me  puri- 
fier?— Il  faut  te  laver  la  tête  et  le  corps.  ^Omar  ayant  fait  ainsi 
h  rinstant  même,  sa  sœur  lui  remit  l'écrit,  et  ^Omar  y  lut  les 
versets  suivants  :  rrAu  nom  du  Dieu  clément  et  miséricor- 
dieux. Ta  Ha.  Nous  ne  t'avons  pas  envoyé  le  Coran  pour  que  lu 
sois  malheureux,  mais  pour  servir  d'avertissement  à  celui  qui 
craint  Dieu.  Il  est  envoyé  par  celui  qui  a  créé  la  terre  et  les 
cieux  élevés,  7)  etc.  (Sur.  xx,  vers,  i  etsuiv.)^Omar  dit  :  S'il  en 
est  ainsi,  l'idolâtrie  que  nous pratiqjuons  est  absurde,  et  nos 
dieux  ne  sont  rien.  11  dit  ensuite  à  sa  sœur  :  Où  est  Mo^ham- 
med?  Elle  répliqua  :  Si  tu  ne  veux  rien  lui  dire  [de  désa* 
gréable],  je  te  conduirai  auprès  de  lui.  ^Omar  le  promit,  et  sa 
sœur  le  conduisit  chez  le  Prophète,  dans  la  maison  de  Kha- 
didja.  Lorsque  ^Omar  entra  dans  l'appartement,  le  Prophète 
lui  dit:  Pourquoi  viens-tu? — Je  viens,  dit  *Omar,  embrasser 
ta  religion.  Le  Prophète  dit  :  Grâces  soient  rendues  à  Dieu 
de  ce  qu'il  a  exaucé  ma  prière  en  ce  qui  te  concerne,  et  non 
en  ce  qui  concerne  ton  ami  Abou-Djahl.  ^Omar  prononça  la 
formule  de  foi  et  dit  ensuite  au  Prophète  :  Que  faut-il  faire 

a6. 


404  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

iriaintenani?  —  Il  faut  accomplir  la  prière,  dit  Mo^liammed. 
—  Qu'est-ce  que  la  prière?  —  Cesiractiou  de  prier  Dieu.  — 
Où  faut-il  prier?  —  Pour  le  moment,  dit  Mo^bammed,  il  faut 
le  faire  en  secret,  jusqu'à  ce  que  nous  puissions  le  faire 
publiquement.  ^Omar  dit  :  Nous  avons  adoré  Lât  et  Hobai  en 
public,  et  nous  devrions  adorer  Dieu  en  secret!  Viens,  sor- 
tons. Le  Prophète  et  tous  ses  compagnons  se  rendirent  à  la 
mosquée,  firent  les  tournées  autour  du  temple  et  prièrent  en 
public.  Les  principaux  personnages  qoraïschites  qui  s'y  trou- 
vaient n'osèrent  rien  dire,  parce  que  ^Omar  était  avec  le  Pro- 
phète. A  partir  de  ce  moment,  Mo^hammed  y  accomplissait 
sa  prière,  et  venait  librement  au  temple,  lui  et  ses  compa- 
gnons. Trois  ans  après,  Dieu  lui  envoya  ce  verset  :  «rO  apdtre, 
fais  connaître  ce  qui  t'a  été  envoyé  de  la  part  de  ton  Sei- 
gneur,^ etc.  (Sur.  V,  vers.  71.)  Alors  le  Prophète  adressa  pu- 
bliquement sa  prédication  à  tous. 


CHAPITRE  LXXH. 

PRÉDICATION   PUBLIQUE    DE   L'ISLAMISME. 

Après  avoir  reçu  ce  vereet ,  le  Prophète  se  rendit  au  temple 
de  la  Ka'ba  et  le  récita  devant  les  hommes.  C'est  dans  la  mos- 
quée qu'il  leur  adressa  le  premier  appel.  Ensuite  il  alla  au 
mont  Çafâ,  éleva  la  voix,  et  tous  les  habitants  de  la  Mecque 
s'y  réunirent.  Mo'hammed  leur  parla  ainsi  :  Quelle  conduite 
ai-je  tenue  parmi  vous?  Ils  répondirent  :  Tu  es  un  homme 
véridique  et  sûr;  nous  n'avons  jamais  entendu  de  toi  un 
mensonge.  Mo^hammed  reprit  :  Maintenant  je  dis  :  Je  suis  l*a- 
pôtre  de  Dieu,  envoyé  vers  vous.  Adorez  Dieu  et  abandonnei 
les  idoles,  sinon  le  châtiment  descendra  sur  vous  du  ciel  et 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXXII.  405 

vous  serez  exterminés.  Abou-Lahab,  sou  oncle,  qui  se  trouvait 
dans  Tassistance,  se  leva  et  dit  :  Toi,  M oUianinoied ,  tu  veux 
nous  appeler  à  une  religion.  Sois  maudit,  toi  et  ta  religion, 
il  engagea  le  peuple  à  se  retirer,  en  disant  :  Allez,  ce  Mo^ham- 
med  est  fou.  Alors  Dieu  envoya  à  son  intention  les  versets 
suivants  :  rrQue  les  deux  mains  d' Abou-Lahab  périssent,^  etc. 
(Sur.  CXI,  vers,  i  et  suiv.)  Abou-Lahab,  par  hostilité  envers 
le  Prophète,  avait  Thabilude  de  mettre  des  épines  sur  son 
chemin  et  sur  celui  de  ses  amis,  de  sorte  qu'ils  se  blessaient 
les  pieds.  Sa  femme  faisait  de  même. 

Ensuite  Dieu  envoya  h  Mo^hammed  le  verset  suivant  : 
t  Adresse  Tappel  à  les  proches  parents,  w  (Sur.  xxvi ,  vers.  9 1 4.) 
Le  Prophète  dit  :  Mes  parents,  ce  sont  les  Beni-Hàschim  et 
les  Beni-^Abd-Manâf.  Il  dit  à  *Ali  d'aller  préparer  un  repas. 
^Ali,  ayant  fait  cuire  dans  le  four  un  mouton  sur  du  gruau, 
invita  tous  les  Beni-Hàschim  et  les  Beni-Manâf,  de  même 
qu'Abou-Tàlib,  ^Hamza,  ^Abbâs  et  un  grand  nombre  d'autres 
personnes,  et  leur  servit  ce  repas.  Us  mangèrent  beaucoup, 
cependant  la  quantité  de  la  nourriture  ne  diminuait  pas.  Abou- 
Lahab  dit:Mo^hammed  nous  a  invités  aujourd'hui  pour  nous 
faire  voir  sa  magie.  Le  Prophète,  très-aflligé  de  ces  paroles, 
ne  leur  parla  point  ce  jour-la.  Le  lendemain,  il  fit  préparer 
un  nouveau  repas  et  les  invita.  Pendant  qu'ils  mangaient,  il 
leur  parla  ainsi  :  U  mes  oncles  et  mes  cousins,  je  suis  l'apôtre 
de  Dieu,  envoyé  vers  tous  les  hommes  en  général,  et  vers  vous 
en  particulier.  Croyez  en  Dieu  et  à  ma  mission,  et  Dieu  vous 
donnera  le  paradis  éternel.  Personne  ne  répondit.  Puis  Abou- 
Tâlib  dit  :  iMon  fils,  tu  as  parlé  et  nous  avons  entendu;  laisse- 
nous  aller  et  réfléchir  jusqu'à  demain.  Le  Prophète  dit  ensuite  : 
Mes  oncles  et  mes  cousins,  si  vous  ne  cherchez  pas  l'autre 
monde,  au  moins  recherchez  le  bonheur  de  ce  monde;  car 


40«  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

Dieu  répandra  ma  religion,  et  Tempire  de  TArabie,  de  la 
Perse  et  de  Roum  m'appartiendra.  Y  a-t-il  quelqu'un  parmi 
vous  qui  veuille  répondre  à  mon  appel,  et  que  je  puisse 
nommer  mon  vicaire?  Tous  gardèrent  le  silence.  Alors  ^Ali  dit: 
0  apôtre  de  Dieu,  si  personne  ne  croit,  moi  je  suis  croyant. 
Le  Prophète  répondit  :  0  ^Ali,  tu  as  cru,  et  lu  es  mon  frère 
et  mon  vicaire.  Les  autres  se  levèrent  et  sortirent.  Ils  se  mo- 
quèrent d'Abou-Taiib,  en  lui  disant  :  Mo^hammed  a  fait  de 
ton  fils  ton  maître. 

Le  Prophète  continuait  sa  prédication,  et  Ion  n'osait  pas 
s'y  opposer,  par  respect  ]>our  Abou-Tâlib,  mais  ou  frappait 
et  Ton  insultait  ses  amis.  Alors  fut  révélé  le  verset  suivant  : 
tr Certes,  vous  et  les  idoles  que  vous  adorez,  à  côté  de  Dieu, 
vous  serez  la  proie  de  renfer,?)  elc.  (Sur.  x\i,  vers.  98.)  Le 
Prophète  vint  à  la  mosquée  et  proclama  ce  verset  devant  le 
peuple.  Les  hommes  se  tournèrent  tous  contre  lui,  Texpul^ 
sèrent  delà  mosquée  et  se  rendirent  ensuite  auprès  d'Abou- 
Tâlib.  Ils  lui  dirent  :  Notre  patience  est  à  bout.  Ton  neveu 
insulte  nos  divinités.  Il  a  introduit  une  religion  nouvelle,  et 
nous  Tavons  supporté.  Il  nous  a  insultés  en  disant  que  nous 
sommes  des  sots;  nous  Tavous  supporté.  11  a  dit  que  nous 
et  nos  pères  nous  irons  en  enfer,  et  nous  Tavons  supporté. 
Maintenant  il  se  mcl  à  insulter  nos  dieux.  Dis-lui  qu'il  fasse 
ce  qu'il  voudra,  mais  qu'il  n'attaque  pas  nos  dieux;  qu'il  s'oc- 
cupe de  son  dieu  et  de  sa  religion.  S'il  ne  le  fait  pas,  nous 
le  frapperons,  et  nous  le  chasserons  de  la  ville.  Abou-Tàlib 
lit  appeler  Mo'hammed,  qui  vint  et  prit  place.  Abou-Tâlib 
lui  dit:  Ecoute  ce  que  disent  ces  gens.  Le  Prophète,  ayant 
entendu  leur  discours ,  dit  :  Il  n'y  a  qu'un  point  qui  no|is 
divise,  eux  et  moi;  s'ils  professent  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  dieu 
et  que  je  suis  son  prophète,  Dieu  sera  satisfait  d'eux,   et 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXII.  407 

je  ne  parlerai  plus  contre  eux.  Mais  s'ils  ne  foDl  pas  cette 
profession ,  aussi  longtemps  que  mon  âme  sera  en  moi  je  les 
appellerai  à  Dieu  et  à  sa  religion.  Abou-Tâlib  congédia  les 
gens  avec  de  bonnes  paroles  et  resta  seul  avec  le  Prophète.  Il 
lui  dit:  Ces  gens  agissent  avec  ëquité  envers  toi,  mais  tu  n'es 
pas  juste  envers  eux.  Ils  te  disent  d'enseigner  et  de  faire  ce 
que  tu  voudras,  seulement  de  ne  pas  insulter  leurs  dieux.  Si  tu 
n'insultais  pas  leurs  dieux,  cela  profiterait  à  ta  religion.  Le 
Prophète  pensa  qu^ Abou-Tâlib  voulait  lui  retirer  sa  protec- 
tion. Ses  larmes  coulèrent  et  il  dit  :  Ô  mon  oncle,  c'est  Dieu 
qui  me  l'ordonne  ainsi.  S'ils  mettaient  dans  ma  main  droite 
le  soleil  et  dans  ma  main  gauche  la  lune,  et  s'ils  me  brûlaient 
par  le  feu,  je  ne  retrancherais  pas  une  lettre  de  ce  que  Dieu 
ordonne,  et  je  ne  dirais  ni  plus  ni  moins.  Puis  il  quitta  Abou- 
Tâlib,  qui  fut  touché,  le  rappela,  prit  sa  tète  sur  son  cœur 
et  lui  dit  :  0  mon  fils,  va,  exécute  ce  que  Dieu  t'ordonne  et 
ue  t'inquiète  pas;  aussi  longtemps  que  je  vivrai,  personne 
n'osera  mettre  la  main  sur  toi.  Je  sais  que  tu  dis  là  vérité,  et 
si  je  ne  craignais  pas  d'encourir  le  blâme  des  Arabes,  qui 
diraient  qu' Abou-Tâlib ,  sur  ses  vieux  jours,  a  quitté  la  reli- 
gion de  ses  pères ,  je  croirais  aussi  en  toi. 
A  ce  propos,  il  fit  quelques  vers: 

Par  Dieu!  ils  ne  pourront  pas  t^allcindre,  lous  ensemble,  aussi  longtemps 
que  je  serai  vivant  et  que  je  ne  serai  pas  enterré. 

Poursuis  ton  œuvre;  n'aie  pas  de  souci,  sois  content;  tu  atteindras  un 
désir  fait  pour  réjouir  tes  yeux. 

Cerlcs,  j^ai  déclaré  et  dit  que  j'étais  ton  ami,  et  antérieurement  déjà  je 
t'ai  appelé  véridique. 

Si  je  ne  craignais  pas  le  blâme ,  et  n*était  mon  désir  d^éviter  les  re- 
proches ,  tu  me  verrais  adhérer  fermement  à  cela. 

Ces  paroles  d'Abou-Tâlib  rassurèrent  le  Prophète,  qui  cou- 


408  CHHO.MQliE  I)K  TABAIU. 

tiiiua  de  prêcher  publiquement  sa  religion.  Les  iuci-édules 
n'osaient  pas  ralta<|ucr;  seulement  ils  le  raillaient,  frappaient 
ses  amis,  qui  ne  pouvaient  pratiquer  les  inclinations  et  les 
prières,  sans  recevoir  sur  leurs  leles  des  pierres  et  sans  être 
maltraités.  En  outre,  ils  faisaient  des  pièces  de  vers  satiriques 
contre  le  Prophète  et  contre  ses  amis.  Cependant  Mo^hanimed 
accomplissait  sa  mission  et  récitait  le  Coran,  sans  que  per- 
sonne y  répondit  ou  y  crilL 

A  Tépoque  du  pèlerinage,  le  Prophète  allait  à  ^4^a^ât  et  ap- 
pelait à  Dieu  les  hommes  des  dilTérentes  contrées,  qui ,  en  re- 
tournant dans  leur  pays,  y  répandaient  sa  réputation.  Alors 
il  venait  de  tous  côtés  des  Arabes  pour  voir  quel  était  cet 
homme  el  ce  qu'il  disait;  et  ils  devenaient  croyants.  De  cette 
manière,  le  nombre  des  adhérents  du  Prophète  s'accrut  des 
Arabes  de  la  Mec<jueetde  Bat'hà,  et  des  Arabes  du  désert.  Les 
Qoraïschites  incrédules  les  attaquaient,  partout  où  ils  les  trou- 
vaient réunis,  par  des  railleries,  des  injures  et  en  lançant  sur 
eux  des  pierres,  et  ils  les  dispersaient.  Il  se  passa  ainsi  un 
certain  temps.  Les  adhérents  du  Prophète  qui  avaient  à  souf- 
frir ces  actes  d'hostilité  de  la  part  des  incrédules  s'en  plai- 
gnaient à  lui;  mais  il  leur  reconnnandait  la  patience,  parce 
qu'il  n'avait  pas  encore  reçu  l'ordre  d'agir.  Chaque  vei'set  du 
Coran  qu'il  recevait  lui  ordonnait  la  patience.  Dieu  lui  rap- 
pelait les  faits  des  prophètes  antérieurs,  comment  ceux-ci 
avaient  supporté  de  la  part  de  leur  peuple  beaucoup  de  vio- 
lences, «ju'ils  avaient  endurées  pour  obtenir  le  rang  de  mar- 
tyrs. Patiente,  toi  aussi,  lui  disait-il,  afin  d'acquérir  ce  rang, 
dont  tu  es  le  plus  digne.  Dans  un  autre  verset.  Dieu  lui 
disait  :  Il  y  a  eu  avant  toi  des  prophètes  qui  ont  été  accusés 
de  mensonge  par  leur  [teuple ,  et  qui  ont  été  maltraités. 
Ils  ont  patienté  jusqu'à  ce  que  je  leur  eusse  donné  la  force. 


PARTIE  II.  CHAPITRE  LXXIl.  à09 

PalieiUc  aussi  jusqu'à  ce  que  je  te  fortifie  plus  que  ceux-là. 
Dieu  Tordonuait  ainsi ,  parce  que  les  adhérents  du  Prophète 
étaient  moins  nonihreux  que  les  incrédules,  et  que  le  moment 
d'agir  n'était  pas  encore  venu.  Lorsque,  plus  tard,  MoMiammed 
accomplit  sa  fuite  à  Médine,  que  les  habitants  de  cette  ville 
se  rallièrent  à  lui  et  que  le  nombre  des  musulmans  fut  consi- 
dérable, alors  Dieu  lui  ordonna  de  faire  la  guerre  aux  incré- 
dules, de  les  attaquer  par  Tépée  et  de  les  tuer  partout  où 
il  les  rencontrerait.  Il  lui  ordonna  alors  Taction  violente, 
comme  il  lui  avait  ordonné  à  la  Mecque  la  patience.  Les  in- 
crédules étaient  embarrassés  devant  l'attitude  des  musulmans  : 
plus  ils  les  attaquaient  et  les  insultaient,  plus  ceux-ci  leur 
opposaient  de  patience,  f  niin  les  musulmans  leur  abandon- 
naient la  mosquée  et  se  renfermaient  dans  leurs  maisons  pour 
faire  la  prière,  ou  se  .rendaient  dans  la  montagne  pour  n'être 
pas  vus  des  incrédules. 

Or,  un  jour,  SaM,  fils  d'Abou-Waqqàç,  s'étaut  rendu  avec 
les  adhérentes  du  Prophète  sur  le  mont  'Hirà,  pour  y  prier,  un 
homme  d'entre  les  incrédules  qoraïschites  vint  sur  la  mon- 
tagne et  vit  comment  Sa'd  accomplissait  la  prière.  Lorsque 
celui-ci  baissa  la*  tête  pour  faire  l'inclination,  il  saisit  une 
pierre  et  la  lança  sur  le  dos  de  SaM,  qui  supporta  en  patience 
la  douleur  qu'il  en  ressentit.  Sa^d  accomplissant  l'inclination 
une  autre  fois,  cet  homme  prit  une  autre  pierre  et  l'eu  frappa 
sur  le  dos  avec  plus  de  violence  que  ta  première  fois.  Sa^d, 
ayant  fini  le  salut,  saisit  un  os  du  cadavre  d'un  chameau  qui 
se  trouvait  là,  en  frappa  l'infidèle  sur  la  tête  et  lui  brisa  le 
crâne.  Cet  homme,  couvert  du  sang  qui  coulait  de  sa  blessure 
sur  tout  son  corps  et  sur  son  vêtement,  rentra  à  la  Mecque. 
Les  incrédules,  le  voyant  dans  cet  état,  se  rassemblèrent.  Sa*d 
appartenait  à  la  (ribu  de  Zohra  et  était  un   homme  respec- 


410  CHRONIQUE  DE  TABARL 

table  et  très-considérë,  ayant  un  grand  nombre  de  parents; 
c  ëtait  rhomme  le  plus  respectable  parmi  les  Qoraïschites. 
Les  incrédules,  n'osant  rien  contre  lui ,  dirent  :  Il  faut  nous  en 
prendre  à  Mo^hammed;  nous  le  tuerons  pour  nous  en  débar- 
rasser. Mais  ils  n'osèrent  pas  lattaquer,  à  cause  d'Abou-Tâlib; 
car  les  Beni-Hâscbim ,  très-nombreux  à  la  Mecque ,  obéissaient 
tous  à  Abou-Tâlib.  Les  incrédules  de  toutes  les  tribus  se  réu- 
nirent à  la  mosquée,  et  de  là  se  rendirent  chez  Abou-Talib, 
qui  refusa  de  les  recevoir.  La  dignité  d'Abou-Talib  était  telle, 
qu'il  avait  un  portier  et  que,  selon  son  bon  plaisir,  il  donnait 
audience  aux  gens  ou  refusait  de  les  recevoir.  Cette  distinc- 
tion ,  à  la  Mecque ,  n'appartenait  qu'à  lui.  Les  incrédules  s'étant 
réunis  de  nouveau  et  étant  venus  4  1^  porte  d'Abou-Tâlib , 
celui-ci  leur  refusa  encore  audience.  Enfin ,  le  troisième  jour, 
Abou-Tâlib  les  reçut.  Ils  entrèrent,  firent  entendre  des  plaintes 
au  sujet  de  Mo^hammed,  et  dirent  :  Les  choses  en  sont  arri- 
vées à  l'extrême;  les  adhérents  de  Mo^hammed  sont  devenus 
nombreux,  le  sang  a  di^jà  coulé.  Nous  craignons  que  quelque 
télé  chaude  d'entre  les  Qoraïschites  ne  s'attaque  à  lui  et  ne 
le  tue;  car  alors  la  guerre  éclaterait  entre  les  Beni-Hâschini 
et  les  Qoraïschites,  et  le  sang  commencerait  à  couler  parmi 
nous,  et  ne  cesserait  plus  de  couler.  Vois  quel  est  le  prix  que  tu 
demandes  pour  le  sang  de  Mo^hammed,  afin  que  nous  réunis- 
sions l'argent  pour  te  le  donner;  tu  nous  livreras  Mo^hammed, 
nous  le  tuerons ,  et  délivrerons  la  Mecque  de  cet  embarras.  Nous 
savons  que  tu  n'es  pas  de  son  parti  et  que  tu  n'approuves  ni  ses 
discours  ni  ses  actes.  Abou-Tâlib  répliqua  :  Mo^hammed  n'est 
pas  mon  neveu ,  mais  mon  fils  chéri ,  que  j'aime  plus  que  tous 
mes  fils.  Son  père  étant  mort  pendant  qu'il  était  encore  an 
sein  de  sa  mère,  c'est  moi  qui  l'ai  élevé.  Comment ponrrais-je 
vous  le  livrer  pour  le  faire  mourir?  Et  quand  vous  Taures  tué , 


PARTIE  II/CHAPITRE  LXXII.  411 

de  quoi  me  servirait  le  prix  de  son  saog?  Avez-vous  jamais  vu 
quelqu'un  qui  ail  vendu  le  sang  de  son  (ils,  et  qui  Tait  livre  à 
la  mort  en  acceptanl  Tamende?  N'y  songez  pas;  car  aussi  long- 
temps qu'il  existera  un  seul  descendant  de  Hâscbim ,  MoMiani- 
med  ne  sera  pas  livré.  Les  incrédules,  désespérant  de  rien  obte- 
nir de  lui,  s'en  Vetoumèrent  et  se  réunirent  dans  la  mosquée. 
Walid,  fils  de  Moghaïra,  avait  un  fils  nommé  ^Omâra,  qui 
avait  atteint  Tàge  de  puberté  et  dont  la  barbe  commençait  à 
croître.  C'était  le  jeune  homme  le  plus  sage  et  le  plus  beau 
de  toute  la  jeunesse  des  Qoraïschites.  Abou-Tàlib  l'avait  en 
grande  estime,  l'appelait  son  fils,  et  le  gardait  souvent  chez 
lui  dix  jours ,  vingt  jours  ou  un  mois.  Sa  beauté  ainsi  que 
sa  bonne  conduite  inspiraient  de  l'amour  pour  lui  à  presque 
toutes  les  femmes  de  la  ville  de  la  Mecque  ;  mais  lui,  sage  et 
raisonnable,  n'en  regardait  aucune  ;  on  ne  l'avait  jamais  soup- 
çonné d'avoir  eu  des  rapports  avec  aucune  femme  ,  sauf  avec 
Hind,  la  mère  de  Mo^âwiya.  Abou-Tàlib'  l'aimait  à  cause  de 
la  pureté  de  ses  mœurs,  et  tous  les  hommes,  même  en  dehors 
des  Qoraïschites,  l'estimaient.  Son  père  Walid,  fils  de  Mo- 
ghaïra, était  fier  de  lui.  Or,  le  jour  où  les  Qoraïschites  se 
rassemblèrent  dans  la  mosquée ,  ils  dirent  à  Walid  :  Il  ne 
nous  reste  avec  Abou-Tàlib  qu'un  seul  moyen.  Nous  savons 
qu'il  ne  livrera  pas  soif  fils  pour  être  mis  à  mort,  car  il 
aime  beaucoup  Mo^hammed.  Il  n'y  a  pas,  parmi  les  Qoraï- 
schites, un  jeune  homme  pareil  à  'Omàra,  tant  par  la  sagesse 
que  par  la  beauté  et  par  l^s  vertus  de  toutes  sortes  qui  le  dis- 
tinguent. Nous,  aussi  bien  que  toi  et  tous  les  Qoraïschites, 
nous  sommes  fiers  de  lui.  Il  faut  que  tu  l'abandonnes,  par  un 
acte  écrit,  à  Abou-Tâlib,  pour  qu'il  devienne  son  fils,  et  pour 
(|u'Abou-Tâlib  nous  livre  Mo^bammcd,  que  nous  tuerons. 
Walid,  fils  de  Moghaïra,  consentit  et  dit  :  'Omàra  m'est  plus 


412  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

cher,  à  moi  el  à  tous  les  Qoraïschites ,  que  Mo^hammed  ;  je  le 
donne  en  échange  de  Mo'hammod.  Les  autres  le  remercièrent. 
WalM  et  deux  anciens  de  chaque  tribu,  entre  autres  Abou- 
Djahl,  "Olba,  Scha'd)a  et  Abou-Khalaf,  de  la  tribu  de  Djouma^h, 
se  rendirent  auprès  d'Abou-Taiib  et  lui  dirent  :  Nous  sommes 
venus  pour  te  faire  une  proposition  équitable.  Nous  savons  que 
Mo'hammed  est  comme  ton  fils ,  et  personne  ne  livre  son  fils 
pour  être  mis  à  mort.  Mais  tu  connais  ^Omàra,  le  fils  deWalid, 
et  tu  sais  combien  il  est  supérieur  à  Mo'hammed  en  beautë,  en 
sagesse,  eu  noblesse  et  en  vertu;  il  n'y  a  pas  parmi  les  Qoraï- 
schites  un  homme  comme  lui.  Toi-même,  tu  l'appelles  ton 
fils.  Nous  voulons  que  tu  nous  donnes  MoMiammed  et  que  tu 
adoptes  'Omàra.  Ensuite  Walid,  fils  de  Moghaïra,  prit  la  pa- 
role et  dit:  0  Abou-Tâlib,  je  ne  m'en  retournerai  pas  avant 
d'avoir  réuni  dans  la  mosquée  tous  les  Qoraïschites,  que  je 
prendrai  comme  témoins  pour  signer  un  acte  par  lequel  je  re- 
noncerai à  mes  droits  de  paternité  sur  H)mâra  el  sur  sa  descen- 
dance; en  le  déliant  de  sa  filiation  à  Tégard  de  son  père  et  de  la 
tribu  de  Makhzoum,  je  te  la  transmettrai.  ^Omâra  deviendra 
ton  fils  et  continuera  sa  race  en  ton  nom,  et  tu  en  auras  Thon- 
neur.  Tu  me  remettras  en  échange  Mo^hammed ,  que  les  Qoraï- 
schites pourront  tuer,  aiin  que  les  habitants  de  la  Mecque  soient 
délivrés  de  lui  et  de  toutes  ces  calamités.  A  ces  paroles,  Abou- 
Tàlib  se  mit  h  rire  et  dit  :  0  Ibn-al-Moghaïra ,  la  proposition 
que  tu  me  fais  n  est  ni  juste ,  ni  équitable.  Tu  me  dis  de  prendre 
ton  fils  et  de  Félever  sur  mon  sein,  et  de  te  livrer  mon  propre 
fils,  pour  que  vous  le  mettiez  à  mort.  As-tu  jamais  vu  dans  le 
monde  quelqu'un  qui  ail  livré  son  fils  à  la  mort,  pour  prendre 
le  fils  d'un  autre  et  pour  le  nourrir?  Si  jamais  quelqu'un  a  agi 
ainsi,  moi  je  ne  le  ferai  |)as.  Si  ton  fils  est  beau,  sage  et  intelli- 
gent, Mo'hammed,  Thomme  honnéte,estmon  fils,  que  j'aime. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXll.  4i3 

et  doiil  je  ne  donnerais  pas  un  seul  cheveu  pour  tous  les  Béni- 
Makhzouin.  Walid,  fils  de  Moghaïra ,  et  les  autres,  voyant  leur 
espoir  complètement  déçu,  étaient  réduits  au  silence,  ne  sa- 
chant rien  répondre.  Abou-Tâlib  leur  dit  encore  :  Une  fois 
pour  toutes,  n'espérez  point,  aussi  longtemps  que  je  serai 
vivant,  ou  qu'il  existera  des  Beni-Hàschim  un  homme,  une 
femme  ou  un  enfant,  que  Mo^hammed  vous  sera  livré;  il 
vous  faudra  exterminer  tous  les  Beni-Hàschim,  grands  el 
petits,  avant  de  vous  emparer  de  lui.  Abou-Tâlib  termina  son 
discours  par  les  vers  suivants  : 

Lui,  reicellent,  qui  surpasse  le  nuage  en  générosité  abondante,  lui  qui 
est  le  défenseur  des  orphelins  et  le  soutien  des  veuves; 

Lui  qui  est  entouré  des  pauvres  de  la  famille  des  Hâschim,  qui  trouvent 
chez  lui  de  la  pitié  et  des  bienfaits; 

Vous  rocnt4>z,  je  le  jure  par  le  temple  de  Dieu,  quand  vous  dites  que 
nous  le  laisserons  tuer  sans  combattre  pour  lui  et  sans  nous  servir  de  nos 
lances; 

Que  nous  Tabandonnerons  avant  d^étre  tombés  autour  de  lui  et  avant 
d'avoir  perdu  nos  enfants  et  nos  femmes. 

Les  Qoraïschites  s'en  allèrent,  désespérant  de  rien  obtenir 
d' Abou-Tâlib.  Ils  n'osèrent  pas  s'attaquer  au  Prophète,  mais 
ils  recommencèrent  à  tourmenter  ses  amis.  Ils  voulaient  re^ 
chercher  tous  ceux  qui  étaient  croyants,  pour  les  faire  souffrir 
et  pour  les  tourmenter,  afin  de  les  ébranler,  ou  de  les  faire 
mourir,  ou  de  les  amener  à  renier  l'islamisme.  Cependant, 
n'osant  pas  diriger  leurs  efforts  contre  les  principaux  adhé- 
rents de  Mo^hammed,  comme  Abou-Bekr,  *Omar,  ^Othmân, 
Tal'hâ,  Zobaïr  et  SaM,  ils  s'en  prenaient  aux  croyants  des 
classes  inférieures  et  aux  faibles,  et  leur  faisaient  subir  des 
tourments.  Quand  ils  en  rencontraient  quelqu'un  seul,  ils  le 
trai'naient  dans  une  maison,  le  torturaient,  l'accablaient  de 


à\à  CHUuMQtl-:  DK  TABARI. 

nombreuses  violences  et  cherchaient  ù  le  l'aire  renoncer  a 
rislamisnie.  Quant  aux  puissants,  qu'ils  n*osaicnt  pa8  vio- 
lenter, ils  les  insultaient,  les  traitaient  de  menteurs  «  les  rail- 
laient et  leur  crachaient  à  la  figure.  Ils  en  arrivèrent  jusqu  à 
cracher  à  la  figure  du  Prophète. 

L'homme  qui  cracha  au  visage  de  MoMiammed  fut  ^Oqba ,  fils 
d'Abou-Mo'aït,  descendant  d'Omayya.  C'est  à  ce  propos  que 
fut  révélé  le  verset  suivant  :  <r  Alors  le  pécheur  se  mordra  la 
main  et  dira  :  Plût  à  Dieu  que  j'eusse  suivi  la  route  avec 
Tapôtre,^  etc.  (Sur.  xxv,  vers.  99  et  suiv.)  ^Oqba  était  lie 
d'amitié  avec  le  Prophète,  mais  il  n'avait  pas  accepté  l'isla- 
misme. Quand  le  Prophète  venait  dans  la  mosquée,  ^Oqba 
s'asseyait  près  de  lui  et  l'écoutait  réciter  le  Coran ,  qui  lui 
plaisait.  Il  disait  alors  qu'il  n'avait  jamais  entendu  de  dis- 
cours ni  de  |)oésie  comparables  à  ces  paroles.  Le  Prophète 
espérait  qu'il  deviendrait  croyant.  ^Oqba  avait  un  ami,  de  la 
tribu  de  DjoumaMi,  nommé  Obayy,  fils  de  Khalaf.  Un  jour, 
^Oqba  venant  chez  lui,  Obayy  ne  lui  adressa  pas  la  |>arole  et 
ne  s^issit  pas  auprès  de  lui.  ^Oqba  dit:  Mon  frère,  qu'ai -je 
fait  pour  que  tu  ne  me  parler  pas?  Obayy  lui  répondit  :  Tu  as 
cru  a  ce  Sabéen,  et  tu  as  embrassé  secrètement  sa  religion. 
Les  incrédules  donnaient  au  Prophète  le  nom  de  SiU^éen. 
^Oqba,  en  jurant  par  Lat  et  Hobal,  répliqua  qu'il  n'avait 
point  embrassé  cette  religion.  Je  m'assieds,  dit-il,  de  temps 
en  temps  auprès  de  lui ,  pour  écouter  les  beaux  discours  qu'il 
récite  et  qu'il  prétend  tenir  du  ciel.  Ces  discours  sont  fort 
beaux.  Maintenant,  si  tu  veux,  je  ne  m'asseyerai  plus  jamais 
auprès  de  lui ,  car  je  prélere  ton  amitié  à  sa  société.  Obayy, 
fils  de  Khalaf,  dit  :  Les  Qoraïschites  prétendent  que  tu  as 
embrassé  sa  religion;  je  me  suis  interdit  de  te  parler  et  de 
vivre  amicalement  avec  toi,  à  moins  que  tu  n'ailles  trouver 


PARTIE  II,  CHAPlTRfe:  LXXIl.  ài^ 

iVlo'liamnied  en  public,  alors  qu'il  se  trouvera  eutoun^  de 
ses  compagnons  dans  le  temple,  et  en  présence  de  tous  les 
Qoraïscbites  réunis,  pour  Tinsulter  et  lui  cracher  à  la  figure, 
afin  que  les  Qoraïschites  sachent  que  tu  n'es  pas  devenu 
Tuu  de  ses  sectateurs.  Quand  tu  auras  agi  ainsi ,  je  te  par- 
lerai. 'Oqba  répliqua  :  Je  le  ferai.  Il  attendit  un  jour  oi!i  le 
Prophète  était  assis  dans  la  mosquée,  entouré  de  ses  com- 
pagnons. Alors  il  vint,  sauta  par-dessus  les  épaules  de  ceux-ci 
pour  s'approcher  de  Mo^hammed,  lui  cracha  à  la  figure  et 
s'en  relourna  auprès  de  ses  amis.  Le  Prophète  s'essuya  la 
figure.  Dieu  lui  avait  donné  la  promesse  qu'il  le  ferait  sortir  de 
la  Mecque  et  qu'il  lui  prêterait  assistance  conti'e  ses  ennemis. 
Mo^hammed  dit  à  ^Oqba  :  Je  fais  à  Dieu  le  vœu  que,  si  je  te 
saisis  en  dehors  de  la  Mecque,  je  te  ferai  couper  la  tête.  Plus 
tard,  le  jour  du  combatdeBedr,  le  Prophète  et  ses  compagnons, 
ayant  remporté  la  victoire  sur  les  incrédules  de  la  Mecque, 
firent  beaucoup  de  prisonniers.  Lorsqu'on  amena  au  Prophète 
ces  prisonniers,  et  parmi  eux  ^Oqba  avec  une  corde  au  cou, 
Mohammed  dit  à  ^Ali  :  Allons,  accomplis  le  vœu  du  prophète 
de  Dieu  I  ^Ali  s'approcha ,  tira  son  épée  et  la  brandit.  ^Oqba 
dit  :  0  Mo^hammed,  si  tu  me  fais  mourir,  qui  soutiendra  mes 
enfants  après  ma  mort?  ^Oqba  avait  beaucoup  d*enfan(s  et 
était  pauvre.  Le  Prophète  répliqua  :  Ta  place  et  la  leur  sont 
dans  l'enfer;  s'ils  ne  deviennent  croyants ,  je  les  ferai  tous 
mourir,  et  ils  seront  avec  toi  dans  l'enfer. 

Les  incrédules  devinrent  plus  ardents  contre  le  Prophète 
et  contre  ses  compagnons.  Les  croyants,  ne  pouvant  plus  en-^ 
durer  cet  élat  fâcheux,  dirent  au  Prophète  :  Nous  pourrions 
bien  nous  défendre  d'eux ,  car  nous  avons  des  parents  et  des 
hommes;  mais  nous  l'en  demandons  Tautorisation.  Si  tu  as 
encore  de  la  patience,  quant  a  nous  nous  n'en  avons  plus. 


416  CHUOMQLE  DE  TABARI. 

Aulorisc-nous  à  nous  défendre;  s'il  faut  coinbaUrc,  nous 
combatlrous.  Le  Prophète  répliqua  :  Je  ne  peux  rien  vous  dire 
par  moi-niénie  avant  d'avoir  reçu  Tordre  de  Dieu.  Pendant  la 
nuit,  le  Prophète  pria ,  et  Dieu  lui  envoya  ce  verset  :  t  Patiente 
comme  ont  patienté  les  hommes  résolus  d'entre  les  apôtres. 9 
(Surate  xlvi,  verset  34.)  Mo'hammed  récila  ce  verset  aux 
croyants  et  leur  recommanda  la  patience.  Mais  leur  situation 
devenant  de  plus  en  plus  intolérable,  à  cause  de  l'hostilité 
croissante  des  infidèles,  ils  vinrent  trouver  le  Prophète  et 
lui  dirent  :  Il  nous  est  impossible  d'endurer  plus  Iongtem|)s 
les  vexations,  les  peines  et  le  mépris  dont  ces  hommes  nous 
accablent.  Nous  craignons  de  commettre  quelque  action  ou 
de  laisser  échapper  une  parole  que  Dieu  désapprouverait.  Au- 
torise-nous à  quitter  la  Mecque  et  à  nous  rendre  dans  une 
autre  contrée,  jusqu'à  ce  que  tu  reçoives  de  Dieu  la  permission 
de  faire  la  guerre.  Le  Prophète  leur  accorda  cette  autorisation , 
en  leur  disant:  Allez  dans  l'Abyssinie,  dont  les  habitants  sont 
chrétiens,  possesseurs  d'un,  livre  sacré,  et  plus  rapprochés  des 
musulmans  que  les  idolâtres.  Le  Nedjàschi  est  un  roi  qui  ne 
commet  jamais  d'injustice  envers  personne.  Alors  une  partie 
des  compagnons  du  Prophète  se  rendit  en  Abyssinie,  tandis* 
que  lui-même,  avec  Abou-Bekr,  ^Omar,  *Ali  et  d'autres  res- 
tèrent à  la  Mecque,  sous  la  protection  d'Abou-Tâlib.  Cette 
fuite  est  appelée  la  première  fuite;  car  il  y  a  eu  deux  fuites  : 
l'une  fut  celle-ci,  et  l'autre  fut  celle  de  Médine,  qui  eut  lieu 
après  la  mort  d'Abou-Talib,  et  qui  est  appelée  la  grandefuitey 
accomplie  par  le  Prophète,  et  qui  était  obligatoire  pour  tous 
ses  adhérents.  La  profession  de  foi  de  ceux  qui  ne  le  suivirent 
pas  ne  fut  pas  agréée. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXIII.  417 


CHAPITRE  LXXin. 


Fl  ITK  DES  COMPAGNONS  DI     PROPHETE  EN    ABYSSINIE. 
r.ONVERSlON  DE  ^lAMZA. 


La  fuite  en  Abyssinie  eut.  lieu  dans  la  cinquième  ann^e  de 
la  mission  prophétique  de  Mo^hammed.  Les  noms  de  ceux 
d'entre  les  compafjnons  du  Prophète  qui  se  rendirent  en 
Abyssinie  se  trouvent  dans  le  livre  des  Expéditions  de  Mo*ham- 
med  ben-IsMiàq.  MoM)amnied  ben-DjariV,  dans  le  présent 
ouvrage,  dit  qu'ils  éUiienl  en  tout  soixante  et  dix  personnes. 
D'après  d'autres  traditions  et  le  livre  des  Expéditions,  leur 
nombre  était  de  cent  vingt,  en  comptant  les  personnages 
importants  aussi  bien  que  les  adhérents  inconnus.  Quelques 
auteurs  rapportent  que  quelques-uns  d'entre  eux,  comme 
'Olhmàn,  fils  d'^Affàn,  DjaMar,  fils  d'Abou-Tâlib,  Sa^d,  fils 
d'Abou-Waqqâç ,  *Abd  er-Ba*hmAn,  fils  d'^Auf,  Zobaïr,  fils 
d'*Awwâm ,  ^Ammâr,  fils  de  Yâser,  avaient  emmené  avec  eux 
leurs  femmes.  Tout  cela  est  raconté  en  détail  dans  le  livre  des 
Expéditions.  Le  nombre  des  femmes  était  de  quinze;  d'après 
d'autres  auteurs,  les  femmes  n'étaient  qu'au  nombre  de  quatre. 

Ils  partirent  donc  pour  l'Abyssinie,  pays  qu'on  ne  peut  at- 
teindre de  la  Mecque  que  par  voie  de  mer,  en  se  rendant  d'abord 
de  la  Mecqueà  Djeddah.  Les  incrédules  les  poursuivirent,  mais 
ils  ne  purent  les  atteindre.  A  partir  de  ce  moment,  les  infi- 
dèles devinrent  plus  hardis  contre  le  Prophète  ;  ils  l'insul- 
taient et  le  frappaient  quand  il  paraissait  dans  la  mosquée. 
Un  jour,  pendant  que  le  Prophète  accomplissait  la  prière, 
^Oqba,  fils  d'Abou-Mo^aït ,  lui  jeta  au  cou  une  corde,  le  traîna 
hors  de  la  mosquée  et  lui  serra  la  gorge  de  sorte  qu'il  faillit 
II.  -27 


418  CilKOMQUK  DE  TAHARI. 

mourir.  Abou-Bekr  arriva  o(  le  dégagea  d'entre  les  mains  des 
iofidèles. 

Un  autre  jour,  le  Prophète  se  trouvant  sur  le  mont  Çafà, 
Abou-Djalil,  fils  de  Ilisrhàin,  s'approcha  de  lui,  Taccabla 
d'injures,  lança  contre  lui  une  pierre  et  lui  Fit  une  bles- 
sure à  la  tète.  Le  sang  coula  sur  la  ligure  du  Prophète;  mais 
il  ne  dit  rien,  se  leva  et  retourna  dans  sa  noiaison.  Une  vieille 
femme,  affranchie  d'^Abdallah,  fils  de  Djods'ân,  qui  demeu- 
rait sur  cette  colline,  fut  témoin  de  ce  fait;  elle  fut  saisie  de 
pitié  et  se  mil  à  pleurer  et  à  sangloter. 

Ulamza,  fils  d'Abou-Mottalib,  oncle  de  Mo^hammed,  qui 
n'était  pas  encore  croyant,  était  le  plus  fort  et  le  plus  brave 
de  tous  les  Beni-llâschim.  Les  M(*cquois  l'estimaient  et  le  res- 
pectaient.  11  aimait  beaucoup  la  chasse,  et,  comme  il  savait 
tirer  de  l'arc,  c'est  avec  cette  arme  qu'il  allait  habituellement 
chasser.  Or  ce  jour,  revenant  de  la  chasse  et  passant  par  le 
mont  Çafà,  il  entendit  les  sanglots  de  la  vieille  femme;  il 
s'arrêta,  et  lui  demanda  ce  qui  lui  était  arrivé.  Elle  lui  ré- 
pondit  :  0  'Hamza,  il  ne  m'est  rien  arrivé,  à  moi;  c'est  à  cause 
de  ton  neveu  MoMiammed,  lils  d" Abdallah,  que  je  pleure. 
Abou-Djahl  l'a  frappé  et  lui  a  fait  une  grave  blessure  à  la 
tête.  'Hamza  entra  dans  une  grande  colère.  Il  se  rendit  dans 
la  mosquée  pour  faire  des  tournées  autour  de  la  Ka^ba  et 
rentrer  ensuite  dans  sa  maison.  Il  rencontra  dans  la  mosquée 
Abou-Djahl  en  conversation  avec  plusieurs  personnes.  11  s'a|>- 
procha  de  lui,  l'injuria  (.'t  le  frappa  avec  la  poignée  de  son  arc 
sur  la  tête,  au  point  de  faire  jaillir  le  sang.  Les  Beni'-Makh- 
zoum  s'élancèrent  pour  frapper  ^Hamza.  Abou-Djabl  leur  dit: 
Ne  le  faites  pas;  car  si  vous  lui  faites  quelque  mal  aujourd'hui, 
le  dépit  lui  fera  embrasser  la  religion  de  Mo^hammed;  le  parti 
des  Qoraïschites  en  serait  affaibli,  et  celui  de  Mo^hammed, 


PARTIK  11,  CliAPITUK  LXXlll.  419 

forlilié.  ^Haiiiza,  fiyaiil  accompli  les  tournées  autour  du 
temple,  alla  voir  Mo'hammed.  En  voyant  le  Prophète  blessé  à 
la  tôte,  il  pleura  el  dit  :  0  mon  clier  et  excellenl  MoMiammed, 
voilà  ce  (jui  l'est  arrivé  aujourd'hui  sans  (|U(*  j'en  eusse  con- 
naissance! Le  Prophète  répliqua  :  Mon  oncle,  ne  t'occupe 
pas  d'un  homme  qui  n'a  ni  père,  ni  mère,  ni  oncle,  ni  autres 
parents.  Ulamza  dit  :  ()  MoMiammed,  je  l'ai  procuré  satisfac- 
tion d'Abou  Djalil,  en  lui  brisant  la  léte  avec  mon  arc.  —  Cela 
n'es!  pas  une  satisfaction  pour  moi,  dit  Mo^hammed.  ^Hamza 
dit  :  Qu'y  a-t-il  qui  puisse  te  satisfaire,  pour  que  je  l'accom- 
plisse? Mo'hammed  répliqua  :  Que  tu  dises  :  //  nyapasdedieu 
en  dehors  d'A  llah,  et  Mo^hammed  est  V apôtre  d^ Allah ,  et  que  tu  em- 
brasses ma  religion.  'Hamza  dit  :  C'est  précisément  dans  celle 
intention  que  je  suis  >enu.  Le  Prophète  fut  rempli  de  joie,  se 
leva,  embrassa  ^Hamza  sur  la  tête  et  lui  dit:  0  mon  oncle,  tu 
me  rends  heureux.  'Hamza  prononça  la  profession  de  foi. 
Lorsque  les  Qoraïschiles  en  eurent  connaissance,  ils  furent 
découragés.  Il  n'y  avait  pas  un  seul  des  oncles  et  des  cousins 
du  Prophète,  des  membres  de  la  famille  de  Hâschim  et  d'^Abd- 
ou'I-Motlalib,  même  de  ceux  qui  n'étaient  pas  croyants,  qui 
ne  fût  prêt  à  le  soutenir,  sauf  Abou-Lahab,  dont  le  vrai  nom 
était  'Abdou'l-*Ozza,  fils  d"Abdou'l-Mottalib. 

De  tous  les  adhérents  du  Prophète,  le  plus  faible  était 
^Abdallah,  fils  de  Mas^oud.  C'est  lui  qui  mettait  par  écrit 
toutes  les  parties  du  Coran  qui  étaient  révélées  au  Prophète, 
et  qui  les  apprenait  par  cœur.  Un  jour,  le  Prophète  dit  :  Qui 
d'entre  vous  veut  se  sacrifier  à  Dieu,  en  se  rendant  à  la  mos- 
quée pour  réciter  à  haute  voix  un  chapitre  du  Coran?— C'est 
moi  qui  m'y  rendrai,  dit  'Abdallah,  fils  de  Mas'oud.  Mais 
comme  il  n'était  pas  un  personnage  marquant,  n'ayant  pas 
une  nombreuse  parenté,  le  Prophète  dit  :  Il  faut  quehprun 


•'7 


420  CHKONKiLK  DE  TABARL 

qui  ait  une  nombreuse  parenté,  pour  lUre   soutenu  s'il  lui 
arrivait  uu  accident/Abdallah  dit  :  Dieu  uie  protégera.  ^Abd- 
allah se  rendit  à  la  mosquée,  et  à  un  moment  où  un  grand 
nombre  de  personnes  y  étaient  réunies,  il  se  plaça  près  du 
Maqâmr-Ibrahim,  en  face  de  la  Ka^ba ,  et  commença  à  réciter 
la  surate  Er-Ra^hman,  Qwest-ce  qu'il  récite?  dirent  les  Qorai- 
scliiles  entre  eux.  — Cest  quelque  chose  des  paroles  de  iMo^ham- 
med.  Ils  s'élancèrenl  sur  lui,  Tenlourèrent  et  le  frappèrent 
à  coups  de  pierres,  pendant  qu'il  continuait  à  réciter  la  su- 
rate jusquà  la  fin.  Couvert  de  sang,  il  retourna  auprès  de 
MoMiammed,  qui  lui  dit  :  Voilà  ce  que  je  redoutais.  'Abdallah 
dit  :  0  apôtre  do  Dieu,  ce  n'est  rien  pour  moi;  si  tu  veux, 
demain  j'irai  de  nouveau,  pour  réciter  une  autre  surate.  F^s 
compagnons  du  Prophète  vivaient  ainsi  dans  raillietion. 

Cependant  tous  ceux  qui  s'étaient  rendus  en  Abyssinie  jouis- 
saient de  la  sécurité.  LesQoraïscliites,  en  étant  informés,  i-é- 
solurent  d'envoyer  une  ambassade  en  Abyssinie,  pour  demander 
au  Nedjâschi  de  leur  livrer  ces  gens  pour  les  mettre  à  mort.  Ils 
firent  donc  partir  deux  messagers,  ^\mrou,  fils d'Al-*Aç,  *Abd- 
allah,  fils  de  Habita,  de  la  tribu  de  Makhzoum,  avec  des  pré- 
sents considérables  pour  le  Nedjâschi ,  pour  ses  familiers  et  ses 
officiers.  Ces  deux  envoyés  étaient  des  hommes  très-habiles  à 
manier  la  parole.  Ils  vinrent  à  la  cour  du  Nedjâschi,  lui  pré- 
sentèrent les  cadeaux,  et  lui  demandèrent  l'extradition  des 
croyants  qui  se  trouvaient  dans  son  pays ,  pour  les  ramènerai  la 
Mecque.  Le  roi  ne  fil  pas  droit  à  leur  demande  et  refusa  d'accepter 
les  présents.  Les  envoyés,  voyant  leur  insuccès,  s'en  retour- 
nèrent. Il  y  avait  de  nombreuses  discussions  entre  le  Nedjâ- 
schi et  les  musulmans  au  sujet  de  l'islamisme  et  du  christia- 
nisme, discussions  courtoises  et  amicales,  qui  sont  rapportées 
dans  le  livre  des  Expédilicms,  et  que  Mo^hammed  ben-Djarir  a 


PARTIE  Jl,  CHAIMTBE  LXXIII.  421 

passées  sous  silence.  Le  roi,  en  refusant  les  présents,  avait 
dit  :  Je  n'ai  que  faire  de  vos  présents;  vous  accusez  d'im- 
posture le  prophète  de  Dieu  et  vous  ne  voulez  pas  croire  en 
lui.  De  même  que  le  Nedjâschi,  tous  ses  officiers  avaient  rendu 
les  cadeaux  que  leur  avaient  remis  ^Amrou  et  ^Abdallah,  qui 
s'en  allèrent  confondus  et  désappointés. 

Le  Nedjâschi  était  intérieurement  croyant.  Or  il  voulait 
faire  connaître  publiquement  sa  foi,  et  à  cet  effet  il  convoqua 
le  peuple  abyssin,  les  grands,  les  officiers  et  les  troupes,  et  ii 
leur  parla  ainsi  :  Je  pense  que  ce  Mo^hammed  est  le  person- 
nage dont  il  est  parlé  dans  l'Évangile.  Ne  pourrions-nous  pas 
croire  en  lui  et  le  faire  venir  dans  notre  pays,  avant  que  sa  re- 
ligion ait  conquis  le  monde  entier?  Les  Abyssins  protestèrent 
en  disant  :  Nous  ne  consentons  pas;  nous  ne  voulons  pas  aban- 
donner la  religion  chrétienne;  celui  qui  le  fera  sera  répudié 
et  abandonné  par  nous.  Le  Nedjâschi,  craignant  de  perdre 
la  couronne,  dit  :  Je  n'ai  fait  que  vous  éprouver,  pour  voir 
ce  que  vous  en  diriez.  Le  peuple  fut  rassuré.  Le  Nedjâschi 
continuait  de  bien  traiter  les  musulmans,  et  professait  lui- 
même  en  secret  l'islamisme.  Il  en  fit  part,  par  un  messager, 
au  Prophète,  qui  agréa  sa  conversion  et  l'autorisa  à  pratiquer 
sa  religion  en  secret.  Plus  tard,  lorsque  le  Prophète  était  à 
Médine,  cinq  ans  après  la  fuite,  le  Nedjâschi  mourut  en  Abys- 
sinie.  Gabriel  en  informa  le  Prophète,  en  écartant  de  de- 
vant ses  yeux  tout  ce  qui  faisait  obstacle,  pour  lui  permettre 
de  voir  de  Médine  jusqu'en  Abyssinie,  et  il  lui  ordonna  de 
prier  pour  le  Nedjâschi.  Le  Prophète  et  ses  amis  firent  ainsi. 
Mo^hammed  vit  le  corps  du  Nedjâschi  couché  sur  le  lit. 

Les  incrédules,  fatigués  de  la  prédication  du  Prophète, 
l'appelèrent  à  la  mosquée  et  lui  parlèrent  ainsi  :  Nous  allons 
te  faire  une  proposition  équitable.  Si  tu  veux  que  nous  ado- 


422  CHHONIQLK  DE  TABAHL 

rions  ton  dieu,  adore  aussi  nos  divinités:  de  cette  façon  lu 
seras  de  notre  religion,  conune  nous  serons  de  la  liiMine;  si 
notre  culte  est  le  vrai,  tu  cnaurasTavantage,  et  si  c^est  le  tieo 
(|ui  est  le  vrai,  nous  aurons  l'avantage  de  celui-ci.  Alors  Dieu 
révéla  les  verseus  suivants  :  rDis:  ]\rordonnerez-vous  d'ado- 
rer un  autre  dieu,  ô  ignorants !r>  etc.  (sur.  xxxix,  vers.  64); 
et  cet  autre  verset  :  r()  infidèles,  je  n'adorerai  point  ce  que 
vous  adorez, -ï  etc.  (sur.  cix,vers.  i  et  suiv.),  c^est-à-dire 
gardez  votre  religion,  et  moi  je  garderai  la  mienne.  Les 
infidèles  reconnurent  *|u'il  n'accéderait  pas  à  leur  religion. 
Ensuite  Dieu  révéla  le  verset  suivant  :  f?Peu  s'en  est  fallu 
qu'ils  ne  t'aient  détourné  de  ce  que  nous  t'avons  révélé,^  etc. 
(Sur.  XVII ,  vers.  7 5.) 

Les  incrédules  dirent  :  Le  nioven  de  nous  débarra.sser  de 
Mo^hammed  et  de  ses  adhérents  et  des  Reni-Hàscliim,  c'e^l 
de  cesser  tout  commerce  avec  eux,  de  ne  pas  leur  parler,  de 
ui)  pas  leur  demander  de  femmes  (*n  mariage  et  de  ne  pas 
leur  donner  nos  filles;  de  cette  façon,  ils  seront  humiliés 
a  la  Mecque,  et  ils  s'en  iront.  Toutes  les  tribus  déléguèi*ent 
deux  hommes,  qui  se  réunirent  dans  la  mosquée  et  qui  dres- 
sèrent en  commun  un  acte  dans  ce  sens,  le  signèrent  tous 
et  prirent   pour  témoins  de  cet  engagement  tous  les  habi- 
tants de  la  Mecque.  Ils  suspendirent  cet  écrit  à  la  porte  du 
temple,  afin  ((ue  tous  pussent  le  voir  et  le  lii*e.  Les  croyant^ 
furent  tous  du  côté  du  Prophète  et  d'Abou-Tàlib,  et  tous 
les  Qoraïschistes  formèrent  le  parti  opposé.  Abou-Lahab  se 
joignit  aux  Qoraïschiles  en  se  séparant  d'Abou-Tàlib.  Cette 
mesure  fut  très-pénible  à  Abon-Tàlib,  aux  Beni-Hâschini  et 
aux  croyants.  Aucun  habitant  de  la  Mecque  ne  leur  parlait, 
ne  leur  vendait  rien  et  n'achetait  rien  d'eux.  Il  se  passa  ainsi 
sept  ou  huit  mois.  Alors  fui  révélée  au  Prophète  la  surate  de 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXUI.  423 

lEtoite  (sur.  lui),  il  se  rendit  à  la  mosquée,  où  étaient  réunis 
les  Qoraïschites ,  et  récita  cette  surate.  Lorsqu'il  fut  arrivé 
au  verset  :  «  Que  croyez-vous  de  Lât,  d'^Ozza  et  de  Menât,  la 
troisième?  Auriez-vous  des  mâles  et  Dieu  des  femelles?^ 
(vers.  19  et  suiv.),  Iblis  vint  et  mit  dans  sa  bouche  ces  pa- 
roles: ff  Ces  idoles  sont  d'illustres  Gharâniq,  dont  l'intercession 
doit  être  espérée.?)  Les  incrédules  furent  très- heureux  de  ces 
paroles  et  dirent  :  Il  est  arrivé  à  Mo^hammed  de  louer  nos 
idoles  et  d'en  dire  du  bien.  Le  Prophète  termina  la  surate, 
ensuite  il  se  prosterna,  et  les  incrédules  se  prosternèrent  à 
son  exemple,  h  cause  des  paroles  qu'il  avait  prononcées,  par 
erreur,  croyant  qu'il  avait  loué  leurs  idoles.  Le  lendemain, 
Gabriel  vint  trouver  le  Prophète  et  lui  dit  :  0  Mo^hammed, 
récite-moi  la  surate  de  ÏÉtoile.  Quand  MoHiammed  en  répétait 
les  termes,  Gabriel  dit  :  Ce  n'est  pas  ainsi  que  je  te  l'ai  trans- 
mise; j'ai  dit  :  rrCe  partage  est  injuste.^  (Sur.  lui,  vers.  32.) 
Tu  Tas  changée  et  tu  as  mis  autre  chose  à  la  place  de  ce  que 
je  t'avais  dit.  Le  Prophète,  effrayé,  retourna  à  la  mosquée  et 
récita  la  surate  de  nouveau.  Lorsqu'il  prononça  les  paroles  : 
ïtEt  ce  partage  est  injuste, ?>  les  incrédules  dirent:  Mo*ham- 
med  s'est  repenti  d'avoir  loué  nos  dieux.  Le  Prophète  fut 
très-inquiet  et  s'abstint  de  manger  et  de  boire  pendant  trois 
jours,  craignant  la  colère  de  Dieu.  Ensuite  Gabriel  lui  trans- 
mit le  verset  suivant  :  «Nous  n'avons  envoyé,  avant  toi,  aucun 
apôtre,  ni  prophète,  sans  que  Satan  ait  jeté  quelque  erreur 
dans  sa  pensée,?)  etc.  (Sur.  xxii,  vers.  5i.)  Dieu  rassura  ainsi 
le  Prophète.  Les  incrédules  s'en  éloignèrent  de  nouveau. 

L'aventure  de  la  prosternation  des  infidèles  s'était  répandue 
en  Abyssinie.  On  disait  que  les  Qoraïschites  avaient  cru  en 
MoMiammed  et  qu'ils  avaient  adoré  Dieu,  sauf  Walfd,  fils  de 
Moghaïra,  qui,  trop  vieux  pour  pouvoir  se  prosterner,  avait 


à2à  CHItOMQ[JK  DE  TABARI. 

pris  une  poignée  de  terre  et  lavait  placée  sur  son  front.  En 
conséquence,  quelques-uns  des  adhérents  du  Prophète  qui 
étaient  en  Abyssinie  revinrent,  tandis  que  quelques- ans  y 
restèrent  jusqu'à  la  cinquième  année  après  la  fuite  a  Mé- 
dine,  jusqu'à  la  prise  de  Khaïbar.  Un  de  ceux  qui  revinrent 
fut'Othmân,  fils  d'^Affân;  mais  aucun  d'eux  n'osa  entrer  k  la 
Mecque.  Après  avoir  fait  la  conquête  de  Kbaîbar,  le  Prophète 
envoya  ^Amrou,  fils  d'Omayya,  le  Dhamrite,  avec  une  lettre, 
vers  le  Nedjâschi,  pour  lui  demander  de  laisser  partir  ceux 
qui  étaient  restés  en  Abyssinie,  et  qui  étaient  au  nombre 
de  seize  personnes.  Le  Nedjâschi  les  fit  parlir  pour  Médine , 
et  envoya  en  même  temps  au  Prophète  des  présents  considé- 
rables :  des  étoffes  du  Ycmcn,  des  raretés  d'Abyssinie,  des 
armes,  des  esclaves  et  des  jeunes  filles;  deux  mulets  de  selle: 
une  mule  nommée  Schahbdy  et  un  mulet  nommé  Doldol;  enfin 
deux  belles  jeunes  filles  coptes,  dont  Tune  s'appelait  Maria, 
et  l'autre  Abkar.  Le  Prophète  donna  Abkar  à  ^Hasân,  (ils  de 
Thàbit,  qui  était  son  poëte,  et  garda  Maria  pour  lui.  II  en 
eut  un  fils,  nomme  Ibrahim,  qui  mourut  après  deux  ans. 
Hasàn  eut  d'Abkar  un  fils,  nommé  *Abd  er-Ra^bmân.  Nous 
reprenons  maintenant  notre  récit. 

La  position  du  Prophète  et  des  Beni-Hâschim  était  fort 
difficile;  car  personne,  à  la  Mecque,  n'entretenait  de  relations 
avec  les  croyants.  Un  Qoraïschite  nommé  Zohaïr,  fils  d'Abou- 
Ommaya,  songea  à  faire  cesser  col  état  de  choses,  en  déchi- 
rant l'acte  que  Ton  avait  écrit.  La  mère  de  Zohaïr  était  ^Âtika, 
fille  d^Abdou'I-Moltalib.  Un  jour  elle  lui  dit  :  Mon  fils,  com- 
ment peux-tu  manger  et  boire ,  connaissant  la  position  pé- 
nible des  Bcni-Hàscliim,  tes  cousins?  Personne,  à  la  Mecque, 
ne  leur  parle.  Jusqu'à  présent ,  Abou-Tàlib  a  été  le^chef  de 
tous  les  Ooraïschiles;  maintenant  personne  on  dehors   des 


PARTIE  H,  CHAPITRE  LXXIIL  425 

Beni-Hâschim  ne  lui  adresse  la  parole.  Abou-Djahl  n'aurait 
pas  souffert  une  telle  chose.  Zohaîr  répliqua  :  Que  puis-je 
faire  ?  J  en  suis  afP.igé,  cependant  je  ne  puis  lutlcr  seul  contre 
tous  les  Qoraïscbiles;  il  me  faut  quelqu'un  pour  m'aider.  Il 
alla  trouver  un  personnage  marquant  et  lui  fit  part  de  ses 
sentiments.  Celui-ci  lui  dit  :  Tâche  de  trouver  quelqu'un  qui 
puisse  nous  aider.  Zohaîr  répliqua  :  Nous  sommes  deux,  n'est- 
ce. pas  assez? — Il  en  faut  plus,  dit  Tautre.  Quand  ils  furent 
au  nombre  de  sept,  tous  personnages  importants  parmi  les 
Qoraïschites,  ils  résolurent  de  se  rendre  à  la  mosquée  à  un 
moment  où  les  Qoraïschites  et  tous  leurs  chefs  et  Abou-Djahl 
y  seraient  réunis.  Alors,  dit  Zohaîr,  je  chercherai  querelle 
à  Abou-Djahl,  et  vous  viendrez  à  mon  secours;  j'arracherai 
l'acte  de  dessus  la  porte  du  temple,  je  le  déchirerai  et  anéan- 
tirai ainsi  leur  convention.  Ils  attendirent  donc.  Un  jour  que 
les  chefs  qoraïschites,  avec  Abou-Djahl,  étaient  réunis  à  la 
mosquée,  Abou-Tâlib  s'y  trouvant  aussi,  abandonné  seul  à 
sa  place,  ces  sept  personnages  entrèrent  dans  la  mosquée 
séparément,  afin  qu'on  ne  sût  pas  qu'ils  s'étaient  concertés, 
et  allèrent  prendre  place  dans  le  cercle  d' Abou-Djahl.  Enfin 
Zohaîr  entra,  fit  des  tournées  autour  du  temple,  et  vint  s'as- 
seoir auprès  d'eux.  Alors  il  jeta  les  yeux  sur  l'acte  suspendu 
h  la  porte  et  dit  :  Jusqucs  à  quand  sera  suspendu  ici  cet  acl« 
inique  et  illégal ,  et  combien  de  temps  encore  les  Beni-Hà- 
schim  en  souffriront-ils  ?  Abou-Djahl  répliqua  :  Ce  n'est  pas 
un  acte  injuste,  puisqu'il  a  été  fait,  consenti  et  signé  par  tous 
les  Qoraïschites.  Un  des  sept  dit  à  Abou-Djahl  :  Ce  n'est  pas 
un  acte  commun  à  tous  les  Qoraïschites;  il  a  été  fait  par 
toi  et  tes  amis.  Un  autre  s'écria  :  C'est  la  chose  la  plus  in- 
juste qui  soit  au  monde.  Un  quatrième  dit  :  Pour  quelle 
raison  faut-il  s'abstenir  des  relations  avec  les  Ben{-Hàschim  ? 


426  CHliONIQUE:  DE  TABARl. 

Est-ce  que  les  Beni-Makhzouiii  el  telles  ou  telles  tribus  l'ont 
la  loi  aux  Qoraïscliites?  Un  cinquième  dit:  Il  faut  déchirer 
cet  écrit  et  annuler  cette  convention,  qui  est  injuste.  Un 
sixième  dit  :  Oui,  il  faut  le  déchirer  et  couper  la  main  à  celui 
qui  Ta  écril.  Un  septième  enfin  s'écria  :  Je  ne  me  soucie  ni 
de  Tacte,  ni  de  ce  quil  contient.  Abou-Djahl  fut  confondu 
et  dit  :  Cest  une  afl'aire  (|uils  ont  concertée  dans  la  nuit. 
MoutSm,  ^llsd'^4dl^  fds  de  Naufal ,  Tds  d^'Abd-Manâf,  Tundes 
chefs  qoraïscliites,  étendit  la  main  et  arracha  Tacte  pour  le 
déchirer.  On  avait  déjà  Thabitude  d'écrire  en  tête  des  actes 
et  des  lettres  le  nom  de  Dieu,  en  ces  termes:  rEn  ton  nom, 
ô  Dieu.')  Lorsqu'on  eut  arraché  l'écrit  et  qu'on  le  regarda, 
on  remarqua  que  toute  l'écriture,  excepté  le  nom  de  Dieu, 
était  rongée  par  les  vers.  Ils  le  jetèrent  en  disant  :  Dieu  lui- 
même  Fa  détruit.  Ensuite  ils  firent  chercher  le  scribe  qui  avait 
écrit  cet  acte,  pour  lui  couper  la  main.  C'était  un  homme  de  la 
tribu  de  Hàschim,  nommé  Mançour,  fils  d'^krima^fils  de  Hâ- 
schim,  fils  d"AbdManàr.  Quand  on  l'amena,  ses  deux  mains 
étaient  paralysées.  Ils  dirent  :  Dieu  lui-même  lui  a  coupé  les 
mains;  et  ils  le  laissèrent.  C'est  ainsi  que  cette  affaire  fut 
déjouée,  et  les  Qoraïschites  reprirent  leurs  relations  avec  les 
Beni'-Hâschim.  Le  Prophète  appelait  toujours  les  hommes 
à  Dieu. 

Lorsqu'il  se  l'ut  écoulé  sept  ans,  ou,  d'après  d'autres  au- 
teurs, cinq  ans  depuis  la  mission  prophétique  de  Mo^ham- 
med,  Khadidja  et  Abou-Tàlib  moururent  dans  la  même  an- 
née. Le  Prophète  n'a  jamais  éprouvé  de  plus  grande  affliction 
que  celle  de  la  mort  d'Abou-Tàlib.  Les  Qoraïschites  devinrent 
plus  hardis  dans  leurs  attaques  contre  lui ,  et  lui  firent  subir 
toutes  sortes  de  persécutions,  le  blessèrent  et  lui  jetèrent  des 
pierres,  de  la  t(MTe  H  des  ordures.  Le  Prophète  supportait 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXUI.  427 

(oui,  Dieu  lui  ayanl  révélé  un  verset  du  Coran  qui  lui  recom- 
mandait  la  patience. 

Du  vivant  d\\l)ou-Tàlib,le  Prophète  avait  fait  beaucoup  d'el- 
forts  pour  le  convertir  à  risiainisme.  On  raconte  que,  lorsque 
Abou-Tâlib  tomba  malade,  Mo^kammed  fut  très-aflligé;  car, 
aussi  longtemps  qu'Abou -Tàlib  avait  vécu,  il  avait  tou> 
jours  espéré  le  voii*  embrasser  Tislamisme,  puisqu'il  le  soute- 
nait  constamment  et  le  protégeait.  Quand  il  tomba  malade, 
Mo^hammed  fut  jour  et  nuit  dans  sa  maison  et  ne  s'éloigna  pas 
de  son  lit.  Abou-Talib  disait  h  lous  ceux  d'entre  les  Qoraï- 
scbites  qui  venaient  le  voir  :  Embrassez  la  religion  de  Mo^bam- 
med,  car  il  dit  la  vérité,  c'est  un  homme  honnête.  Ensuite 
il  fit  son  testamiuit  et  laissa  le  commandement  à  son  frère 
'Abbàs,  qui  restait  alors  l'aîné  des  fils  d^Abdou'l-Mottalib  et 
le  plus  intelligent.  'Abbâs  était  de  deux  ans  plus  âgé  que  le 
Prophète.  Il  avait  la  plus  grande  autorité  parmi  les  Beni- 
Hâschim  ;  c'était  un  homme  de  bon  sens  et  de  bon  conseil. 
Abou-Tàlib  le  nomma  donc  son  successeur  et  lui  recommanda 
Mo'hammed ,  en  lui  disant  :  Protége-le  comme  je  l'ai  protégé , 
et  embrasse  sa  religion,  qui  est  préférable  à  la  ndtre.  Le 
Prophète  pensa  aloi*s  que  lui-même  prononcerait  aussi  la 
formule  de  foi,  et  il  lui  dit  :  0  mon  oncle,  tu  fais  cette  re- 
commandation aux  autres,  pourquoi  ne  professes-tu  pas  toi- 
même  l'islamisme  ?  Abou-Tàlib  garda  le  silence.  Un  jour,  le 
Prophète,  étant  retourné  dans  sa  maison,  n'était  pas  encore 
assis  que  quelqu'un  vint  lui  annoncer  qu'Abou-Tâlib  était  à  la 
mort.  Mo^hammed  quitta  en  toute  hâte  sa  maison  et  courut, 
en  trainantson  manteau  par  terre,  à  la  maison  d'Abou-Tâlib. 
liOrsqu'il  y  arriva,  il  le  trouva  à  l'agonie,  près  de  rendre 
l'âme.  Mo^liammed,  les  yeux  remplis  de  larmes,  se  mit  devant 
lui  à  genoux  et  lui  dit  à  voix  basse  :  O   mon  oncle!  o  mon 


428  CHRONIQUE  DE  TABARL 

oncle  !  Abou-Tàiib  ouvrit  les  yeux  et  dit  :  Que  veux-tu,  mon 
fils?  Mo^hainmed  répondit  :  Que  tu  dises  :  frll  n'y  a  pas  de 
dieu  en  dehors  d'Allah,  yf  Abou-Tâlib  ferma  les  yeux.   Après 
un  certain  temps,  le  Prophète  murmura  de  nouveau  :  0  mon 
oncle ,  à  mon  oncle  !  Abou-Tâlib  ouvrit  encore  les  yeux  et  dit  : 
Que  veux-tu,  mon  fils?  Mo^hammed  répondit  :  Dis  :  r-H  n*y 
a  pas  de  dieu  en  dehors  d'Allah.  ?)  Abou-Tâlib  ferma  les  yeux 
de  nouveau.  Le  Prophète,  au  milieu  de  ses  pleurs  et  de  ses 
sanglots,  dit  pour  la  troisième  fois:  0  mon  oncle,  6   mon 
oncle!  Abou-Tâlib  ouvrit  les  yeux  et  dit  :  0  mon  fils,  pour- 
quoi  t'affliges-tu  tant?  Mo^hammed  répliqua  :  Si  lu  prononçais 
seulement  une  seule  fois  ces  paroles  :  rrll  n*y  a  pas  de  dieu 
en  dehors  d'Allah, ?>  au  jour  de  la  résurrection,  devant  le 
trône  de  Dieu,  je  me  détournerais  de  tous  les  hommes  et  me 
jetterais  la  face  contre  la  terre,  et  prierais  et  supplierais  Dieu 
pour  qu'il  te  sauve  de  l'enfer  et  pour  que  je  .  te  mène  avec 
moi  dans  le  paradis.  Abou-Tâlib  se  mit  à  pleurer  et  dit  :  Je 
sais  que  lu  dis  la  vérité;  mais  je  ne  peux  pas  prononcer  ces 
paroles,  à  cause  du  blâme  des  hommes;  car,  après  ma  mort, 
les  Arabes  dans  leurs  tribus,  les  habitants  de  la  Mecque  dans 
leurs  réunions,  et  les  femmes  des  Qoraïschites  en  filant  et 
en  causant  ensemble,  diront:  Abou-Tâlib  a  eu  peur  de  la 
mort,  et,  au  moment  de  rendre  l'âme,  il  a  abandonné  la  re- 
ligion de  ses  pères.  Après  ces  paroles,  Abou-Tâlib  ferma  les 
yeux.  Le  Prophète  pleurait  et  sanglotait  et  ne  pouvait  se 
soutenir.  Abou-Tâlib  perdit  la  parole  et  ne  fut  plus  en  état 
d'ouvrir  les  yeux,  taudis  que  Mo^hammed  l'appelait  toujours- 
et  murmurait:  0  mon  oncle,  ô  mon  oncle!  Enfin  Dieu  envoya 
Gabriel  avec  ce  verset  :  «  Certes  toi  tu  ne  dirigeras  pas  ceux 
que  tu  voudras;  c'est  Dieu  qui  dirige  ceux  qu'il  veut,^  etc. 
(Sur.  xxvm,  vers.  56.)  (labriel  consola  le  Prophète,  en  lui 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXIV.  429 

disant  :  0  Mo^hainined,  sois  tranquille.  Ton  oncle  était-il  plus 
vénérable  pour  loi  que  le  père  d'Abraham  le  fut  pour  Abra- 
ham? Lui  aussi  a  fait  beaucoup  d'eflorls,  du  vivant  de  son 
père  et  pendant  son  agonie,  pour  l'amener  à  sa  religion,  et 
n  a  pas  réussi ,  parce  que  ce  n'était  pas  la  volonté  de  Dieu;  et 
Abraham  se  résigna  et  se  soumit  à  la  décision  de  Dieu.  Ré- 
signe-toi, ô  Mo^hammed,  comme  ton  père  Abraham.  Alors  Mo- 
^hammed  se  résigna  et  reconnut  qu'il  était  trop  tard.  Lorsque 
Abou-Tâlib  perdit  l'usage  de  la  parole,  le  Prophète  s'éloigna 
du  lit  et  retourna  dans  sa  maison.  Lorsqu'il  y  fut  arrivé,  Abou- 
Tàlib  mourut.  *AIJ  vint  auprès  du  Prophète  el  dit  :  rrO  apôtre 
de  Dieu,  ton  oncle  est  mort  dans  l'égarenrient.?)  Mo^hammed 
pleura;  puis  il  dit  :  0  *Ali,  va  pour  le  laver  et  l'enterrer;  mais 
il  ne  lui  dit  pas  de  prier  pour  lui.  Le  Prophète  lui-même 
n'assista  pas  à  l'ensevelissement  ni  à  l'enterrement;  il  donna 
seulement  ses  ordres  à  ^AH.  Les  théologiens  et  les  docteurs  de 
la  loi  tirent  de  ce  fait  un  argument,  et  disent  :  Si  un  infidèle 
meurt,  si  c'est  un  homme  considérable,  on  doit  l'enslîvelir. 
Si  cet  homme  a  un  fils  musulman ,  celui-ci  doit  se  tenir  près 
du  lit  au  moment  de  la  mort  de  son  père  et  doit  l'ensevelir, 
le  mettre  dans  la  tombe  et  se  tenir  au  bord  de  la  tombe, 
comme  le  Prophète  a  ordonné  à  *AH  de  faire  pour  Abou- 
Tâlib.  D'après  une  autre  version ,  le  Prophète  lui-même  se- 
rait allé  jusqu'à  la  tombe  d'Abou-Tâlib,  en  suivant  le  corps. 


CHAPITRE  LXXIV. 

DEPART  DU  PROPHÈTE  POUR  TÂÎF. 


On  rapporte  que,  après  la  mort  d'Abou-Tâlib,  le  comman- 
dement  fut    donné  à  'Abbàs,  fils  d"AI)dou'l-\lotlalib,  qui 


430  CIIHOMQI  K  I)K  TABAHI. 

élait  un  lioniiiir  iiidoloiil  et  sans  lenndé,  f*t  qui  irétaif  i^as 
en  étal  do  protéger  le  Pro|)hète.  Celui-ci  fut  «•»   bulte  aux 
violences  d(*s  Qoraïschites,  qui  lui  lançaient  des  pierres  et  lui 
jetaient  de  la  boue  sur  In  tète.  Ln  jour  qu'il  faisait  sa  prière 
dans  la  mosquée,  au  moment  où   il  se  prosterna   la  face 
contre  terre,  les  infidèles,  ayant  apporté  une  grande  quantité 
de  houe,  la  lui  versèrent  sur  la  tète.  MoMiamnied  avait  des 
cheveux  qui  lui  allaient  jusqu'aux  épaules;  ses  cheveux,  sa 
tète  et  ses  joues  furent  entièrement  couverts  de  boue.  11  se 
leva  et  s  en  alla  dans  sa  maison.  Une  de  ses  Glles,  en  lui 
nettoyant  la  tôte,  pleura.  Le  Prophète  lui  dit:  0  nia  fille, 
ne  pleure  pas,  invoque  Dieu  et   aie  patience.  Ces  choses 
arrivent  (juand  on  perd  ses  parentes  et  ses  oncles.  Du  vivant 
de  mon  oncle  Abou-Tàlih,  personne  n'a  osé  faire  cela.  Le 
Pro|)hète  supporta  ces  injures  et  ces  outrages  encore  deux 
ans,  en  se  conformant  à  Tordre  de  Dieu  :  «r  Sois  d'une  patience 
parfaite,^  etc.  (Sur.  lxx,  vers.  5-0.)  Ensuite,  voyant  son  in- 
succès auprès  des  Qoraïschites,  et  étant  accablé  de  misères, 
il  partit  pour  Taïf. 

Il  y  a  entre  la  Mecque  et  Tâïf  trois  journées  de  marche, 
sur  la  route  du  Yemen.  Tàïf  se  compose  de  plusieurs  villages 
très-considérables,  dont  aucun  ne  possède  une  mosquée  pour 
les  réunions  du  vendredi.  H  y  a  là  un  grand  nombre  de  ver- 
gers, de  champs  cultivés  et  de  vignes,  et  beaucoup  de  ruis- 
seaux, et  celte  contrée,  par  son  aspect  riant  et  florissant,  res- 
semhle  au  Soghd  de  Samarcande.  Les  habitants  de  la  Mecque  * 
doiv(*nt  constamment  avoir  recours  à  Tàïf,  parce  qu'il  n'y  a 
à  la  Mecque  ni  vigne,  ni  arhre,  ni  fruits.  Tous  les  fruits  que 
Ton  a  à  la  Mecque  viennent  de  Tàïf,  qui  produit  toutes  les 
espèces  de  fruits  du  monde.  Tcnit  habitant  de  la  Mecque, 
excepté  ceux  (|ui  sont    tout  à  fait   pauvres,  possède  à  Tàïf 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXIV.  431 

une  vigne  ou  un  jardin,  et,  pendant  les  trois  mois  de  Tété,  il 
ne  reste  personne  à  la  Mecque,  excepté  les  pauvres.  A  cette 
époque,  Tâïf  était  gouvcrué  par  trois  frères  :  *Habîb,  Ma- 
s^oud  et  'Abd-Yalîl ,  fils  d'^Amrou  ben-M)maïr,  de  la  tribu  de 
ThaqiT. 

Le  Prophète  se  rendit  auprès  d'eux,  à  pied,  pour  chercher 
à  se  faire  accepter  et  pvotéger  par  eux  contre  les  gens  de  la 
Mecque.  Il  alla  trouver  les  trois  frères  et  leur  exposa  sa  situa- 
tion. Je  suis  venu,  leur  dit-il,  afin  que  vous  croyiez  en  moi, 
que  vous  me  receviez  et  que  vous  me  donniez  aide  et  protec- 
tion contre  les  habitants  de  la  Mecque.  L*un  dVux  répliqua  : 
Si  tu  es  prophète  de  Dieu ,  pourquoi  nous  demandes-tu  assis- 
tance? L'autre  frère  dit  :  Pourquoi  Dieu,  qui  t'a  chargé  d'une 
mission  prophétique,  ne  te  protége-t-il  pas?  Le  troisième  dit  : 
Si  Dieu  voulait  charger  un  homme  d'une  mission  prophétique, 
il  aurait  pu  trouver,  à  la  Mecque  et  à  Tâïf,  quelqu'un  qui 
n'aurait  pas  besoin  d'aller  de  porte  en  porte  pour  demander 
protection;  pourquoi  n'a-t-il  pas  donné  cette  mission  à  un 
chef  de  la  Mecque,  auquel  personne  n'aurait  osé  faire  de 
l'opposition?  Le  Prophète  fut  ainsi  éconduit  par  eux.  Il  est 
dit,  dans  les  commentaires,  que  Dieu  a  révélé  à  leur  inten- 
tion le  verset  suivant  :  «Si  du  moins  le  Coran  avait  été  ré- 
vêlé  à  un  homme  marquant  des  deux  villes, ?)  etc.  (sur.  xliii, 
vers.  3o);  de  même  que  cet  autre  verset  :  erSi  on  leur  donne 
un  signe,  ils  disent  :  Nous  ne  croirons  pas,  à  moins  qu'on 
ne  nous  donne  un  miracle  pareil  à  ceux  qui  ont  éié  révélés 
aux  apôtres  de  Dieu.  Mais  Dieu  sait  parfaitement  où  il  place 
sa  mission.  7)  (Sur.  vi,  vers.  1 24.)  Alors  le  Prophète  leur  dit  : 
Puisque  vous  ne  m'accordez  pas  votre  assistance,  au  moins 
n'en  dites  rien  à  personne,  afin  que  je  puisse  retourner  sans 
que  l'on  sache  que  je  suis  venu  ici.  Il  ne  voulail  pas  que  les 


432  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

Qoraïschites  apprissonl  qu'il  s'ëlail  i-endu  à  Tàïf  i>our  y  cher- 
cher aide  et  proteclion,et  qu'il  n avait  rien  pu  oblenir.  Mais 
les  trois  frères  firent  venir  les  jeunes  gens  de  la  populace  de 
Tâïf  et  leur  dirent  :  Chassez  ce  fou  qoraîschite  hors  de  la  ville, 
pour  qu  il  n'y  reste  pas  la  nuit.  Le  Prophète,  ayant  fait  la 
route  à  pied ,  était  très-fatigue  ;  et  lorsque  ces  jeunes  gens  le 
chassaient  devant  eux,  il  ne  pouvait  pas  marcher;  mais  ils 
le  poussèrent,  le  frapp(»rent  et  lancèrent  contre  lui  des  pierres, 
dont  une  latteignit  à  la  cuisse,  de  sorte  que  le  sang  en  coula. 
Enfin,  harassé  de  fatigue,   abattu,   extënuë   de    faim   et  de 
soif  et  souillé  de  sang,    il  parvint  à  quitter  le   territoire  de 
Tâïf.  Le  soleil  était  ardent,  et  le  Prophète,  dans  sa  triste  si- 
tuation, s'assit  pour  se  reposer,  et  il  pleura.  Puis,  craignant 
qu'un  châtiment  ne  fondit  sur  les  habitants  de  Tâïf,  et  ne 
voulant  pas  les  voir  périr  parce  qu'ils  n'avaient   pas  cru  en 
lui  et  quils  l'avaient  accablé  de  mépris,   il  tourna  sa  face 
contre  le  ciel  et  dit  :  0  Seigneur,  ne  les  punis  pas,  car  ils 
ne  savent  pas  que  je  suis  ton  prophète  ! 

Près  de  l'endroit  où  le  Prophète  se  reposait,  il  y  avait  une 

vigne  appartenant  à  'Otba  et  à  Schaïba,  fils  de  Rabfa,  de  la 

famille  d"Abd-Schams,  cousins  de  Mo^hanmied,  qui  se  trou- 

vaienl  vu  ce  moment  dans  leur  vigne.  Ils  avaient  appris  que 

Mo'hamnied  était  aile  à  Tàïf,  mais  ils  ne  savaient  pasconnment 

il  avait  été  traite  par  les  habitants,  et  ils  étaient  restes  dans  leur 

vigne.  11  y  avait  avec  eux  un  esclave  de  Schaïba ,  un  cbi^lien 

delà  ville  de  Muive,  qui  y  avait  été  fait  prisonnier.  Ninive 

est  une  ville  située  vers  la  Syrie;  elle  était  la  patrie  de  Jona». 

Cet  esclave,  nommé  'Addàs,  avait  lu  l'Évangile  et  le  Penta- 

touque,  et  pratiquait ,  à  la  Mecque,  le  cuite  chréUen.  *Otba, 

Schaïba  el  l'esclave  étaient  dans  Tenclos,  car  c  était  Tépoque 

des  vendanges.  Le    PropliM,,  arriva  à  la  porte  de  l'enclos  el 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXIV.  A33 

alla  s'asseoir  au  bord  d'une  citerne,  qui  se  trouvait  là,  pour 

se  reposer  et  laver  son  pied ,  ses  mains  et  son  visage.  Il  ne 

savait  pas  à  qui  appartenait  cette  vigne.  *Otba  et  Schaïba, 

regardant  de  Tinlérieur  de  Tenclos  et  voyant  le  Prophète  assis 

au  bord  de  la  citerne,  couvert  de  poussière,  surent  qu'il  avait 

été  chassé  de  Tâïf.  Leur  parenté  avec  Mo'hammed  leur  inspirait 

de  la  pitié  pour  son  état,  et  'Otba  dit  à  Schaïba  :  Mon  frère, 

voilà  Mo'hammed  assis  à  la  porte  de  cette  vigne;  il  vient  de 

Tâïf,  pourchassé  et  épuisé  de  faim  ;  envoie-lui  quelque  chose 

à  manger.  îls  ne  voulaient  cependant  pas  se  montrer.  Schaïba 

dit  à  l'esclave  :  Tu  vois  cet  homme  qui  est  assis  au  bord  de 

la  citerne  ?  C'est  un  magicien  et  un  possédé  ;  partout  où  il 

va,  il  est  frappé  et  chassé  par  les  hommes.  Mais  il  est  notre 

parent  et  il  a  faim;  nous  avons  pitié  de  lui.  Porte-lui  un  pla^ 

de  raisin,  place-le  devant  lui  et  reviens  sans  lui  parler,  car  i 

pourrait  te  séduire  et  te  faire  perdre  ta  foi  chrétienne.  ^  ^^' 

clave  vint,  plaça  le  plat  devant  Mo'hammed  et  se  tint  deva 

lui,  à  distance,  en  le  regardant. Le  Prophète  prit  un  raisi^  * 

en  ayant  détaché  un  grain,  il  le  mit  dans  sa  bouche,  dis» 

Au  nom  de  Dieu,  L'esclave  lui  dit  :  0  jeune  homme,  queii^  I* 

rôle  viens-tu  de  prononcer?  Depuis  que  j'ai  quitté  ma  p^         ' 

je  ne  l'ai  pas  entendue.  —  D'où  es-tu?  lui  dit  le  Prop       . 

—  De  la  ville  de  Ninive,  répondit  Vesclave.  Le  Prop        ^^ 

répliqua  :  C'est  la  ville  de  mou   frère  Jonas,  fils  de  M»  ^^^ 

L'esclave  lui  demanda    h  son  tour:  Oui  es-tu,  et  coto  ^ 

connais-tu  Jonas? —  Je  suis  un  prophète ,  répondit  m        ^   ^g. 


med,  et  Jonas  fut  prophète;  tous  les  prophètes  son        cQ^y^» 
L'esclave  conversait  ainsi  avec  MoHiamraed,  tandis  q^ 


et  Schaïba  regardaient  de  loin.  L'esclave  dit  ensuite  :  <:y^^^c 
ton  nom? —  Mo'hamnied  et  AHimed.  ~  Es-tu  cet  -  ^  ^^ 
dont  il  est  question  dans  l'Évangile?  11  y  est  dit    ^^^ 

II. 


hU  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

renverra  aux  habitants  de  la  Mecque,  qui  te  feront  sortir 
de  la  ville;  (]uc  Dieu  te  ramènera  pour  les  soumettre  par  la 
force,  et  que  ta  religion  régnera  dans  le  inonde.  —  Certaine- 
ment, dit  le  Prophète.  —  Annonce-moi  la  foi  ,  dit  Fesclave, 
f^r  je  te  cherche  depuis  longtemps.  Le  Prophète  lui  présenta 
la  formule  de  Tislamisme,  et  Tesclave  en  fit  la  profession, 
ensuite  il  se  précipita  sur  le  pied  du  Prophète  et  le  baisa. 
Mo^hammed  mangea  le  raisin  et  s'en  alla. 

On  avait  appris  à  la  Mecque  que  Mo^hammed  était  allé  à 
Tàïf  et  qu'il  en  avait  été  chassé.  Les  habitants  se  concertèrent, 
en  disant  :  Puisqu'il  est  sorti  de  la  ville,  nous  ne  le  laisse- 
rons plus  rentrer.  Abou-Djahl  prit  pour  cela  rengagement 
de  toutes  les  tribus.  Le  Prophète,  arrivé  près  de  la  Mecque, 
s'arrêta  à  Batn-NakhI ,  à  la  distance  d'un  mille  de  la  ville. 
Il  y  passa  la  nuit,  en  priant,  en  récitant  le  Coran  et  en  ado- 
rant Dieu ,  pour  entrer  le  lendemain  à  la  Mecque. 


CHAPITRE  LXXV. 

APPARITION  DTNR  TROUPE  DR  PERIS  QUI  ADOPTENT  LMSLAMISIIE. 

A  Batn-NakhI ,  sept  ])érîs  vinrent  auprès  du  Prophète  et 
récoutèrent  réciter  le  Coran.  Lorsqu'il  eut  prononcé  le  salut 
final,  ils  se  montrèrent  à  ses  yeux.  Il  leur  présenta  la  formule 
de  l'islamisme,  et  ils  firent  profession  de  foi.  Ensuite  le  Pro- 
phète leur  dit  :  Allez  trouver  vos  compagnons  et  appelez-les 
à  la  foi.  Ils  «'en  allèrent  et  firent  cet  appel  à  leurs  compa- 
gnons, qui  reçurent  la  religion  musulmane,  comme  il  est  dit 
dans  le  Coran  :  r  Rappelle-toi  comment  nous  avons  fait  venir 
une  troupe  de  djinns  pour  entendre  le  Coran, î>  etc.  (Sur.  xlvi, 
vers.  28.)  Les  noms  de  ces  sept  péris  étaient  :  *Hasâ,  Masâ. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  L\X\.  435 

Schàd,  Nàç,  Qâsim,  Ans  et  Aqdjam.  Plus  lard,  lorsque  le 
Prophète  fut  à  Médine,  ces  sept  péris  se  présentèrent  devant 
lui  et  lui  dirent  :  Nos  compagnons  sont  devenus  croyants; 
ils  désirent  te  voir  et  t'enlendre.  Alors  ils  se  réunirent  tous 
dans  la  vallée  des  Djinns  y  endroit  situé  à  deux  parasanges 
de  Médine,  vers  le  désert,  où  personne  nose  passer  pendant 
la  nuit,  à  cause  de  la  terreur  qui  y  règne.  Tous  les  péris,  qui 
étaient  devenus  croyants,  s'y  réunirent ,  le  Prophète  leur  ayant 
promis  qu'il  s'y  rendrait,  une  nuit,  auprès  d'eux. 

Le  lendemain  de  la  conversion  de  ces  sept  péris  aux  portes 
de  la  Mecque,  le  Prophète  voulant  rentrer  à  la  Mecque,  l'un 
des  croyants  de  la  ville  vint  lui  dire  que  les  habitants  s'é- 
taient concertés  avec  Abou-Djahl  pour  l'empêcher  de  rentrer. 
MoMiammed  reconnut  qu'il  ne  pourrait  effectuer  sa  rentrée, 
sans  la  protection  d'un  personnage  marquant.  Il  envoya  donc 
cet  homme  vers  Akhnas,  fils  de  Schariq,  homme  considé- 
rable, allié  des  Beni-Hàschim ,  mais  étranger  à  la  Mecque, 
pour  lui  demander  sa  protection,  afin  de  pouvoir  rentrer 
dans  la  ville  malgré  le  projet  d'Abou-Djahl.  Akhnas  répon- 
dit :  Je  suis  moi-ni«îme  étranger  à  la  Mecque  et  sous  la  pro- 
tection d'un  autre  ;  il  faut  t'adresser  pour  cela  aux  citoyens 
de  la  ville.  Mo'hammed,  ayant  reçu  cette  réponse,  envoya  le 
messager  vers  Sohaïl,  fils  d'%\mrou,  l'un  des  principaux  per- 
sonnages de  sa  tribu.  Sohaïl  dit  :  Ma  tribu  est  moins  nom- 
breuse et  plus  faible  que  les  autres,  et  je  ne  peux  pas  proté- 
ger quelqu'un  contre  les  Qoraïschites.  Ensuite  le  Prophète  fit 
porter  sa  demande  a  Mout^im,  fils  d'^Adi,  homme  puissant 
dans  sa  tribu  et  allié  d'Abou-Djahl  et  de  son  parti.  Mout'im  fit 
dire  à  MoMiammed  qu'il  lui  accordait  sa  protection,  qu'il  pou- 
vait venir.  Le  Prophète  rentra  à  la  Mecque.  Le  lendemain,  il 
voulut  se  rendre  à  la  mosquée.  Abou-Djahl  et  les  Qoraïschites 

a8. 


yM\  CHROMQlfi:  DE  ÏABARI. 

>inrenl  >t*  placer  ù  la  porte  de  la  mosquée.  Moul^iiu,  crojaiil 
qu'Aboii-Djahl  |)rendrait  les  armes,  s'y  rendit  avec  les  \\bd~ 
Manâf,  tous  armés,  et  le  Prophète  avec  eux.  Abou^Djahl  pensa 
que  Mout^iui  et  toute  sa  tribu  avaient  embrassé  la  religioo  de 
Mo'hammed,  et  il  lui  dit  :  Es-tu  un  de  ses  sectateurs  ou  son 
protecteur?  MoutSm  ré|K)ndit  :  Je  lui  ai  accordé  seulement 
ma  protection.  Abou-Djahl  répliqua  :  Celui  que  tu  prouves, 
nous  le  protégeons  également.  Le  Prophète  entra  dans  la  mos- 
quée, fit  les  tournées  autour  de  la  ka^ba  et  accomplit  deux 
inclinations;  ensuite  il  sortit.  Il  demeurait  dorénavant  sous 
la  protection  de  Mout'im,  dans  la  patience,  jusqu'à  ce  qui\  se 
lassât  des  habitants  de  la  Mecque. 

Chaque  année,  à  Tépoquc  du  pèlerinage,  le  Prophète  abor- 
dait les  Arabes  venus  de  tous  côtés,  et  leur  proposait  sa  re- 
ligion. H  espérait  que  quelqu'un  d'entre  eux  croirait  eu  lui 
et  remmènerait  dans  sa  tribu ,  pour  qu  il  y  pût  adorer  Dieu 
et  qu'il  fût  délivixî  des  gens  de  la  Mecque  et  des  Qoraï- 
schites.  Mais  aucun  de  ceux  à  qui  il  s'adressait  ne  répondait 
à  son  appel;  ou  si  quelqu'un  croyait,  il  n'osait  pas  le  rece- 
voir, par  crainte  des  habitants  de  la  Mecque.  Il  se  présenta 
aux  Reni-kinda,  (|ui  formaient  une  tribu  fort  considérable 
et  étaient  d'une  grande  autorité  parmi  les  Arabes;  mais  ils  le 
refusèrent  ;  les  BenJ-Kelb  et  lesBenî-^Hanifa  et  toutes  les  autres 
tribus  lirenl  de  même.  Les  Qoraïschites,  de  leur  côté,  pos- 
taient chaque  année  quelqu'un  à  Mina  pour  empêcher  que 
personne  n'acceptât  la  religion  de  Mo'hammed.  Cet  homme  se 
rendait  auprès  de  toutes  les  tribus  arabes,  leur  disant  :  Il  y  a  ici 
un  fou ,  nommé  MoMiammed ,  qui  a  établi  une  religion  nouvelle. 
S'il  vient  vers  vous,  ne  le  croyez  pas  et  n'acceptez  pas  sa  foi. 

Voici  ce  qu'un  homme  d(;  la  tribu  de  Kinda  a  raconté  :  Une 
certaine  année,  étant  encore  enfant ,  j'élais  venu  avec  mon  \)vvr 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXVI.  A37 

pour  le  pèlerinage  de  la  Mecque.  Lorsque  nous  nous  arrêtâmes 
à  Mina,  je  \is  un  homme  ayant  une  longue  chevelure,  beau 
de  visage,  se  tenant  en  face  de  nous  majestueusement,  nous 
tenant  des  discours  fort  beaux,  qui  allaient  au  cœur  des 
hommes,  et  qui  nous  présenta  sa  reirgion,  en  nous  appelant 
à  Dieu  et  en  nous  détournant  de  Tidolâtrie.  Après  lui  vint  un 
homme  ayant  une  longue  barbe,  des  cheveux  noirs,  Tœil 
louche,  un  manteau  d'^Aden  sur  les  épaules,  un  homme 
si  laid  que  je  n'ai  jamais  vu  son  pareil,  et  qui  nous  dit  : 
Gardez- vous  de  cet  homme,  qui  est  possédé  et  menteur; 
n'écoutez  pas  ses  paroles  et  n'abandonnez  pas  votre  religion  ! 
Alors  je  demandai  à  mon  père  :  Qui  est  celui-là?  — C'est  le 
prophète  des  Qoraïschites,  répondit  mon  père,  Mo^hammed, 
fils  d'^ Abdallah ,  (îlsd"Abdou  1-Moltalib;  il  appelle  les  hommes 
à  sa  religion. — Et  qui  est  l'autre?  lui  dis-je. — C'est  son  oncle, 
Abou-Lahab,  qui  s'attache  partout  à  ses  pas  et  le  fait  passer 
pour  un  imposteur  devant  le  peuple. 

Le  Prophète  faisait  ainsi  chaque  année.  Sa  réputation  se 
répandit  dans  toute  l'Arabie,  dans  le  Ba'hraïn,  le  Yemâma,  le 
Yemen,  et  dans  toutes  les  autres  contrées.  Mais  il  ne  trouvait 
personne  qui  voulût  le  recevoir,  jusqu'au  moment  où,  rebuté 
par  les  gens  de  la  Mecque,  il  émigra  à  ^édine,  avec  quelques 
personnages  notables  de  cette  viHe. 


CHAPITRELXXVI. 

KllTE  DU  PROPHÈTE  DB  L4  MECQUE  A   MEDINE. 


^  t 


Peu  de  temps  avant  la  fuite,  six  personnes  de  la  Iribu  de 
khazradj  étaient  venues  à  la  Mecque  pour  le  pèlerinage.  Médine 
élait  occupée  par  deux  tribus  :  les  Ans  el  les  Khazradj.  Ces 


438  CHRONIQUE  DK  TABARI. 

derniers  étaieul  les  plus  nombreux.  I^es  villages  du  territoire 
de  Médine,  comme  Khaïbar,  Qoraïzha,  Wâdfl-Qorà  et  Yan- 
bou%  étaient  habités  par  des  Juifs  ou  Arabes  descendants 
des  Benî-Israël,  de  ceux  qui  étaient  venus  de  la  Syrie  et  de 
Jérusalem,  fuyant  de\'^nt  Nabuchodonosor,  antérieurement 
à  Alexandre.  Les  A  us  et  les  Khazradj  voulaient  s^emparer  de 
ces  villages,  mais  ils  ne  réussirent  pas;  car  les  Juifs  avaient 
des  châteaux  forts  grands  et  solides. 

Les  Juifs  connaissaient,  pour  Tavoir  lue  dans  le  Pentateuque. 
la  description  du  Prophète,  et  avaient  cru  en  lui.  Mais  ils  pen- 
saient qu'il  serait  Fun  des  Beni-Israël,  de  la  parenté  de  Moïse; 
ils  ne  savaient  pas  (]u'il  viendrait  des  Arabes.  Le  Pentateuque 
avait  contenu  la  description  même  de  Mo^hammed ,  mais  les 
anciens  Juifs  l'avaient  supprimée,  de  sorte  que  leurs  descen- 
dants ne  savaient  pas  que  ce  prophète,  qu'ils  honoraient  et 
en  qui  ils  croyaient,  serait  Arabe.  Chaque  fois  qu'ils  étaient. 
attaqués  par  des  Arabes,  ils  prenaient  le  Pentateuque ,  cher- 
chaient le  passage  concernant  le  Prophète,  y  mettaient  ia 
main  et  disaient  :  Seigneur,  aide-nous  contre  ces  ennemis,  à 
cause  de  ton  prophète!  et  ils  obtenaient  ce  secours.  Or,  quand 
le  Prophète  parut,  et  quils  virent  qu'il  était  Arabe,  et  non 
Israélite,  comme  ils  Tavaient  pensé,  ils  ne  voulurent  pas 
croire  en  lui ,  et  ils  dirent  :  Ce  n'est  pas  ce  prophète  que  nous 
alttmdions,  comme  il  est  dit  dans  le  Coran  :  «Et  lorsqu'ils 
reçurent  de  Dieu  une  révélation  confirmant  celle  qu'ils  avaient, 
eux  qui  auparavant  avaient  prié  pour  être  secourus  contre 
les  infidèles,  lorsque  celui  quils  reconnaissaient  leur  vint, 
ils  ne  voulurent  pas  y  croire.  Que  la  malédiction  de  Dieu  soit 
avec  les  incrédules!^  (Sur.  n,  vers.  83.) 

Les  six  habitants  de  xMédine,  de  la  tribu  de  Khazradj.  qui 
étaient  venus  cette  année  au  pèlerinage  étaient  :  As^ad,  fils 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXXVL  439 

de  Zoràra,  surnommé  Âbou-Omâma;  ^Auf,  fils  de^Hâritb; 
RâfiS  fils  de  Mâlik;  Qolba,  fils  d'^Amir;  ^Oqba,  fils  d'^Amir, 
descendant  de  ^Harâm;  enfin  Djâbir,  fils  d'^ Abdallah.  C'étaient 
des  gens  connus,  mais  de  classe  moyenne,  ni  très-illustres,  ni 
de  condition  inférieure.  Le  Prophète  se  rendit  auprès  d'eux  à 
Mina,  où  ils  s'étaient  arrêtés,  leur  présenta  Tislamisme  et  leur 
récita  le  Coran,  ils  Tentendirent  avec  plaisir  et  ci*urent  en  lui, 
et  il  leur  enseigna  une  portion  du  Coran.  Ensuite  il  leur  de- 
manda de  le  recevoir  et  de  Temmener  avec  eux  à  Médine.  Ils 
répondirent  :  0  apôtre  de  Dieu,  les  habitants  de  Médine  for- 
ment deux  tribus  :  les  Aus  et  les  Khazradj.  Nous  sommes  tous 
de  la  tribu  de  Khazradj ,  qui  est  en  hostilité  avec  les  Aus.  Nous 
allons  retourner  à  Médine  et  parier  à  nos  compatriotes  de 
loi  et  de  ta  religion,  apaiser  les  différends  qui  existent  entre 
eux;  ensuite  nous  reviendrons  une  autre  année  pour  f avertir; 
tu  viendras  avec  nous,  et  tu  seras  plus  honoré.  Ces  hommes 
partirent,  et  le  Prophète  resta  à  la  Mecque.  Personne  n  eut 
connaissance  de  ce  fait. 

De  retour  à  Médine,  ces  six  personnes  parièrent  aux  gens 
des  tribus  d'Aus  et  de  Khazradj ,  leur  exposèrent  la  religion 
musulmane  et  leur  récitèrent  ce  qu'elles  avaient  appris  du 
Coran,  et  leur  dirent  :  Ce  Mo^hammed  est  ce  prophète  dont 
le  nom  est  constamment  dans  la  bouche  des  Juifs,  en  qui 
ils  ont  cru,  et  en  qui  ils  espèrent.  S'ils  entendent  parler  de 
lui,  ils  l'emmèneront.  Prévenez-les,  en  l'amenant  au  milieu 
de  vous.  Cette  religion,  le  Coran  et  les  paroles  du  Prophète 
firent  une  bonne  impression  sur  les  habitants  de  Médine,  et 
un  grand  nombre  d'entre  eux  se  convertirent.  Il  y  eut  peu 
de  maisons  à  Médine  où  l'on  n'apprit  ces  quelques  versets  du 
Coran  que  les  six  personnes  avaient  retenus.  Les  habilanls  de 
Médine  atlenilaienl  avec  impatience,  cette  année,  le  retour 


àhO  CHUONIQLE  DE  TABARI. 

de  répoquc  du  pèlerinage.  Aloi*s  ils  se  réunireui  et  désignè-> 
rent  comme  messagers  les  mômes  personnes,  au  nombre  de 
six,  en  leur  associant  six  autres  personnes de4a  tribu  de  Khax- 
radj,  dont  \oici  les  noms  :  Mo^âds,  fils  de  ^Hârilh  ;  ^Abbâs,  fils 
d'^Obâda;  Aboul-Haïlham,  fils  de  Tayyahân;  Dsakwân,  fils 
d'^Abd-Qaïs;  ^Obâda,  fils  de  Çàmit;  Yezîd,  fils  de  Tha^laba.  Us 
les  firent  partir,  en  leur  disant  :  Allez,  prenez  envers  Mo^bam- 
med  rengagement  et  ramenez -le  avec  vous;  car  nous  tous, 
à  Médine,  nous  nous  sommes  engagés  envers  lui,  et  nous 
sommes  à  sa  disposition,  corps  et  biens. 

Ces  douze  hommes  arrivèrent  à  la  Mecque,  à  fépoque  du 
pèlerinage,  et  s'arrêtèrent  sur  la  colline  ^Aqaba^  près  de  Mina. 
Mo^hammed  se  rendit  auprès  d'eux.  Lorsqu'ils  le  virent,  ils 
furent  remplis  de  joie,  lui  témoignèrent  de  la  dëférence  et 
lui  transmirent  les  hommages  des  habitauts  de  Mddine.  Le 
Prophète  en  fut  charmé;  il  reçut  leur  engagement  sur  leurs 
corps  et  leurs  biens,  tant  en  leur  propre  nom  qu'au  nom 
de  leurs  compatriotes.  Ce  serment  est  appelé  le  premier  ser- 
meîity  parce  qu'il  y  en  eut  un  autre  plus  tard,  ou  serment  des 
femmes,  parce  qu'il  n'y  était  pas  question  de  la  guerre  qu^ib 
promirent  de  soutenir  avec  le  Prophète  contre  les  habitants 
de  la  Mecque.  D'ailleurs  cet  autre  serment  contenait  les  mêmes 
obligations  que  le  serment  des  femmes,  à  savoir  de  n'adorer 
que  Dieu,  de  ne  pas  dérober,  de  ne  pas  tuer  leurs  filles,  de  ne 
pas  mentir,  de  ne  pas  désobéir  au  Prophète  et  de  le  proléger 
comme  leurs  propres  corps.  Après  avoir  reçu  cet  engagement, 
le  Prophète  forma  le  dessein  de  partir  secrètement  avec  eux 
pour  Médine. 

^4bbàs  était  connu  parmi  tous  les  Qoraïschites  comme 
l'homme  le  plus  expérimenté  et  le  plus  pénétrant.  Il  avait 
succédé  à  Abou-Tàlib   dans   le  conimandement  des  Ooraï- 


PARTIE  H,  CHAPITRE  LXXVI.  àà\ 

scbitcs,  mais  il  étail  sans  ënergie.  Son  autorité  ne  s  étendait 
que  sur  les  Beni-Hâscliim ,  comme  celle  d'Âbou-Tâlib,  tandis 
que  la  tribu  d'Omayya  reconnaissait  comme  chef  Âbou-Sofyân, 
fils  de  ^Harb,  et  la  tribu  de  Makhzoum,  Âbou-Djahl.  Chaque 
tribu  avait  son  chef  particulier.  ^Abbâs  n'était  pas  en  état  de 
protéger  le  Prophète ,  quelle  que  fût  Famitié  qu  il  eût  pour  lui  ; 
mais  son  intelligence  et  son  expérience  lui  étaient  très-utiles, 
et  le  Prophète  le  consultait  en  toutes  choses  et  lui  confiait  ses 
secrets.  Mo^hammed  vint  donc  le  trouver  et  lui  dit  :  0  mon 
oncle,  je  voudrais  te  confier  un  secret  et  te  demander  un 
conseil  ;  garde-moi  le  secret.  —  Parle,  mon  fils,  lui  dit  ^Abbâs. 
Le  Prophète  dit  :  Tu  sais  combien  d'injures  et  de  violences 
j'ai  essuyées  depuis  la  mort  d'Âbou-Tâlib,  et  avec  quelle  pa- 
tience je  les  ai  supportées,  ainsi  que  le  mépris  et  les  outrages 
des  Qoraïschites.  A  présent,  je  suis  las  de  la  Mecque.  Depuis 
plusieurs  années,  je  ni  étais  présenté,  à  l'époque  du  pèleri- 
nage, aux  différentes  tribus  arabes,  mais  personne  n'a  cru  en 
moi  ni  en  ma  religion.  J'avais  désiré  que  quelqu'un  d'entre 
ces  étrangers  m'emmenât  dans  sa  patrie,  afin  que  j'y  pusse 
exercer  ma  religion.  Mais  je  n'ai  trouvé  personne,  si  ce  n'est 
les  habitants  de  Médine  et  du  territoire  de  Yathrib,  dont  il 
est  venu,  l'année  dernière,  six  personnes,  qui  ont  cru  en  moi. 
Cette  année,  il  en  est  venu  douze  hommes,  qui  se  sont  en- 
gagés envers  moi;  ils  m'invitent  à  aller  avec  eux,  et  je  veux 
les  suivre.  Qu'en  penses-tu?  ^Abbàs  répliqua  :  Je  ne  veux  pas 
te  refuser  mon  conseil.  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  bon  que  lu 
ailles  à  Médine  avec  douze  personnes.  Les  habitants  de  Mé- 
dine sont  au  nombre  de  dix  à  vingt  mille,  qui  sont  en  \uiUi 
entre  eux;  on  ne  peut  pas,  d'après  le  dire  de  douze  personnes, 
compter  sur  toute  une  ville  renfermant  une  si  grande  po- 
pulation. Aujourd'hui  tu  es  dans  ta  ville  natale,  au  milieu  de 


àà2  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

la  tribu  et  de  tes  compatriotes.  Si  dix  personnes  te.  disent 
des  choses  désagréables,  deux  autres  te  parlent  avec  bonté. 
Mais  si  tu  vas  dans  cette  vilie-Ià  et  que  Ton  ne  t'y  reçoive  pas 
comme  protégé  y  tu  t'y  trouveras  étranger,  sans  assistance  et 
sans  parents,  et  tu  ne  pourras  plus  revenir  à  la  Mecque.  Je 
crois  donc  convenable  que  tu  y  envoies  quelqu'un  des  tiens 
sur  lequel  tu  puisses  compter,  pour  te  remplacer  et  appeler 
les  gens  à  ta  religion.  S'ils  croient,  alors  tu  pourras  partir, 
ayant  lieu  de  penser  qu'un  plus  grand  nombre  croiront  en 
toi.  Mais  s'ils  ne  croient  pas,  au  moins  n'auras-tu  pas  été 
séparé  de  ta  tribu  et  exilé  à  l'étranger.  Après  avoir  entendu 
ces  paroles,  le  Prophète  dit  à  ^Abbàs,  en  l'embrassant  :  rrQue 
Dieu  te  récompense  pour  ton  bon  conseil  !  t? 

Mo^hammed  fit  partir  pour  Médine,  avec  les  douze  messa- 
gers ,  Moç^ab ,  fils  d'^Omaïr,  fils  de  Hâschim ,  fils  d'^Abd-Manàf , 
qui  savait  tout  ce  qui  avait  été  révélé  jusqu'alors  du  Coran, 
et  qui  avait  a|)pris  les  cérémonies  religieuses  de  l'islamisme. 
Le  Prophète  le  chargea  d'appeler  les  habitants  de  Médine 
à  l'islamisme  et  de  leur  enseigner  le  Coran.  iMoç^ab,  arrivé 
à  Médine,  se  logea  dans  la  maison  d'As^ad,  fils  de  Zoràra. 
Le  lendemain,  les  habitants  de  Médine  vinrent  le  trouver; 
Moç^ab  les  appela  à  la  religion  du  Prophète  et  leur  récita 
tout  ce  qu'il  savait  du  Coran.  Tous  ceux  qui  l'entendirent  de- 
vinrent croyants.  As'ad  conduisait  Moç'ab, chaque  jour,  dans 
quelque  enclos,  où  les  hommes  venaient  pour  entendre  ses 
discours,  et  où  ils  adoptaient  l'islamisme. 

A  Médine,  chaque  enclos  est  nommé  d'après  la  tribu  qui 
a  l'habitude  de  s'y  réunir.  As^ad  choisissait  chaque  jour  un 
nouvel  enclos  pour  Moç^ab.  Le  plus  grand  de  tous  était  celui 
des  Beni-^Abdou'1-Aschhàl,  où  se  réunissait  le  plus  grand 
nombre  de  personnes.  Le  chef  de  cette  tribu  était  Sa*d,  fils 


PARTIE  H,  CHAPITRE  LXXVf.  hà'S 

de  Mo'âds,  (ils  de  No^inàii,  fils  d'Iinroul-Qaïs,  qui  était  à 
la  tête  de  la  ville  de  Mëdioe.  11  était  cousin  d'As'ad,  fils  de 
Zorara,  du  côté  de  sa  mère.  Sa^d  dit  à  un  homme  nommé 
Osaïd,  fils  de  'Hodhaïr,  Tun  des  principaux  chefs  de  Médine: 
Va  Irouver  As^ad  et  dis-lui  que,  s'il  n'y  avait  pas  de  liens  de 
parenté  entre  nous,  je  le  ferais  mourir  à  Tinstant  même.  Dis- 
lui  qu  il  fasse  sortir  de  notre  enclos  cet  homme,  car  nous 
ne  sommes  pas  partisans  de  la  religion  nouvelle  qu'ils  ont 
apportée  à  Médine;  et  que,  s'il  ne  s'en  va  pas,  j'irai  moi- 
même  et  je  lui  oterai  la  vie  ainsi  qu'à  cet  homme. 

Osaïd  prit  une  pique  et  se  rendit  auprès  d'As^ad,  qu'il 
trouva  en  compagnie  de  Moç^ab.  Il  lui  transmit  le  message 
de  Sa*d,  puis  il  ajouta  de  lui-même  :  Si  Sa*d  ne  le  fait  pas, 
je  le  ferai,  moil  Allons,  quittez  à  l'instant  cet  enclos.  As^ad 
lur  dit  :  Nous  ne  nous  y  opposons  pas;  si  vous  le  désirez,  nous 
nous  en  irons;  mais  viens,  assieds-toi  et  écoute  ce  que  dit 
cet  homme  et  ce  qu'il  veut.  —  Tu  as  raison,  dit  Osaïd.  Alors 
Moç^ab  se  mit  à  réciter  le  Coran.  Osaïd  en  fut  charmé  et  dit  : 
Que  faut-il  dire  et  faire  pour  entrer  dans  cette  religion?  — 
Se  baigner  la  tête  et  le  corps,  répondit  Moç^ab,  se  repentir 
des  péchés  que  l'on  a  commis,  et  faire  la  profession  de  foi  : 
ffJe  déclare  qu'il  n'y  a  pas  d'autre  dieu  qu'Allah,  et  je  dé- 
clare que  Mo^hammed  est  le  prophète  d'Allah,  n  Osaïd  se  leva , 
se  purifia,  se  repentit  de  ses  péchés  et  prononça  la  formule 
de  foi  entre  les  mains  de  Moç^ab.  Ensuite  il  dit  à  As^ad  :  Tu 
sais  quelle  est  la  position  élevée  de  Sa^d,  fils  de  Mo^àds.  Je 
vais  aller  et  faire  en  sorte  qu'il  vienne  te  trouver.  Peut-être, 
en  entendant,  lui  aussi,  ces  paroles,  en  sera-t-il  charmé  et 
deviendra-t-il  croyant. 

Osaïd  vint  auprès  de  Sa^d,  qui  lui  demanda  ce  qu'il  avait 
dit  et  fait.  Osaïd  répondit  :  J'ai  trouvé  As^ad  et  cet  homme 


àhà  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

eiilourés  de  beaucoup  de  personnes.  J'ai  crainl  que  celles-ci , 
en  apprenant  tes  paroles,  ne  les  tuassent  à  Tinstant  même. 
Sa^d  dit  :  Je  ne  veux  pas  que  Ton  tue  quelqu'un  dans  mon 
enclos;  ina  propriété  est  à  moi.  Il  se  leva,  prit  la  pique 
d'Osaïd  et  vint  trouver  As^ad,  qui  était  assis  auprès  de 
Moç'ab  et  au  milieu  d'une  foule  de  gens.  En  voyant  SaM,  ils 
se  levèrent.  SaM  dit  à  As^ad  :  Fais  sortir  cet  homme  de  cet 
enclos  paisiblement,  afin  d'éviter,  lui  et  toi,  la  mort.  Si  je 
ne  prenais  pas  en  considération  notre  parenté,  je  te  frappe- 
rais. As^ad  répliqua  :  En  elTet,  nous  allons  partir  d'ici.  Mais 
quel  mal  y  aurait-il  si  tu  écoutais  un  peu?  SaM  dit  :  Parle. 
Moç^ab  récita  la  surate  N'avonsiwus  pas  ouvert?  (Sur.  xciv.) 

SaM  la  trouva  très-belle,  il  s'assit  et  dit  :  Répète-la.  Moç^ab 
la  récita  une  seconde  fois,  et  SaM  y  trouva  le  plus  grand 
plaisir.  Il  devint  croyant  et  adopta  la  foi  musulmane.  Ensuite 
il  s'en  retourna ,  convoqua  les  hommes  de  la  tribu  des  Beni- 
Aschhal  et  leur  dit  :  Que  suis-je  pour  vous?  —  Tu  es,  répon- 
dirent-ils, un  homme  distingué,  respecté  et  sûr,  et  tu  es 
notre  chef.  SaM  dit  :  J'ai  embrassé  cette  religion,  et  je  ne 
l'aurais  pas  fait  si  elle  n'était  pas  véritable.  Je  cesse  toute 
relation  avec  tous  ceux  qui  n'embrasseront  pas  cette  religion. 
Le  jour  même,  tous  les  Benî-^Abdou'1-Asclihal,  sans  excep- 
tion, devinrent  croyants.  As^ad  continua  alors  d'introduire 
Moç^ab  dans  tous  les  lieux  de  réunion  des  dilTérentes  tribus;  et 
bientôt  il  n  y  eut  pas  une  seule  tribu  à  Médine  dont  plusieurs 
membres  ne  fussent  crevants,  sauf  celle  des  Aus.  Ceux-ci, 
moins  nombreux  que  les  Khazradj,  se  croyaient  cependant 
supérieurs  aux  autres,  et  s'appelaient  Aus-Monât,  Ils  avaient 
pour  chef  Abou-Qaïs,  fils  d'AI-Aslat,  qui  était  poëte,  et  qui 
détourna  de  l'islamisme  les  gens  de  sa  tribu,  en  leur  disant  : 
Les  discours  que  débite  cet  honnne  sont  beaux,  mais  je  vais 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXVI.  hàb 

vous  récilcr  des  vers  |)lii8  beaux  encore.  Il  n'y  eut  des  croyanLs 
dans  celle  tribu  qu'après  Tarrivéc  du  Prophète  à  iMédinc, 
après  une  résidence  d'un  an  ou  deux  dans  cette  ville,  après 
les  combats  de  Bedr,  d'O'hod  et  la  guerre  du  Fossé.  Trois  ou 
quatre  ans  après,  les  hommes  de  cette  tribu  furent  croyants 
comme  les  autres,  firent  la  prière  et  récitèrent  le  Coran. 

Au  bout  de  cette  année,  Moç^ab  retourna  à  la  Mecque,  pour 
rendre  compte  au  Prophète  de  ces  événements.  Soixante  et 
dix  personnes  des  chefs  et  des  principaux  habitants  de  Médine, 
tels  que  [Berà,]  fils  de  MaVour,  ^Abdallah,  fils  d'^Amrou, 
Abou-Djâbir,  et  Djâbir,  fils  d'^'Vbdallah,  et  les  autres  chefs 
qui  étaient  devenus  croyants,  accompagnèrent  Moç^ab,  afin 
de  ramener  avec  eux  le  Prophète.  Les  douze  personnes  qui 
avaient  prêté  serment  à  Mo^hammed  lors  du  pèlerinage 
avaient  fixé  un  rendez-vous  oii  elles  se  réuniraient  avec  lui, 
à  *Aqaba,  pour  lui  prôter  serment  [de  nouveau]  et  pour  l'em- 
mener à  Médine.  Le  Prophète  en  parla  à  *Abbâs,  qui  dit  : 
J'irai  avec  toi,  et  verrai  ces  hommes. 

La  nuit  du  rendez -vous  étant  arrivée,  les  soixante  et  dix 
hommes  de  Médine  se  réunirent  sur  la  colline  d^Aqaba; 
'Abbâs  et  le  Prophète  s'y  rendirent  de  leur  côté.  ^Abbas  adhé- 
rait encore  à  la  religion  des  Qoraïschites  ;  mais  il  voulut 
confier  lui-même  le  Prophète  entre  leurs  mains.  Lorsqu'ils 
parurent  au  haut  de  la  colline,  tous  les  hommes  se  levèrent 
et  leur  témoignèrent  du  respect.  Le  Prophète  prit  le  pre- 
mier la  parole,  et  leur  exposa  les  dogmes  de  sa  religion.  Ils 
répliquèrent  :  Nous  avons  accepté  cette  foi,  et  nous  sommes 
venus  pour  t'cmmener  avec  nous,  afin  que  tu  y  sois  à  ton  aise, 
et  que  nous  ayons  le  plaisir  de  t'avoir.  Le  Prophète  leur  fit 
prêter  le  même  serment  qu'il  avait  reçu  des  douze,  en  y  in- 
troïluisant  seulemenl  l'obligation  pour  eux  de  combaHre  ses 


446  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

ennemis,  de  le  protéger  comme  eux-mêmes,  et  de  sacrilier 
leurs  corps  et  leurs  biens,  jusqu'à  ce  que  la  religion  soit  ré- 
pandue partout.  Ils  acceptèrent  toutes  les  clauses  de  ce  ser- 
ment, qui  est  appelé  serment  de  la  guerre  ou  second  serment. 
Puis  le  Prophète  tendit  la  main  pour  recevoir  rengagement, 
et  le  premier  qui  mit  sa  main  dans  celle  de  Mo^hamnied  fut 
Berà,  fils  de  Ma'rour,  d'autres  disent  As'ad,  fils  de  Zorâra; 
d'autres  encore,  Abou'l-Haïtham,  fils  de  Tayyahàn.  Tous,  au 
nombre  de  soixante  et  dix,  prêtèrent  le  serment. 

Ensuite  ^Abbâs,  fils  d'^Abdou'l-Mottalib,  prit  la  parole  et 
dit  :  0  hommes  d'Aus  et  de  Khazradj,  vous  êtes  tous  des 
hommes  notables  et  d'un  rang  élevé.  Vous  êtes  venus  ici , 
supportant  des  fatigues,  et  moi  je  suis  venu  pour  bien  établir 
nos  conventions.  Il  est  vrai  que  je  ne  suis  pas  partisan  de  la 
religion  de  Mo'hammed  ;  mais  il  est  le  fils  de  mon  frère,  mon 
enfant,  ma  chair  et  mon  sang.  Sachez  que  MoMiammed  est,  à 
la  Mecque,  au  milieu  de  ses  compatriotes,  bien  à  son  aise; 
personne  n'ose  le  loucher;  car  de  toutes  les  tribus  celle  des 
Benî-Hâschim  est  la  plus  puissante.  Mais  il  a  détourné  son 
cœur  des  Qoraïschites  et  désire  se  rendre  au  milieu  de  vous. 
Aujourd'hui,  les  Qoraïschites  le  respcclent;  mais  demain, 
quand  il  les  aura  quittés  et  qu'il  aura  rompu  tout  lien  avec 
eux,  ils  se  sentiront  humiliés,  et  une  guerre  sanglante  éclatera 
entre  eux  et  lui.  Tous  les  Arabes  du  monde  se  joindront  aux 
Qoraïschites  et  seront  avec  eux;  ils  tireront  leurs  épées  et 
se  tourneront  contre  vous.  Si  alors  vous  deviez  abandonner 
Mo^hammed,  ii  vaudrait  mieux  le  laisser  aujourd'hui  au  milieu 
de  ses  compatriotes.  Les  soixante  et  dix  hommes  de  Médine 
acceptèrent  ces  paroles  et  renouvelèrent  leur  serment,  en 
engageant   de  nouveau  leur  vie.  Ils  dirent  à  'Abbas  :  Nous 
l'avons  reçu   d'ahoi*d  de  Dieu,  maintenant  nous  le  recevons 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LWVf.  447 

de  tes  mains.  Nous  sacrifierons  noire  sang  et  nos  biens  pour 
Dieu  et  son  prophète;  nous  en  prenons  pour  témoin  d'abord 
Dieu,  ensuite  toi,  qui  es  Tonde  du  Prophète. 

Ensuite  le  Prophète  parla  ainsi  :  Vous  n'avez  ici  pour  ga- 
rant que  Dieu.  Désignez  parmi  vous  des  mandataires  {nâqî- 
bân)  qui  s'engagent  pour  vous.  Alors  douze  hommes  d'entre 
les  soixante  et  dix  furent  désignées,  neuf  d'entre  les  Khazradj 
et  trois  d'entre  les  Aus.  Voilà  nos  chefs,  dirent-ils;  tous  les 
habitants  de  Médine  obéissent  à  leurs  ordres;  voilà  nos  man- 
dataires. Ceux-ci  affirmèrent  de  nouveau  par  serment  qu'eux 
et  tous  les  hommes  présents,  comme  tous  les  habitants  de 
Médine,  étaient  d'accord.  Ils  ajoutèrent  :  Nous  allons  envoyer 
un  messager,  afin  que  tous  les  habitants  de  notre  ville  vien- 
nent avec  leurs  armes;  tu  n'y  trouveras  aucun  adversaire;  et 
s'il  y  a  quelqu'un  qui  te  fasse  opposition,  nous  le  tuerons  im- 
médiatement. Le  Prophète  fut  très-heureux  et  les  remercia. 
Ensuite  il  dit  à  Mbbâs  :  0  mon  oncle,  j'espère  que  Dieu  con- 
duira à  bien  celte  affaire,  et  propagera  ma  religion  parmi 
ces  gens;  car  ces  chefs  et  naqîb  qui  ont  fait  acte  d'accepta- 
tion sont  au  nombre  de  douze,  comme  étaient  les  disciples 
de  Jésus,  par  lesquels  Dieu  a  répandu  la  religion  de  Jésus 
dans  le  monde  entier. 

Abou'l-Haïtham,  fils  de  Tayyahân,  était  l'un  des  naqîb  de 
la  tribu  d'Aus;  mais  c'était  un  des  principaux  d'entre  eux;  il 
était  un  allié  des  Benî-^Abdou'1-Aschhal.  Il  dit  à  ^Abbâs  : 
0  homme  excellent,  il  reste  quelque  chose  à  dire  que  per- 
sonne n'a  encore  dit  et  que  je  ne  peux  pas  passer  sous  silence. 
—  Parle,  lui  dit  ^Abbàs.  L'autre  reprit  :  Toutes  les  condi- 
tions que  l'apôlre  de  Dieu  nous  a  posées  ont  été  acceptées 
par  nous;  nous  y  avons  mis  comme  prix  nos  existences.  Nous 
aussi,  nous  avons  une  condition  h  poser.  —  Ouelle  est-elle? 


448  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

demanda  ^\bbàs.  Abou'I-HaîthaDi  répandit  :  Il  existe  depuis 
longtemps,  du  temps  de  nos  pères,  entre  nous  et  les  QoraF- 
schiles  et  tous  les  Araf>es  du  désert  des  relations  d^amitié. 
Nous  acceptons  toutes  ces  obligations,  et  nous  défendrons  le 
Prophète.  En  faisant  cela ,  nous  aurons  pour  ennemis  tous 
ces  hommes,  et  le  fléau  de  la  guerre  éclatera  entre  nous  et  les 
Qoraïschites  et  les  Arabes.  Il  ne  faudra  pas  que,  lorsque  le 
Prophète  aura  triomphé,  qu'il  aura  le  pouvoir  et  qu'il  régnera 
sur  tous  les  Arabes,  il  forme  le  désir  de  retourner  dans  sa 
patrie,  et  qu'il  revienne  à  la  Mecque,  au  milieu  de  ses  com- 
patriotes, en  nous  abandonnant  en  butte  aux  hostilités  des 
Arabes.  Le  Prophète  dit  :  Je  suis  un  des  vôtres,  je  veux  vivre 
et  mourir  parmi  vous.  Ces  paroles  leur  causèrent  une  grande 
joie.  Ensuite  ils  se  dispersèrent.  Le  lendemain,  ils  se  dispo- 
sèrent au  départ. 

Le  bruit  s'était  répandu  à  la  Mecque  que  les  gens  de 
Médine  avaient  pris  un  engagement  avec  Mo^hammed.  Les 
Mecquois  se  réunirent  et  expédièrent  aux  soixante  et  dix  un 
message  ainsi  conçu  :  Nous  avons  entendu  dire  que  vous  vou- 
lez emmener  avec  vous  Mo^hammed  à  Médine,  et  que  vous 
vous  êtes  engagés  envers  lui  à  nous  faire  la  guerre.  Quoique 
nous  soyons  en  état  de  vous  résister,  nous  éprouverions  de  la 
peine  à  combattre  contre  vous;  car  vous  êtes  nos  voisins.  Les 
gens  de  Médine  répondirent  par  des  dénégations,  en  disant 
qu'ils  n'avaient  de  cela  aucune  connaissance.  Los  messagers 
rapportèrent  cette  réponse  aux  Mecquois. 

L'un  des  naqtb  de  Médine,  ^Abbâs,  fds  d"Obâda,  fds  de 
Nadhia,  remarqua  aux  pieds  de  l'un  des  grands  personnages 
de  la  Mecque,  ^Hârith,  fils  de  Hischâm,  fils  de  Moghaïra 
al-Makhzoumi,  frère  d'Abou-Djahl,  une  paire  de  souliers 
fort  beaux.  'Abbàs  dit  en  plaisantant  à  l'un  des  Anrâr,  Djâ- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXVI.  449 

bir,  fils  d'^Abdallah  :  Tu  es  Tun  des  plus  grands  personnages 
de  Médine,  mais  tu  n'as  pas  à  tes  pieds  de  si  beaux  souliers 
que/Hârith.  Celui-ci,  ayant  entendu  ces  paroles,  ôta  ses  sou- 
liers, les  jefa  à  ^Abbâs,  et  s'en  alla  pieds  nus.  Djâbir  dit  à 
^Abbâs  :  Il  n  est  pas  convenable  qu'un  homme  considérable 
aille  nu-pieds;  il  faut  courir  après  lui  et  lui  rendre  ses  sou- 
liers. ^Abbâs  répliqua  :  Je  ne  les  lui  rendrai  pas;  j'en  tire  un 
présage  :  si  Dieu  fait  réussir  notre  pacte,  nous  enlèverons 
aux  Mecquois  tous  leurs  biens,  comme  je  viens  d'enlever  ces 
souliers. 

Outre  les  soixante  et  dix,  beaucoup  d'autres  pèlerins  de 
Médine  étaient  venus  à  la  Mecque,  avec  un  chef,  qui  était 
l'homme  le  plus  considérable  de  Médine.  Celui-ci  n'était  pas 
informé  de  l'alliance  entre  les  gens  de  Médine  et  Mo^hammed. 
Les  habitants  de  la  Mecque  se  rendirent  auprès  de  lui  et  l'in- 
terrogèrent. Il  répondit  :  Je  n'en  ai  aucune  connaissance;  ces 
hommes  n'oseraient  pas  faire  une  telle  chose  sans  moi.  Les 
Mecquois  se  fièrent  à  ces  paroles. 

Ensuite,  le  Prophète  partit  avec  ces  hommes  et  arriva  à 
Médine. 

Mo^hammed  ben-Djarir  rapporte  un  fait  qui  est  fort  peu 
croyable.  II  dit  :  Lorsque  Mo^hammed  arriva  à  Médine,  11  fit 
construire  une  mosquée  sur  l'emplacement  d'un  verger  de  dat- 
tiers et  d'un  cimetière,  qu'il  avait  achetés.  Il  fit  arracher  les 
arbres  et  retirer  les  cadavres  de  leurs  tombeaux,  ensuite  il  y 
fit  bâtir.  Mais  cela  ne  peut  pas  être;  c'est  un  fait  inouï,  et  il 
ne  faut  pas  croire  une  telle  chose  du  Prophète.  Quoique  ces 
morts  fussent  des  infidèles,  un  lieu  d'adoration  n'a  cepen- 
dant pas  assez  d'importance  pour  qu'on  arrache  des  morts  de 
leurs  tombeaux  et  pour  qu'on  détruise  un  champ  cultivé.  Les 
hommes  intelligents  rejettent  un  tel  fait. 

II.  90 


450  CHRONIQUE  DE  TABARf. 

On  raconte  aussi  que,  lorsque  le  Prophète  voulut  se  rendre 
à  Médine,  il  vint  d'abord  avec  Abou-Bekr  dans  une  caverne, 
et  que  c'est  de  là  qu'il  partit  pour  Médine,  accompagne  seu- 
lement d'Aboo-Bekr. 

CHAPITRE  LXXVII. 

ARBlviE  DC  PROPHETE  ET  D'ABOU-BEKR  À  MEDINE. 

On  rapporte  que,  dans  la  première  année  de  la  Fuite, 
le  premier  chez  qui  le  Prophète  se  logea  à  Médine  fut  un 
honune  nommé  Kolthoum.  D'autres  prétendent  que  ce  fut 
chez  As^ad,  fils  de  Zorâra,  surnommé  Abou-Omâma,  appar- 
tenant à  la  tribu  des  Naddjâr,  et  l'un  des  douze  qui  avaient 
prêté  le  premier  serment  d'^Aqaba.  As^ad,  iils  de  Zorâra, 
mourut,  et  les  Bent-Naddjâr  dirent  à  Mo^hammed  :  Ô  apôtre 
de  Dieu,  donne-nous  un  naqtb.  Le  Prophète  répondit  :  Dési- 
gnez vous-mêmes  quelqu'un,  car  je  suis  un  des  vôtres,  vous 
êtes  mes  oncles.  Encore  aujourd'hui,  les  Benî-Naddjâr  se 
font  gloire  de  cette  parole.  Mo^hammed  les  appela  ses  oncles , 
parce  que  sa  mère  Amina  était  la  fille  de  Wahb,  qui  avait 
épousé  une  femme  des  Beni-Naddjâr  de  Médine.  Lorsque 
Amiûa  reçut  son  fils,  âgé  de  cinq  ans,  des  mains  de  ^Halîma, 
elle  l'emmena  à  Médine,  pour  le  présenter  à  ses  oncles,  les 
Beni-Naddjâr;  ensuite,  en  le  ramenant  à  la  Mecque ,  elle  mou- 
rut, comme  nous  l'avons  rapporté. 

.  Lorsque  le  Prophète  vint  à  Médine,  *Aïscha,  qu'il  avait 
épousée  deux  ans  auparavant  à  la  Mecque,  avait  neuf  ans. 
Il  ordonna  à  Abou-Bekr  de  faire  venir  sa  famille  à  Médine. 
Abou-Bekr  fit  parvenir  à  son  fils  'Abdallah,  à  la  Mecque, 
l'ordre  d'amener  à  Médine  sa  mère  et  ses  sœurs  'Âïscha  et 
Esmâ  Dsât  en-Natâqaïn,  femme  de  Zobaïr,  fils  d^Awwâm. 


^ 


PARTIE  11,  CHAPITHE  LXXVII.  451 

Quand  Zobaïr  arriva  à  Médine,  sa  femme  Ësmâ  était  enceinte, 
el  'Abdallah,  fils  de  Zobaïr,  naquit  h  Médine.  Les  juifs  de  Khaï- 
bar  prétendaient  avoir  jeté  un  sort  sur  tous  les  partisans  de  la 
religion  de  Mo'kammed,  tant  sur  ceux  qui  étaient  venus  de  la 
Mecque  que  sur  ceux  de  Médine.  Il  ne  leur  nattra  pas  d'en- 
fants, avaient-ils  dit,  ni  mâles,  ni  femelles;  et  ils  avaient  fait 
dire  aux  habitants  de  la  Mecque  :  Soyez  contents,  nous  avons 
enrayé  la  descendance  de  Mo'hammed  et  de  ses  adhérents  : 
quand  il  mourra ,  sa  race  sera  éteinte.  Les  Mecquois  en  furent 
très-heureux,  tandis  que  les  compagnons  du  Prophète,  étant 
informés  de  cela,  furent  affligés.  Mo'hammed  leur  dit  :  Ne  vous 
affligez^pas,  car  Dieu  m'a  donné  la  promesse  que  ma  religion 
durera  jusqu'au  jour  de  la  résurrection  ;  vous  aurez  des  enfants 
et  des  descendants.  Or,  cette  même  année,  naquit,  parmi  les 
réfugiés, 'Abdallah ,  fils  de  Zobaïr,  ce  que  les  musulmans  firent 
valoir  très-haut;  car  les  paroles  de  Mo'hammed  furent  justifiées 
parmi  eux,  tandis  que  les  juifs  reçurent  un  démenti.  Dans  cette 
même  année,  le  Prophète  conduisit  'Aïscha  dans  sa  maison. 
'Âïscha  a  dit  :  Il  y  a  sept  points  par  lesquels  je  me  dis- 
tingue de  toutes  les  femmes  du  Prophète,  et  qui  font  ma 
gloire.  C'est  que,  d'abord,  Gabriel  est  venu  trouver  le  Pro- 
phète en  empruntant  ma  figure.  Ensuite,  je  n'avais  que  sept 
ans  lorsque  la  Prophète  m'a  épousée,  et  neuf  ans  lorsqu'il 
m'a  conduite  dans  sa  maison.  Troisièmement,  il  a  eu  en  moi. 
une  vierge,  personne  ne  m'ayant  possédée,  tandis  que  toutes 
ses  autres  femmes  avaient  eu  des  époux  avant  lui.  Quatriè- 
mement, quand  Gabriel  venait  lui  apporter  une  révélation 
pendant  qu'il  était  couché  avec  une  de  ses  femmes,  le  Pro- 
phète sortait,  se  purifiait  en  versant  de  l'eau  sur  sa  tête,  et 
écoutait  ensuite  la  parole  de  Dieu;  tandis  que,  quand  Gabriel 
venait  pendant  qu'il  était  couché  avec  moi,  il  ne  me  quittait 


452  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

pas,  el  écoulait  la  révélation,  tout  eu  restant  auprès  de  moi. 
Aussi  a-t-il  dit  que  de  toutes  les  femmes  celle  qui  lui  était  la 
plus  chère  était  ^Aïscha,  et  le  plus  cher  de  tous  les  hommes, 
le  père  d'^Âïscha,  Abou-Bekr.  Cinquièmement,  lorsque  'Abd- 
allah, fils  d'Obayy  et  les  hypocrites  m'avaient  calomniée* 
Dieu  a  révélé  pour  ma  justification  quinze  versets  du  Coran, 
que  Ton  récitera  jusqu'au  jour  de  la  résurrection.  Sixième- 
ment, moi  seule,  de  toutes  les  femmes  du  Prophète,  j ai  vu 
Gabriel,  qu'aucune  autre  personne  na  vu.  Septièmement, 
c'est  dans  ma  demeure  que  le  Prophète  est  mort;  c*est  là 
qu'il  était  venu  lorsqu'il  tomba  malade.  Ces  distinctions,  dont 
s'est  glorifiée  'Aïscha,  ne  sont  pas  contredites  par  d'autres 
traditions,  sauf  en  ce  qu'elle  dit  de  Gabriel,  qui  serait  venu 
trouver  le  Prophète  sous  la  forme  d'^Âïscha.  Il  y  a,  à  cet 
^ardy  un  désaccord  que  Mo'hammed  ben-Djarîr  n'a  pas 
mentionné.  Cependant  il  est  dit  dans  d'autres  traditions  que 
Gabriel  est  venu  trouver  le  Prophète  sous  la  forme  de  DiMiya 
le  Kclbite,  qui  était  le  plus  bel  homme  parmi  les  Arabes. 

Dans  cette  même  année,  Dieu  ordonna  la  prière  de  quatre 
rak^at  (inclinations) ,  tandis  que,  à  l'origine,  à  la  Mecque ,  elle 
ne  fut  que  de  deux  rak^aU  Dans  l'année  même  de  l'arrivée 
du  Prophète  à  Médine,  Dieu  ordonna  pour  la  première  et  la 
deuxième  prière,  et  pour  la  prière  du  coucher,  quatre  rak'aty 
et  deux  pour  la  prière  du  matin  et  celle  du  voyage,  comme 
à  l'origine. 

CHAPITRE  LXXVIII. 

LE  PROPHÈTE  FIXE  L^ANNis  BT  LE  MOIS  DE  L'EBE  DE  L'HEGIME. 

Dans  l'année  même  de  la  Fuite,  le  Prophète  ordonna  de 
dater  les  lettres  et  les  actes  à  partir  de  cette  année-là,  comme 


PARTIE  il,  CHAPITRE  LXXVIII.  453 

poiul  (le  départ  d'une  ère.  L'usage  de  compter  le3  années  à 
partir  d'une  ère  est  très-ancien  chez  les  Arabes  et  chez  les  Per- 
sans, comme  chez  toutes  les  nations  dans  toutes  les  contrées. 
Quand  il  se  passait  un  événement,  comme  par  exemple  Tavé* 
nement  d'un  roi  ou  une  guerre  entreprise  par  un  roi,  ou  une 
famine,  ou  quelque  autre  fait  important,  dont  la  renommée 
s'était  répandue  dans  le  monde,  on  le  prenait  comme  point  de 
départ  d'une  ère,  et  l'on  datait  les  lettres  et  les  actes,  tel  jour, 
tel  mois  et  telle  et  telle  année  depuis  tel  grand  événement, 
qui  servait  d'ère.  Puis,  s'il  se  passait  un  autre  fait  important, 
on  comptait  à  partir  de  ce  dernier  fait,  en  abandonnant  le 
précédent.  Tel  était  l'usage  des  habitants  de  la  terre.  Cette 
manière  de  compter  est  très-ancienne,  parce  qu'il  est  absolu- 
ment nécessaire  de  connaître  l'époque  où  chaque  écrit  a  été 
fait.  Or  on  ne  connaît  pas  exactement  l'espace  de  temps  qui 
s'est  écoulé  depuis  que  Dieu  a  créé  le  monde.  On  avait  établi 
un  comput  depuis  l'apparition  d'Adam  sur  la  terre  jusqu'à  sa 
mort,  ensuite  depuis  le  déluge  de  Noé;  car  ce  sont  des  évé- 
nements importants  dans  le  monde.  On  aurait  bien  pu  comp- 
ter à  partir  de  cette  époque;  mais  on  ne  sait  pas  exactement 
depuis  combien  de  temps  ces  événements  ont  eu  lieu;  il  y  a 
désaccord  sur  chacun  d'eux.  Par  conséquent,  il  est  nécessaire 
pour  tous  les  hommes  et  tous  les  peuples  de  prendre  comme 
point  de  départ  d'une  ère  quelque  grand  événement  qui  s'est 
passé  parmi  eux.  On  dit  que  les  descendants  d'Abraham  comp- 
taient les  années  à  partir  de  l'époque  où  il  fut  jeté  dans  le 
feu.  Plus  tard,  parmi  les  Arabes,  chaque  événement  important 
survenu  parmi  eux  servait  de  point  de  départ  d'une  ère.  Or, 
au  temps  de  Qoçayy,  (ils  de  Kclâb,  il  survint,  parmi  les  Béni- 
Nezâr  et  les  Bcnf-Ma^add  ben-*Adnân,  un  événement  mémo- 
rable. 11  y  avait,  à  cette  époque,  chaque  année,  à  un  endroit 


454  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

nomme  ^Okâzh,  une  foire  de  sept  jours,  où  se  réunissaient 
tous  les  Arabes  du  ^Hedjâz,  de  Syrie ,  du  désert,  du  BaMiraïn , 
du  YemÂma,  du  Yemen  et  de  toutes  les  autres  contrées.  Une 
certaine  année,  lora  de  cette  réunion,  il  éclata  une  guerre 
parmi  oui,  dans  laquelle  un  grand  nombre  d'hommes  furent 
tués.  C'était  un  événement  important,  dont  le  bruit  s'était  ré- 
pandu dans  le  monde  entier,  jusque  dans  le  pays  de  Rouni , 
dans  la  Perse  et  dans  la  Mésopotamie.  Les  Arabes  donnaient 
à  cette  année  le  nom  de  ^(}m,  et  comptaient  à  partir  de  cette 
année.  Plus  tard,  ce  fut  Tannée  de  TÉléphant  qui  servit  de 
point  de  départ  d'une  ère.  Les  Abyssins  ayant  amené  d'Abys* 
ainie  un  éléphant  pour  détruire  le  temple  de  la  Ka^ba,  Dieu 
les  avait  fait  périr.  C'était  également  un  événement  impor- 
tant, dont  le  bruit  s'était  répandu  dans  le  monde  entier.  Puis, 
'  lorsque  le  Prophète  eut  atteint  l'âge  de  quinze  ans,  et  que  les 
habitants  de  la  Mecque  entreprirent  de  démolir  et  de  reconsr 
bruire  le  temple  de  la  Ka^ba,  cet  événement,  également  impor- 
tant, servit  de  point  de  départ  d'une  ère  parmi  les  habitants 
de  la  Mecque,  tandis  que  les  autres  Arabes  continuaient  de 
compter  à  partir  de  l'année  de  TÉléphant. 

Lorsque  le  Prophète  vint  à  Médine,  il  ordonna  de  compter 
ie  temps  a  partir  du  jour  de  la  fuite,  parce  que  cet  événe- 
ment  était  important,  et  que  ce  jour  l'islamisme  se  manifesta. 
Ce  jour  est  devenu  mémorable,  et  cette  ère  est  restée  jusqu'à 
aujourd'hui;  car,  depuis  lors,  aucun  événement  plus  impor- 
tant ne  s'est  passé,  pour  motiver  un  changement  d'ère,  et  il 
n'arrivera  jamais  qu'elle  soit  changée. 

Mo^hammed  ben-Djarir,  dan»  cet  ouvrage,  dit  que,  d'après 
une  tradition,  ce  n'est  pas  le  Prophète  lui-même  qui  établit 
cette  ère;  que,  du  temps  du  Prophète,  on  ne  comptait  pas  les 
années,  et  que  cette  ère  fut  établie  après  lui.  Ouelques-uns 


PABTIE  II,  CHAPITRE  LXXVIII.  455 

prélendent  qu*elle  fut  fixée  du  temps  d*Abou-Bekr,  par  son 
lieutenant  dans  le  Yemen,  nomme  YaUa,  fils  d'Omayya.  D'au- 
tres disent  qu  elle  a  été  établie  par  ^Omar,  fils  d'Al-Kbattâb, 
dans  les  circonstances  suivantes  :  Abou-Mousa  al-Asch^arf 
lui  écrivit  un  jour  que  les  lettres  du  prince  des  croyants  Iqi 
arrivant  toujours  sans  être  datées,  il  ne  savait  pas  à  quelle 
époque  remontaient  ses  ordres ,  et ,  pour  qu  il  le  sût ,  il  faudrait 
dater  les  lettres.  ^Omar,  trouvant  qu  Abou-Mousa  avait  raison , 
établit  alors  Tannée  de  la  Fuite.  Mo^hammed  ben-Djarir  rap* 
porte  une  autre  version ,  d'après  laquelle  le  fait  se  serait  passé 
ainsi  :  Un  jour,  ^Omar  lisant  un  écrit  où  la  date  était  mar- 
quée, on  lui  fit  observer  que  c'était  l'usage  des  Perses  de  dire  : 
tel  jour  de  tel  mois,  en  telle  année  depuis  l'année  où  tel 
événement  mémorable  s'est  passé.  ^Omar,  trouvant  cette  cou- 
tume trës-bonne,  réunit  tous  les  compagnons  du  Prophète 
et  leur  dit  :  Nous  allons  compter  nos  années  à  partir  de  Tan- 
née de  la  naissance  du  Prophète,  car  il  n'y  en  a  pas  de  plus 
sacrée  pour  les  musulmans.  Quelques-uns  répliquèrent  : 
Comptons  à  partir  de  Tannée  où  il  reçut  sa  mission  prophé- 
tique, qui  est  plus  sacrée;  car  c'est  le  moment  de  Torigine  et 
de  l'apparition  de  l'islamisme.  ^Omar  dit  :  Comptons  à  partir 
du  jour  où  le  Prophète  effectua  sa  fuite  à  Médine;  car  en 
cette  année  se  manifesta  le  pouvoir  de  Tislamisme,  la  vérité 
s'affermit  et  Terreur  fut  confondue;  aucun  fait  plus  important 
que  celui-là  n'est  survenu  dans  le  monde.  Par  conséquent. 
Tannée  de  la  Fuite  fut  établie  comme  ère. 

Les  traditionnistes  et  les  chronologistes  regardent  avec  rai- 
son la  première  version  comme  plus  vraie.  En  effet,  une  ère 
est  une  chose  généralement  connue,  qui  ne  peut  être  ignorée, 
par  personne ,  et  ^Omar  eu  connaissait  l'usage.  11  est  constant, 
d'après  des  traditions  avérées,  que  les  Arabes  comptaient  au- 


456  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

ciennenient  à  partir  de  Tannée  de  TEléphaut  cl  à  partir  de 
la  reconstruction  de  la  Ka^ba.  11.  n  est  donc  pas  possible  que 
le  Prophète  ait  négligé  cet  usage,  et  qu  ^Omar  ait  dâ  en  élre 
informé,  pour  rétablir.  On  rapporte  une  parole  du  Prophète , 
que  nous  allons  transcrire,  quoiqu'elle  ne  se  trouve  pas  dans 
cet  ouvrage  [de  Tabari] ,  qui  est  inexact  en  ce  qui  concerne 
rétablissement  de  Tère  de  THégire.  Le  Prophète  a  dit  :  «r  Certes , 
le  temps  est  revenu  en  sa  révolution  au  jour  où  furent  crées 
les  cieux  et  la  terre.  L'année  se  compose  de  douze  mois ,  et 
tbaque  mois  a  trente  jours.  Quatre  de  ces  mois  sont  sacrés  : 
redjeb  et  trois  autres  consécutifs  :  dsou  1-qaMa ,  dsou'1-^hid- 
dja  et  mo^harrem.7)  La  raison  de  cette  parole  était  que  les 
Arabes  rejetaient  chaque  année  Tun  des  douze  mois,  en  di- 
sant, au  mois  de  redjeb,  quils  s'abstiendraient  pendant  ce 
mois  de  faire  la  guerre,  et  qu'ils  ne  compteraient  cette  année 
que  de  onze  mois.  Quelquefois  ils  déclaraient  qu'ils  feraient  la 
guerre  pendant  ce  mois,  et,  la  guerre  terminée,  ils  tiendraient 
pour  sacré  à  sa  place  le  mois  de  scha^bân  ou  de  ramadhân. 
Us  appelaient  ces  mois  nwaà\  au  singulier  naB\\  c'est-à-dire 
retard,  parce  qu'ils  transportaient  la  sainteté  du  mois  de  re- 
djeb au  mois  de  ramadhân  ou  à  un  autre  mois.  Or,  une  certaine 
année,  ils  avaient  observé  la  sainteté  du  mois  de  redjeb,  et 
n'avaient  pas  fait  la  déclaration  relative  à  la  guerre  ;  et ,  Tannée 
suivante.  Dieu  révéla  ce  verset  :  «rLe  nasi  (retard)  est  un  sur- 
croît d'infidélité,  10  etc.  (Sur.  ix,  vers.  87.)  Ensuite  Dieu  or- 
donna au  Prophète  de  porter  de  nouveau  Tannée  à  douze  mois , 
comme  il  est  dit  dans  le  Coran:  rrLe  nombre  des  mois  est  de 
douze  devant  Dieu,^)  etc.  (Sur.  ix,  vers.  36.)  Donc  ces  ma- 
nières de  compter  le  temps  ont  été  révélées  d'en  haut.  Depuis 
qu'il  y  a  des  hommes  sur  la  terre ,  ils  en  ont  eu  besoin ,  et  quant 
aux  grandes  époques,  ils  les  comptaient  à  partir  d'une  année 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXIX.  457 

où  il  était  survenu  un  événement  important.  Puisque  le  Pro- 
phète réglait  Tannée  et  les  mois,  comment  aurait-il  pu  négli- 
ger rère?  La  version  de  Mo^hammed  ben-Djarir  est  d'ailleurs 
contestée  par  les  savants.  La  véritable  ère  a  été  établie  par  le 
Prophète;  elle  subsiste  encore  aujourd'hui,  parce  que  depuis 
la  fuite  il  ne  s^est  point  passé  d'événement  plus  important, 
pour  que  cette  ère  ait  dû  être  changée. 

J'ai  vu  à  Baghdâd  quelques  Schi^ites  qui  me  disaient  qu'ils 
comptaient  les  années  à  partir  du  meurtre  de  ^Hosaïn,  Gis 
d'^Alî,  parce  que  c'était  un  grave  événement,  où  le  sang  de 
'Hosaïn  fut  versé  sur  la  terre.  Cette  ère  aussi  s'explique  par 
le  fait  que  les  hommes  prennent  toujours  pour  point  de  dé- 
part de  leurs  computs  quelque  événement  important  qui  s'est 
passé  au  milieu  d'eux.  Ainsi  encore,  j'ai  entendu  dire  à  Bagh- 
dâd qu'en  Syrie,  aux  environs  de  Damas,  il  y  a  des  adver- 
saires d'^Ali,  des  gens  orthodoxes,  qui  ont  un  extrême  atta- 
chement pour  Mo^awiya,  et  qui  comptent,  non  à  parlir  de 
l'Hégire,  mais  à  paitir  du  jour  de  la  mort  de  Mo^awiya. 

Le  Prophète  a  donc  établi  l'ère  de  la  Fuite,  parce  que  la 
fuite  est  un  événement  important  pour  les  musulmans;  et 
depuis  lors  aucun  autre  événement  plus  important  n'est  sur- 
venu. C'est  pour  cette  raison  que  les  musulmans  suivent  l'ère 
de  la  Fuite.  Les  mages  ont  une  ère  qui  commence  à  l'année 
où  fut  tué  Yezdedjerd,  fils  de  Schehryâr. 


CHAPITRE  LXXIX. 

FUITE  DU  PROPHÈTE  AVEC  ABOU-BBXR,  DIAPRES  UNE  AUTRE 

VERSION. 

On  rapporte  sur  ia  fuite  du  Prophète  une  autre  tradition  y 


458  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

d'après  laquelle  cette  fuite  aurait  eu  lieu  dans  les  circous- 
tances  suivantes  : 

Après  la  mort  d'Abou-Tâlib,  oncle  du  Prophète,  celui-ci 
fut  en  butte  aux  violences  et  aux  outrages  des  infidèles  »  qui 
enfin  résolurent  de  le  mettre  à  mort  A  cet  effet ,  Walîd,  fila  de 
Moghaïra  ;  Sofyân ,  fils  d'Omayya  ;  Abou-Djahl ,  fils  de  Hischâm  » 
et  Abou-Sofyân ,  fils  de  ^Harb,  se  réunirent  en  secret  pour  déli- 
bérer de  quelle  manière  ils  feraient  périr  Mo^hammed,  qui, 
disaient-ils,  nous  insulte,  nous  et  nos  divinités,  et  qui  veut 
nous  empêcher  d'adorer  les  idoles.  Waltd,  fib  de  Moghaïra, 
dit  :  Enfermons-le  dans  une  maison  et  laissons^le  mourir  de 
faim  et  de  soif.  Abou-Djahl  dit  :  Ceci  n'est  pas  un  bon  avis; 
car  Mo^hammed  a  des  parents  à  la  Mecque,  qui  le  recherche- 
ront et  qui,  s'ils  le  trouvent,  nous  soupçonneront;  alors  il  y 
aura  du  sang  versé  entre  nous  et  les  Beni-Hâschim.  Abou- 
Sofyân,  fils  de  'Harb,  dit  :  Il  faut  le  placer  sur  une  chamelle, 
lui  attacher  fortement  les  mains  et  les  pieds,  et  laisser  courir 
cette  chamelle  dans  le  désert;  elle  le  portera  vers  une  tribu 
étrangère,  où  il  tiendra  aux  gens  ses  discours,  et  ceux-là  le 
tueront  Walîd,  fils  de  Moghaïra,  prit  la  parole  et  dit  :  Cet 
avis  n'est  pas  bon;  car  Mo^hammed  est  un  homme  dont  la 
parole  est  insinuante,  douce  et  agréable;  s'il  tombe  dans  une 
des  tribus  arabes,  il  séduira  les  gens,  qui  se  concerteront  et 
viendront  nous  attaquer.  Cela  ne  serait  pas  prudent.  Ensuite 
on  demanda  l'opinion  d' Abou-Djahl.  Celui-ci  dit  :  Je  pense 
que  nous  devons  choisir  quarante  hommes,  pris  dans  toutes 
les  tribus,  des  hommes  vigoureux,  de  trente  à  quarante  ans, 
que  nous  enverrons  se  poster  à  la  porte  de  Mo'hammed.  Ils  le 
guetteront  à  son  passage;  au  moment  où  il  sortira,  le  soir, 
pour  faire  sa  prière  et  pour  faire  les  tournées  autour  du 
temple,  ils  fondront  sur  lui  avec  leurs  épées  et  le  tueront. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXIX.  A59 

Quand  les  Beni-Hâschim  apprendront  sa  mort,  nous  dirons 
que,  comme  il  a  été  Uxé  par  quarante  hommes  et  que  Ton  ne 
peut  pas  tuer  quarante  personnes  pour  le  talion  d'une  seule, 
nous  consentons  à  payer  le  prix  du  sang,  tel  qu'ils  le  Cieront. 
Ensuite  nous  répartirons  entre  nous  cette  somme,  que  nous 
payerons.  De  cette  façon  nous  serons  débarrassés  de  toute 
difficulté  à  son  endroit.  A  ces  paroles  d'Abou-Djahl ,  Sofyân, 
Gis  d'Omayya,  et  les  autres  assistants  dirent  :  C'est  là  un 
excellent  avis,  ô  Abou'l-^Hikam.  On  prétend  aussi  qu'à  celte 
délibération  assistait  Iblis,  sous  la  figure  d'un  vieil  ermite, 
feignant  de  venir  de  Syrie.  Interrogé  sur  ce  qu'il  pensait  de 
l'avis  que  venait  d'émettre  Abou-DjabI,  il  dit  :  C'est  très-juste 
et  c'est  un  plan  excellent 

Alors  Dieu  envoya  Gabriel  pour  avertir  le  Prophète,  et  lui 
révéla  le  verset  suivant,  en  lui  disant  :  0  Mo^hammed,  récite 
ce  verset  :  ((Lorsque  les  infidèles  complotent  contre  toi,  pour 
te  saisir,  te  tuer  ou  le  chasser.  Dieu  aussi  complote  contre 
eux,v  etc.  (Sur.  viii,  vers.  3o.)  Il  ajouta  :  Va  et  sors  de  la 
Mecque.  Le  Prophète  se  rendit  chez  Aboo-Bekr,  qu'il  informa 
de  ce  qui  se  passait.  Puis  il  dit  à  ^AH  :  Reste,  cette  nuit,  dans 
ma  maison,  et  couche  sur  mon  lit.  ^Ali  fit  ainsi.  Lorsque  la 
nuit  fut  un  peu  avancée,  les  [quarante]  hommes  vinrent  se 
placer  près  de  la  maison  du  Prophète,  chacun  dans  un  coin» 
dans  l'intention  de  tuer  Mohammed,  quand  il  sortirait,  le  ma- 
tin, pour  la  prière.  Mais,  vers  minuit,  ils  se  dirent  enti*e  eux  : 
Allons,  entrons  dans  sa  maison  pour  le  tuer;  car  il  se  pourrait 
qu'au  jour  les  Beni-Hâschim  fussent  avertis,  et  que,  en  nous 
voyant,  ils  reconnussent  que  nous  voulons  tuer  Mo'hammed. 
Us  se  précipitèrent  donc,  tous  ensemble,  dans  la  maison  du 
Prophète.  Ayant  trouvé  seulement  ^Ali,  qui  était  couché,  ils  fu- 
rent désappointés;  ils  lui  demandèrent  où  était  Mo^hammed. 


460  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

^Ali  répondit  qu  il  ne  le  savait  pas.  Il  y  avait  parmi  eux  un 
homme  de  la  tribu  de  Makhzoum ,  nommé  Sorâqa,  fils  de  Ma- 
lik»  qui  dit  aux  autres  :  Puisque  nous  sommes  entrés  ici,  tuons 
celui  que  nous  avons  trouvé,  ensuite  nous  chercherons Mo^ham- 
med.  ^kU,  entendant  ces  paroles,  sauta  de  son  lit,  tira  8on 
ëpée  et  se  mit  à  les  attaquer.  Tous  s'enfuirent;  en  s'en  allant, 
ils  dirent  :  Nous  sommes  venus  pour  chercher  Mo^hammed , 
qu'avons-nous  à  faire  d'^Âli?  ^Âli  n'avait  alors  que  dix-sept  ans. 

Dans  la  même  nuit,  le  Prophète,  accompagné  d'Abou- 
Bekr,  se  mit  en  route  pour  se  rendre  à  Médine.  Il  y  avait  sur 
la  route  une  caverne.  Le  Prophète  dit  à  Âbou-Bekr  :  Il  faut 
nous  cacher  quelque  part,  car  ils  viendront  immédiatement 
à  ma  poursuite.  Ils  entrèrent  donc  dans  cette  caverne,  et  Dieu 
en  cacha  l'entrée  par  un  buisson  d'épines;  d'après  l'ordre  de 
Dieu,  une  araignée  vint  fixer  sa  toile  sur  l'entrée,  et  un  pi- 
geon vint  y  déposer  ses  œufs  et  y  couva  aussitôt  ses  petits. 

Après  avoir  quitté  la  maison  du  Prophète,  les  infidèles 
s'étaient  dit  que,  le  jour  étant  venu,  il  fallait  aller  à  la  re- 
cherche de  Mo^hammed.  Ils  engagèrent  donc  un  guide  con- 
naissant bien  la  route  de  Médine,  marchèrent  sur  les  pas  de 
Mo^hammed,  et  arrivèrent  à  l'entrée  de  cette  caverne.  On  pré- 
tend aussi  qu'Iblis  était  venu  avec  eux  et  leur  servait  de  guide. 
Alors,  perdant  de  vue  les  traces  de  Mo^hammed  et  d' Abou- 
Bekr,  le  guide  dit  :  Je  ne  peux  plus  suivre  leurs  traces;  ce- 
pendant il  fait  grand  jour,  et  je  les  ai  bien  suivies  jusqu  ici; 
il  faut  qu'ils  soient  dans  cetle  fissure.  Les  autres  lui  dirent  : 
Idiot!  cette  fissure  est  couverte  d'une  toile  d'araignée,  et  un 
pigeon  y  a  fait  son  nid  et  a  couvé  des  petits;  si  quelqu'un  y 
était  venu,  cela  ne  serait  pas  ainsi.  Mo^hammed  et  Abou- 
Bekr,  dans  la  caverne,  entendirent  les  voix  de  ces  hommes, 
et  purent  aussi  les  voir.  Abou-Bekr  dit  :  0  apôtre  de  Dieu, 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXX.  461 

les  Qoraïschiles  infidèles  sonl  arrivés,  je  crains  qu  ils  ne  nous 
fassent  périr.  Le  Prophète  répliqua  :  Ne  crains  rien,  car  Dieu 
est  avec  nous;  cela  est  ainsi  rapporté  dans  le  Coran.  (Sur.  ix, 
vers,  /io.)  Voyant  Fiusuccès  de  leurs  recherches ,  les  hommes 
de  la  Mecque  s'en  retournèrent.  Le  Prophète  et  Abou-Bekr 
sortirent  alors  de  la  caverne,  continuèrent  leur  route  et  arri- 
vèrent à  Médinc. 

CHAPITRE  LXXX. 

AUTRE  BiciT  DE  LA  FUITE  DU  PBOPHBTE. 

Lorsque  les  Mecquois  surent  que  soixante  et  dix  personnes 
étaient  venues  de  Médine  et  avaient  fait  un  pacte  avec  Mo^ham- 
med  pour  Temmener  à  Médine,  ils  dirent  :  Nous  ne  connais- 
sons pas  ce  secret,  et  les  Médinois  sont  partis!  Le  Prophète 
ordonna  a  ses  compagnons  de  partir  un  à  un,  ou  deux  à  deux. 
Lui-même  resta  jusqu'aux  premiers  jours  du  mois  de  rabf  a 
premier.  Les  Mecquois  recherchèrent  les  musulmans;  mais  ils 
ne  les  trouvèrent  pas,  car  ceux-ci  étaient  partis.  Alors  Abou- 
Djahl  réunit  les  Qoraïschites  et  leur  dit  :  Mo^hammed  a  fait 
une  alliance  avec  les  gens  de  Médine ,  et  i\  veut  partir.  Si  nous 
ne  Ten  empêchons  pas,  demain  il  aura  acquis  des  forces  et 
nous  fera  périr.  Ayant  pris  rendez-vous,  ils  se  réunirent  tous 
le  lendemain,  et  Iblis,  sous  la  figure  d'un  vieillard  couvert 
du  taïksâtiy  vint  assister  à  leur  délibération.  On  émit  toutes 
sortes  d'avis.  On  disait  :  Nous  ne  pouvons  pas  tuer  Mo^ham- 
med,  parce  que  les  membres  de  sa  famille  sont  trop  nom- 
breux. Iblis  fut  également  de  cet  avis.  Ensuite  on  proposa  de 
chasser  Mo^hammed  de  la  ville.  Iblis  dit  :  Cela  ne  serait  pas 
prudent;  car  Mo^hammed  a  la  parole  insinuante,  et  partout 
où  il  ira  on  l'accueillera.  Il  ajouta  :  Il  ne  reste  qu'à  le  tuer,  mais 


^C,2  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

il  faul  agir  de  Icllc  sorte  que  personne  ne  puisse  s  en  prendre 
à  vous.  Il  faut  faire  venir  des  hommes  de  toutes  les  tribus 
arabes,  un  homme  de  chaque  tribu,  avec  ses  armes,  envahir 
[sa  maison]  pendant  la  nuit,  et  le  tuer,  aCn  que  toutes  les  tri- 
bus soient  complices  de  sa  mort,  et  les  Beni-Hâschim  ne  pour- 
ront pas  tuer  tous  les  Arabes.  On  convint  d  agir  ainsi,  et  Ton  fit 
venir  deux  hommes  de  chaque  tribu.  Gabriel  en  avertit  le  Pro- 
phète, en  lui  apportant  ce  verset  :  rr  Lorsque  les  infidèles  com> 
plotent  contre  toi ,?)  etc.  Il  ajouta  :  Pars  demain  pendant  la  nuit. 

Il  y  avait  entre  les  mains  du  Prophète  de  nombreux  diSpâts 
qui  lui  avaient  éié  confiés.  Il  appela  ^Âli,  fils  d'Abou-Tâlib,  et 
lui  dit  :  Je  partirai  pendant  la  nuit;  toi,  reste  encore  ici  deux 
ou  trois  jours,  pour  rendre  aux  hommes  leurs  dépôts.  Quand 
la  nuit  fut  venue,  le  Prophète  se  rendit  chex  Abou-Bekr. 
Celui-ci  tenait  prêtes  pour  la  fuite  deux  chamelles.  Il  dit  : 
0  apôtre  de  Dieu,  il  y  a,  à  une  parasange  d'ici,  une  mon- 
tagne, dans  laquelle  se  trouve  une  caverne;  c'est  là  qu'il  faut 
aller.  Mo^hammed  dit  :  J'y  irai  à  minuit;  toi,  tu  partiras  après 
moi.  Ensuite  le  Prophète  rentra  dans  sa  maison  et  dit  h  ^Mi  : 
Je  partirai  cette  nuit;  couche-toi  a  ma  place  et  couvre-toi  de 
mon  manteau,  pour  que  les  incrédules  croient  que  je  suis  là. 
Ne  crains  rien ,  ils  ne  pourront  pas  te  tuer.  Rends  les  dépôts 
demain,  et  ensuite  viens  me  rejoindre. 

Abou-Djahl  avait  réuni  les  hommes  des  diiïércntes  tribus, 
qui, pendant  la  nuit,  vinrent  se  cacher.  Ils  virent  le  Prophète 
rentrer  dans  sa  maison,  et  ils  passèrent  la  nuit  à  sa  porte, 
tandis  que  lui  se  coucha  à  Tintérieur.  Quand  la  nuit  fut  un 
peu  avancée,  le  Prophète  se  leva,  fit  coucher  *Alî  à  sa  place 
et  sortit  de  sa  maison. 

Abou-Bekr  dit  à  sa  fille  Esmâ  :  Je  vais  avec  Mo'hammed  dans 
la  montagne;  il  se  pourra  que  nous  y  restions  deux  ou  trois 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXX.  403 

nuits;  apporte-nous  chaque  nuil  de  la  nourriture  et  des  infor- 
mations concernant  les  Qoraïschites.  Abou-Bekr  avait  un  af- 
franchi abyssin,  nommd  ^Amir,  auquel  il  conGa  les  deux  cha- 
melles, en  lui  recommandant  de  les  leur  amener  le  lundi. 
Après  avoir  ainsi  tout  réglé,  le  Prophète  et  Abou-Bekr  par- 
tirent et  entrèrent  dans  la  caverne. 

Quand  le  jour  fut  venu,  et  que  les  inGdèles,  à  la  place  du 
Prophète,  ne  trouvèrent  qu'^Alî,  ils  saisirent  celui-ci  et  lui 
demandèrent  où  était  Mo^hammed.  Qu^en  sais-je?  répondit 
'Alt,  il  s'est  enfui  d'auprès  de  vous.  Ils  l'emmenèrent  à  la  mos- 
quée, et  les  Qoraïschites  s'y  rassemblèrent.  Pendant  quelque 
temps,  'Ali  fut  maltraité;  ensuite  ils  le  laissèrent  libre  et  se 
rendirent  à  la  porte  d'Abou-Bekr,  qu'ils  ne  trouvèrent  pas. 
Alors  ils  firent  proclamer  qu'ils  donneraient  cent  chameaux 
à  poil  roux  à  quiconque  ramènerait  Mo'hammed.  On  alla  de 
tous  côtés;  mais  on  ne  découvrit  aucune  trace. 

A  la  tombée  de  la  nuit,  Esmâ  se  rendit  à  la  caverne  et 
porta  à  manger  à  Mo'hammed  et  à  Abou-Bekr,  et  leur  fit  con- 
naître les  mouvements  des  Qoraïschites.  Ils  restèrent ,  comme 
ils  l'avaient  dit  d'avance,  trois  jours  dans  la  caverne,  jusqu'à 
ce  que  les  Qoraïschites  eussent  cessé  leurs  recherches.  Alors 
Abou-Bekr  ordonna  à  Esmâ  d'apporter,  ce  soir-là,  une  plus 
grande  quantité  de  vivres  et  de  dire  à  'Amir  d'amener  les  cha- 
meaux. La  quatrième  nuit,  ils  sortirent  de'  la  caverne,  mon- 
tèrent sur  les  chameaux  et  prirent  avec  eux  un  guide  pour  les 
conduire  à  Médine  par  un  chemin  détourné. 

On  raconte, au  sujet  d'Esmâ,  fille  d' Abou-Bekr,  le  fait  sui- 
vant, rapporté  par  elle-même  en  ces  termes  :  Le  Prophète 
était  parti  avec  Abou-Bekr,  et  la  troisième  nuit  arriva,  sans 
qu'aucun  de  nous  sût  où  ils  étaient  allés.  Alors  nous  enten- 
dîmes une  voix  qui  sortait  de  dessous  la  Mecque,  et  qui  chan- 


466  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

tait.  Nous  lie  vîmes  personne,  les  hommes  suivirent  la  voix,  et 
j^observai  qu'elle  s'éloignait  vers  les  hauteurs  au-dessus  de  la 
ville.  Voici  ce  qu'elle  chantait  : 

Que  Dieu  récompense  de  la  meilleure  de  ses  r^mpenses  les  deux  com- 
pagnoDS  qui  se  sont  arrêtés  dans  la  double  lente  d^Oumm-Ma'bad  I 

Ils  partent  tous  les  deux,  le  malin,  bien  dirigés.  Heureux  celui  qui  voyaf^ 
comme  compagnon  de  Mo'hammed  ! 

Esroâ  dit  :  En  entendant  ces  paroles,  je  reconnus  qu'ils 
tétaient  partis  pour  Médine. 

Le  Prophète  sortit  de  la  Mecque  le  premier  jour  du  mois 
rabra  premier;  il  fut  trois  jours  dans  la  caverne  et  arriva  le 
douzième  jour  du  mois  à  Mëdine.  il  s'arrêta  à  Qobâ ,  près  de 
Médine,  et  s'assit  sur  une  éminence  de  terrain,  dans  l'ombre. 
Les  habitants  de  Médine,  à  la  nouvelle  de  son  arrivée,  se  ren- 
dirent auprès  de  lui.  Le  Prophète  arriva  à  Qobâ  le  lundi;  le 
vendredi  il  y  fit  la  prière,  après  avoir  prononcé  le  sermon. 
Ensuite  il  monta  sur  son  chameau.  Tous  voulurent  saisir  la 
bride  du  chameau  et  dirent  :  Descends  chez  moi  !  Le  Prophète 
dit  :  Posez  la  bride  sur  le  cou  du  chameau,  il  sait  lui-même  où 
il  doit  s'arrêter.  Le  chameau  marcha  jusqu'à  l'endroit  où  est 
aujourd'hui  la  mosquée.  Là  il  se  mit  à  genoux,  et  le  Prophète 
descendit.  Ce  terrain  appartenait  à  deux  orphelins,  nommés 
Sahl  et  Sohaïl.  Le  Prophète  alla  demeurer  dans  la  maison 
d'un  homme  nommé  Khâlid,  fils  de  Zaïd,  surnommé  Abou- 
Ayyoub,  qui  avait  une  nombreuse  famille  et  point  de  fortune. 
Pendant  qu'il  conduisait  le  Prophète  dans  sa  maison,  chacun 
en  particulier  invita  Mo^hammed  à  venir  demeurer  chez  lui  ; 
mais  le  Prophète  dit  :  La  place  d'un  homme  est  là  où  se 
trouvent  ses  vêtements  et  ses  bagages. 

MoMiammed  fit  acheter  le  terrain  [où  son  chameau  s'était 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXI.  465 

arrêté]  pour  y  construire  la  mosquée,  et  il  demeura  dans  la 
maison  d'Âbou-Ayyoub  jusqu'à  ce  que  la  mosquée  fût  terminée. 
On  construisit  une  demeure  pour  le  Prophète,  tout  à  côté  de 
la  mosquée. 

En  recevant  le  Prophète  chez  lui ,  Abou-Ayyoub  disposa  le 
rez-de-chaussée  de  sa  maison  pour  le  Prophète,  et  lui-même 
demeura  sur  la  terrasse.  On  dit  à  Abou-Ayyoub  :  Cdmment 
as-tu  été  hier?  Il  répondit  :  Comment  peut  se  trouver  un 
homme  qui  a  au-dessus  de  lui  Dieu,  et  au-dessous  de  lui  le 
prophète  de  Dieu? 

CHAPITRE  LXXXI. 

PREMIÈRES  EXPEDITIONS  DU   PROPHETE. 

Lorsque  le  Prophète  eut  quitté  la  Mecque,  les  inGdèles  s'é- 
crièrent :  Nous  en  sommes  débarrassés.  Mais  le  Prophète  ne 
les  laissa  pas  en  repos.  Dieu  lui  donna  la  liberté  des  entre- 
prisés guerrières  et  lui  ordonna  de  prench-e  Toffensive.  Quand 
il  arriva  à  Médine,  il  reçut  le  verset  suivant  :  trTuez  les  infi- 
dèles oii  vous  les  trouverez,  faites-les  prisonniers,  assiégez-les, 
mettez-vous  en  embuscade  contre  eux,  75  etc.  (Sur.  ix,  vers.  5.) 
Il  reçut  aussi  le  verset  suivant  :  <tO  prophète,  combats  les 
infidèles  et  les  hypocrites,  traite-les  sévèrement.?)  (Sur.  ix, 
vers.  7&.)  En  révélant  les  versets  qui  ordonnaient  la  lutte, 
Dieu  abrogea  ceux  qui  avaient  recommandé  aux  croyants  la 
patience. 

Mo^hammed ,  dans  Tannée  même  de  la  fuite ,  expédia  de  Mé- 
dine  des  détachements  pour  couper  le  chemin  aux  caravanes , 
qu'il  fit  enlever  et  dont  il  distribua  les  marchandises  aux  mu- 
sulmans. Ces  troupes  s'avancèrent  jusqu'à  la  Mecque.  Personne 
il.  3o 


466  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

n'osait  plus  sortir  de  cette  ville,  et  aucune  caravane  ne  se 
hasardait  sur  les  chemins.  Ces  expéditions  furent  exécutées 
tantôt  par  le  Prophète  personnellement ,  tantôt  par  ses  troupes , 
compos(?es  de  Mohâdjir  (réfugiés)  et  à'Ançâr  (auxiliaires de  Mé- 
dine).  Dans  la  deuxième  année  de  Thégire  eut  lieu  le  combat 
de  Bedr. 

Après  avoir  reçu  Tautorisation  de  faire  la  guerre  aux  infi- 
dèles et  après  la  révélation  du  verset  :  irLa  permission  a  été 
donnée  a  ceux  qui  veulent  combattre,  à  cause  des  violences 
qu'ils  ont  essuyées, 75  etc.  (sur.  xxii,  vers.  Ao),  le  Prophète, 
dans  Tannée  même  de  l'hégire,  sept  mois  après  cet  événement, 
au  mois  de  ramadhân,  fit  partir  ^Hamza  avec  trente  cavaliers 
des  Mohâdjir.  Ce  fut  la  première  armée  musulmane  qui  partit 
pour  la  guerre.  Le  Prophète ,  de  sa  propre  main ,  attacha  l'éten- 
dard blanc,  appelé  liway  et  donna  à  ^Hamza  les  instructions 
suivantes  :  Dirige-toi  vers  le  bord  de  la  mer;  car  une  cara- 
vane qoraïschite,  venant  de  la  Syrie  et  rapportant  une  grande 
quantité  de  marchandises,  y  passera;  peut-être  pourras>tu  t'en 
emparer.  ^Hamza  se  rendit  a  cet  endroit;  mais  la  cara>f^ne, 
qui  était  conduite  par  Abou-Djahl  avec  trois  cents  cavaliers, 
était  déjà  passée  et  était  entrée  dans  un  grand  village,  qui 
se  trouvait  de  ce  côté.  Le  chef  de  ce  village,  qui  renfermait 
un  grand  nombre  d'habitants,  s'appelait  Mo^hammed,  Gis 
d'^Amrou ,  le  Djohaïnile;  il  était  lié  d'amitié  avec  Abou-Djafal 
et  avec  ^Hamza.  Il  vint  trouver  ce  dernier  et  lui  parla  ainsi  : 
Âbou-Djahl  est  dans  ce  village  avec  trois  cents  cavaliers;  les 
habitants  sont  disposés  à  le  soutenir;  il  faut  que,  par  égard 
pour  moi  s  tu  t'en  retournes.  ^Hamza  savait  qu'il  disait  la  vé- 
rité, et  il  s'en  retourna.  Abou-Djahl  conduisit  la  caravane  à  la 
Mecque.  Le  porte-drapeau  de  ^Hamza,  nommé  Abou'l-Walîd , 
dit  :  Je  ne  veux  pas  rapporter  le  premier  drapeau  des  musul- 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXXXl.  467 

mans  sans  avoir  fait  du  bulin.  ^Hamza  répliqua  :  Fais-le, 
car  la  paix  est  préférable  ici  à  la  guerre  ;  dans  les  circons- 
tances actuelles,  la  retraite  sans  perte  est  une  grande  vic- 
toire. Après  cela,  il  se  retira. 

Ensuite,  au  mois  de  scbawwâl,  le  Prophète  fut  averti  que 
les  infidèles  étaient  sur  le  point  d'envoyer  un  détachement 
pour  marcher  contre  Médine.  En  conséquence,  il  mil^Obaida, 
fils  de  'Hârith,  fils  de  Mottalib,  à  la  tète  de  soixante  hommes 
des  Mohâdjir,  tous  cavaliers,  parmi  lesquels  il  ne  se  trouvait 
pas  un  seul  des  Ançâr.  Le  jour  où  Ahou-Djahl  était  rentré  à 
la  Mecque,  il  avait  averti  les  habitants  que  Mo^hammed  avait 
commencé  les  hostilités.  Le  lendemain ,  pour  prévenir  Mo- 
^hammed,  ils  firent  partir  une  troupe  de  deux  cents  hommes 
sous  les  ordres  d'^Ikrima,  fils  d'Abou-Djahl ,  pour  tenter  un 
coup  de  main  contre  Médine.  C'est  contre  cette  troupe  que  le 
Prophète  envoya  ^Obaïda  avec  soixante  hommes,  en  lui  remet- 
tant Fétendard  blanc,  qui  fut  porté  par  Mista^h,  fils  d'Othâ- 
tha,  cousin  d'Abou-Bekr.  Les  deux  détachements  se  ren- 
contrèrent près  d'un  puits  nommé  A^hyâ,  qui  contenait  une 
eau  excellente  et  qui  était  situé  entre  la  Mecque  et  Médine. 
n  y  avait  dans  la  troupe  des  infidèles  deux  musulmans,  Fun 
nommé  Miqdâd,  fils  d'^Amrou,  Tautre  ^Olba,  fils  de  Ghaza- 
wân,  qui  étaient  restés  à  la  Mecque,  n'ayant  pas  osé  émigrer, 
par  crainte  des  infidèles.  Lorsque  la  troupe  d'^Ikrima  partit, 
ils  s'étaient  joints  à  elle,  disant  :  Nous  sommes  avec  vous, 
nous  vous  aiderons.  Mais  leur  intention  était  de  s'enfuir  et  de 
gagner  Médine.  Eu  apercevant  la  troupe  de  Médine,  'Ikrima 
disposa  ses  hommes  pour  le  combat.  ^Obaïda  et  les  musul- 
mans se  rangèrent  également  en  ordre  de  bataille.  A  ce  mo- 
ment, les  deux  hommes  passèrent  du  c6té  des  musulmans. 
Sa^d,  fils  d'Abou-Waqqâç,  connu  parmi  les  Arabes  pour  sou 

3o. 


AùS  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

habilelë  dans  Tart  de  tirer  de  Tare,  commença  par  lancer  un 
trail  sur  les  ennemis.  Ce  fut  le  premier  trait  qui  eût  été  lancé 
par  un  musulman.  Quoique  aucun  des  ennemis  n'eût  été 
atteint,  ceux-ci,  gagnés  par  la  peur,  s'enfuirent.  ^Obaïda,  sa- 
chant qu'ils  étaient  nombreux,  ne  les  poursuivit  pas,  mais 
retourna  à  Médine.  Quelques-uns  prétendent  que  Texpédition 
d'^Obaïda  eut  lieu  avant  celle  de  ^Hamza;  elles  eurent  lieu 
cependant  à  peu  près  à  la  même  époque.  Tune  au  mois  de 
ramadhân,  l'autre  au  mois  de  schawwâl. 

Lorsque  *Obaïda  revint,  au  mois  de  dsou'l-qaMa,  le  Pro- 
phète fit  partir  SaM,  fils  d'Abou-Waqqâç,  en  lui  remettant 
Tétendard  blanc,  à  la  tête  de  vingt  piétons  desMohâdjir.  L'é- 
tendard fut  porté  par  Miqdâd,  fils  d'^Amrou.  Le  Prophète  dit 
à  Sa^d  :  Dirige-toi  vers  un  endroit  nommé  Kharrâr,  où  doit 
passer  une  caravane  qoraïschite;  peut-être  pourras- tu  l'en- 
lever. Si  vous  ne  la  rencontrez  pas  et  que  vous  ne  puissiez 
pas  l'enlever,  n'allez  pas  plus  loin,  mais  revenez.  Quand  SaM 
y  arriva,  la  caravane  était  déjà  passée  depuis  deux  jours.  Il  ne 
poursuivit  pas  sa  course,  conformément  aux  ordres  du  Pro- 
phète, et  s'en  retourna. 

CHAPITRE  LXXXn. 

EXPEDITION  DE  WADDAN  ET  D'ABWA. 

Ce  fut  la  première  expédition  que  le  Prophète  entreprit 
lui-même.  Il  en  revint  sans  avoir  combattu. 

Au  mois  de  çafar  de  la  seconde  année  de  l'hégire,  le  Pro- 
phète partit  de  sa  personne ,  à  la  tête  d'une  troupe  de  Mo- 
hâdjir  et  d'Ançâr,  après  avoir  établi  comme  son  lieutenant  à  , 
Médine  SaM,  fils  d'^Obâda.  L'étendard  blanc  était  porté  par 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXXXIll.  469 

'Hamza.Le  Prophète  arriva  à  Âbwâ,  bourg  considérable,  reii- 
l'ermaut  un  grand  nombre  d'habitants ,  et  situe  entre  la  Mecque 
et  Médine.  Près  de  là  est  un  autre  bourg,  nommé  Waddân. 
Cest  pour  cela  que  cette  expédition  porte  ces  deux  noms.  Le 
chef  des  Arabes  de  la  tribu  de  Dhamra,  Makhschi,  lils  d*^Am- 
rou,  se  présenta  devant  le  Prophète  et  conclut  la  paix  avec 
lui.  Après  cela  le  Prophète  resta  à  Abwâ  quinze  jours,  et  s'en 
retourna  sans  avoir  combattu. 

D'après  une  autre  version,  les  trois  expéditions  que  nous 
venons  de  mentionner  auraient  eu  lieu  toutes  trois  dans  la  se- 
conde année;  le  Prophète,  durant  la  première  année,  n'au- 
rait envoyé  aucune  armée. 


CHAPITRE  LXXXIIL 

EXPEDITION  DE  BOWAT. 

De  retour  à  Médine,  au  mois  de  rabfa  premier,  le  Pro- 
phète fut  informé  qu'une  caravane  qoraïschite  de  quinze  cents 
chameaux,  conduite  par  Omayya,  (ils  de  Khalaf,  de  la  tribu 
de  Djouma^h,  et  cinq  cents  hommes,  reviendrait  de  Syrie.  Le 
Prophète  partit  au  mois  de  rabfa  second  avec  deux  cents 
hommes  des  Mohâdjir  et  des  Ançâr,  après  avoir  laissé  comme 
son  lieutenant  à  Médine  SaM ,  fils  de  Mo^ftds.  Dans  cette  exr 
pédition,  l'étendard  fut  porté  par  SaM,  fils  d'Abou-Waqqâç. 
Ayant  quitté  le  territoire  de  Yathrib,  il  arriva  près  d'une 
montagne  nommée  Radhwa,  sur  le  territoire  du  Tihâma.  Il 
fit  halte  à  un  endroit  nommé  Bowât.  La  caravane,  avertie, 
s'était  échappée,  et  Mo'hammed  retourna  à  Médine. 


470  CHRONIQUE  DE  TABARI. 


CHAPITRE  LXXXIV. 

BXPéDITION  DB  DSAT-ODL-*09€HAÎRA. 

Le  mois  suivant,  djoumâda  premier,  le  Prophète  partit  de 
nouveau,  après  avoir  établi  comme  son  lieutenant  à  Médine 
Abou-Salama,  fils  d''Abdoul>Asad.  L'étendard  était  porté 
par  ^Hamza.  Près  de  Médine,  à  un  endroit  nommé  Dsât-oul- 
^Oschaïra,  le  Prophète  fut  informé  du  passage  d'une  caravane. 
Les  soldats  musubnans  se  dirigèrent  du  câté  droit,  vers  le 
désert,  et  arrivèrent  à  une  autre  station,  où  passaient  ^[Elé- 
ment les  caravanes.  Mais  ils  ne  Ty  rencontrèrent  pas.  Alors  ils 
vinrent  à  une  station  où  il  y  a  un  grand  arbre,  qu'on  appelle 
Dsat-oul-Sâq.  On  fit  halte  à  Tombre  de  cet  arbre ,  et  Ton  cher- 
cha la  caravane ,  sans  la  rencontrer.  Puis  le  Prophète  fit  la 
prière  sous  cet  arbre;  on  fit  rôtir  un  agneau,  et  Ton  passa  la 
nuit  en  cet  endroit.  Ensuite  on  y  construisit  une  mosquée,  qui 
existe  encore  aujourd'hui;  on  la  visite,  ainsi  que  la  place  où 
fut  rôti  l'agneau.  Le  lendemain,  en  marchant  à  la  recherche 
de  la  caravane,  ils  arrivèrent  a  une  station,  ensuite  à  un  en- 
droit nommé  Çor'a,  puis  à  une  station  nommée  Çokhaïràt- 
al-Thoroâm,  ensuite  à  un  endroit  nommé  Mouschtarib.  Ils 
y  puisèrent  de  l'eau  et  revinrent  à  Çokhaïrât.  Ils  avaient  ainsi 
exploré  toutes  les  stations  et  tous  les  puits  où  la  caravane  eût 
pu  passer,  sans  en  trouver  aucune  trace.  Alors  ils  retournè- 
rent directement  h  Dsât-oul*^Oschaïra ,  où  demeuraient  des 
Arabes  de  la  tribu  de  Motledj.  Mo^hammed  conclut  un  traité 
de  paix  avec  eux,  et  revint  à  Médine  au  mois  de  djoumâda 
second. 

Ce  fut  lors  de  cette  expédition  que  le  Prophète  donna  à 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXV.  A7t 

^AH  le  nom  àLAbou-Tourâb;  voici  en  quelle  circonstance  :  Un 
jour,  le  Prophète,  ne  voyant  pas^Ali,  qui  était  sorti  du  village 
et  qui  dormait  à  TomBre  d*un  arbre  au  milieu  des  plantations 
de  dattiers,  alla  à  sa  recherche.  Il  le  trouva  enfin  dormant 
sous  Tarbre;  son  vêtement  était  tombé,  et  tout  son  corps 
était  complètement  couvert  de  poussière.  Le  Prophète  cria  à 
haute  voix  :  tr Lève-toi,  6  AbaU'Tourâb,yi  Ce  nom  est  resté  i 
^Ali;  il  en  était  fier  et  aimait  qu  on  l'appelât  par  ce  sobriquet. 
^ Ammâr,  fils  de  Yâser,  raconte  :  Je  dormais  sous  cet  arbre  avec 
^Ali.  En  entendant  la  voix  du  Prophète  et  en  me  réveillant, 
je  vis  que  le  Prophète  réveillait  *Ali,  et  qu*Alî  se  levait  et  se 
tenait  devant  lui.  Le  Prophète  essuya  avec  son  manteau  la 
tête  et  le  visage  d'^Ali,  et  lui  dit  :  0  ^Alt,  le  plus  misérable 
dans  les  deux  mondes  est  celui  qui  sera  ton  ennemi,  qui  te 
blessera  à  la  tête,  qui  fera  couler  ton  sang  et  qui  te  tuera;  il 
sera  éternellement  dans  Tenfer. 

A  répoque  de  cette  expédition,  le  Prophète  n'avait  pas  en- 
core marié  Fâtima  à  ^Ali.  Il  lui  donna  sa  fille  en  mariage  au 
mois  de  dsoul-qa^da. 


CHAPITRE  LXXXV. 

PRBMIÈRB  EXPÉDITION  DE  BEDR. 

Plusieurs  jours  après,  un  homme  de  la  Mecque,  nommé 
Kourz,  fils  de  Djabir,  le  Fihrite,  avec  une  troupe  de  Qoraï- 
schites,  vint  faire  une  incursion  sur  le  territoire  de  Médiae, 
enlever  les  troupeaux  des  habitants,  qui  se  trouvaient  éloignés 
de  la  ville  à  trois  journées  de  marche,  et  les  emmener,  par 
des  chemins  détournés,  à  la  Mecque.  Le  Prophète,  averti 
trois  jours  après,  se  mit  aussitôt,  avec  plusieurs  Mohâdjir,  à  sa 


iâ)  CHRONIQLE  DE  TABARL 

|KMirsiiile.  11  anifa  josqu^à  Bedr,  mais  il  De  put  Fatteindre. 
Le  Prophèie  resta  trob  jours  à  Bedr,  puis  il  rentra  à  Mëdioe. 
Ce  fat  'Ali  qui  porta  le  drapeau  du  Prophète  dans  cette 
eipéditioo.  Zaîd,  fils  de  ^Hâritha,  avait  été  laissé  comme  lieu- 
tenant à  Médine. 

Bedr  est  un  endroit,  an  milieu  du  désert,  où  il  y  a  un 
grand  nombre  de  puits,  qui  ont  été  creusés  anciennement  par 
nn  Arabe  nonmié  Bedr. 


CHAPITRE  LXXXVl. 

»l   BAT?f  -  !IAKHL. 


Le  premier  jour  du  mois  de  redjeb ,  le  Prophète  appela 
'Abdallah,  fils  de  Dja^hsch,  et  lui  donna  le  commandement 
de  douze  bonmies  des  Mohâdjir,  teb  que  Sa'd,  fiis  d'Abou- 
Waqqàç;  'Otba,  fils  de  Gbazawàn;  Abou-'Hodsaïfa,  fils d'^Otba , 
fils  de  Rabra,  et  Wâqid,  fils  d'AbdaUah,  de  la  tribu  de  Yar- 
bou\  Quelques-uns  prétendent  qu'ils  u  étaient  quau  nombre 
de  sept  Le  Prophète,  craignant  que,  s'il  disait  à  ^Abdallah 
où  il  devait  aller  et  ce  qu'il  devait  faire,  celui-ci,  ainsi  que 
ses  compagnons,  eussent  peur  et  refusassent  de  marcher,  lui 
remit  un  écrit  cacheté,  eu  lui  disant  :  Marche  dans  la  direc- 
tion de  la  Mecque;  n'ouvre  cette  lettre  qu'au  troisième  jour 
de  route;  exécute  les  ordres  que  tu  y  trouveras,  et  rends-toi 
à  fendroit  qui  y  est  indiqué  par  moi.  Ne  force  pas  ceux  de 
tes  compagnons  qui  ne  voudront  pas  te  suivre.  ^Abdallah  partit 
le  premier  jour  du  mois  de  redjeb.  Après  avoir  marché  trois 
jours,  il  ouvrit  la  lettre  et  y  trouva  les  instructions  suivantes  : 
Avance-toi  jusquaux  portes  de  la  Mecque,  jusqu'à  Bain- 
Makhl,  reste  là  en  secret  et  cherche  à  épier  les  habitants  de 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXVI.  473 

la  Mecque;  sache  ce  qu  ils  font,  ce  qu'ils  projettent  et  ce  qu'ils 
ont  fait  des  troupeaux  qu'ils  ont  enlevés  d'ici,  s'ils  les  ont 
tués  ou  gardés.  Cherche  à  savoir  ce  qu'ils  disent  de  ce  que  je 
les  ai  poursuivis  et  manques.  Après  avoir  accompli  ces  ordres, 
revenez.  Le  Prophète  avait  aussi  enjoint  à  ^Abdallah  de  ne 
pas  combattre;  car  on  était  au  mois  de  redjeb,  où  il  était  dé- 
fendu aux  Arabes  de  faire  la  guerre;  et  le  Prophète  observait 
cette  loi.  ^Abdallah  communiqua  cette  lettre  à  ses  compa- 
gnons. Batn-Nakhl  est  une  station  près  de  la  Mecque,  la 
première  sur  la  route  de  Tâïf.  Ce  fut  là  que  le  Prophète,  en 
revenant  de  Tâïf,  passa  la  nuit,  fit  la  prière,  et  où  les  péris 
vinrent  le  trouver,  comme  nous  l'avons  raconté.  ^Abdallah  dit 
à  ses  compagnons  :  Je  suis  sûr  qu'en  allant  jusqu'aux  portes 
de  la  Mecque,  à  Batn-Nakhl,  nous  n'en  reviendrons  pas  vi- 
vants. Le  Prophète  m'a  ordonné  de  ne  forcer  aucun  de  vous 
à  me  suivre.  Que  ceux  d'entre  vous  qui  désirent  le  martyre 
viennent,  et  que  ceux  qui  ne  le  veulent  pas  s'en  retournent! 
Tous  le  suivirent. 

A  la  première  étape,  le  chameau  qui  appartenait  en  com- 
mun à  Sa'd ,  fils  d'Abou-Waqqâç ,  et  à  ^Otba ,  fils  de  Ghazawân , 
et  qui  portait  leurs  bagages,  s'échappa  pendant  la  nuit.  Le 
lendemain,  ne  le  voyant  pas,  ils  se  mirent  à  sa  recherche; 
tandis  qu'^ Abdallah  poursuivit  sa  route,  ils  s'enfoncèrent  dans 
le  désert  et  vinrent  jusque  dans  le  Nedjd,  et  ne  purent  plus 
le  rejoindre. 

^Abdallah,  se  rendant  à  l'endroit  que  le  Prophète  lui  avait 
indiqué,  s'y  arrêta  et  prit  des  informations,  en  interrogeant 
tous  ceux  qui  y  passaient.  ^Okâscha,  fils  de  Mi^hçan,  l'un  de 
ses  compagnons,  alla  comme  espion  explorer  tous  les  lieux  et 
rapporta  à  ^Abdallah  des  infonnations.  Comme  on  était  au 
mois  de  redjeb,  mois  sacré,  où  l'on  ne  faisait  pas  la  guerre  et 


klh  CHBOMQIE  DE  TABABI. 

M  le»  gens  teaueul  de  tous  càiés  visiter  la  Mecque  et  les 
lieu  saiots  r(W«),  il  s'était  rasé  la  télé,  afin  de  n'être  fias 
reconnu  et  afin  de  se  (aire  passer  ponr  un  pèlerin  en  état  pé- 
nitenliel  {ikrim).  Il  entrait  ainsi  à  la  Mecqae  et  prenait  par- 
tout des  renseignements. 

Or  one  caraTane  mecqooise.  Tenant  da  Tâif,  chargée  de 
fruits,  de  raisins  et  d'autres  marchandises,  vint  à  passer  près 
de  Tendroit  où  était  campé  ^\bdallah,  et  y  fit  halte.  Elle  était 
escortée  de  quatre  hommes,  personnages  considérables  d^entre 
les  Qoraîschites.  L'un  d'eux  était  ^\mrou-ben  APHadhram/; 
les  autres  étaient  :  'Oihman ,  fils  f*  Abdallah ,  fils  de  Moghalra , 
et  son  frère  Naufal,  les  Makhzoumites;  enfin  Al-^Hakm,  fibs 
de  haîsan,  affranchi  de  Monslim,  fils  de  Moghaîra.  En  aper- 
ceTant  \4bdallah,  fils  de  Dja^hsch,  et  ses  compagnons,  ils 
eurent  des  appréhensions;  ils  dirent  entre  eux  :  Mo^hammed 
a  enroyé  quelques  hommes  pour  surprendre  et  enlever  la 
caravane.  Ds  se  disposèrent  à  faire  halte  k  cette  station  et  i 
envoyer  à  la  Mecque  pour  chercher  du  secours.  Tout  d'un 
coup ,  ^Okâscha ,  la  télé  rasée ,  parut  sur  une  élévation  de  sable. 
En  le  voyant,  ils  dirent  :  Nous  sommes  au  mois  de  redjeb,  le 
mois  sacré;  ces  hommes  sont  [sans  doute]  des  Arabes  venus 
pour  visiter  les  lieux  saints.  AI-^Hakm,  fils  de  Kaîsân,  dit  : 
Quand  même  ce  seraient  des  gens  de  Mo^hammed,  celui-ci 
respectera  assez  le  mois  de  redjeb  pour  ne  pas  ordonner  de 
faire  la  guerre  pendant  ce  mois,  et  de  commettre  des  actes 
de  brigandage.  En  conséquence,  ils  firent  halte  au  même 
endroit.  Le  jour  que  précédait  cette  nuit  était  le  dernier  du 
mois  de  redjeb. 

Pendant  la  nuit,  'Abdallah,  fils  de  Dja'hsch,  délibéra  sur 
ce  qu'il  devait  faire.  11  y  a  là,  dit-il,  de  nombreuses  mar- 
chandises :  si  j'attaque  demain,  et  que  je  les  enlève,  j'aurai 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXVI.  475 

combattu  au  mois  de  redjeb  et  violé  la  sainteté  de  ce  mois; 
si  j'attends,  ils  gagneront  la  Mecque,  et  le  butin  nous  aura 
échappé.  ^Abdallah  et  ses  compagnons  résolurent  d'attaquer 
et  d'enlever  la  caravane,  disant  :  Ce  sont  des  infidèles,  envers 
lesquels  il  n  y  a  pas  lieu  d'observer  une  interdiction  sacrée. 
Le  matin,  lorsque  la  caravane  se  mit  en  marche,  ils  s'appro- 
chèrent avec  leurs  armes,  et  ^Abdallah,  fils  de  Dja^hsch,  et 
Wâqid,  fils  d'^ Abdallah,  qui  étaient  d'habiles  archers,  tirè- 
rent sur  ^Ami'ou  ben-Al-^Hadhrami,  le  chef  de  la  caravane, 
et  le  tuèrent.  ^Amrou  était  un  personnage  considérable  parmi 
les  Qoraïschites;  il  était  allié  des  Benf-^Âmir  Al-^fladhrami, 
qui  étaient  commerçants  et  jouissaient  d'une  grande  considé- 
ration à  la  Mecque.  En  voyant  tomber ^Amrou,^Othmân,  fils 
d'^ Abdallah,  s'enfuit  et  se  sauva  à  la  Mecque;  les  autres, 
NaufaI ,  fils  d'^Abdallah,  et  AI-'Hakm,  fils  de  Kaîsân,  se  ren- 
dirent ^Abdallah,  fils  de  Dja^hsch,  leur  fit  lier  les  mains,  en- 
leva la  caravane  et  s'enfonça  dans  le  désert,  en  se  dirigeant 
vers  Médine. 

A  cette  nouvelle,  les  Mecquois  allèrent  à  leur  poursuite; 
mais  ils  revinrent  sans  avoir  pu  les  atteindre.  Ils  furent  très- 
étonnés  de  ce  fait  et  dirent  :  Mo^hammed  a  violé  la  sainteté  du 
mois  de  redjeb,  en  envoyant  une  expédition  guerrière  pour 
verser  du  sang  et  faire  du  butin  et  des  prisonniers;  il  ne  pros- 
pérera jamais,  et  sa  religion  n'aura  jamais  de  succès. 

^Abdallah,  fils  de  Dja^hsch,  arriva  à  Médine  au  mois  de 
scha^bân,  avec  son  butin  et  ses  prisonniers,  et  se  présenta 
devant  le  Prophète.  Celui-ci  fut  très-<;ourroucé  et  lui  dit  : 
Pourquoi  as-tu  agi  ainsi?  Je  ne  t'avais  pas  ordonné  de  com- 
mettre des  actes  d'hostilité  au  mois  sacré.  Les  compagnons 
du  Prophète  blâmèrent  tous  ^Abdallah ,  fils  de  Dja^hsch,  et  lui 
dirent  :  Les  infidèles  et  les  idolâtres  eux-mêmes  s'abstien- 


476  CURONiQUe  DE  TABARl. 

oenl  de  faire  ce  que  tu  as  fait  au  mois  de  redjeb.  Le  Prophèle 
reliul  les  prisonoiers  et  coofisqua  le  butin,  sans  y  toucher, 
en  attendant  les  ordres  de  Dieu.  Puis  le  Prophète  demanda 
des  nouvelles  de  SaM,  fils  d'Abou-Waqqâç,  et  d'^Otba,  fils 
de  Ghazawàn.  On  lui  répondit  que,  à  une  certaine  station, 
nommée  MaMan ,  ayant  perdu  leur  chameau ,  ils  étaient  allés 
a  sa  recherche,  et  que  depuis  lors  on  n avait  pas  eu  de  leurs 
nouvelles.  Le  Prophète  fut  inquiet  de  leur  sort;  il  craignait 
qu'ils  ne  fussent  tombés  entre  les  mains  des  ennemis.  Ensuite  il 
fut  informé  que  les  Qoraîschiles  le  blâmaient  d'avoir  commis 
des  actes  de  violence  au  mois  de  redjeb,  ce  qui  n  était  per- 
mis dans  aucune  religion.  Les  musulmans  qui  n  avaient  pas 
émigré  et  qui  étaient  reslés  à  la  Mecque  firent  avertir  le  Pro> 
phète,  par  un  messager,  de  ces  propos  des  Qoraïschites ,  et  lui 
firent  demander  quelle  réponse  ils  devaient  leur  faire.  Alors 
Dieu  révéla  le  verset  suivant ,  par  lequel  il  rassura  le  Prophète  : 
(rlls  t'interrogeront  au  sujet  du  combat  dans  le  mois  sacré. 
Dis  :  C'est  un  péché  grave  de  combattre  pendant  ce  mois; 
mais  détourner  les  hommes  de  la  voie  de  Dieu,  ne  pas  croire 
eu  lui,  chasser  des  honmies  du  saint  temple  où  ils  habitaient, 
est  un  péché  plus  grave  devant  Dieu.  L'idolâtrie  est  un  péché 
plus  grave  que  le  meurtre  pendant  le  niois  de  redjeb,  n  (Sur.  n , 
vers.  31  A.)  ^Abdallah,  fils  de  Dja'hsch,  et  ses  compagnons 
furent  très-heureux  de  cette  révélation.  Le  Prophète  fit  par- 
venir le  verset  aux  musulmans  de  la  Mecque,  pour  qu'ils 
pussent  répondre  aux  infidèles  qoraïschites. 

Les  Qoraïschites  envoyèrentquelqu'un  pour  racheter  les  deux 
prisonqiers.  Le  Prophète  répondit  :  Nous  n'acceptons  pas  leur 
prix.  Nous  avons  perdu  deux  de  nos  gens  :  Sa^d ,  fils  d' Abou- 
.Waqqâç,  et  ^Otba,  fils  de  Ghazawàn,  dont  nous  n'avons  pas 
de  nouvelles.  Quand  ceux-ci  reparaîtront,  nous  vous  renver- 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXXXVÏI.    .  477 

rons  ces  prisonniers.  Mais  si  nous  acquérons  la  cerliiude  qu'on 
les  a  lues,  nous  mettrons  aussi  à  mort  ces  deux  hommes. 
SaM  et  ^Otba,  en  recherchant  leur  chameau,  étaient  venus 
jusqu'à  Nadjrân.  Ne  fayant  pas  trouvé,  ils  revinrent  à  Mé- 
dine  au  mois  de  scha^bâu.  Alors  le  Prophète,  considérant  les 
deux  prisonniers  comme  leur  rançon,  les  renvoya  à  la  Mecque, 
après  en  avoir  reçu  le  prix. 


CHAPITRE  LXXXVII. 

CHANGEMENT  DE  LA  QIBLA. 

Dans  le  même  mois  de  scha^ban,  au  milieu  du  mois,  Dieu 
ordonna  au  Prophète  de  ne  plus  se  tourner  pendant  la  prière 
vers  Jérusalem,  mais  vers  la  Ka^ba.  Les  Arabes,  en  priant, 
se  tournaient  vers  la  Ka^ba,  tandis  que  les  juifs  et  les  chré- 
tiens se  tournaient  vers  Jérusalem,  où  était  le  temple  bâti 
par  Salomon,  (ils  de  David,  endroit  illustre,  vers  lequel  se 
tournaient  également  Moïse  et  Jésus.  Lorsque  le  Prophète 
reçut  sa  mission  prophétique  à  la  Mecque,  il  se  tournait,  en 
priant,  ver^la  Ka^ba.  Comme  les  idolâtres  de  la  Mecque,  en 
adorant  les  idoles,  se  tournaient  aussi  vers  la  Ka^ba,  quand 
le  Prophète  vint.à  Médine,  où  dominait  le  culte  des  chrétiens 
et  des  juifs,  qui  se  tournaient  vers  Jérusalem,  Dieu  lui  or- 
donna de  se  tourner  également,  en  priant,  vers  Jérusalem, 
afin  de  ne  pas  les  contrarier  et  pour  qu'ils  lui  fussent  favo- 
rables. Le  Prophète  fit  ainsi.  Cependant  il  désirait  que  le 
point  vers  lequel  il  devrait  se  tourner  en  priant  filt  la  Ka^ba, 
qui  avait  été  aussi  la  Qibïa  d*Abraham  et  d*IsmaëL  II  priait 
journellement  Dieu  d'exaucer  ce  désir;  enfin,  au  milieu  du 
mois  de  scha^bân  de  la  seconde  année  de  Thégire,  le  mardi. 


t:^  f.HftO!ISOCE  D£  TillBI. 

Dm  rrféia  Ik  lenet  wraat  :  -X^q:^  aïoo»  f  o  qae  tu  tour- 

f  en  sae  ^NîUf  i{n  ^  pbîra.  Tovme^-loc  Ten  le  saiol  temple.  * 
tS«r.  u.  tersw  1^9.; 

La  rÛMM  de  cette  revébtÎM  (bt  q«e  1*^  jaifs  et  les  rbré- 
tîeft»  dkaîeat  as  Profikête  :  0  If o^mined .  si  ta  religion  e>t 
différente  de  la  oolre.  «roaunent  ie  £ût-ii  qoe  ta  te  toames 
en  priant  lers  le  même  point  qœ  noos?  Le  Prophète,  ayant 
înioqoé  Dien,  re^t  le  icf^et  qoe  noos  lenons  de  dire. 


CHAPITRE  LXXXVIII. 

rTABUStMOnST  ne  JCCSI  m  BABAMli!!. 


Lp  Prophète  était  i eno  à  Médine  an  mois  de  rabra  premier. 
An  mois  de  moHiarrem  de  Tannée  saifante,  il  remarqua  que 
les  juifs  câébraient  un  jeûne,  le  dix  du  mois,  en  appelant  ce 
jour  ^ifdUvra.  Le  Prophète  leur  demanda  pourquoi  ils  dis* 
tii^naient  ce  jour.  Ils  répondirent  :  Cest  le  joor  où  Dieu  a 
fait  noyer  Pharaon  dans  la  mer,  et  où  il  a  déliné  Moue,  qui 
a  jeûné  ee  jour-là  pour  rendre  grices  à  Dieu;  depuis  lors 
nous  aussi  nous  consacrons  chaque  année  ce  jour  au  jeûne.  Le 
Prophète  ordonna  aux  musulmans  déjeuner,  eux  aussi,  ce 
jour,  en  leur  disant  :  Je  suis  plus  digne  de  suirre  l'exemple  de 
mon  frère  Moïse,  fils  d^Amràn.  Ensuite  le  Prophète,  voyant 
que  les  chrétiens  jeûnaient  pendant  cinquante  jours,  désira 
avoir  dans  sa  religion  un  jeûne  pareil.  A  la  fin  du  mois  de 
scha^hân  de  cette  même  année,  Dieu  établit  le  jeûne  du  mois 
de  ramadhân,  en  révélant  le  verset  suivant  :  «rO  vous  qui 
croyez,  le  jeûne  vous  est  prescrit,  comme  il  Ta  été  à  ceux  qui 
<?vous  ont  précédés  t^  (sur.  11,  vers.   179),  c'est-à-dire  au\ 


PARTIE  11,  CHAPITRE  LXXXVHI.  àl9 

juifs  et  aux  chrétiens.  Jésus  n'avait  ordonné  qu*un  jeûne  de 
trente  jours;  ce  sont  les  chrétiens  eux-mêmes  qui  ont  porté 
ce  chiffre  à  cinquante.  Moïse  aussi  n'avait  dû  observer  le  jeûne 
que  pendant  trente  jours,  les  trente  jours  du  moisdsoul-qa^da, 
le  temps  de  sa  conversation  avec  Dieu;  mais  il  y  ajouta  onze 
autres  jours.  Le  Prophète,  interrogé  sur  Tépoque  de  ce  jeûne 
de  trente  jours,  reçut  le  verset  suivant:  «r  Au  mois  de  rama- 
dhân,  dans  lequel  a  été  révélé  le  Coran, >)  etc.  (Sur.  u, 
vers.  18 1.)  Mo*hammed  ben-Djarir  a  rapporté  ce  récit  [relatif 
au  jeûne  de  Moïse]  en  fort  beaux  termes. 

A  l'expiration  du  mois  de  ramadhân,  le  Prophète  établit 
l'obligation  de  l'aumône  à  la  fête  de  la  rupture  du  jeûne.  Ce 
jour,  il  sortit  de  Médine,  se  rendit  a  Moçalla ,  y  fit  la  prière  et 
recommanda ,  dans  le  sermon ,  l aumône  de  la  rupture  du  jeune. 

L'année  suivante,  au  mois  de  mo^harrem,  le  Prophète 
laissa  les  musulmans  libres  de  jeûner,  ou  non,  le  jour  d'^A- 
schourâ.  Quelques-uns  observèrent  ce  jeûne,  d'autres  ne  roI>- 
servèrent  pas. 

Au  mois  de  ramadhân  de  la  même  année,  le  Prophète 
sortit  de  Médine  pour  livrer  le  combat  de  Bedr,  qui  eut  lieu 
le  vendredi  dix-septième  jour  du  mois.  L'histoire  de  ce  com- 
bat, qui  est  très- important,  n'a  pas  été  rapportée  en  détail 
par  Mo^hammed  ben-Djarir  dans  cet  ouvrage.  Cependant  elle 
est  connue  par  les  recueils  des  expéditions  du  Prophète  et  par 
les  commentaires  du  Coran  ;  car  il  n'a  été  révélé  sur  aucune 
autre  expédition  du  Prophète  un  aussi  grand  nombre  de  ver- 
sets du  Coran.  Ce  fut  la  première  victoire  de  l'islamisme,  la 
première  victoire  du  Prophète  sur  les  infidèles.  Nous  avons 
recueilli,  autant  que  nous  avons  pu,  tant  dans  cet  ouvrage 
que  dans  le  commentaire  [de  Tabari?]  et  dans  le  livre  des  Ex- 
péditions du  Prophète,  les  éléments  pour  compléter  ce  récit. 


-^  n  T^  i:i  31  "liki^ 


:ïi?rnt£  liiiîï. 


CK  ■'nniatriian    jt  Frmâe&é  au:  ri<ri  «fK~sa«:  qnrfi^r 

• 

i^Ur.  ^   f  auz:^»  yewifnagrT  «miïA'nHw  4t  b  Mecque. 

^•Hsjoot  fi  fis  jifrfiiMi»^>  Cnae  iiâ«i<dk  fat  iffartgig  an  Pro- 
poi^i^  }«r  ^dôcaHi .  -fis  Sel  •àt  :  P^lt^  a  b  nthenh^  de  b  car»- 
^Hut,  ^At  faum^r^  fc»»  •§«»  f^^  ^  Bi^iir.  €&  ne  peut  pa» 
•Mi joer  à^  jAkHST  jum  oei  i^ârirt  Le  Prtfhêle  il  rnAÎr  ses 
*nniaa^gniatf  <£  èiniri  f^rir^  ^  fdvtir  das»  le  teaps  m^me 
é&  ^noi^:.  EIms  m'a  |CHi«ii^.  ksr  dit4i.  de  aie  Ihrer  iems 
litta^.  -ut  pic-Aér  BU  rï£f;M«i  et  6t  miMt^  resdfe  mailres  de 
ttae^  f9tr^itmut'ï  fi  mt  kardûpuml:  3io«$  preBdnNisb  cara- 
Ibâ^  b»  t^aa^rT  fus^mmi  gaUsb  pfendraîoit  et  qu'ils 
|a»  de  {raftd»  €4offte  à  biie.  SoôaBle  eC  dix  bommes 
Il  ea  losfte  hàle.  Le  kadeauûi ,  b  Propbèle ,  après  avoir 

MM  liealemaat  à  Médiae  Aboo-Lobaba,  fib  d^  Abd- 
partît  bi  aeiag  avec  trots  cent  seixe  bommes. 

aatre  lersioD.  il  a'aTait  avec  lui  qae  trois  cent 
tneîie  boouMS.  on.  d'après  une  aatres  fins  e&ade,  trois  cent 
quatoffxe  bookmes.  Ds  partirent  précipitamment,  sans  prendre 
leur  armement  complet.  Deu  d'oitre  eux  avaient  des  cbevaux , 
soixante  et  dix  étaient  montés  snr  des  cbameanx,  les  antres 
étaient  à  pied.  Le  Propbèle  montait  sa  cbamelle  nommée 
'Adbbà .  ainsi  appelée  parce  qu'on  lui  avait  fendu  \es  oreiller. 


PAHTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  481 

Ces  troupes  étaienl  composées  de  soixante  et  dix-huit  Mohà- 
djir  et  de  deux  cent  trente-six  Ançàr.  Parmi  les  Mohâdjir,  il  y 
avait  Abou-Bekr,  'Omar,  fils  d'Al-Khattàb,  'Ali,  fils  d'Abou- 
Tàlib,  et  'Othmàn,  fils  d'^Affàn.  La  femme  d'Olhmàn,  Ro- 
qayya,  fille  du  Prophète,  était  très-malade.  Le  Prophète  or- 
donna à  'Othmân  de  s  en  retourner,  à  cause  de  la  maladie  de 
sa  femme.  Le  chef  des  Ançàr  était  Sa'd,  fils  de  Mo'àds,  qui 
était  chef  de  tous  les  Khazradj.  Tous  étaient  d'avis  qu  ils 
étaient  assez  nombreux  pour  attaquer  la  caravane,  et  le  Pro- 
phète n'emmena  pas  un  plus  grand  nombre  d'hommes. 

Arrivé  à  la  première  élape,  le  Prophète  passa  ses  troupes 
en  revue.  Il  renvoya  cinq  hommes  comme  étant  trop  jeunes, 
savoir  : 'Abdallah ,  fils  d"Amrou;  Ràfi',  fils  de  Khodaïdj; 
Zaïd,  fils  de  Thâbit;  Osaïd,  fils  de  Zhahir,  et'Amrou,  fils 
d'Abou-Waqqàç.  'Amrou  pria  Sa'd,  fils  d'Abou-Waqqàç,  d'in- 
tervenir auprès  de  Mo'hammed^  pour  qu'il  l'emmenât  avec 
lui.  Les  quatre  autres  durent  s'en  retourner.  Ensuite  le  Pro- 
phète marcha  en  toute  hâte  sur  Bedr,  pour  couper  1«  chemin 
à  Abou-Sofyân.  Arrivé  à  la  seconde  station,  il  fut  informé 
que  la  caravane  n'était  pas  encore  passée.  Il  fit  halte,  en 
s'écartant  de  la  route ,  afin  de  ne  pas  être  aperçu  par  la  ca- 
ravane, quand  elle  viendrait,  et  pour  qu'elle  ne  prit  pas  la 
fuite.  Gabriel  vint  annoncer  au  Prophète  que  Dieu  l'assisterait 
de  toutes  manières  dans  son  entreprise.  Ensuite  Mo'hammed 
dépêcha  deux  des  principaux  Mohâdjir  :  Tal'hâ,  fils  d"Obaïd- 
allah,  et  Sa'd,  fils  de  Zaïd,  fils  de  Maufal.  Montés  sur  des 
chameaux,  ils  furent  envoyés  dans  le  désert,  pour  épier  la 
marche  d'Abou-Sofyân.  Ces  deux  hommes  s'égarèrent  dans 
le  désert  et  ne  revinrent  pas  pour  prendre  part  au  combat 
de  Bedr.  Le  Pro|)hète  lit  partir  deux  autres  Mohâdjir,  égale- 
ment montés  sur  des  chameaux,  l'un  nommé  Basbas,  fils 
II.  .  3i 


i)J2  tlir.O.MQCE  DE  T\BU;i. 

(PAinriiU,  le  Djoiiaînite;  Faulrc,  'Adî.  IjI>  d'AlK>u-Za^iibà.  \f 
Djoijaîiiile.  Il  leur  onlonna  de  Mf  rendre  auprès  dt^  |»uil>  de 
R«fdr  et  d'y  piendre  des  informations  sur  la  marche  de  la  ca- 
ravane. Lf'«»  Arabe»,  dans  le  désert,  ont  la  coutuoie.  quand 
une   caravane  vient  faire   halle  près  d*un   puiU  ou   à    une 
station,  dy  app€»rler  de»  provisions  et  des  vivrei^.  |K»ur  les 
rendn*  au\  gen.n  di'  la  caravane,  et  de  faire  avec  eux  des 
affaires,  en  vendant  et  en  achetant.  Arrivés  près  de  Bedr. 
les  deui  Djohaînites  y  virent  un  homme  qui  avait  apporté  des 
provifiions  et  qui  U^  avait  dé|)Osées  là,  en  attendant  la  cara- 
vane. Ils  s'approchèrent  du  puits,  firent  coucher  leurs  cha- 
meaux, et  vinrent  pour  interroger  cet  homme.  Alors  ils  aper- 
çurent deux  femmes  qui  s'adressaient  réciproquement  tles 
réclamations.  L'une  disait  à  Fautre  :  Rends-moi  Targent  que 
tu  me  dois.  L*autre  répondait  :  Demain  la  caravane  arrivera 
près  de  ce  puits,  je  vendrai  quelque  chose  et  te  rendrai  ton 
argent.  Les  deux  émissaires,  en  entendant  ces  paroles,  ne 
dirent  rien,  remplirent  d'eau  leurs  outres,  montèrent  sur 
leurs  chameaux,  partirent  et  vinrent  avertir  le  Prophète. 

Ils  n'eurent  pas  plus  tôt  quitté  le  puits,  qu'Abou-Sofyân 
et  "Amrou,  fils  d'^Aç,  y  arrivèrent,  seuls  de  leur  caravane. 
At)ou-Sofyân ,  en  passant  sur  le  territoire  de  Yathrih,  s'était 
enquis  des  mouvements  du  Prophète  et  de  ses  compagnons. 
S'étant  avancé  encore  de  deux  étapes,  il  avait  quitté  la  cara- 
vane en  disant  à  ses  gens  :  Restez  ici,  j'irai  au  puits  de  Bedr 
pour  m'cnquérir  si  quelqu'un  de  Yathrib,  des  compagnons 
de  Mo^bammed,  est  à  la  recherche  de  notre  caravane.  Abou- 
Sofyân  cl  'Amrou,  fils  d"Aç,  vinrent  donc  a  Bedr,  donnèrent 
de  Tcau  a  leurs  chameaux,  burent  eux-mêmes,  remplirent 
leurs  outres  et  questionnèrent  l'homme  qui  était  assis  près 
du  puits.  Interrogé  par  eux  sur  son  nom  et  sur  le  nom  de  sa 


PARTIE  II,  CIIAIMTRE  LXXMX.  /is;i 

hibii,  ii  li'iir  dit  qu'il  s'appelait  Modjdi,  fils  d^'Ainrou,  de  la 
tribu  de  Djohaïna.  Abou-Sofyàn  lui  demanda  ensuite  :  As-lii 
quelques  renseignements  sur  les  brigands  de  Yathrib  ?  Est-ce 
que  quelqu'un  d'entre  eux  est  venu  à  ce  puils  avant  nous? 
Medjdi  répondit  :  Tout  à  l'iieure  deux  liomnies  y  sont  venus, 
ont  bu,  ont  abreuve  leurs  cliameaux,  sont  renionlés  sur  leurs 
montures  et  sont  reparlis. —  Ne  t'ont-ils  rien  dit?  demanda 
Abou-Sofyân.  —  Non.  Abou-Sofyân  demanda  ensuite  à  quel 
endroit  les  chameaux  étaient  restés.  S'y  étant  rendu,  il  trouva 
leur  crottin;  en  prenant  un  peu,  il  l'éparpilla.  Des  noyaux 
de  dattes  en  sortirent.  [1  dit  à  ^Amrou,  fils  d'Aç  :  Ces  hommes 
étaient  de  Médine;  Mo'hammed  est  sur  nos  traces,  lui  ou  des 
gens  envoyés  par  lui.  —  Comment  le  sais-tu?  lui  demanda 
^Amrou.  Abou-Sofyân  dit  :  Les  gens  de  Médine,  seuls  dans 
le  'Hedjâz,  donnent  à  manger  aux  chameaux  des  noyaux  de 
dattes.  Ils  remontèrent  ensuite  sur  leurs  chameaux  et  revinrent 
à  Tendroit  où  était  leur  caravane,  à  deux  étapes  de  Bedr. 
Abou-Sofyân  engagea  immédiatement  un  homme  nommé 
Dhamdham,  fils  d'^Amrou,  de  la  Iribu  de  Ghifâr,  qui  possé- 
dait un  chameau  très-rapide ,  et  le  dépc^cha  à  la  Mecque.  Cet 
homme  promit  de  s'y  rendre  en  trois  jours,  quoique  la  cara- 
vane en  fût  éloignée  de  six  journées  de  marche.  Abou-Sofyân 
|ui  recommanda,  quand  il  entrerait  dans  la  ville,  de  crier  au 
secours.  Il  lui  dit  :  Uends-toi  sur  le  mont  Abou-Qobaïs,  et  crie, 
de  façon  à  être  entendu  de  tous  les  habitants  de  la  Mecque, 
que  tu  es  parti,  envoyé  par  moi,  de  telle  station,  pour  leur 
annoncer  que  Mo'hammed  et  les  brigands  de  Médine  sont  sur 
mon  chemin,  et  que,  s'ils  tiennent  h  leurs  biens,  ils  arrivent; 
sinon,  qu'ils  ne  trouveront  plus  rien.  Dhamdham  partit,  la  ca- 
ravane restant  à  la  dislance  de  deux  étapes  de  Bedr,  de  milme 
que  le  Prophète,  qui  l'attendait  à  son  passage  près  des  puits. 


:u . 


AHà  CHROMQIE  DE  TABAIW. 

Avaiil  Tai rivée  de  Diiamdiiam  à  ia  Mecque,  "AliLa,  lille 
d''Ab(lou  I-Mollaiib  et  taale  du  Prophète,  lll  uu  rêve.  Il  lui 
sembla  voir  un  homme  monté  sur  un  chameau  arriver  à  la 
Mecque,  s'arrêter  dans  la  vallée  et  s'écrier  :  Habitants  de  la 
Mecque,  n'allez  pas,  car  on  vous  tuerait;  quiconque  y  ira 
n'en  reviendra  p<is!  Il  s'avança,  toujours  monté  sur  son  cha- 
meau, vint  sur  la  terrasse  de  la  Ka^ba  et  répéta  son  cri.  En- 
suite il  lança  du  sommet  du  mont  Abou-Oobaïs  une  pierre 
qui   coula  en  bas  et  se   brisa  en  plusieurs  morceaux,  qui 
atteignirent  toutes  les  maisons  de  la  ville.  Au  matin,  ^\tika 
raconta  son  rêve  à  ^Abbàs,  fds  d'^Abdoul-Mottalib.  Celui-ci, 
edVayé,  dit  à  sa  sœur  :  Ce  songe  est  fort  triste;  tous  les  habi- 
tants de  la  Mecque  doivent  craindre  d'être  atteints  par  un 
grand  malheur.  Garde  le  secret,  et  ne  raconte  ton  rêve  à 
personne;  je  verrai  ce  qu'il  y  aura  à  faire.  'Abbâs  sortit  très- 
soucieux  et  alla  pour  faire  ses  tournées  autour  du  temple. 
Il  y  rencontra  ^Otba,  fils  de  Rabfa,  qui  était  son  ami,  et  alla 
s'asseoir  auprès  de  lui.  ^Olba  lui  dit  :  Que  t'est-il  arrivé,  la 
figure  est  altérée?  —  Rien,  dit  ^Abbàs.  —  Si,  il  t'est  arrivé 
quelque  chose,  reprit  'Otba;  et  il  insista.  ^Abbâs  lui  dit  :  Il 
ne  faut  pas  qu'on  le  sache.  —  On  ne  le  saura  pas,  répliqua 
'Otba.  Alors  ^Abbâs  lui  raconta  le  rêve  qu'avait  fait  ^Atika. 
'Olba,  en  sortant  du  temple,  rencontra  Abou-Djahl  et  lui 
lit  part  de  ce  récit.  Abou-Djahl  dit  :  Ne  l'en  préoccupe  pas; 
les  Benj-Hàschim  sont  tous  menteurs,  hommes  et  femmes. 
Délivrés  des  mensonges  de  Mo^hammed,  nous  tombons  main- 
tenant dans  ceux  des  femmes  des  Beni-Hâschim.  [Le  lende- 
main, dans  le  temple],  il  aborda  ^Abbâs  et  lui  dit  :  Qu'est-ce 
(|ue  ce  rêve  d"Atika,  dans  lequel  lu  rapportes  quelle  aurait 
vu  telle  et  telle  chose?  'Abbâs  répondit  :  Je  n'en  ai  aucune 
connaissance.  —  Si,  tu  le  connais,  dit  Abou-Djahl;  on  me  l'a 


PARTIE  II,  CHAIMTHK  LXXXIX.  /iSf) 

rapporté  coiiune  venant  de  toi.  Si  ce  rêve  ne  se  réalise  pas , 
nous  écrirons  sur  une  feuille,  que  nous  suspendrons  à  la 
porte  de  la  Ka^ba,  que  dans  le  monde  entier  il  n'y  a  pas  de 
|)ius  grands  menteurs,  tant  parmi  les  hommes  que  parm'r 
les  l'emmes,  que  les  Beni-Hàschim,  afin  que  votre  impos- 
ture soit  connue  de  tous  les  Arabes.  *Abbâs,  qui  était  un 
homme  réservé  et  endurant,  quitta  la  réunion  et  revint  à  la< 
maison. 

Abou-Djahl  et  tous  les  autres  racontèrent  le  fait  chez  eux, 
à  leurs  femmes.  ^Atika  fut  informée  des  paroles  qu'Abou-Djahl 
avait  adressées  à  ^Abbàs.  Le  soir,  *Atfka  et  les  autn^s  filles 
d'^Abdou'I-Motlalib  et  toutes  les  femmes  des  Benî-Hàschim 
vinrent  chez  ^Abbas  et  lui  dirent  :  Pourquoi  laisses-tu  Abou- 
Djahl  tenir  des  propos  sur  les  femmes  des  Beni-Hâschim 
et  sur  les  filles  d'^Abdou'I-Mottalib,  en  ta  présence,  sans  lui 
répondre  et  sans  rien  dire?  Il  dit  que  tous  les  hommes  et 
toutes  les  femmes  des  Beni-Hâschim  sont  des  menteurs.  Jus- 
qu'à quand  supporteras-tu  cela?  S'il  fait  cet  écrit,  il  désho- 
norera les  BenMIâschim  parmi  les  Arabes.  Si  tu  ne  veux  rien 
lui  dire,  autorise-nous  à  aller  trouver  Abou-Djahl  pour  ré- 
pliquer aux  paroles  qu'il  a  dites.  Nous  n'avons  pas  voulu  le 
(aire  sans  ta  permission;  car  tu  es  aujourd'hui  à  la  tête  dçs 
Beni-llàschim,  et  nous  n'avons  pas  voulu  te  manquer  de  res- 
pect. ^Abbâs  dit  :  Il  n'osera  pas  faire  cet  écrit.  S'il  m'en  dit 
encore  quelque  chose,  je  lui  répondrai.  Bentrez  chez  vous. 

Le  lendemain,  ^\bbâs  vint  au  temple  et  alla  s'asseoir  à  sa 
place.  Les  Qoraïschites  avaient  pris  place,  chacun  dans  un 
cercle.  Tout  à  coup  des  cris  se  firent  entendre  dans  la 
vallée,  vi  tous  se  précipitèrent  hors  de  la  ville  dans  la  direc- 
tion de  la  voix.  Pendant  ce  temps,  ^Abbâs  accomplissait  ses 
tournées  autour  du  tenq)le.  (les  cris  étaient  poussés  par  Dham  - 


/iSC)  CFlliO.MQLK  DE  TABARl. 

(iliaia,  qui  élail  arrive  cl  qui  lit  coinine  Ahou-Sofyàn  le  lui 
avait  ordonné.  11  alla  au  haut  du  mont  Abou-(Jobaïs ,  et  cria 
de  façon  à  èlre  entendu  de  tous  les  habitants.  Ceux-ci  furent 
stupéfaits;  car  il  ny  avait  pas  un  seul  chef  de  famille  qui 
n'eût  dans  la  caravane  un  capital. 

Abou-Djahl,  'Olba  et  les  principaux  (Joraischites  firent 
proclamer  une  levée  générale.  On  fil  en  deux  jours  les  pré- 
paratifs de  guerre  et  Ton  partit  le  troisième  jour.  Tous  les  chefs 
(il  grands  personnages  de  la  Mecque  prirent  part  à  Texpédi- 
lion,  ou  envoyèrent  des  hommes  à  leur  place,  sauf  la  tribu 
des  Beni-^\di,  fils  de  Ka^b,  qui  étaient  des  personnages  con- 
sidérables et  n'étaient  pas  soumis  à  Abou-Djahl  et  à  *Otba; 
en  outre,  ils  n'avaient  pas  de  marchandises  dans  la  caravane. 
^\bbâs  ne  voulut  pas  partir  avec  Tannée;  mais  Abou-Djalil , 
dans  le  temple,  lança  contre  lui  des  reproches,  en  disant  : 
Nous  savons  que  toi  et  les  autres  Beni-Hàschim ,  vous  tenez  à 
MoMiammed;  vous  êtes  ses  espions  dans  le  temple.  Mais  si  nous 
levenons  victorieux  de  cette  guerre,  nous  expulserons  tous  les 
Beni-llàsihim  de  la  Mecque.  Les  autres  Qoraïschites  tenaient 
a  ^Vbbàs  le  même  langage.  %\bl)às  répliqua  :  Je  suis  vieux, 
et  uc  suis  pas  propre  pour  la  guerre;  mais  j'enverrai  mes  fils. 
'Abbâs  avait  quatre  fils  :  Fadhl,  ^Abdallah,  Qotham  et^Obaïd- 
allah.  Les  Qoraïschites  dirent  :  C'est  bien  d'envoyer  tes  quatre 
fils,  mais  il  faut  que  tu  viennes  aussi.  Je  partirai,  dit  ^Abbâs. 
Il  prit  celte  résolution  malgré  lui  et  fit  ses  préparatifs.  Ses 
fils  voulurent  l'accompagner;  mais  il  ne  le  permit  pas  et  partit 
avec  un  de  ses  esclaves.  Ses  neveux  vinrent  le  trouver  et  lui 
dirent  :  Tu  es  un  homme  âgé,  nous  ne  te  laisserons  pas  partir 
>eul;  nous  irons  avec  toi.  ^\bbàs  s'y  opposa;  mais  ceux-là 
savaient  qu'il  parlait  ainsi  par  haine  des  Qoraïschites  et  par 
dépil  d'èlre  contraint  de  partir.  Trois  de  ses  neveux  allèrenl 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  487 

donc  avec  lui,  savoir  :  Tàlili  el  'Aqil,  lils  d'Abou-Tàlib,  et 
ÎVaul'al ,  lils  de  Ularilli. 

Omayya,  fils  de  Klialaf,  de  la  tribu  de  Djouma^h,  ne  vou- 
lut pas  prendre  part  à  l'expédition,  à  cause  de  son  âge  avancé, 
il  avait  deux  fils,  Çafwàn  et  'Abdallah;  il  fit  partir  ce  der- 
nier, le  plus  jeune  des  deux.  Il  avait  aussi  un  ami,  nommé 
'Oqba,  fils  d'Abou-Mo'aït,  le  même  qui  avait  craché  à  la  figure 
du  Prophète.  Abou-Djahl  chargea  *Oqba  de  déterminer  Omayya 
au  départ;  car,  dit-il,  nous  ne  pouvons  pas  le  laisser  ici;  il 
jouit  d'une  grande  considération  ;  s'il  reste ,  personne  ne  voudra 
quitter  la  Mecque.  'Oqba  vint  trouver  Omayya ,  qui  était  assis 
dans  le  temple  au  milieu  d'une  troupe  de  Qoraïschites,  et  lui 
dit  :  Ne  veux-tu  pas  venir  avec  tous  ces  gens? — Vous  êtes  assez 
nombreux ,  répondit  Omayya.  'Oqba  dit  :  Viens  par  amour  pour 
moi.  Moi ,  j'ai  craché  à  la  figure  de  MoMiammed  parce  que  tu 
l'as  voulu  ;  il  est  jusle  que  tu  Tasses  ma  volonté ,  en  venant  avec 
nous.  Omayya  répliqua  :  Je  suis  vieux,  j'envoie  mon  fils,  qui 
est  jeune.  *Oqba  dit  :  Tu  n'es  pas  plus  vieux  qu'^Abbâs,  qui 
est  l'oncle  de  Mo'hammed  et  qui  cependant  vient  avec  nous; 
n'as- tu  pas  honte  de  refuser  de  partir?  Mais  Omayya  persista 
dans  son  refus,  malgré  les  instances  d'^Oqba.  Alors  celui-ci 
envoya  chercher  dans  sa  maison  une  cassolette,  dans  laquelle 
il  fit  mettre  du  feu  et  du  bois  d'aloès,  el  la  plaça  sous  le  vête- 
ment d'Omayy^,  puis  il  apporta  un  fuseau  et  le  plaça  à  côté  de 
lui.  Que  signifie  cela?  demanda  Omayya.  'Oqba  dit  :  Comme 
tu  n'oses  pas  aller  à  la  guerre,  fais  ce  que  font  les  femmes  : 
parfume-toi  avec  ce  bois  d'aloès,  et  reste  assis  à  filer.  Omayya 
fut  très-affecté  et  très-honteux  de  ces  paroles.  Il  jeta  la  casso- 
lette et  le  fuseau  sur  'Oqba,  et  lui  lança  des  injures.  Puis  il  se 
leva,  fit  ses  préparatifs  et  partit,  lui  et  son  fils,  avec  l'armée. 

Abou-Lahab,  fils  d^Abdou'l-Mottalib,  élaul  fort  malade, 


àHS  CHUONIQUE  DE  TABARl. 

lie  [ioavait  pas  su  joindre  a  l'armée,  il  avait  une  créance  de 
(|ualre  mille  dirliems  sur  un  homme  considérable  de  la  Iribu 
de  Makhzoum,  nommé \4ç,  fils  de  Hischâm,  fils  de  Moghaïra. 
^Âç  envoyait  à  Farmée  un  remplaçant.  Abou-Labab  lui  dit  : 
Si  tu  pars  toi-même  à  ma  place,  je  te  fais  remise  de  ces 
quatre  mille  dirbems.  ^Aç  partit  de  sa  personne  avec  uue 
troupe  des  Benî-Makbzoum,  des  gens  de  sa  famille  et  de  ses 
aiïrancbis. 

Le  troisième  jour  après  l'arrivée  de  Dhamdbam,  mille 
hommes  sortirent  de  la  Mecque,  piétons  et  cavaliers,  montés 
sur  des  chevaux  arabes  et  sur  des  chameaux  de  course,  tous 
complètement  armés.  A  la  porte  de  la  ville,  Abou-Djahl  ins- 
crivit les  noms  de  tous  les  hommes  qui  composaient  Tarmée. 
Tous  étaien  t  pleins  de  joie  et  dirent  :  Mo'hammed  pense  qu'il  en 
sera  d'Abou-Sofyàn  comme  d'^Amrou  ben-Al-*Hadhramî,  dont 
la  caravane  venant  de  Taïf,  chargée  de  quelques  fruits,  de 
dattes  et  deraisin,  et  escortée  de  quatre  hommes,  a  été  enlevée, 
et  lui-même  tué  par  les  quelques  hommes  envoyés  par  Mo^hani- 
med.  Nous  lui  montrerons  aujourd'hui  comment  nous  proté> 
geons  nos  biens  et  notre  religion,  et  comment  nous  arrache- 
rons  les  hommes  de  ses  mains.  Ils  emmenèrent  avec  eux  le 
frère  d'^Vmrou  ben-Al-'Hadhrami,  et  lui  dirent  :  Nous  allons 
venger  la  mort  de  ton  frère,  nous  allons  tuer  celui  qui  a  ac- 
compli le  meurtre  et  celui  qui  Ta  ordonné. 

Ni  Abou-Sofyân,  ni  le  Prophète  ne  savaient  que  l'armée 
qoraïschile  s'était  mise  eu  campagne.  Le  Prophète ,  après  le 
retour  des  deux  Djohaïuites,  qui  lui  avaient  annoncé  que  la 
caravane  devait  arriver  le  lendemain  à  Bedr,  s'était  mis  en 
mouvement  et  s'était  rapproché  de  Bedr  ù  la  distance  d'une 
étape.  11  rencontra  sur  sa  route  un  village,  une  station  des 
caravanes,   nommée   Çafra,  située  entre   deux  montagnes. 


PARTIE  H,  CHAPITRE  LXXXIX.  A89 

H  demanda  le  nom  du  bourg,  et  ensuite  les  noms  des  deux 
montagnes;  on  lui  rdpondit  que  Tune  s'appelait  Mousli*h,  et 
Fautre  Moukhri.  On  lui  dit  aussi,  sur  sa  demande,  le  nom 
des  Arabes  qui  habitaient  cet  endroit;  c'étaient  deux  branches 
de  la  tribu  de  Ghifàr,  les  Benî-en-Nàr  et  les  BeuJ-'IIorâq.  Le 
Prophète  trouva  ces  noms  de  mauvais  augure  et  ne  s'arrêta 
pas  à  cet  endroit.  11  passa  entre  les  deux  montagnes,  prit  sur  la 
droite  et  vint  à  un  lieu  nommé  Dsafirân,  à  une  étape  de  Bech*. 
C'est  là  qu'il  attendit  l'arrivée  de  la  caravane  d'Abou-Sofyàn. 

Abou-Sofyàn,  après  être  revenu  avec  ^Amrou,  fils  d'*Aç,de 
son  excursion  à  Bedr,  et  après  avoir  fait  partir  Dhamdham 
pour  la  Mecque,  demeura  encore  trois  jours  au  même  endroiL 
Ensuite  il  dit  à  *Amrou ,  fils  d'^Aç  :  Pourquoi  rester  ici?  Mo- 
'hammed  est  plus  près  de  nous  que  les  gens  de  la  Mecque;  avant 
que  ceux-ci  arrivent,  il  peut  se  passer  beaucoup  de  choses. 
Conduisons  la  caravane  loin  d'ici,  en  quittant  la  route,  pour 
nous  rapprocher  chaque  jour  de  la  Mecque ,  et  nous  éloigner 
de  Mo^hammed.  En  conséquence,  Abou-Sofyân  partit  avec 
la  caravane,  en  évitant  la  route,  laissa  les  puits  de  Bedr  à  sa 
gauche  et  se  dirigea  vers  le  bord  de  la  mer;  puis,  en  longeant 
la  côte,  il  prit  la  route  de  la  Mecque,  vers  Djeddah,  chemin 
plus  long  de  cinq  journées  de  marche.  Après  avoir  voyagé 
pendant  cinq  jours ,  la  caravane  fut  en  sûreté  sur  le  territoire  de 
la  Mecque ,  à  trois  journées  de  distance  de  la  ville.  Là  elle  apprit 
le  départ  de  l'armée  mecquoise ,  qui  avait  passé  la  veille  par  cet 
endroit,  se  dirigeant  vers  Bedr,  pour  attaquer  MoMiammed. 

Les  gens  de  Médine  n'étaient  informés  ni  de  la  marche 
de  la  caravane,  ni  de  l'arrivée  d'une  armée  de  la  Mecque.  Le 
Prophète  se  trouvait  toujours  à  Dsafirân ,  guettant  la  caravane. 
Alors  Gabriel  vint  lui  annoncer  qu'Abou-Sofyàn  avait  sauvé 
la   caravane  et    qu'une  armée  arrivait  de  la  Meccfue.  Mais 


41)0  ClinOMQLE  DE  TABAKI. 

Dieu  ,  lui  dit-ii ,  fa  promis  la  vicloire  cl  sur  la  caravane  el  sur 
ranih'e.  Le  Proplièlo  convoqua  ses  compagnons  et  leur  iit 
pari  des  événements.  Ils  furent  consternés.  Le  Prophète  leur 
dit  :  Ne  vous  aflligez  pas,  car  Dieu  m'a  promis  la  vicloire  en 
tout  ét^il  de  choses,  soit  sur  la  caravane,  soit  sur  Tarmée.  Les 
musulmans  dirent  :  0  apôtre  de  Dieu,  prie  pour  que  Dieu 
nous  fasse  triompher  de  la  caravane,  ce  sera  plus  facile  el  la 
lutte  sera  moins  vive  ;  car  nous  tous  nous  sommes  partis  sans 
faire  des  prépai'atifs  de  guerre  el  sans  être  complétcmeDt  ar- 
més. Dieu  révéla  le  verset  suivant  :  «rDieu  vous  avait  promis 
que  Tune  des  deux  parties  vous  serait  livrée;  vous  avez  désiré 
que  ce  ne  f&l  pas  la  plus  forte.  Mais  Dieu  a  voulu  prouver  la 
vérité  de  sa  parole  el  exterminer  jusqu'au  dernier  des  infi- 
dèles,?) etc.  (Sur.  vni,  vers.  7,  8.) 

Ahou-Sofyàn,  arrivé  à  trois  journées  de  la  Mecque,  appre- 
nant que  Tarmée  y  avait  passé  en  se  dirigeant  vers  Médine , 
et  que  ses  propres  fds  éliiieut  dans  Tarmée,  envoya  de  ccl 
endroit  même  un  messager  vers  les  troupes  et  fit  dire  aux 
chefs  :  Si  c'est  pour  sauver  vos  hiens  que  vous  vous  êtes  mis 
en  campagne,  ils  sont  en  sûreté  maintenant;  je  suis  arrivé  sur 
le  territoire  de  la  Mecque.  Rentrez  et  évitez  la  guerre  et  le 
meurtre;  car  ceux  qui  sont  avec  Mo^hammed  appartiennent  a 
nos  familles  et  sont  nos  parents.  Il  est  inutile  de  vei'ser  leur 
sang.  Le  messager  d'Ahou-Sofyàn  trouva  Tannée  campée  à 
Djo'hfa,  à  trois  journées  de  Bedi\  Parmi  les  infidèles  les  avis 
furent  partagés.  Les  uns  voulaient  marcher  en  avant,  les  au- 
tres voulaient  s'en  retourner.  'Olha,  fils  de  Rabfa,  exprima 
ce  dernier  avis.  Abou-Djahl  dit  :  Par  Dieu,  nous  ne  nous  en 
retournerons  pas  avant  d'avoir  été  à  Bedr  el  avant  d'y  avoir 
passé  dix  jours  à  boire  du  vin  et  à  nous  reposer;  nous  inspire- 
rons ainsi  la  terreur  aux  brigands  de  Médine;  tous  les  Arabes 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  /i9I 

('iilfiidioiil  parler  de  luilre  armée  el  nous  craiiidroiil,  et  per- 
sonne n'osera  plus  poursuivre  une  de  nos  caravanes.  Ensuite 
il  |)arla  à  ^Amir  ben-Al-'Hadhrami  el  lui  dit  :  Tu  es  le  clienl 
(r'Olba;  nous  voulons  aller  venger  ton  frère;  mais  *Olba  veut 
s'en  retourner;  dis-lui  de  ne  pas  le  faire.  Si  cependant  il  refuse, 
romps  rengagement  et  les  liens  qui  t'attachent  à  ^Olba  et  aux 
Beni-^Abdou  1-Schams,  el  deviens  un  des  nôtres;  allie-toi  aux 
Beni-Makhzoum  :  nous  vengerons  alors  ton  frère.  *Amir  vint 
trouver  ^Otba  et  lui  tint  ce  langage.  ^Otba  répliqua  :  Ton  frère 
n'est  pas  assez  important  pour  qu'il  faille  faire  la  guerre  pour 
lui  avec  ce  grand  nombre  d'hommes.  Si  tu  veux  quitter  la  tribu 
des  *Abd-Schams,  quitte-la;  dégage-toi  de  tous  liens  avec  elle, 
si  tu  veux,  et  va  où  tu  voudras.  *Amir  vint  dire  ces  paroles 
d'^Otba  à  Abou-Djahl,  qui,  se  trouvant  au  milieu  de  plusieurs 
hommes,  dit:  rr^Olba  a  la  colique, n  expression  proverbiale, 
chez  les  Arabes,  pour  dire  que  quelqu'un  a  peur.  Abou-Djahl 
avait  le  sobriquet  fraux  fesses  jaunes. -n  11  avait  reçu  ce  sobri- 
quet parce  que,  à  cause  d'une  inGrmité  qu'il  avait,  il  teignit 
la  partie  postérieure  de  son  corps  avec  du  safran;  quand  on 
voulait  l'injurier,  on  lui  donnait  ce  nom.  Quelques-uns  pré- 
tendent que  cette  inGrmité  lui  était  venue  dans  son  enfance 
<|uand,  luttant  un  jour  avec  Mo^hammed,  celui-ci  l'avait  jeté 
par  terre  et  lui  avait  rompu  une  artère.  Les  infidèles  qoraï- 
schiles  avaient  coutume  de  couvrir  leurs  corps  et  leurs  vête- 
ments de  safran  dissous  dans  de  l'eau,  de  façon  à  être  com- 
plètement jaunes,  et  ils  ne  se  purifiaient  pas;  car  de  tous  les 
parfums,  le  plus  agréable  peureux  était  le  safran ,  que  l'on  va 
chercher  dans  le  Kirmàn  et  sur  le  territoire  de  Hamadân. 
Quant  au  bois  d'aloès,  à  l'ambre  el  au  canq)hre,  ils  étaient 
peu  estimés,  parce  qu'on  en  apporte  en  grande  quantité  par 
la  voie  de  nirr,  de  même  que  le  musc,  (jue  Ton  apportait ,  par 


49J  CHRO-MQUE  DE  TABARF. 

la  voie  de  Qier,  de  Fliide.  Or,  lorsque  Abou-Djahl,  eu  parlant 
d'^Olba ,  prononça  les  paroles  que  nous  venons  de  dire,  celui-ci 
répli(|iia  :  Demain  ou  verra  qui  a  la  colique,  de  moi  ou  de  celui 
«taux  fesses  jaunes.^  *Otba  se  proposa  donc  de  marcher  en 
avant;  mais  les  autres  étaient  divisés,  les  uns  voulaieuts'eu  re- 
tourner, les  autres  ne  le  voulaient  pas.  Tàlib,  Gis  d'Abou-Tàlib, 
enfjagca  son  oncle  'Abbàs  à  s'en  retourner  avec  lui.  Mais^Abbâs 
n'osait  pas,  par  crainte  d'Abou-Ujabl  et  des  Qoraïschites. 

Il  y  avait  à  la  Mecque  un  bomnie  de  la  tribu  des  TbaqiT, 
allié  des  Hent-Zohra  et  jouissant  parmi  eux  d'une  grande 
considération;  ils  écoutaient  et  exécutaient  ses  avis.  Il  était 
à  Parmée  avec  un  grand  nombre  de  Beni-Zobra.  11  leur  parla 
ainsi  :  Retournons;  car  nos  marchandises  sont  arrivées  en 
sûreté  h  la  Mecque.  Pourquoi  ferions-nous  la  guerre?  Les 
Beni-Zobra,  au  nombre  de  cent  cinquante  hommes,  voyant 
que  leur  allié  s'en  retournait,  suivirent  sou  avis  et  s'en  re- 
tournèrent également.  Il  n'y  avait  aucune  tribu  de  la  Mecque 
qui  n'eût  des  hommes  à  l'armée,  sauf  les  Beni-^Adi-ben-Ka*b , 
qui  n'avaient  pas  quitté  la  ville,  u  ayant  pas  de  marchandise 
dans  la  caravane.  Après  le  départ  des  Benî-Zohra,  Tarmée 
qoraïschite  ne  se  composait  plus  que  de  neuf  cent  cinquauto 
hommes.  Abou-Djahl,  craignant  que  d'aulres  encore  ne  s'en 
allassent,  leva  son  camp  dans  la  même  nuit  et  s'avança  sur 
Bedr.  Toute  l'armée  le  suivit;  aucun  autre  ne  l'abandonna. 

Après  avoir  été  averti  par  Gabriel  que  la  caravane  s'était 
sauvée  et  qu'une  armée  venait  à  sa  renconti^e,  le  Prophète 
réunit  ses  compagnons  pour  délibérer  avec  eux  sur  ce  qu'il 
y  avait  a  faire.  Tous  les  Mohàdjir  et  les  Ançàr  étant  pré- 
seuls, il  leur  demanda  leur  avis.  Abou-Bekr  se  leva  le  pre- 
mier et  dit  :  0  apôtre  de  Dieu,  nous  ferons  ce  que  tu  voudras 
ci  ce  (pie  tu  ordonneras.  (]eux-là  soûl  nos  parents;  mais  nous 


s 


k 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  /;<J3 

avons  cru  en  toi,  et  nous  avons  accepté  la  relijjion,  et  nous 
avons  renonce  à  eux.  Nous  avons  fait  de  nos  corps  et  de  nos 
aines  ta  rançon;  nous  lutterons  contre  eux  pour  toi;  ou  Dieu 
te  fera  triompher  d'eux  et  fera  triompher  ta  religion,  et  rinfi- 
délitc  sera  exterminée  dans  le  monde;  ou  tious  périrons  tous 
pour  toi.  Le  Prophète  remercia  Abou-Bekr,  lui  donna  dos 
éloges  et  lui  dit  de  s'asseoir;  car  il  désirait  savoir  si  les  Ançâr 
prendraient  ou  non  ce  même  engagement,  sachant  bien  que 
les  Mohâdjir  lui  prêteraient  aide  et  secours,  tandis  qu'il  crai- 
gnait que  les  Ançâr  et  les  gens  de  Médine  ne  s'en  retour- 
nassent; car,  dans  la  nuit  d'^Aqaba,  alors  qu'ils  avaient  prêlé 
serment  au  Prophète,  SaM,  fils  de  Mo^âds,  loi  avait  dit  : 
0  apôtre  de  Dieu,  viens  avec  moi  à  Médine!  Le  Prophète  avait 
répondu  :  Je  n'ai  pas  encore  reçu  de  message  ni  d'ordre  de 
Dieu  à  cet  égard.  Allez,  j'enverrai  mes  compagnons  et  atten- 
drai les  ordres  que  Dieu  me  donnera.  SaM  avait  répliqué  : 
S'il  en  est  ainsi,  nous  ne  sommes  pas  responsables  de  ta  vie 
cl  de  ta  sûreté  jusqu'à  ce  que  tu  viennes  à  Médine.  Quand  lu 
y  viendras,  alors  nous  te  défendrons,  et  ta  défense  sera  pour 
nous  un  devoir.  Le  Prophète  avait  approuvé  ces  paroles.  Or 
maintenant  le  Prophète  craignait  qu'il  ne  dit  :  Nous  nous 
sommes  engagés  à  te  protéger  à  Médine;  si  tu  étais  attaqué 
à  Médine,  nous  t'y  protégerions. 

Abou-Bekr  ayant  repris  sa  place,  le  Prophète  demanda  de 
nouveau  un  avis.  ^Omar,  fils  d'AI-Khattâb ,  se  leva  et  tint  le 
même  langage  qu'Abou-Bekr.  Le  Prophète  le  remercia  égale- 
ment et  lui  dit  de  s'asseoir.  Ayant  renouvelé  sa  demande, 
Miqdâd,  fils  d^'Amrou,  appartenant  lui  aussi  aux  Mohâdjir, 
se  leva  et  dit  :  0  apôtre  de  Dieu,  c'est  à  nous  de  tirer  l'épée, 
à  toi  de  prier  et  à  Dieu  de  donner  la  victoire.  Nous  ne  dirons 
pas  comme  disaient  les  enfants  d'Israël  à  Moïse  :  tr  Allez,  loi 


494  CIUIOMQI  E  DE  TABAIU. 

et  Ion  Seigneur,  et  comballez;  quant  a  nous,  nous  resterons 
ici. 7)  Assiste-nous  de  la  prière,  demande  à  Dieu  la  victoire, 
car  nous  combattrons  nous-mêmes.  Le  Prophète  le  loua  el 
lui  dit  :  Assieds-toi  ;  je  connais  les  sentiments  de  vous  tous, 
ô  Mohàdjir,  je  ne  doute  pas  de  vos  intentions.   Ensuite  il 
demanda  un  nouvel  avis.  Tous  reconnurent  que  cet  appel 
s'adressait  aux  Ançâr.  Sa^d,  fils  de  Mo^âds,  se  leva  et  dit  : 
0  apôtre  de  Dieu,  est-ce  nous  que  tu  as  en  vue  par  ces  pa- 
roles?—  En  effet,  dit  le  Prophète,  car  c'est  votre  concours 
que  je  demande.  Dans  cette  affaire,  je  ne  puis  réussir  que  par 
la  puissance  de  Dieu  et  par  le  moyen  de  votre  aide.  SaM,  fils  de 
Mo^âds,  dit  f  Que  pouvons-nous  Taire,  à  apôtre  de  Dieu?  Nous 
avons  cru  en  toi,  nous  t'avons  prêté  serment  et  nous  t'avons 
accueilli.  Il  est  de  notre  devoir  de  te  défendre.  Nos  âmes  sont 
ta  rançon  et  nous  verserons  notre  sang  pour  toi,  que  ce 
soit  contre  les  Qoraïschites,  ou  les  Arabes,  ou  les  Perses, 
les  habitants  de  Roum  ou  les  Abyssins;  nous  nous  tiendrons 
devant  toi,  nous  te  protégerons  et  combattrons  les  ennemis; 
que  ce  soit  a  Médine,  dans  le  désert  ou  en  pays  cultivé,  sur 
la  mer  ou  sur  les  montagnes,  nous  serons  partout  avec  toi  ci 
ne  t'abandonnerons  pas  jusqu'à  la  mort.  Le  Prophète,  très- 
heureux  de  ces  paroles,  appela  Sa'd  près  de  lui,  l'embrassa 
sur  les  yeux  et  le  visage  et  lui  dit  :  0  Sa'd,  que  Dieu  te  ré- 
compense pour  ta  foi,  ta  bravoure  et  ta  fidélité!  Immédiate- 
ment il  fit  marcher  l'armée,  et  fit  halte  à  deux  parasanges  do 
Bedr.  En  épiant  l'approche  de  l'armée  qoraïschite  près  des 
puits,  il  rencontra  un  vieillard  arabe  qui  ne  le  connaissait 
pas.  Le  Prophète  lui  demanda  s'il  avait  des  renseignements 
sur  la  caravane  d'Abou-Sofyân.  Le  vieillard  répondit: La  ca- 
ravane est  en  sûreté;  mais  une  armée  est  sortie  de  la  Mecque, 
qui  va  pour  combattre  Mo^hammed  et  les  gens  de  Médine. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  495 

Le  Prophète  lui  demanda  ensuile  :  Quels  renseijjnemenls  as- 
lu  sur  Farinée  qoraïschile?  Où  sont  MoMiammed  et  les  gens 
de  Médine?  Le  vieillard  répondil:  Je  vous  le  dirai  quand  vous 
m'aurez  dit  qui  vous  êtes.  —  Parie  d'abord,  répliqua  le  Pro- 
phète, nous  te  le  dirons  ensuite.  Le  vieillard  dil  :  L'armée 
qoraïschite  est  partie  tel  jour,  a  quitté  tel  jour  Djo^hfa,  el  si 
celui  qui  m'a  renseigné  a  dil  la  vérité,  elle  doit  avoir  passé  tel 
jour  à  tel  endroit  et  être  en  marche  pour  venir  ici.  Quant  î» 
MoHiammed,  il  était  tel  jour  à  tel  endroit,  et  si  mes  rensei- 
gnements sont  exacts,  il  se  trouve  aujourd'hui  à  tel  endroit. 
C'était  précisément  le  lieu  oJ!i  l'armée  musulmane  avait  Fail 
halte,  à  Dsafirân.  Le  Prophète,  entendant  ces  paroles,  quitia 
le  vieillard ,  en  faisant  courir  sa  chamelle.  Arrivé  auprès  de  ses 
compagnons,  il  leur  dit  :  L'armée  qoraïschite  est  aujourd'hui 
ù  tel  endroit,  demain  elle  arrivera  aux  puits  de  Bedr.  Au  mo- 
ment de  la  prière  de  l'après-midi ,  le  Prophète  envoya  *AJi, 
fils  d'Abou-Tâlib ,  Zobaïr,  fils  de  Sa*d,  et  Sa*d,  fils  d'Ahou- 
Waqqâç,  vers  les  puits  de  Bedr,  pour  prendre  dos  informa- 
tions sur  l'armée  qoraïschite.  Ils  y  arrivèrent  vers  le  soir.  Les 
Ooraïschites  étaient  campés  à  deux  parasanges  de  là  et  avaient 
envoyé  à  Bedr  quatre  ou  cinq  hommes  des  serviteurs  de 
l'armée,  pour  chercher  de  l'eau  et  pour  prendre  des  infor- 
mations sur  les  mouvements  du  Prophète.  En  voyant  ^Alî  et 
ses  compagnons  montés  sur  des  chameaux,  ils  eurent  peur 
et  s'enfuirent,  en  disant  :  Ce  sont  les  chamelles  de  l'armée 
de  Mo^hamnied.  *A1J  et  ses  compagnons  les  poursuivirent  et 
saisirent  un  esclave  noir,  nommé-* Arîdh  et  surnommé  Abou- 
ïasâr.  Il  était  Abyssin  et  appartenait  aux  Bcni-*Aç-bcn- 
Sa'îd,  ou,  d'après  d'autres,  à  Monnabbih,  fils  de  Mîaddjâdj. 
Ils  le  conduisirent  auprès  du  Prophète.  'Ali  lui  demanda  : 
A  qui  appartiens-lu? —  J'appartiens  aux  Qoraïschiles,  répondit 


4U6  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

Fesclave.  —  Où  se  trouve  leur  armée? —  Elle  est  campée  h 
deux  [)arasau{fes  d'ici;  on  nous  avait  envoyés  pour  clierclier 
de  Teau.  —  Abou-Sofyân  est-il  avec  Tarméc?  —  Je  ne  sais 
pas  où  est  Abou-Sofyân.    Alors  ils  frappèrent  Tesclave  en 
disant  :  Tu  mens,  tu  es  avec  Abou-Sofyân,  tu  nous  trompes. 
Après  avoir  été  longtemps  frappé,  l'esclave  s'écria  :  Oui,  je 
suis  esclave  d'Abou-Sofyân!  —  Qui  est  avec  Abou-Sofyân? 
Combien    d'hommes   et  combien  de  chameaux  y  a-t-il? 
Comme  ils  avaient  cessé  de  le  maltraiter,  l'esclave  dit  de 
nouveau  :  Je  ne  connais  pas  Abou-Sofyân;  c'est  du  camp  de 
l'armée  qoraïschite  que  je  suis  venu  à  Bedr.  Pendant  cet 
interrogatoire,  le  Prophète  faisait  sa  prière.  Après  avoir  pro- 
noncé le  salut  final,  il  dit  :  Je  n'ai  pas  vu  d'hommes  plus 
étonnants  que  vous.  Quand  cet  homme  dit  la  vérité,  vous  le 
frappez,  et  lorsqu'il  ment,  vous  le  croyez  véridique;  il  est, 
en  effet,  de  l'armée  qoraïschite.  Cette  armée  est  campée  à 
cet  endroit,  et  Abou-Sofyân  a  gagné  la  Mecque.  Ensuite  le 
Prophète  appela  l'esclave  et  lui  dit  :  Où  est  le  camp  de  l'ar- 
mée? Dis  la  vérité  et  ne  crains  rien.  L'esclave  répondit  que 
l'armée  se  trouvait  à  tel  endroit. — Combien  y  a-t-il  d'hommes? 
demanda  le  Prophète;  sont-ils  neuf  cents?  N'ont-ils  pas  dit 
combien  ils  sont?  —  Je  ne  sais  pas  combien  ils  sont,  ré- 
pondit l'esclave;  mais  je  sais  qu'ils  tuent  chaque  jour  neuf 
ou  dix  chameaux.  Il  y  a  eu  hier  un  banquet  chez  un  des 
chefs,  auquel  assistaient  tous  les  hommes,  grands  et  petits. 
Là  aussi  on  a  tué  dix  chameaux.  Le  Prophète  dit  :  Ils  sont, 
comme  je  l'ai  dit,  de  neuf,  cents  à  mille.  Or  ils  étaient  au 
nombre  de  neuf  cent  cinquante;  cent  d'entre  eux  avaient  des 
chevaux,  les  autres   montaient  des  chameaux.   Ensuite    le 
Prophète  demanda  à  l'esclave  quels  étaient  les  grands  person- 
nages qoraïschites  qui  se  trouvaient  dans  l'armée.  L'esclave 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  497 

• 

nomma  ^Otba,  fils  de  Babra,  et  son  frère  Schaïba;  Omayya, 
fils  de  Khalaf;  ^Oqba,  fils  de  Mourait;  'Abbàs,  fils  d'^Abdou  l- 
MoUalib;  'Aqîl,  fils  d'Abou-Tâlib;  Abou-Djahl,  fils  de  Hi- 
schâm;  ^Hakim,  fils  de  'Hizâm;  il  énuméra  ainsi  tous  les 
nobles  Qoraïschites  de  la  Mecque  qui  se  trouvaient  à  larmée. 
Le  Prophète  dit  à  ses  compagnons  :  La  Mecque  a  envoyé  contre 
nous  ses  enfanU  les  plus  chers. 

Pendant  la  nuit,  fun  des  Ançâr,  un  homme  de  la  tribu  de 
Naddjâr,  vint  trouver  le  Prophète  et  lui  dit  :  0  apôtre  de  Dieu, 
nous  ne  devons  pas  rester  ici.  Larmée  qoraïschite  viendra 
demain  à  Bedr  et  occupera  les  puits,  et  nous  n'aurons  pas 
d'eau.  Il  faut  nous  y  rendre  cette  nuit,  nous  établir  près  du 
puits  le  plus  rapproché  [de  fennemi],  creuser  un  grand  ré- 
servoir, remplir  nos  outres,  parce  que,  pendant  le  combat, 
nous  ne  pourrons  pas  puiser  de  feau  ;  puis  il  faut  mettre  a 
sec  tous  les  autres  puits,  afin  que,  quand  ils  viendront,  ils  ne 
trouvent  pas  d'eau,  tandis  que  nous  en  aurons.  Le  Prophète, 
approuvant  cet  avis,  marcha  en  avant  et  fit  halte  près  des  puits , 
dont  l'un  fut  rempli,  et  les  autres  mis  à  sec.  Dans  la  nuit,  il 
fit  un  rêve.  Il  lui  sembla  voir  que  son  armée  était  dispersée  et 
qu'il  restait  seul.  A  son  réveil ,  il  lit  part  de  son  rêve  à  ses  com- 
pagnons, et  l'interpréta  dans  ce  sens  que  les  ennemis  seraient 
mis  en  fuite.  Il  est  dit  dans  le  Coran  :  «r .  .  .Dieu  t'a  montré  en 
songe  les  ennemis  peu  nombreux;  s'il  te  les  avait  montrés  en 
grand  nombre,  vous  auriez  perdu  courage, ??  etc.  (Sur.  viu, 
vers.  45.) 

Le  lendemain,  les  Qoraïschites  se  mirent  en  marche  pour 
puiser  de  l'eau  et  pour  occuper  les  puits.  Lorsqu'ils  y  arri- 
vèrent, ils  apprirent  que  le  Prophète  les  avait  déjà  occupés. 
Ils  firent  halte  derrière  une  grande  colline  de  sable,  qui  em- 
pêchait les  deux  armées  de  se  voir,  mais  non  de  s'entendre. 
II.  3vt 


498  CIIROMQLE  DE  TA  B  A  Kl. 

Lit  Pi*u|)iiiiU*  st*  (rouvait  sur  \v  terrain  ra|)|»roc'lit*  îles  piiil.s, 
tandis  que  les  Qoraïscliites  élaicnt  sur  un    terrain  éloigne' 
des  |)ui(s,  dans  la  vallée,  comine  il  est  dit  dans  le  Coran  : 
T  .  .  .Vous  étiez  plus  rapprochés  dans  la  vallée  et  les  ennemis 
étaient  plus  éloignés,!?  etc.  (Sur.  viii,  vers.  43.)  Le  lende- 
main, les  Ooraïschites  se  mirent  en  mouvement,  montèrent 
la  colline  de  sable  et  tirent  halte  près  de  Tarmée  de  Ikh/ham- 
med,  de  sorte  qu'ils  purent  voir  de  leur  camp  Tannée  du  Pro- 
phète. Quelques-uns  d'entre  eux  gravirent  le  sommet  de  la 
colline  pour  regarder.  Lorsque  'Otba  parut  sur  le  sommet, 
monté  sur  un  chameau  à  poils  roux,  le  Prophète  le  distingua 
et  dit:  Ils  se  sont  jetés  eux-mêmes  dans  le  précipice;  [>er- 
sonne  ne  les  a  avertis,  sauf  Thonime  du  chameau  rouge.  Ils 
feraient  mieux  de  suivre  son  avis.  Vue  du  sommet  de  la  col- 
line de  sable,  qui  était  grande  comme  une  montagne,  Tarmée 
du  Prophète  parut  très-faible  aux  Qoraîschites;  et  de  même 
Tarmée  ennemie  semblait  peu  nombreuse  aux  yeux  des  musul- 
mans, qui  prirent  courage,  comme  il  est  dit  dans  le  Coran  : 
ff  ...Dieu  les  fit  paraître  peu  nombreux  à  vos  yeux,^  etc. 
(Sur.  vni,  vers.  46.) 

Après  avoir  fait  halte,  les  infidèles  envoyèrent  un  homme 
nommé  'Omair,  fds  de  Wahb,  de  la  tribu  de  Djouma^h,  pour 
reconnaître  les  forces  de  l'armée  musulmane.  Cet  homme 
tourna  autour  de  l'armée  et  l'examina.  Il  revint  et  leur  dit  : 
Ils  ne  sont  pas  plus  de  trois  cents;  cependant  j'irai  voir  s'ils 
n'ont  pas  placé  une  embuscade.  11  se  dirigea  de  tous  côtés, 
et,  revenant,  le  soir,  sans  avoir  rien  trouvé,  il  annonça  qu'il 
n'y  avait  pas  d'hommes  embusqués.  Abou-Djahl  dit  ironique- 
ment :  S'il  faut  combattre,  ces  hommes  ne  sont  pas  de  force 
a  nous  résister;  cependant  vous  combattrez  le  Dieu  du  ciel, 
comme  dit  Mo^hammed  à  ses  compagnons. 


PAUTIE  II,  CJlAiMTJSE  LXXXIX.  41)1) 

Lu  liomnie  nomiiio  Aswad,  fils  d'^Abdou'l-As'ad,  de  la 
Iribu  de  Makhzouin,  dit  :  Jo  jure  que  je  boirai  à  leur  bassin! 
et  il  s'en  approcha.  Mlaniza,  fils  d'^Abdou'I-Moltalib,  se  pré- 
cipita sur  lui,  et,  d'un  coup  de  sabre,  lui  coupa  une  jambe. 
Aswad  tomba,  et  (raina  son  corps  et  la  jambe  détachée,  dont' 
le  sang  coulait,  vers  le  bassin,  en  disant  :  Je  m'y  plongerai, 
j'y  mourrai,  n'importe;  au  moins  aurai-je  {{àté  leur  eau. 
A  ces  mots,  il  se  plongea  dans  le  bassin.  ^Hamza  le  frappa 
d'un  autre  coup  et  le  fit  tomber  dans  l'eau,  qui  fut  mêlée 
de  sang.  D'autres  infidèles  s'approchant  pour  boire,  les  mu- 
sulmans voulurent  les  en  empêcher.  Mais  le  Prophète  leur 
dit  :  Laissez-les;  car  tout  infidèle  qui  boira  de  cette  eau  sera 
tué.  Il  arriva  ainsi  que  le  Prophète  l'avait  dit.  Ensuite  les 
infidèles  cherchèrent  de  l'eau  à  d'autres  puits,  à  la  dislance 
de  deux  ou  trois  parasanges,  parce  qu'il  n'y  avait  d'eau  que 
dans  les  puits  qui  étaient  occupés  par  le  Prophète. 

Les  infidèles  commencèrent  à  craindre  le  Prophète.  En 
effet,  quand  Dieu  voulait  assister  le  Prophète  dans  un  combat 
où  il  se  trouvait,  il  remplissait  de  crainte  les  cœurs  des  en- 
nemis. L'un  des  principaux  personnages  des  Qoraïschites , 
nommé  ^Hakim,  fils  de  ^Hizâm,  leur  parla  ainsi  :  0  Qoraï- 
schites, retournons  1  Quoique  ceux-là  soient  moins  nombreux 
que  vous,  ce  sont  des  hommes  qui  ne  craignent  pas  la  mort. 
Nous  ferons  mieux  de  nous  en  retourner.  Alors  Abou-Djahl  dit 
à  "Amir  ben-Al- Hadhrami  :  Va  et  demande  vengeance  pour  la 
mort  de  ton  frère.  'Âmir  alla  au  milieu  de  l'armée  qoraïschitc 
et  cria  vengeance.  Tous  les  hommes  lui  répondirent  ;  Nous 
ne  retournerons  pas  à  la  Mecque  avant  d'avoir  vengé  la  mor 
de  ton  frère  et  d'avoir  tué  celui  qui  la  fait  mourir.  'Hak*™' 
fils  de  ^Hizâm,  vint  trouver  *0(ha,  fils  de  Uabra,  et  lui   dit  •- 
0  Abou-Walid,  ne  peux-tu  pas  fairi»  que  celle  année  s  en 


500  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

lournt*  uujuuixl'liui  el  que  le  conibal  naît  pas  lieu  ?  Tu  en 
serais  honoré  |>anni  tous  les  Arabes.  'Otba  répliqua  :  Que 
pnis-je  faire?  Le  fils  de  ^Hanzhaliyya  (^Hanzhaliyya  était  le 
nom  de  la  mère  d'Abou-Djahl)  ne  laissera  pas  les  hommes 

4 

partir.  4iakim  dit:  0  Abou-Walid,  il  retient  les  bowiues  en 
alléguant  qu'il  faut  venger  la  mort  d'^Amrou  ben-AI-*Hadhrami. 
^\mrou  était  ton  allié.  Paye  toi-même  le  prix  do  son  sang, 
afin  que  cette  afîaire  soit  apaisée  et  que  les  hommes  s'en  i*e- 
toument  en  paix.  ^Otba  consentit,  sortit,  vint  au  milieu  des 
troupes,  qui  se  réunirent  autour  de  lui ,  et,  s'appuyant  sur  fair 
qu'il  tenait  à  la  main ,  leur  adressa  le  discours  suivaqt  :  Mes 
compagnons  qorai'schites,  qu'allez-vous  faire?  Vous  voulez 
combattre  Mo^hammed  et  ses  compagnons,  qui  sont  tous  vos 
parents!  Comment,  pourrez-vous  les  regarder  et  les  frap|)er 
avec  1  épée?  Ce  sont  des  hommes  ayant  perdu  leur  patrie  et 
leurs  biens  et  vivant  dans  l'exil,  dont  la  vie  est  attachée  à  leurs 
poignées  et  à  qui  la  mort  est  douce.  Tandis  que  vous  tuerez 
un  homme  d'entre  eux,  ils  tueront  dix  des  vdtres.  Si  vous 
voulez  ce  combat  à  cause  de  la  mort  d'^Amrou  ben-Al-^Ha- 
dbranri,  eh  bien,  ^Amrou  était  mon  allié,  je  donnerai  le  prix 
de  «on  sang  i  son  frère.  Ne  dites  pas  :  ^Otba  veut  nous  faire 
retourner  à  la  Mecque,  parce  qu'il  a  peur.  Je  n'ai  pas  peur. 
Ab#u-Djahl,  averti  qu'^Otba  tenait  aux  hommes  ce  langage, 
pour  les  déternriner  à  renoncer  au  combat,  accourut  eu  toute 
hâte  et  trouva  ^Otba  qui  parlait  aux  troupes.  Il  dit  une  seconde 
fois  :  Tu  as  la  colique,  par  crainte  de  Mo^hammed.  Si  tu 
veux  t'en  aller,  va-l'en;  personne  ne  s'en  ira  sur  ton  ordre. 
^Amrou  a  été  tué,  et  son  frère  n'a  que  faire  du  prix  du  sang 
que  lu  veux  lui  payer.  Il  est  devenu  mon  allié;  il  a  renoncé 
aux  Beni-^Abdou'I-Schams,  et  s'est  engagé  avec  nous,  la  tribu 
des  Beni-Makhzoum.  C'est  moi  qui  vengerai  la  mort  de  son 


PAHTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  501 

fiere.  Si  lu  veux  partir,  pars!  'Olba,  irrité  de  ses  paroles,  se 
tut,  prit  son  arc  et  rentra  dans  sa  (ente. 

Abou-Djahl  ordonna,  pendant  la  nuit,  d'allumer  partout  des 
t'eux,  afin  que  la  crainte  empochât  les  musulmans  de  dormir 
tranquilles;  mais  la  plupart  de  ceux-ci  eurent  dans  leur  som- 
meil des  rêves,  comme  il  est  dit  dans  le  Coran  (sur.  viii, 
vers.  1 1),  etle  matin  ils  étaient  obligés  de  se  purifier.  Cepen- 
dant Teau  dans  leur  bassin  était  gâtée,  cl  ils  n'en  trouvaient 
pas.  Alors  Dieu  envoya  une  pluie  qui  ne  tomba  que  du  côté 
des  musulmans,  et  non  du  côté  des  infidèles.  Le  bassin  se 
remplit  d'eau  et  devint  pur,  et  le  sable,  dans  lequel  ils  s'étaient 
enfoncés  jusqu'aux  chevilles,  devint  dur  après  la  pluie.  Tous 
ceux  qui  étaient  impurs  firent  des  ablutions  et  se  purifièrent, 
et  leurs  cœurs  furent  raffermis,  comme  il  est  dit  dans  le  Co- 
ran :  (T  ...  Il  fil  descendre  sur  vous  l'eau  du  ciel  pour  vous 
purifier,^  etc.  (Sur.  vin,  vers  1 1.) 

Quand  le  soleil  parut,  les  Qoraïschites  se  formèrent  en 
lignes  de  bataille.  Ce  fut  le  vendredi,  dix-septième  jour  du 
mois  de  ramadhân,  ou,  d'après  d'autres,  le  dix-neuvième 
jour  de  ce  mois,  Abou-Djahl,  se  plaçant  devant  les  rangs, 
dit  :  0  Seigneur,  viens  en  aide  à  celle  de  ces  deux  armées 
qui  t'est  la  plus  chère!  Dieu  révéla  le  verset  suivant  :  ffVous 
désirez  que  la  victoire  se  décide  pour  vous;  la  victoire  s'est 
décidée  contre  vous,?)  etc.  (Sur.  vni,  vers,  lo.) 

Les  musulmans  n'avaient  pas  de  tentes.  SaM ,  fils  de  Mo'âds, 
vint  auprès  du  Prophète  et  lui  fit  une  cabane,  semblable  à 
une  tente,  de  branches  d'arbres  et  de  feuillages  qu'on  trouvait 
dans  la  vallée.  Il  lui  dit  :  Reste  ici  pendant  que  nous  com- 
battrons, afin  que  le  soleil  ne  t'incommode  pas.  Il  resta  lui- 
même  avec  quelques  Ançâr  à  l'entrée  de  la  cabane  pour  le 
garder.  Le  Prophète  y  entra  avec  Abou-Bekr;  il  se  prosterna, 


502  CJiriOMQlK  DE  TABAHI. 

pleura  vi  invo<(ua  Dieu  en  ces  lennes  :  O  Seigueui%  accomplis 
la  promesse  (|uc  lu  m'as  d  ou  née,  et  envoie  le  secours  que  tu 
m'as  annoncé.  Il  pria  longtemps;  ensuite  il  sortit  delà  cabane, 
et  les  musulmans  se  formèrent  en  ordre  de  bataille.  Le  Pro- 
phète, un  bâton  h  la  main,  passa  devant  les  ranges  pour  les 
aligner.  L'un  des  Ançàr,  nommé  Sewâd,  fils  de  Gbaziyya, 
sortait  un   peu  hors  du  rang.   Le  Prophète  lui   donna  un 
coup  de  bâton  sur  le  ventre  et  lui  dit  :  Aligne- toi!  Sewâd 
dit  :  0  apâtre  de  Dieu,  tu  ni*as  fait  mal;  Dieu  t'a  envoyé 
|K)ur  accomplir  la  justice  ;  laisse-moi  prendre  ma  revanche. 
Le  Prophète  répliqua  :  Prends-la.  Sewâd  le  pressa  sur  son 
cœur  et  l'embrassa.  Pourquoi  fais-tu  ainsi?  dit  le  Prophète. 
Parce  que,  répondit  Sewâd,  je  suis  au  moment  de  paraître 
devant  Dieu;  je  suis  prêt  à  mourir.  Mais,  avant  de  mourir,  j^ai 
voulu  que  ma  peau  touchât  la  tienne,  afin  que  je  sois  préservé 
de  l'enfer.  Le  Prophète  prononça  trois  fois  les  paroles  :  Tu  es 
préservé  de  l'enfer.  Ensuite  le  Prophète  acheva  de  mettre  en 
ordre  de  bataille  ses  troupes,  et  les  infidèles  firent  de  même. 
Le  premier  qui  sortit  des  rangs  de  l'armée  des  infidèles 
fut  *Otba,  à  cause  du  reproche  qu'Abou-Djahl  lui  avait  fait 
de  manquer  de  courage.  Il  était  de  taille  plus  élevée  que  tx3us 
les  Ooraïschites,  et  l'on  ne  trouvait  pas  de  casque  assez  large 
pour  sa  tête.  Il  roula  un  turban  autour  de  sa  télé,  revêtit 
sa  cuirasse,  prit  toutes  ses  armes  et  vint  se  placer  entre  les 
deux  armées.  Son  frère  Schaïba  et  son  fils  Walîd   le  sui- 
virent.  'Otba  défia  les  musulmans  à  un  combat  singulier.  Trois 
hommes  d'entre  les  Ançâr  sortirent  des  rangs  des  musul- 
mans :  *Auf  et  Mo^awwids,   fils  de  ^Ilarilh,  appelés  les  fils 
d'SVfrâ,  du  nom  do  leur  mère,  et  ^Abdallah,  fils  de  Rcw.Vlia  , 
qui  était  l'un  des  principaux   Ancàr.   (lonnnent   vous   ;ii>ne- 
lez-vous?  leur  dit  "Olba.  (lliarun  d'eux  dil  son   nom  ol    sa 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  503 

lainille.  'Olba  dit:  UtMi Irez,  vous  ireles  pas  nos  éyaiix.  Il  y 
a  parmi  vous  beaucoup  de  Qoraïschites  qui  sont  nos  égaux, 
qui  ont  quitté  la  Mecque  afin  de  combaltre  pour  Mo^baninied 
contre  nous.  Ces  trois  hommes  se  retirèrent.  Ensuite  *Olba  cria 
au  Prophète  :  0  Mo^hammed,  envoie  des  hommes  qui  soient 
bien  nos  pairs,  des  Qoraïschites  qui  sont  avec  toi.  Le  Prophète 
dit  à  *Aii\  filsd'Abou-Tàlib,  à  ^Hamza,  fils  d'^Abdou'I-Mottalib, 
et  à  ^Obaïda,  fils  de  ^Hârith,  fils  d'^Abdoul-MotUnlib  :  Allez, 
vous  êtes  leurs  égaux  et  de  la  même  famille  qu'eux.  ^Obaïda , 
le  plus  âgé  d'entre  eux,  se  plaça  en  face  d'^Otba;  ^Hamza, 
devant  Schaïba,  et  ^Ali,  devant  Walfd.  Ces  derniers  étaient 
jeunes  tous  les  deux  :  ^Ali  n'avait  pas  encore  vingt  ans.  'Ilainxa 
était  âgé  de  cinquante-trois  ans.  ^Ali  attaqua  Walid  et  le  fendit 
en  deux.  ^Hamza  tua  également  son  adversaire  Schaïba.  ^Otba , 
luttant  avec  ^Obaïda,  le  frappa  d'un  coup  de  sabre  qui  lui 
coupa  la  cuisse,  de  sorte  que  la  moelle  sortit  de  l'os.  *Ali  et 
'Hamza  accoururent,  tuèrent  'Olba  et  emportèrent  ^Obaïda 
dans  leur  camp.  Le  Prophète,  le  vopnt  dans  cet  état,  lui 
dit  :  Sois  content,  à  ^Obaïda,  tu  n'es  séparé  du  paradis  que 
par  [le  dernier  souffle  de]  ton  âme;  tu  entreras  dans  le  para- 
dis éternel.  ^Obaïda  dit  :  Si  Abou-Tâlib  vivait  encore,  il  ver- 
rail  que  j'ai  réalisé  ce  qu'il  a  dit  dans  son  vers  :  «rNous  ne 
vous  l'abandonnerons  pas  avant  que  nous  et  nos  enfants 
soyons  tués  autour  de  Mo^hammed.?)  J'ai  plus  de  mérite  que 
lui.  Le  Prophète  lui  dit  :  Tu  as  plus  de  mérite  que  lui;  car 
lui  n'a  fait  que  le  dire,  mais  toi,  tu  l'as  réalisé  par  le  fait. 

Ensuite,  le  Prophète  encouragea  les  hommes,  qui  com- 
mencèrent le  combat,  tandis  qu'il  allait  et  venait  dans  le 
camp,  par  devant  et  par  derrière.  Une  flèche  de  l'armée  en- 
nemie frappa  et  tua  un  affranchi  d'^Omar,  fils  d'Al-KhaUâb, 
nommé  MihdjaV   Ensuih*  'Obaïda,  fils  de  'llàrith,  mourut. 


504  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

Uu  (les  Ançâr,  iioinnié  ^Hâritha,  iils  de  Surâqa,  de  la  tribu 
de  Naddjâr,  fut  également  tué  par  une  flèche  de  Tannée  des 
infidèles.  Le  Prophète  excitait  toujours  ses  soldats.  Un  homme 
d'entre  les  Ançàr,  nommé  *Omaïr,  fils  de  ^Hammam,  tenait 
dans  la  main  quelques  dattes,  qu'il  mangeait  sous  les  yeux 
du  Prophète.  Celui-ci,  en  exhortant  les  soldats,  dit  :  Il  ne 
vous  faut,  pour  obtenir  le  paradis,  que  trouver  le  martyre. 
^Omaïr,  entendant  ces  paroles,  jeta  ses  dattes,  en  disant  : 
S'il  en  est  ainsi,  j'ai  assez  d^une  datte  jusqu'à  ce  que  j'entre 
dans  le  paradis.  Il  tira  son  sabre,  se  lança  dans  les  rangs  des 
ennemis,  en  frappa  et  en  tua  plusieurs,  et  fut  tué  lui-même. 
Le  Prophète,  avec  Abou-Bekr,  entra  dans  la  cabane,  se 
prosterna  de  nouveau ,  pleura  et  supplia  ;  il  dit  :  0  Seigneur, 
si  cette  troupe  qui  est  avec  moi  périt,  il  n'y  aura  plus  après 
moi  personne  qui  t'adorera;  tous  les  croyants  abandonneront 
la  vraie  religion.  Il  tenait  ses  mains  levées  vers  le  ciel,  en 
priant.  Enfin  Abou-Bekr  lui  prit  les  mains  et  dit  :  Apôtre  de 
Dieu,  ne  cherche  pas  à  forcer  Dieu  par  ta  prière.  Le  Pro- 
phète répondit  :  Je  demande,  6  Abou-Bekr,  l'accomplissement 
de  sa  promesse.  Pendant  qu'ils  parlaient  ainsi,  Gabriel  vint 
avec  mille  anges,  se  présenta  au  Prophète  et  lui  dit  :  Sois 
content;  Dieu  m'a  envoyé  à  ton  secours  avec  mille  anges. 
Puis  il  lui  récita  ce  verset  du  Coran  :  ff  Le  jour  où  vous  deman- 
diez l'assistance  de  votre  Seigneur,  il  vous  exauça.  Je  vous 
assisterai,  dit-il,  de  mille  anges  se  suivant  les  uns  les  autres.?) 
(Sur.  VIII,  vers.  9.)  Le  Prophète  dit  :  0  mon  frère  Gabriel, 
mille  anges!  Gabriel  dit  :  Trois  mille,  6  Mo*hammed.  — 
Trois  mille!  répéta  le  Prophète.  —  Oui,  cinq  mille,  répliqua 
Gabriel.  Aussitôt  le  Prophète  sortit  en  courant  de  la  cabane 
pour  porter  aux  musulmans  cette  bonne  nouvelle.  Il  cria  à 
haulc  voix  :  Dieu  a  envoyé  trois  mille  anges  à  votre  secours. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  505 

Ils  répélèrent  dans  leur  joie  :  Trois  mille!  —  Oui,  cinq  iiiille, 
rdpliqua  le  Prophète.  Ensuite  Gabriel  récita  au  Prophète  le 
verset  suivant  :  (rDieu  vous  a  secourus  à  Bedr,  car  vous  étiez 
faibles. . .  Alors  tu  disais  aux  fidèles  :  Ne  vous  suffit-il  pas  que 
voire  Seigneur  vous  assiste.de  trois  mille  anges?  tî  etc.  (Sur.  m , 
vers.  1 1 9-1 2 1 .)  Le  Prophète  récita  le  verset  aux  fidèles.  Il  vit 
comment  les  anges,  tenant  dans  leurs  mains  des  bâtons,  se 
mettaient  en  ligne  avec  les  musulmans.  Dieu  leur  avait  or- 
donné de  se  tenir  dans  les  rangs  des  musulmans;  car  moi, 
leur  dit-il,  j'ai  jeté  la  crainte  dans  les  cœurs  des  infidèles,  et 
vous,  frappez-les  sur  la  tète,  sur  le  cou  et  sur  tout  le  corps.  Il 
est  dit  dans  le  Coran  :  «rTon  Seigneur  dit  aux  anges  :  Je  suis 
avec  vous,7î  etc.  (Sur.  viii,  vers,  ta.)  Lorsque  les  anges  se 
disposèrent  à  charger  Tarmée  impie,  le  Prophète  ramassa  une 
poignée  de  poussière  et  la  jeta  contre  les  infidèles,  en  disant  : 
Que  vos  faces  soient  confondues!  Dieu  commanda  au  vent 
de  porter  cette  poussière  aux  yeux  des  infidèles,  qui  en  furent 
aveuglés.  Chargés  par  les  anges,  qui  étaient  en  avant  des 
fidèles,  ils  se  mirent  à  fuir.  Les  anges  les  poursuivirent,  les 
frappèrent  de  leurs  bâtons  et  les  firent  tomber.  Chaque  coup 
qu'un  ange  portait  à  un  infidèle  lui  brisait  tous  les  os  de  son 
corps,  depuis  la  tête  jusqu'aux  pieds,  et  lui  rompait  les  veines 
et  les  nerfs;  Thomme  tombait  et  remuait  convulsivement, 
sans  qu'aucune  blessure  fût  visible  sur  son  corps,  et  sans  que 
son  sang  coulât.  Quand  les  fidèles  arrivaient,  ils  attaquaient 
les  hommes  ainsi  frappés,  leur  faisaient  des  blessures  et 
faisaient  couler  leur  sang.  Les  compagnons  du  Prophète  ont 
raconté  :  Il  y  eut  des  hommes  dont  la  tête  fut  séparée  du 
corps  et  la  nuque  brisée  avant  que  notre  épée  les  eût  atteints. 
H  y  en  avait  d'autres  qui,  lorsque  nous  les  attaquâmes, 
étaient  étendus  par  terre,  agonisant,  mais  sans  blessure.  Leurs 


506  CilHOMULE  DE  TABAIU. 

f*or|is  éuieiii  brisés,  mais  ia  Me  ne  les  avait  pas  eucore  quit- 
tés. Nous  reconuduies  que  cela  uVtait  pas  de  notre  lait,  mais 
iœuvre  de  Dieu.  Il  est  dit,  en  effet,  dans  le  Coran  :  «r  Ce  n'est 
|>as  vous  qui  les  avez  tués,  mais  Dieu;  ce  n'est  pas  toi  qui  as 
jeté  la  poussêèrty  mais  Dieu, -^  etc.  (Sur.  vui,  vei*s.  17.) 

Vers  le  soir,  les  inGdèles  furent  mis  eu  déroute;  les  musul- 
mans les  tuèrent  à  coups  de  sabre  et  Grenl  des  prisonniers.  Le 
Prophète,  en  les  envoyant  à  leur  poursuite,  dit  à  ses  gens  : 
Parmi  ces  inGdèles  il  y  a  plusieurs  membres  de  la  famille  de 
Hâschim,  tels  que  ^Abbâs,  Gis  d** Abou I-Mottalib ,  mon  oucle; 
^Aqil,  Gis  d'Abou-Tàlib ,  père  d'^AIi;  .Vbou  l-Bakbtari,  Gis  de 
Hâschim.  Si  vous  rencontrez  ceux-là  parmi  les  fuyards,  ne 
les  tuez  pas.  Vous  savez  qu'ils  ont  été  forcés  de  marcher  avec 
Tannée.  ^Abbâs  est  un  vieillard ,  qui  ne  m'a  jamais  offeofié  à 
la  Mecque.  Lorsque  les  Qoraïschites  avaient  écrit  un  enga- 
gement de  cesser  toutes  relations  avec  les  Beni-Hâschim, 
Abou'UBakhtaii  Gt  beaucoup  d'efforts,  jusqu'à  ce  qu'il  fût 
parvenu  à  arracher  la  feuille  de  la  porte  de  la  Ka^ba,  où  elle 
était  suspendue,  et  à  la  déchirer.  Donc  ne  le  tuez  pas.  Qui- 
conque d'entre  vous  rencontrera  Abou-Djahl,  qu'il  ait  soin  de 
ne  pas  le  laisser  échapper.  Si  vous  ne  le  rencontrez  pas,  re- 
cherchez-le parmi  les  morts;  car  Dieu  m'a  promis  qu'il  serait 
tué  aujourd'hui.  Si  vous  ne  le  reconnaissez  pas  à  son  visage,  qui 
pourrait  être  couvert  de  poussière,  vous  pourrez  le  distinguer 
à  une  cicatrice  qu'il  a  au  pied.  Dans  notre  enfance,  nous  nous 
trouvâmes  un  jour  dans  la  maison  d'^ Abdallah,  Gis  de  Djoud^ào , 
l'un  des  nobles  de  la  Mecque.  En  quittant  ia  table,  après  avoir 
mangé,  Abou-Djahl  me  poussa  et  voulut  me  faire  tomber; 
mais  il  n'y  réussit  pas.  Ensuite  je  le  bousculai,  el  sou  pied 
ayant  frappé  le  seuil  de  la  maison,  il  se  blessa,  et  son  genou 
a  gardé  la  trace  de  retle  blessure.  Vou8  le  reconnaîtrez  à  ce 


PARTIE  II.  CHAPITRE  LXXXIX.  507 

signe;  Iraiichez-lui  la  Ic'le  ol  apportez-la-moi.  En  (erminanl 
SCS  recommandations,  il  dit  :  Maintenant,  au  nom  de  Dieu, 
allez  et  exécutez  ce  que  je  vous  ai  dit. 

Les  musulmans  partirent  à  la  poursuite  des  inGdèles  qo- 
raïschites.  Le  Prophète,  en  les  voyant  s'éloigner,  dit,  en  bran- 
dissant le  sabre  ([u'il  tenait  à  la  main  :  rr Certes,  cette  armée 
sera  mise  en  fuite;  ils  tourneront  le  dos,7>  etc.  (Sur.  liv, 
vers.  45.) 

Âbou-^Hodsaîl';!,  iils  d'^Otba,  Fun  des  principaux  Mohâdjir, 
qui  était  très-aflligé  de  la  mort  de  son  père,  de  son  oncle  et 
de  son  frère,  qui  avaient  élé  tués  ce  jour-là ,  était  présent  lors- 
que le  Prophète  donna  aux  fidèles  ces  instructions  relative- 
ment à  la  poursuite.  Ayant  entendu  le  Prophète  dire  à  deux 
ou  trois  personnes  :  Ne  tuez  pas  mon  oncle  ^Abbâs,  Âbou- 
^Hodsaïfa  dit  en  murmurant  en  lui-même  :  Nous  tuons  nos 
pères,  nos  frères  et  nos  oncles,  et  lui,  il  dit:  Ne  tuez  pas  mon 
oncle.  Par  Dieu!  si  je  rencontre  *Abbâs,  je  lui  donne  le  pre- 
mier un  coup  de  sabre  sur  la  lôte.  Ensuite  Abou-^Hodsaïfa 
partit  avec  les  musulmans  à  la  poursuite  des  infidèles.  Le 
Prophète,  qui  avait  entendu  ces  paroles,  dit  à  ^Omar,  fils 
d'Al-Khattâb,  présent  à  cette  scène  :  As-tu  entendu,  *Omar, 
ce  qu'a  dit  Abou-^Hodsaïfa?  'Omar  répliqua  :  0  apôtre  de 
Dieu,  autorise-moi  à  le  tuer;  il  est  devenu  infidèle  et  hypo- 
crite. Le  Prophète  dit  :  Il  n'est  pas  devenu  infidèle,  ni  hypo- 
crite; il  parle  ainsi  dans  la  douleur  qu'il  éprouve  de  la  mort 
de  son  père,  de  son  frère  et  de  son  oncle.  ^Omar  insista  et 
voulait  à  toute  force  que  le  Prophète  lui  permit  de  le  tuer.  Le 
Prophète,  qui  auparavant  n'avait  jamais  appelé 'Omar  par  son 
surnom,  lui  dit  :  0  Abou-'Ilafç,  ne  le  tue  pas;  car  peut-être 
Dieu  lui  donnera- t-il  le  martyre,  qui  sera  une  expiation  de 
ses  paroles  el  qui  le  portera  dans  \v  paradis.  Quehju'un  avait 


508  CHKONIQUE  DE  TABARI. 

eultMidu  celte  parole  du  iVophète  et  Tavaii  rapportée  à  Ai>ou- 
'HodsaiTa.  Celui-ci  se  repeuiit.  Il  continua  sa  course,  crai- 
gnant le  cliâlimenl  de  Dieu,  et  disant  :  Peut-être  scrai-je 
tué  et  trouverai-je  le  martyre,  pour  expier  mes  paroles  crimi- 
nelles, comme  Ta  dit  le  Prophète.  Mais  Âbou-^Hodsaïfa  ne 
fut  pas  tué  le  jour  de  Bedr.  II  suivit  le  Prophète  dans  toutes 
les  autres  batailles  et  combattit  avec  ardeur,  dans  la  pensée 
de  trouver  la  mort  et  le  martyre.  Chaque  fois  il  priait  Dieu 
de  lui  accorder  la  grâce  du  martyre  dans  le  combat,  aGn 
d'expier  les  paroles  qu  il  avait  prononcées.  Après  la  mort  du 
Prophète,  lorsque  les  musulmans  combattaient  Mousaïlima 
rimposteur,  Abou-'Hodsaïfa  fut  tué  et  trouva  le  martyre.  Après 
avoir  envoyé  les  musulmans  à  la  poursuite  des  iuGdèles,  le 
Prophète  entra  dans  la  cabane,  pria  et  rendit  grâces  à  Dieu. 
SaM,  Gis  de  Mo^âds,  et  ses  compagnons  se  tenaient  à  Teutrée 
tout  armés,  sur  leurs  chameaux,  aGn  de  protéger  le  Prophète 
contre  toute  attaque. 

Les  croyants,  acharnés  à  la  poursuite  des  inGdèles,  les 
tuèrent  ou  les  Grent  prisonniers.  Un  homme  nommé  Ka^b, 
Gis  d'^Amrou ,  surnommé  Abou'l-Laïth ,  de  la  tribu  de  Solaïm , 
Gl  prisonnier  ^Vbbâs  et  lui  attacha  les  mains,  en  lui  disant  : 
Le  Prophète  m'a  défendu  de  te  tuer.  ^Abbâs  fut  très-heureux. 
Il  avait  sur  lui  vingt  dinars.  Ka'b  les  lui  prit  et  Temmena  au 
camp.  Moudjaddsar,  Gis  de  Dsiyàd,  client  des  Ançâr,  ren- 
contra Aboul-Bakhtari,  Gis  de  Hâschim,  avec  un  de  ses 
amis,  nommé  Djounâda,  Gis  de  Molaï^ha.  Moudjaddsar  dit 
à  Abou'UBakhtari  :  Va ,  ô  inGdèle,  auprès  du  Prophète  de 
Dieu,  qui  m'a  défendu  de  te  tuer.  Mais  je  ne  peux  pas  lais- 
ser la  vie  à  ton  ami.  Abou'l-Bakhtari  répliqua  :  Ma  vie  est 
liée  à  la  sienne;  je  ne  laisserai  pas  tuer  mon  ami.  Malgré 
les  elforts  de  Moudjaddsar,  Abou'i-Bakhtari  lutta  avec   lui. 


PARTIE  II.  CIIAPITUE  LXXXIX.  509 

pour  (lëfendrc  son  ainl,  jusqu'à  ce  qu'il  fiil  Uu!  par  Moudjad- 
dsar,  qui  vint  en  rendre  comple  au  Prophète,  en  lui  racon- 
tant le  fait  et  en  s'excusanl.  Le  Prophète  agréa  ses  excuses. 
*Abd  er-Ra*hmân,  fils  d'*Auf,  qui  avait  reçu  ce  nom  du 
Prophète  en  se  faisant  musulman,  et  qui  auparavant  s'ap- 
pelait *Âbd-^Amrou,  avait  été,  avant  Tislamisme,  lié  d'ami- 
tié avec  Omayya,  fils  de  Khalaf,  et  était  resté  son  ami 
m(^me  après  avoir  embrassé  la  religion  musulmane,  quoique 
Omayya  fût  incrédule.  Celui-ci  continuait  a  l'appeler  *AI)d- 
^Amrou.  *Abd  er-Ra^imân  lui  dit  :  Appelle-moi  *Abd  er- 
Ra^hmân ,  serviteur  de  Dieu.  Omayya  répondit  :  Je  ne 
connais  pas  Ra^ktnân,  je  ne  sais  qui  il  est.  —  Appelle-moi 
alors  ^Abdallah.  —  Je  ne  connais  pas  ^Abdallah;  je  t'appelle- 
rai ^Abdou'i-Ilah.  —  J'y  consens,  répondit  *Abd  er-Ra*hmân. 
Omayya  l'appelait  donc  ainsi.  Or,  le  jour  de  Redr,  Omayya 
et  son  fils  *Alî  se  trouvaient  à  l'armée  qoraïschite.  Lorsque 
son  armée  fut  en  déroute,  Omayya,  qui  était  âgé,  ayant  perdu 
son  cheval  et  ne  pouvant  pas  courir,  resta  en  arrière.  Lui  et 
son  fils  ^Ali,  qui  était  un  jeune  homme  et  qui  ne  pouvait 
pas  quitter  son  père,  étaient  dans  le  camp,  debout,  cherchant 
quelqu'un  à  qui  ils  pussent  se  rendre  prisonniers,  pour  échap- 
per à  la  mort.  ^Abd  er-Ra*hmân,  fils  d'^Auf,  qui  aimait  les 
armures,  était  entré  dans  le  camp,  avait  ramassé  deux  cui- 
rasses et  les  emportait  sur  son  dos.  Omayya ,  l'apercevant  de 
loin,  le  reconnut  et  lui  cria  :  0  *Abdou'l-Ilah ,  viens  et  fais- 
nous  prisonniers,  moi  et  mon  fils,  nous  valons  mieux  que 
ce  que  tu  tiens.  ^Abd  er-Ra^hmân  jeta  les  cuirasses,  les  fit 
prisonniers  et  les  emmena.  Ils, furent  rencontrés  par  Relàl, 
qui,  d'après  une  version,  avait  été  le  voisin  d'Omayya  à  la 
Mecque,  et  qui,  chaque  jour,  avait  été  frappé  et  tourmenté 
par  lui.  Mais,  d'après  une  version  plus  exacte,  Relâl  avait  été 


510  CHRONIQUE  DE  TAHABI. 

Tesclavo  (VOniayyn;  ronimc  il  avait  embrassé  rislainisiiu*,  il 
l'ut  aciielé  par  ALou-Bckr,  ri  donné  par  lui  au  Proplièle,  qui 
TalTranchil.  Omayya  lui  avait  attaché  les  mains  et  les  pieds, 
lui  avait  placé  sur  le  corps  un  bloc  de  pierre,  avait  torturé 
tous  ses  membres,  en  lui  ordonnant  de  renoncer  à  Tisla- 
niismc.  Belâl  avait  répondu  :  Il  n'y  a  qu'un  dieu!  Or,  lorsque 
les  infidèles  s'enfuirent,  Bclâl ,  sachant  qu'Omayya  était  parmi 
eux,  ne  songea  qu'à  s'en  rendre  maître  pour  le  tuer  ou  le 
faire  prisonnier.  En  passant  dans  le  camp,  il  vit  Omayya  et 
son  fds  conduiLs  comme  prisonniei's  par  *Abd  er-Ra^hmân. 
Belàl  dit  :  0  ^Abd  er-Ra*hmân,  oii  menes-tu  ces  infidèles  que 
je  cherche?  —  Tais-toi,  dit  *Abd  er-Ra*hmân,  ce  sont  mes 
prisonniers.  Belàl  répliqua  :  Que  Dieu  ne  me  sauve  pas  s'ils 
échappent  de  mes  mains!  Ce  sont  des  Qoraïschites  infidèles, 
ennemis  de  Dieu  et  du  Prophète.  Les  musulmans  accoururent 
avec  leurs  sabres  et  tuèrent  le  fils  d'Omayya.  *Abd  er-RaMi- 
mân,  en  couvrant  Omayya  de  son  corps,  lui  dit  :  Voilà  tm\ 
fils  qui  n'existe  plus,  ils  vont  maintenant  te  tuer  également. 
Je  n'y  peux  rien  faire.  Dis  :  0  n'y  a  pas  de  dieu  si  ce  n'est 
Allah,  et  MoMiammed  est  l'apôtre  d'Allah.  Omayya  répondit: 
Si  je  pouvais  prononcer  ces  paroles,  je  ne  serais  pas  venu  à 
ce  combat.  *Abd  er-Ra*hmân  dit  :  Alors  sauve-toi,  car  je  ne 
peux  pas  te  protéger.  Omayya,  ne  pouvant  courir  à  cause  de 
son  âge,  dit  :  Si  je  pouvais  marcher,  je  ne  me  serais  pas 
rendu  à  toi,  moi  et  mon  fils.  Ils  parlaient  encore,  lorsque 
les  musulmans  se  tournèrent  vers  lui  et  le  tuèrent.  *Abd  er- 
Ra'hmân  dit  à  Belàl  :  Que  Dieu  ne  le  punisse  pas,  ô  BelaK 
pour  ce  que  tu  as  fait.  J'ai  perdu  mes  cuirasses,  et  tu  as  fait 
tuer  mes  prisonniers,  de  sorte  que  chacun  a  obtenu  quelque 
chose,  exceplé  moi. 

Lorsque  le  Prophète  donna  Tordre  de  rechercher  Abou- 


PARTIE  lï,  CHAPITUR  LXXXIX.  511 

Djciltl,  de  ne  pas  le  laisser  échapper,  de  le  cliertlier  parmi 
les  moris  cl  de  le  lui  amener  mort  ou  vif,  parce  (pie,  di- 
sail-il,  c'était  un  homme  dangereux,  Tun  des  Ançàr,  nonmié 
Mo'âds,  fils  d'^Amrou  ben-Al-Djamou*h,  ne  songea  qu'à  cher- 
cher Abou-Djahl.  Il  le  rencontra  enfin  dans  le  camp  des  infi- 
dèles, monté  sur  un  cheval  arabe;  il  était  avec  son  fils  ^krima. 
Mo*âds,  le  frappant  de  son  sabre,  lui  enleva  le  bras  droit, 
et  Abou-Djahl  tomba  de  son  cheval.  *Ikrima  accourut  et, 
d'un  coup  de  sabre,  coupa  le  bras  de  Mo^âds,  qui  se  sauva. 
Mo*âds  vivait  encore,  n'ayant  qu'un  bras,  sous  le  califat  d'^Olh- 
mân.  D'après  une  autre  version,  Abou-Djahl  serait  tombé  de 
cheval,  ayant  une  jambe  coupée.  Mkrima  se  tenait  devant 
son  père,  et  ne  le  quittait  pas.  Un  autre  homme  des  Ançar, 
nommé  Mo^awwids,  fils  d'^Afrâ,  vint  h  y  passer,  et,  voyant 
Abou-Djahl  assis,  le  sang  coulant  de  sa  jambe,  il  lui  asséna 
sur  les  épaules  un  coup  de  sabre  qui  pénétra  jusqu'à  la  poi- 
trine.  Abou-Djabl  tomba  dans  la  poussière.  *Ikrima  s'ap- 
l)rocha,  frappa  Mo*awwids  et  le  tua.  Voyant  que  son  père 
était  perdu,  il  s'en  alla.  ^Abdallah,  fils  de  Mas^oud,  l'un  des 
plus  faibles  des  musulmans,  s'était  dit  :  Je  m'occuperai  des 
morts;  j'irai  voir  lesquels  d'entre  les  Qoraïschites  ont  été  tués. 
En  examinant  les  cadavres,  il  trouva  Abou-Djahl,  qui  avait 
encore  un  souffle  de  vie.  Il  le  retourna,  l'étendil  sur  le  dos 
et  s'assit  sur  sa  poitrine.  ^A'ddallah  n'avait  pas  d'autre  arme 
qu'un  bâton.  Abou-Djahl  avait  un  grand  couteau;  ^Abdallah  le 
prit  pour  lui  trancher  la  tête.  A  ce  moment,  Abou-Djahl  ouvrit 
les  yeux  pour  voir  qui  il  était.  Reconnaissant  ^Abdallah,  qui, 
avant  l'islamisme,  avait  été  son  berger,  il  lui  dit  :  0  pâtre  des 
timides  moutons,  à  quelle  place  t'es-tu  assis!  ^Abdallah  répli- 
qua :  Que  Dieu  soit  loué  de  m'avoir  accordé  cet  honneur!  — 
Ouel  honneur  vois-tu  en  moi?  dit  Abou-Djahh  Tu  vois  qu'on 


512  CHROMOIE  Ï>E  TABARI. 

a  lue  Uni  de  nobles  Ooraîschiles;  prends-moi  avec  eux  !  Mais 
à  qui  est  la  Ticloire?  \AI>dallaîi  répondit  :  A  Dieu,  à  son  pro- 
phète et  aux  croyants.  Mbdallah  lui  trancha  la  tête ,  la  porta 
au  Prophète  et  la  jeta  sur  la  terre  devant  lui.  Le  Prophète  se 
prosterna  et  rendit  grâces  à  Dieu. 

A  la  tombée  de  la  nuit,  les  musulmans  revinrent  au  camp, 
cessant  la  poursuite.  Le  Prophète  ordonna  de  traîner  les  ca- 
davres au  bord  d^un  certain  puits  sans  eau ,  et  de  les  y  jeter, 
sauf  Omavva,  fils  de  Khalaf,  dont  le  cadaiiTe  était  entré  im- 
médiatement  en  décomposition, 'et  que  Ton  ne  pouvait  pas 
déplacer;  on  Tenfouit  dans  la  poussière.  Le  Prophète,  se 
plaçant  au  bord  du  puits  dans  lequel  on  avait  jeté  les  cada- 
vres, appela  chacun  des  morts  par  son  nom  et  dit  :  O  ^Otba, 
6  Schaîba ,  à  Abou-Djahl ,  à  vous  tels  et  tels ,  vous  étiez  tous 
mes  parents;  vous  m'avez  accusé  de  mensonge,  tandis  que  des 
étrangers  ont  cru  à  mes  paroles;  vous  m'avez  chassé  de  ma 
patrie,  des  étrangers  m'ont  accueilli  ;  vous  m'avez  combattu ,  et 
des  étrangers  ont  combattu  pour  moi.  Tout  ce  que  Dieu  m'a 
promis,  la  victoire  sur  vous  et  votre  châtiment,  s'est  réalisé 
sur  vous.  Les  compagnons  du  Prophète  lui  dirent  :  0  apôtre 
de  Dieu,  paries-tu  à  des  morts?  Le  Prophète  répliqua  :  Ils 
entendent  et  comprennent  comme  vous-mêmes,  seulement 
ils  ne  peuvent  pas  répondre.  Ensuite  le  Prophète  rentra  au 
camp. 

Les  auteurs  qui  ont  rapporté  les  traditions  ne  sont  pas 
d'accord  sur  le  nombre  des  hommes  tués  et  des  prisonniers. 
Les  uns  prétendent  qu'il  y  a  eu  quarante-cinq  prisonniers; 
d'après  d'autres,  il  y  en  a  eu  moins.  Mo^hammed  ben-Djarîr, 
dans  cet  ouvrage,  dit,  ainsi  que f  ai  lu  dans  le  récit  des  guerres 
sacrées  et  dans  d'autres  livres,  qu'il  y  a  eu  soixante  et  douze 
hommes  tués  et  autant  de  prisonniers.  Mais  il  n'y  a  pas  désac- 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  513 

cord  sur  le  nombre  des  morts  musulmans,  qui  s'élevait  à 
quatorze,  six  Mohâdjir  et  huit  Ançâr.  Leurs  noms  se  trouvent 
dans  le  livre  des  Batailles. 

En  revenant  au  camp,  le  Prophète  vit  'Hodsaïfa,  fils 
d^Otba,  la  figure  altërée.  Il  lui  dit  :  Tu  es  peut-être  affligé, 
A  ^Hodsaïfa,  de  la  mort  de  ton  père,  de  ton  frère  et  de  ton 
oncle?  ^Hodsaïfa  répondit  :  Non,  6  apôtre  de  Dieu,  je  n'en 
suis  pas  affligé,  puisque  Dieu  a  donné  la  victoire*  au  Prophète 
et  qu'il  a  fait  triompher  les  musulmans.  Mais  mon  père  était 
un  homme  très-intelligent  et  sage;  j'avais  espéré  que  Dieu  le 
favoriserait  de  l'islamisme;  je  regrette  qu'il  ait  quitté  le  monde 
dans  l'incrédulité.  Le  Prophète  le  consola  et  lui  donna  des 
éloges. 

Il  y  eut  désaccord  parmi  les  musulmans  au  sujet  du  butin 
et  des  prisonniers.  Quelques-uns  ne  voulaient  pas  consentir 
à  un  partage  général.  Mais  Sa*d,  fils  de  Mo*àds,  dit  :  Moi 
et  mes  compagnons  des  Ançâr,  qui  avons  gardé  le  Prophète 
en  restant  à  l'entrée  de  la  cabane,  nous  avons  aussi  droit 
au  butin.  Puis  on  proposa  de  réunir  tout  le  butin  devant  le 
'  Prophète  pour  connaître  son  avis.  Tout  en  discutant,  ils  lui 
demandèrent  comment  ils  devaient  agir.  Le  Prophète  ne  prit 
aucune  décision,  parce  que,  dans  toutes  les  religions,  dans 
celle  du  Pentateuque  comme  dans  celle  de  l'Évangile,  le 
butin  est  une  chose  sacrée.  Il  attendit  une  révélation  divine. 
Enfin  Dieu  lui  révéla  le  verset  suivant  :  rrlls  t'interrogeront 
relativement  au  butin  {ar^àl);  dis  :  La  disposition  du  butin 
appartient  à  Dieu  et  à  son  prophète.  Craignez  Dieu  et  soyez 
d'accord,^  etc.  (Surate  vin,  vers,  i.)  Le  Prophète  ne  prit 
aucune  décision ,  car  Dieu  n'avait  pas  manifesté  sa  volonté. 
On  réunit  tout  le  butin  et  les  prisonniers  en  un  seul  endroit, 
et  l'on  y  plaça  un  gardien,  l'un  des  Ançâr,  nommé  'Abdallah, 
II.  33 


514  CHKOMQUE  DE  TABARI. 

fils  de  Ka^b,  de  la  Iribu  de  ^addjâr.  Le  Prophèle  lui  or- 
donna de  rester  à  son  poste  jusqu'à  ce  que  Dieu  eût  fait  con- 
naître sa  volonté. 

Le  lendemain  de  la  bataille,  le  Prophète  envoya  Zaïd,  fils 
de  'Hâritha,  à  Mëdine,  pour  annoncer  sa  victoire  aux  musul- 
mans qui  y  étaient  restés.  Il  avait  laissé  sa  fille  Roqayya  ma- 
lade. Quand  Zaïd  arriva  à  Médine,  il  rencontra  au  cimetière 
'Othmân;  il  Venait  d'enterrer  Roqayya,  qui  était  morte.  Zaïd 
s'assit  au  bord  de  la  tombe  de  Roqayya,  avec^Othmân;  les 
fidèles  se  réunirent  autour  de  lui  et  lui  demandèrent  des  nou- 
velles. Il  leur  raconta  la  victoire  et  la  manière  dont  tout  s'était 
passé;  il  nomma  tous  les  nobles  Qoraïschites  qui  étaient  morts, 
*Otba,  son  frère  et  son  fils,  Abou-Djahl,  Omayya,  et  tous  les 
autres,  enfin  tous  ceux  qui  avaient  été  faits  prisonniers,  et 
particulièrement  'Abbâs,  fils  d"Abdou'l-Mottalib.  ^Othmân, 
tout  à  fait  étonné,  cligna  des  yeux  et  dit  :  0  Dieu,  est-ce  un 
n^ve  ou  suis-je  éveillé? 

Le  premier  qui  rapporta  la  nouvelle  de  la  bataille  à  la 
Mecque  fut  Al-^Haïsoumân,  fils  d'^ Abdallah,  le  Khozâ^ite, 
qui,  ayant  un  chameau  rapide,  avait  précédé  tous  les  autres. 
Il  n'était  resté  à  la  Mecque,  des  grands  personnages,  que 
Çafv^ân,  fils  d'Omayya;  Abou-Lahab,  fils  d'^Abdou  1-Mottalib; 
Tâlib,  fils  d'Abou-Tâlib,  et  Abou-Sofyân,  fils  de  'Harb.  Ils 
se  trouvaient  réunis  tous  les  quatre  dans  le  temple  avec  quel- 
ques autres  Qoraïschites,  attendant  que  quelqu'un  vint  appor- 
ter des  nouvelles.  Tout  à  coup  quelqu'un  entra  dans  le  temple 
et  leur  dit  :  Al-^Haïsoumân ,  le  KhozàSte,  est  arrivé;  il  est 
dans  lo  BalMiâ,  au  milieu  d'une  foule  de  gens.  Il  raconte 
que  l'armée  qoraïschite  a  été  mise  en  fuite,  que  tous  les 
chefs  ont  été  tués  ou  faits  prisonniers.  Çafwân  envoya  pour 
qu'on  amenai  cet  homme  au  temple.  Il  vint,  s'assit  en  face 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  515 

de  Çafwân  et  raconta  la  défaite.  Ils  furent  tous  stupéfaits.  Il 
leur  nomma  ensuite  ceux  d'entre  les  chefs  qui  avaient  été  tués 
ou  faits  prisonniers.  Il  passa  sous  silence  le  nom  d'Omayya, 
(ils  de  Khalaf ,  ne  voulant  pas  le  dire  en  présence  de  Çafwân. 
Comme  il  énumérait  ainsi  un  grand  nombre  de  personnes 
et  de  chefs,  Çafwân  ne  le  croyait  pas;  il  dit  :  Cet  homme  est 
fou,  il  ne  sait  pas  ce  qu*il  dit;  il  ne  connaît  personne.  Si  vous 
voulez  vous  convaincre  qu'il  est  fou  et  qu  il  dit  tout  cela  dans 
sa  folie,  demandez-lui  ce  qui  est  advenu  de  moi,  pour  voir 
ce  qu'il  dira  :  vous  reconnaîtrez  qu'il  est  fou.  Us  lui  deman- 
dèrent donc  ironiquement  des  nouvelles  de  Çafwân.  II  répon- 
dit: Çafwân  est  ici,  assis  près  de  vous;  vous  vous  moquez  de 
moi.  Mais ,  par  Dieu  I  son  père  Omayya  et  son  frère  *AH  ont 
été  tués.  En  entendant  ces  paroles,  Omayya  poussa  des  cris 
et  se  mit  à  pleurer,  de  même  que  tous  les  autres.  Il  y  eut  des 
cris  et  des  lamentations  dans  toute  la  ville. 

Abou-Lahab  était  malade;  lorsqu'il  apprit  cet  événement, 
la  douleur  produisit  en  lui  une  dyssenterie,  et,  le  lende- 
main, son  corps,  couvert  de  pustules  noires  pestilentielles,  se 
décomposa,  et  il  mourut.  Son  cadavre  resta  trois  jours  dans 
sa  maison;  personne  ne  pouvait  le  loucher  ni  l'enteirer,  à 
cause  de  sa  putréfaction  et  de  sa  puanteur.  Enfin,  son  fils 
^Otba  démolit  la  maison  et  le  laissa  sous  les  décombres.  Les 
pleurs  et  les  gémissements  continuaient  à  la  Mecque  nuit  et 
jour. 

Le  Prophète,  le  jour  oii  il  envoya  la  nouvelle  de  sa  victoire 
à  Médine,  réunit  tous  ses  hommes  dans  le  camp  pour  délibé- 
rer sur  le  sort  des  prisonniers  et  sur  le  butin.  Mo'hammed  ayant 
demandé  un  avis,  ^Omar,  fils  d'Al-Khattâb,  se  leva  et  dit  :  Je 
pense  que  tu  dois  faire  mourir  tous  les  prisonniers.  Ordonne 
que  chacun  tue  le  prisonnier  qui  est  son  parent.  Ainsi,  dis  à 

33. 


• 


516  CHRONIQUE  D£  TABARI. 

^Ali  de  tuer  son  frère  ^Aqil,  et  a  ^Hamza  de  tuer  ^Abbâs;  car 
Dieu  fiait  que  ces  incrédules  n'ont  aucune  place  dans  nos 
cœurs  et  que  nous  n'avons  plus  d'amour  et  d'affection  pour  eux. 
Chacun  doil  tuer  son  parent  de  sa  main,  pour  qu'il  ne  surgisse 
pas  d'hostilitë  [entre  deux  tribus],  ce  qui  arrivera  si  les  pri- 
sonniers sont  mis  à  mort  par  des  étrangers.  Quant  à  ce  butin, 
il  faut  l'enfouir  sous  terre.  ^Abbâs,  assis  au  milieu  des  prison- 
niers, dit  à  ^Omar :  ft  0  'Omar,  tu  supprimes  la  pitié;  que  Dieu 
te  prive  de  pitié!  ?)  Le  Prophète  ne  fut  pas  content  de  cet  avis; 
il  demanda  une  autre  opinion.  ^Abdallah,  fils  de  Bewâ^ha, 
l'un  des  héros  des  Ançâr,  dit  :  0  apôtre  de  Dieu ,  mon  opinion 
est  que  tu  choisisses  une  vallée;  tu  la  feras  remplir  de  bois 
et  brûler  tout  ce  butin;  ensuite  tu  feras  jeter  dans  le  feu  les 
prisonniers.  ^Abbâs  répéta  les  paroles  qu'il  avait  adressées  à 
^Omar.  Le  Prophète,  mécontent  aussi  de  cet  avis,  en  demanda 
de  nouveau  un  autre.  Abou-Bekr  parla  ainsi  :  0  apôtre  de  Dieu , 
ces  hommes  sont  tous  tes  oncles  et  tes  cousins,  aussi  bien  que 
les  nôtres.  Dieu  nous  a  donné  la  victoire  sur  eux;  maintenant 
nous  devons  avoir  pitié  d'eux,  et  les  relâcher  contre  une 
somme  d'argent.  Us  sont  de  condition  élevée  et  riches;  cha- 
cun d'eux  doit  se  racheter.  Ceux-là  alors  seront  libres,  et  les 
croyants  en  auront  obtenu  des  avantages  et  de  la  puissance. 
Le  Prophète  fut  satisfait  de  cet  avis;  il  sourit  et  dit  :  0  Abou- 
Bekr,  il  en  est  d"Omar  comme  de  Gabriel,  que  Dieu  envoie 
partout  où  il  y  a  un  châtiment  ou  un  fléau  à  porter,  comme 

»  

au  peuple  de  Lot  et  au  peuple  de  Pharaon.  Toi,  tu  es  comme 
l'ange  Michel,  que  Dieu  envoie  toujours  pour  porter  la  clé- 
mence; c'est  lui  qui  porte  la  pluie,  qui  porte  la  clémence 
de  Dieu  au  peuple  de  Jonas,  qui  en  détourne  le  châti- 
ment, et  qui  fait  sortir  Jonas  du  ventre  du  poisson.  Tu  es 
encore  comme  Abraham,  qui,  par  pitié  pour  son  peuple. 


PARTIE  II,  CHAPITRJi  LXXXIX.  517 

a  dit  :  trQue  celui  qui  me  suivra  soit  des  miens;  que  celui 
qui  me  désobéira .  .  . ,  mais  tu  es  indulgent  et  miséricor- 
dieux!^ (Sur,  XIV,  vers.  Sg.)  Tu  es  comme  Jésus,  qui  a  dit  : 
«Si  tu  les  punis,  ils  sont  tes  serviteurs.  Si  tu  leur  pardonnes» 
tu  es  le  puissant,  le  sage.7)  (Sur.  v,  vers.  118.)  *Omar  est 
comme  Noé  parmi  les  prophètes;  car  Noé  a  dit  :  «r  Seigneur, 
rr  ne  laisse  subsister  sur  la  terre  aucun  des  incrédules  I  « 
(Sur.  Lxxi,  vers,  97.)  Il  est  comme  Moïse,  qui  a  dit  :  trSei- 
(tgneur,  détruis  leurs  biens, tî  etc.  (Sur.  x,  vers.  88.)  Vous  avez 
raison  Tun  et  l'autre;  maintenant  attendons  ce  quWdon- 
nera  Dieu.  Pendant  la  séance  même,  Dieu  révéla  le  verset 
suivant  :  (t  II  n'a  pas  été  donné  à  un  prophète  d'avoir  des 
(T prisonniers,  sans  faire  un  grand  massacre  sur  la  terre,?)  çtc. 
(Sur.  vm,  vers.  68-70.)  Dans  les  anciennes  religions,  on 
brûlait  le  butin  ou  on  le  cachait  sous  terre,  de  sorte  que  per- 
sonne ne  pût  y  toucher,  et  Ton  tuait  les  prisonniers.  Dans 
ce  verset  du  Coran ,  Dieu  dit  :  Tous  les  anciens  prophètes , 
conformément  à  mes  ordres,  ont  enfoui  sous  terre  le  butin 
et  les  prisonniers,  tandis  que  vous  avez  envie  de  l'avoir.  Je 
vtux  vous  donner  la  récompense  de  l'autre  monde,  mais  vous 
désirez  les  biens  de  ce  monde.  Le  Prophète  ajouta  encore  : 
Si  la  décision  de  Dieu  n'avait  pas  été  de  rendre  le  butin 
licite  dans  votre  religion,  il  aurait  envoyé  sur  vous  un 
grand  châtiment,  parce  que  vous  vous  êtes  tournés  vers  ce 
monde  actuel ,  et  que  vous  avez  désiré  les  biens  de  ce  monde. 
Le  Prophète,  après  avoir  récité  ce  verset,  dit  :  Si  vous  aviez 
été  atteints  par  ce  châtiment,  personne  nWrait  survécu, 
sauf  *Omar.  Enfin  Dieu  envoya  un  autre  verset,  par  lequel 
il  rendit  le  butin  licite.  Le  Prophète  adopta  et  suivit  le 
conseil  d'Abou-Bekr,  et  sa  décision  devint  la  loi.  Le  Pro- 
phète  passa  cette  nuit  au  même  endroit.  Le  lendemain,  le 


518  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

dimanche ,  il  leva  le  camp  pour  retourner  à  Médine.  Le  soir, 
à  la  station,  ^\bdallah,  fds  de  Ka'b,  qui  avait  la  garde  des 
prisonniers,  construisit  une  cabane  à  côté  de  celle  du  Pro- 
phète, et  y  mit  les  prisonniers,  tandis  qu'il  garda  Ventn^e. 
^Abbâs,  ayant  les  mains  fortement  attachées,  gémissait  de 
douleur.  Le  Prophète  l'entendit  ;  il  fut  touché  de  compassion 
et  ne  put  dormir.  Vers  minuit,  il  fit  appeler  ^Abdallah  et  lui 
demanda  pour  quelle  cause  son  oncle  ^Abbâs  gémissait  ainsi. 
^Abdallah  répondit  :  Prophète  de  Dieu,  ses  mains  sont  for- 
tement liées.  —  Il  m'émeut  si  fort,  reprit  Mo^hammed,  que, 
de  la  nuit,  je  n'ai  pu  trouver  le  sommeil. —  Je  vais  lui  délier 
les  mains,  dit  ^Abdallah.  —  Non,  répliqua  le  Prophète,  mais 
relâche  ses  liens;  car  un  oncle  est  un  demi-père.  ^Abdallah 
fit  ainsi;  les  gémissements  d'^Abbâs  cessèrent,  et  le  Prophète 
9'endormit. 

Le  lendemain,  il  continua  sa  route,  emmenant  les  prison- 
niers et  emportant  le  butin.  11  fit  halte  à  une  station  nommée 
Irq-az-Zhabya.  Il  donna  ordre  de  lui  présenter  les  prison- 
niers. On  les  fit  passer  un  à  un  devant  le  Prophète,  qui  était 
entouré  de  ses  compagnons,  tout  armés.  Lorsque  le  Prophète 
vit  passer  *Oqba,  fils  d'Abou-Mo'aït,  le  même  qui  lui  avait 
craché  au  visage  et  que  le  Prophète  avait  fait  vœu  de  tuer, 
il  dit  à  *Ali  :  Va,  ô  ^Alî,  accomplis  le  vœu  du  Prophète.  *Alî 
ayant  tiré  son  sabre  pour  le  tuer,  'Oqba  s'écria  :  0  Mo^ham- 
med,  si  tu  me  fais  tuer,  qui  aura  soin  de  mes  enfants?  Le 
Prophète  répondit  :  Toi  et  tes  enfants  vous  brûlerez  dans 
l'enfer.  Ensuite  ^Ali  lui  trancha  la  tête.  On  fit  passer  devant 
le  Prophète  Nadhr,  fils  de  'Hàrith,  qui  avait  dit  :  «rÔ  Dieu, 
si  cela  est  vrai,  fais  pleuvoir  sur  nous  des  pierres, ?>  etc. 
(Sur.  viii,  vers.  Sa.)  C'est  à  propos  de  Nadhr  que  ce  passage 
du  (loran  a  été  révélé,  de  même  que,  d'après  certains  auteurs. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  519 

.le  verset  :  fr Comme  vous  avez  dësiré  une  clécisiou,^^  etc. 
(Sur.  vui,  vers.  19.)  Sur  Tordre  du  Prophète,  ^Açim,  fils  de 
Thàbil,  fils  d'Abou-AqIa'h ,  tua  Nadhr.  *Açim  était  l'un  des  An- 
çâr.  Mo'hammed  ben-Djarir  dit  dans  cet  ouvrage  que  Nadhr  a 
été  tué  par  *Ali ,  et  ^Oqba  par  ^Âçim,  Cette  version  est  inexacte  ; 
c'est  la  nôtre  qui  est  la  vraie.  Quelques  commentateurs  pré- 
tendent que  les  paroles  trÔ  Dieu,  si  cela  est  vrai,  19  etc.  ont  été 
prononcées,  non  par  Nadhr,  fils  de  ^Hârith,  mais  par  Nadhr, 
fils  d'^Alqama,  le  jour  de  la  prise  de  la  Mecque,  ou  à  la  ba- 
taille de  ^Honaïn. 

Le  lendemain,  le  Prophète  arriva  à  Çafrà,  bourg  qui  est 
situé  entre  deux  montagnes.  Il  ne  s'y  arrêta  pas,  passa  entre 
les  montagnes  et  alla  faire  halte  au  bord  d'un  puits,  à  une 
station  nommée  Arwâq  (?).  Là  il  partagea  le  butin  entre  ses 
compagnons. 

Le  Prophète  avait  un  barbier,  qu'on  appelait  Abou-Hind; 
il  était  affranchi  de  Farwa,  fils  d'^Amrou,  et  était  resté  à  Mé- 
dine.  Lorsqu'il  apprit  la  nouvelle  de  la  victoire,  il  alla  au-de- 
vant du  Prophète  jusqu'à  cette  station.  Il  apporta  un  vase  de 
^haîs,  fait  de  dattes  et  de  lait,  et  le  présenta  au  Prophète,  qui 
appela  ses  compagnons  et  mangea  avec  eux;  et  ils  burent  de 
l'eau  qu'ils  puisèrent  dans  le  puits.  On  rapporte  que,  lorsque 
le  vase  fut  vide,  le  Prophète  invita  chacun  de  ses  compagnons 
à  y  mettre  quelque  chose  de  sa  part  du  butin ,  et  qu'il  le  ren- 
dit ainsi  rempli  au  barbier. 

Le  Prophète  quitta  celte  station  et  se  dirigea  vers  Médine, 
après  avoir  ordonné  à  ^Abdallah,  fils  de  Ka^b,  et  à  ses  com- 
pagnons de  garder  les  prisonniers  jusqu'à  leur  arrivée  à  Mé- 
dine et  jusqu'au  moment  oii  ils  seraient  rachetés.  Il  arriva 
avec  l'armée  à  Rau^hâ,  station  bien  connue,  à  une  étape  de 
Médine.  Les  habitants  de  Médine  sortirent  de  la  ville  et  vin-- 


520  CHRONIQUE  DE  TABARL 

« 

rent  saluer  le  Prophète.  Il  était  assis  lorsqu'ils  arrivèreut, 
et  Tun  des  principaux  Ançâr,  nommé  Osâma,  fils  de  Salama 
(Salama,  fils  d'AsIam?),  se  tenait  devant  lui  avec  sou  sabre. 
C'était  un  homme  très-brave ,  qui  avait  fait  preuve  d'un  grand 
courage  dans  le  combat ,  et  qui  avait  tué  plusieurs  Qoralschites. 
On  lui  demanda  comment  il  était  arrivé  que  tous  ces  nobles 
Qoraïschites  avaient  été  tués.  ïl  répondit  :  Ils  étaient  comme 
de  faibles  vieillards,  quand  nous  les  avons  attaques;  ils  étaient 
comme  des  prisonniers  ayant  les  mains  et  les  pieds  liés,  et 
destinés  à  être  mis  à  mort;  nous  les  avons  tués  un  à  un.  Le 
Prophète  fut  blessé  de  ces  paroles,  qui  jetaient  le  mépris  sur 
les  Qoraïschites,  ses  compatriotes.il  apostropha  cet  homme  en 
ces  termes  :  Tais-loi!  C'étaient  des  nobles  Qoraïschites;  c'est 
Dieu  qui  les  a  mis  en  fuite,  ils  ont  été  frappés  par  les  anges. 

Le  Prophète  quitta  ce  lieu  et  vint  à  Médine..  Il  descendit 
chez  sa  femme  Sauda,  fille  de  Zam^a.  Zam^a,  fils  d'Aswad, 
était  l'un  des  principaux  Qoraïschites;  il  avait  été  tué  dans 
le  combat,  lui  et  ses  frères  'Hârith  et  VAqM.  Aswad,  fils  d'*Abd- 
Yaghouth,  leur  père,  un  vieillard  décrépit,  vivait  à  la  Mecque. 
Sauda  avait  appris  la  mort  de  son  père  et  de  ses  oncles ,  et 
lorsque  le  Prophète  arriva  chez  elle,  elle  se  mit  à  pleurer. 
Le  Prophète  en  fut  attristé,  et  le  soir  il  quitta  sa  maison  et 
alla  dans  celle  d'^Aïscha ,  où  il  passa  la  nuit. 

Le  lendemain  matin,  ^Abdallah,  fils  de  Ka^b,  amena  les 
prisonniers.  Il  demanda  chez  laquelle  de  ses  femmes  le  Pro- 
phète était  descendu.  On  lui  dit  que  c'était  chez  Sauda;  car 
on  ne  savait  pas  qu'il  était  allé  ensuite  chez  ^Aïscha.  En  con- 
séquence, ^Abdallah  conduisit  les  prisonniers  à  la  maison  de 
Sauda.  Quand  celle-ci  vit  des  chefs  qoraïschites,  comme  *Ab- 
bàs,  fils  d'^Abdoul-Mottalib,  comme  *Aq{l,  filsd'Abou-Talib, 
Sohaïl ,  fils  d'^Amrou ,  et  comme  'Amrou,  fils  d'Abou-Sofvàn , 


PARTIE.Il,  CHAPITRE  LXXXIX.  521 

ayant  les  mains  liées,  elle  eut  une  si  grande  surprise  et  en 
fut  si  afiligëe,  qu'elle  oublia  son  propre  malheur  et  sa  dou- 
leur; elle  dit  à  Sohaïl,  (ils  d'^Amrou  :  C'est  ainsi,  ô  gamins, 
que  vous  avez  tendu  vos  mains  ignominieusement  pour  être 
faits  prisonniers?  Pourquoi  n'avez-vous  pas  combattu  pour 
être  tués  en  combattant,  comme  mon  père  et  ses  frères?  Le 
Prophète  fut  averti  qu  on  avait  conduit  les  prisonniers  dans 
la  maison  de  Sauda ,  parce  qu'on  l'avait  cru  chez  elle.  Il  se 
rendit  chez  elle,  et,  en  entrant  par  la  porte,  il  la  trouva  cau- 
sant avec  Sohaïl.  Il  entendit  ses  paroles  et  en  fut  très-irrité. 
Il  lui  dit  :  0  Sauda,  tu  excites  les  infidèles  contre  Dieu  et  le 
Prophète!  Dans  sa  colère,  il  n'entra  pas  dans  la  maison  et 
ne  s'assit  pas;  il  la  répudia  sur-le-champ  et  retourna  chez 
^Aïscha ,  où  l'on  conduisit  aussi  les  prisonniers.  Mo^hammed 
remit  chaque  prisonnier  à  celui  qui  l'avait  pris,  pour  être 
gardé  par  lui  jusqu'à  ce  que  quelqu'un  vint  de  la  Mecque 
pour  le  racheter. 

Sauda  pleura  toute  la  journée  à  cause  de  la  mort  de  son 
père  et  de  ses  oncles ,  et  parce  qu'elle  avait  été  répudiée  par 
le  Prophète.  Elle  souffrait  la  honte  et  la  disgrâce  de  Dieu  et 
de  son  prophète.  Malgré  les  prières  et  les  instances  qu'elle  fit 
transmettre  au  Prophète,  celui-ci  ne  lui  pardonna  pas.  Tan- 
dis que  Sauda  pleurait  à  Médine,  Âswad,  fils  de  Yaghouth, 
son  grand-père,  vieux,  impuissant  et  aveugle,  pleurait  à  la 
Mecque  la  mort  de  ses  trois  fils.  La  douleur  lui  inspirait  des 
élégies  qu'il  envoyait  h  Sauda  et  qui  faisaient  verser  h  celle-ci 
de  nouvelles  larmes.  Dans  l'une  de  ces  poésies,  il  était  dit 
qu'ayant  entendu  à  la  Mecque  pleurer  une  femme,  Aswad  en 
avait  demandé  la  cause.  On  lui  avait  répondu  que  cette  femme 
avait  perdu  un  chameau,  et  qu'elle  pleurait  cette  perte.  Il 
disait  donc  dans  sa  pièce  de  vers  ;  Si  celte  femme  doit  tant 


522  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

pleurer  la  perte  d'un  chameau,  et  en  être  privée  de  sommeil, 
comment  ne  pleurerais-je  pas  et  combien  ne  dois-je  pas  pleurer 
la  mort  de  mes  fils!  Les  femmes  de  Médine  disaient  à  Sauda 
de  demander  au  Prophète  l'autorisation  de  retourner  à  la 
Mecque  auprès  de  son  grand-père.  Sauda  leur  répondit  :  Com- 
ment puis-je  faire  supporter  a  ce  vieillard  aveugle  les  deux 
disgrâces,  celle  de  la  mort  de  ses  fils  et  celle  du  renvoi  de  sa 
petite-fille?  Sauda  était  une  femme  déjà  avancée  en  âge.  Elle 
savait  que  le  Prophète  avait  pour  ^Aïscha  plus  d'amour  que 
pour  toutes  ses  autres  femmes.  Elle  se  tint  tranquille  jusqu'au 
moment  où  il  se  rendit  à  la  maison  d'^4ïscha.  Alors  elle  s'y 
rendit  aussi,  lui  parla  en  personne  et  lui  demanda  pardon  des 
paroles  qu'elle  avait  dites.  Le  Prophète  lui  pardonna.  Ensuite 
elle  lui  dit  :  0  apôtre  de  Dieu,  je  suis  une  femme  vieille,  et 
en  te  priant  de  me  reprendre  pour  femme,  ce  qui  me  fait 
agir  n'est  pas  le  désir  d'obtenir  ce  que  doivent  rechercher 
dans  un  mari  les  autres  femmes;  mais  ce  que  je  désire,  c'est 
d'être  comprise,  au  jour  de  la  résurrection ,  dans  le  nombre  de 
tes  femmes,  lorsqu'elles  seront  appelées  de  leurs  tombes  dans 
le  paradis.  Reprends-moi,  et  les  nuits  que  tu  devrais  passer 
avec  moi  quand  mon  tour  viendrait,  passe-les  avec  ^Ak'scha, 
qui  alors,  tandis  que  les  autres  femmes  n'auront  qu'un  seul 
tour,  en  aura  deux.  *Aïscha  pria  également  le  Prophète,  qui, 
enfin ,  reprit  Sauda  comme  épouse. 

Le  Prophète  avait  donc  confié  chaque  prisonnier  entre  les 
mains  de  celui  qui  l'avait  pris,  pour  y  être  gardé  jusqu'à  ce 
que  les  parents  de  chacun  vinssent  de  la  Mecque  pour  les  ra- 
cheter. Les  gens  de  la  Mecque  voulurent  alors  se  rendre  à  Mé- 
dine, chacun  avec  la  rançon  de  son  parent.  Abou-Sofyân  leur 
(lit  :  Ne  vous  hâtez  pas  trop  de  réclamer  vos  prisonniers.  Moi 
aussi,  j'y  suis  intéressé.  Mon  fils  ^HanzRala  a  été  tué,  et  mon 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  523 

autre  lils  ^Amrou  est  prisonoier.  Si  vous  montrez  trop  d'em- 
pressemeut ,  en  oiïraut  des  sommes  considérables ,  Mo^ham- 
med  fixera  un  taux  trop  élevé;  attendez  quelque  temps.  Il  y 
avait  parmi  les  prisonniers  un  homme  nommé  Abou-Wadâ'a, 
Tun  des  commerçants  de  la  Mecque.  11  avait  un  fils  nommé 
Mottalib,  qui  ne  voulut  pas  attendre;  il  se  rendit  à  Médine, 
racheta  son  père  et  le  ramena  à  la  Mecque.  Alors  les  autres 
allèrent  également  chercher  leurs  parents,  ou  les  envoyèrent 
chercher.  Sohaïl,  fils  d'^Amrou,  avait  un  fils  nommé  Mikraz', 
qui  était  prisonnier  avec  lui.  Sohaïl  pria  le  Prophète  de  gar- 
der son  fils  comme  otage  et  de  le  laisser  partir  lui-même  pour 
aller  chercher  l'argent  de  sa  rançon  et  de  celle  de  son  fils.  Le 
Prophète  consentit  à  le  laisser  partir. 

Le  Prophète  fit  venir  ^Abbàs,  fils  d'^Abdoul-Mottalib,  et 
lui  dit  :  Tu  es,  mon  oncle,  de  tous  les  prisonniers  le  plus 
considérable  et  le  plus  riche.  Rachète-toi  toi-même ,  ainsi  que 
tes  neveux  'Aqîl,  fils  d'AbourTàlib,  et  Naufal,  fils  d^'Hàrith, 
et  ton  client  ^Otba,  qui  tous  les  trois  sont  trop  pauvres  pour 
pouvoir  se  racheter.  ^Abbâs  répliqua  :  0  Mo^hammed,  j'ai  été 
croyant  à  la  Mecque,  et  Ton  m'a  forcé  d'aller  avec  l'armée. 
Le  Prophète  dit  :  Dieu  sait  si  lu  as  été  croyant  ou  non.  Ce- 
pendant, en  réalité,  tu  as  été  avec  les  infidèles,  et  c'est  dans 
l'armée  des  infidèles  que  tu  as  été  fait  prisonnier.  ^Abbâs  dit  : 
Cet  Abou'l-Laïth ,  qui  m'a  fait  prisonnier,  m'a  pris  vingt  dinars  ; 
considère  cet  argent  comme  ma  rançon.  —  C'est  là,  dit  le  Pro- 
phète, un  présent  que  Dieu  a  fait  aux  musulmans. — Tu  m'ap- 
pauvris, dit  ^Abbâs,  je  n'ai  pas  une  fortune  assez  grande  pour 
payer  la  rançon  de  tant  de  prisonniers.  Le  Prophète  lui  ré- 
pondit :  Que  sont  devenus,  mon  oncle,  les  dinars  que  tu  as 
confiés,  en  quittant  la  Mecque,  à  Oumm-Fadhl,  en  lui  disant 
que,  s'il  l'arrivail  uiallfour,  il  devrait  distribuer  cet  argent  outre 


b2à  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

tes  quatre  fils?  — Comment  ie  sais-tu,  ô  Mo^hammcd  ?  —  C'est 
Dieu  qui  m'en  a  averti ,  répondit  le  Prophète.  ^Abbâs  s'écria  : 
Ton  dieu  est  ie  maître  des  secrets.  Tends -moi  la  main,  afin 
que  je  déclare  que  Dieu  est  un  et  que  tu  es  son  prophète,  en 
vérité.  Il  ajouta  :  Personne  n  avait  connaissance  de  ce  fait 
en  dehors  de  moi  et  d'Oumm-Fadhl.  Après  avoir  prononcé 
la  formule  de  foi,  ^Abbâs  paya  la  rançon  des  trois  autres,  qui 
embrassèrent  également  Tislamisme.  Dieu  a  révélé,  à  Fin- 
tention  d'^Abbàs,  le  verset  suivant  :  «rÔ  Prophète,  dis  aux  pri- 
sonniers qui  sont  entre  vos  mains  :  Si  Dieu  reconnaît  dans 
vos  cœurs  ie  bien,  il  vous  donnera  des  biens  plus  grands 
que  ceux  qui  vous  ont  été  enlevés, tj  etc.  (Sur.  viii,  vers.  71.) 
^Abbàs,  après  avoir  embrassé  Tislamisme,  devint  plus  riche 
qu'il  n'avait  été  auparavant,  et  il  disait  :  Dieu  m'a  promis  des 
biens  dans  ce  monde  et  le  pardon  dans  l'autre;  il  a  réalisé  sa 
promesse  en  ce  qui  concerne  ce  monde;  j'espère  que,  pour 
l'autre  monde ,  il  la  réalisera  également. 

On  disait  à  Abou-Sofyân  :  Envoie  la  rançon  de  ton  fils. 
Abou-Sofyân,  qui  était  un  homme  avare,  répondait  :  Ils  m'ont 
tué  l'un  de  mes  fils;  je  ne  peux  pas  racheter  l'autre,  et  perdre 
ainsi  un  fils  et  ma  fortune.  Qu'ils  gardent  mon  fils  jusqu'à  ce 
qu'ils  en  soient  las.  Il  le  laissa  ainsi  un  long  espace  de  temps 
en  captivité.  Enfin,  un  des  Ançâr,  un  vieillard,  nommé  Sa*îd, 
fils  d'^Abd  er-Rah^mâu ,  qui  était  venu  à  la  Mecque  pour  visiter 
les  lieux  saints  et  qui  n'avait  été  inquiété  par  personne ,  fut  saisi 
par  Abou-Sofyân.  Celui-ci  le  prit  comme  gage  de  la  vie  de  son 
fils  et  lui  dit  :  Je  le  donnerai  la  liberté  quand  Mo^hammed  me 
rendra  mon  fils;  s'il  le  fait  mourir,  je  te  tuerai  également.  Sa^id 
fit  avertir  sa  famille,  les  Benî-Naddjâr,  afin  qu'ils  intercédassent 
auprès  du  Prophète.  Celui-ci  renvoya  *Amrou,  fils  d'Abou- 
Sofyân,  à  la  Mecque,  et  Abou-Sofyân  renvoya  Sa^id  à  Médine. 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  525 

Le  Prophète ,  au  moment  de  sa  fuite  à  Médiae ,  avait  laissé  à 
la  Mecque  deux  de  ses  filles  dans  les  demeures  de  leurs  maris, 
qui  étaient  incrédules.  Il  les  avait  mariées  du  vivant  de  Kha- 
didja,  avant  sa  mission.  L'une  de  ces  deux  filles  était  Roqayya, 
mariée  à  ^Otba,  fils  d'Abou-Lahab,  et  l'autre,  Zaïnab,  était 
réponse  d'AbouVAç,  fils  de  Rabf a,  fils  d'^Abdou  POzza,  fils 
d'*Abd-Schams.  Après  le  départ  du  Prophète ,  les  Qoraïschiles 
appelèrent  ses  deux  gendres  et  leur  dirent  :  Répudiez  vos 
femmes,  les  filles  de  Mo'hammed;  nous  les  expulserons  de  la 
ville,  afin  qu'elles  suivent  Mo^hammed.Vous  épouserez  d'autres 
femmes;  nous  accorderons  h  chacun  de  vous  une  fille  issue 
d'une  famille  noble,  celle  qu'il  désirera  épouser.  En  consé- 
quence,'Olba,  fils  d'Abou-Lahab,  répudia  sa  femme  Roqayya 
et  épousa  la  fille  de  Sa*îd ,  fils  d'^Acî,  nièce  d'^Amrou ,  fils  d'*Acî. 
Mais  Abou'l-*Aç  ne  voulut  pas  répudier  sa  femme  Zaïnab ,  qu'il 
ajmait  et  dont  il  était  aimé.  Il  dit  aux  Qoraïschites  qu'il  ne  la 
renverrait  pas,  quand  même  ils  le  tueraient.  Abou'l-*Aç  était 
un  commerçant  connu  à  la  Mecque  pour  sa  grande  probité. 
Roqayya  se  rendit  à  Médine,  où  le  Prophète  la  maria  à  *Oth- 
mân.  Or,  lorsque,  à  la  bataille  de  Bedr,  Abou'1-^Aç  fut  fait 
prisonnier  et  que  le  Prophète  exigea  une  rançon  pour  chaque 
prisonnier,  il  dit  aussi  à  Abou'l-*Aç  de  se  racheter  et  d'envoyer 
quelqu'un  pour  chercher  l'argent.  Abou'PAç  le  fit  deman- 
der h  Zaïnab,  et  celle-ci  réunit  tout  ce  qu'elle  put;  mais  la 
somme  n'était  pas  suffisante.  Alors  elle  y  ajouta  un  collier  de 
perles,  de  cornalines  du  Yemen  et  de  rubis,  qu'elle  avait  reçu 
de  sa  mère  Khadidja,  le  jour  de  son  mariage  avec  Abou'l-*Aç. 
Le  jour  du  mariage,  en  donnant  la  dot  à  sa  tille,  Khadidja 
demanda  à  Mo^hammed  la  permission  de  lui  donner  aussi  ce 
collier,  qu'elle  portait  elle-même;  le  Prophète  l'ouvrit  et  le  mit 
de  sa  propre  main  au  cou  de  Zaïnab.  C'est  ce  collier  qu'elle 


526  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

envoya  au  Prophète  avec  l'argent  pour  la  rançon  de  son  mari. 
Lorsque  le  Prophète  le  vit,  il  le  reconnut  aussitdt  pour  Tavoir 
vu  au  cou  de  KhadMja ,  et  aussi  au  cou  de  Zaïnab.  Le  souve- 
nir de  Khadîdja  se  réveilla  en  lui,  et  aussi  raffection  pour 
Zaïnab,  et  les  larmes  lui  vinrent  aux  yeux;  il  dit  :  Zaïnab  a 
dû  se  trouver  dans  une  bien  grande  peine,  pour  ôter  de  son 
cou  le  souvenir  de  sa  mère  Khadfdja.  Les  croyants,  voyant  le 
Prophète  pleurer,  lui  dirent  :  0  apôtre  de  Dieu ,  nous  t'aban- 
donnons ce  collier  et  cette  rançon  de  bon  cœur;  renvoie-le  k 
Zaïnab,  si  tu  veux,  ou  emploie-le  selon  ton  plaisir.  Nous  tous, 
les  croyants,  nous  te  laissons  maître  de  notre  part,  et  nous 
donnons  la  liberté  à  Abou'I-^Aç.  Le  Prophète  les  remercia  et 
dit  à  Aboii1-'Aç  :  Ma  fille  ne  peut  plus  t'appartenir,  d'après 
la  loi ,  car  elle  est  musulmane,  et  toi ,  tu  es  incrédule.  Lorsque 
lu  seras  de  retour  à  la  Mecque,  renvoie-moi  ma  fille.  H   lui. 
rendit  le  collier  et  l'argent,  et  fit  partir  avec  lui  l'un  des 
Ançâr,  un  vieillard,  et  Zaïd,  fils  de  'Hâritha,  entre  les  mains 
duquel  Abou'l- Aç  devait  remettre  Zaïnab,  pour  qu'il  l'ame- 
nât à  Médine.  Ils  partirent  ensemble.  Arrivés  à  la  dernière 
station  avant  la  Mecque,  ils  s'arrêtèrent,  et  Abou'l-*Aç  entra 
dans  la  ville,  promettant  de  faire  monter,  le  lendemain ,  Zaïnab 
dans  une  litière  et  de  la  faire  escorter  jusqu'à  cet  endroit. 
AbouVAç  avait  un  frère,  nommé  Kinâna,  fils  de  Rabfa,  le 
meilleur  archer  de  toute  la  Mecque,  à  qui  il  confia  Zaïnab, 
en  lui  disant  :  Fais-la  monter  dans  cette  litière,  sur  ce  cha- 
meau, et  conduis-la  au  dehors  de  la  ville  jusqu'à  la  première 
station;  tu  la  remettras  aux  compagnons  de  Mo^hammed,  qui 
la  conduiront  auprès  de  son  père,  et  tu  reviendras.  Kinâna 
prit  son  arc  et  son  carquois  rempli  de  flèches,  jeta  la  bride 
au  cou  du  chameau  et  partit  en  passant  par  le  marché  de 
la  Mecque.  Les  gens  disaient  :  Voilà  la  fille  de  Mo*hammed 


PARTIE  II,  CHAPITRE  LXXXIX.  527 

<|ue  Ton  conduit  à  Mëdine.  Il  a  lue  nos  fils,  nous  ne  laisserons 
pas  partir  sa  fille.  Il  s'éleva  un  tumulte,  on  suivit  Kinâna  et 
on  l'atleignit  en  dehors  de  la  ville.  On  voulut  lui  enlever  le 
chanieau  et  le  ramener  à  la  Mecque.  Kinâna  fit  agenouiller 
le  chameau,  prit  devant  lui  son  carquois,  ajusta  une  fleclie 
sur  son  arc  et  jura  qu'il  tueraitquiconques'approcherait,  jus- 
qu'à ce  qu'il  ne  lui  restât  pas  une  seule  flèche,  et  qu'ensuite  il 
lutterait  jusqu'à  la  mort.  Ahou-Sofyân  avec  d'autres  person- 
nages  considérables  survinrent  et  lui  dirent  :  Ote  la  flèche  de 
l'arc,  afin  que  nous  approchions  pour  te  parler.  Kinâna  ayant 
fait  ainsi,  ils  vinrent  auprès  de  lui  et  lui  dirent  :  Nous  n'a- 
vons rien  à  démêler  avec 'toi.  Cependant,  dans  cette  ville  il 
n'y  a  pas  une  maison  qui  n'ait  été  atteinte  par  le  deuil.  Si 
tu  emmènes  cette  femme  pendant  le  jour,  les  habitants  ne 
peuvent  pas  rester  patients.  Ramène-la,  à  la  vue  des  gens, 
à  la  maison,  et  fais-la  sortir  quand  la  nuit  sera  venue.  Ki- 
nâna fit  ainsi.  Quand  toute  la  ville  fut  plongée  dans  le  som- 
meil, il  conduisit  Zaïuab  en  dehors  de  la  ville  et  la  remit 
à  Zaïd,  fils  de  ^Hâritha,  qui  l'emmena  à  Médine,  auprès  du 
Prophète. 

Zaïnab  resta  sans  époux  pendant  quatre  ans.  Tous  les  prin- 
cipaux musulmans  la  demandèrent  en  mariage;  mais  le  Pro- 
phète ne  raccorda  à  aucun  d'eux.  Au  bout  de  quatre  ans,  une 
caravane  des  infidèles,  parmi  lesquels  se  trouvait  Abou1-*Aç, 
venant  de  Syrie,  fut  pillée  et  enlevée  par  les  musulmans, 
lors  de  son  passage  sur  le  territoire  de  Médine.  Abou'PAç 
se  sauva,  vint  pendant  la  nuit  à  Médine  et  se  rendit  dans  la 
maison  de  Zaïnab.  Le  lendemain,  Zaïnab  avertit  le  Prophète 
et  demanda  sa  protection  pour  Abou'1-^Aç.  Le  Prophète  ac- 
corda sa  protection  et  dit  :  Ma  fille,  garde-le  dans  ta  maison, 
mais  prends  garde  qu'il  no  s'approche  de  toi  ;  car  tu  ne  dois  pas 


528  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

avoir  de  rapports  avec  lui.  Ensuite  il  fit  dire  à  ceux  des  lûu- 
sulmaos  qui  avaient  enlevé  les  biens  d'Abou'l-*Aç  :  Vous  savez 
quelle  est  la  situation  d*Abou  l-*Âç  par  rapport  à  moi.  Cest  un 
homme  qui,  quoiqu'il  soit  incrédule,  n'a  jamais  fait  de  tort 
à  personne;  c'est  un  commerçant  très-honnéte.  Si  vous  ne 
lui  rendez  pas  ses  biens,  il  sera  obligé  de  les  rembourser  à 
leurs  propriétaires.  Rendez-les-lui,  vous  aurez  fait  une  bonne 
action;  car  ces  marchandises  lui  ont  été  confiées  par  d'autres. 
Je  vous  en  serai  reconnaissant.  Si  vous  ne  les  rendez  pas, 
vous  êtes  dans  votre  droit,  car  elles  vous  appartiennent  légi- 
timement. Les  musulmans  réunirent  toutes  ces  marchandises 
et  les  portèrent  au  Prophète,  qui  les  rendit  à  Abou'l-*Aç. 
Celui-ci  retourna  à  la  Mecque,  et  remit  les  marchandises  à 
leurs  différents  propriétaires;  tous  furent  satisfaits  et  aucun 
d'eux  n'eut  rien  à  réclamer  de  lui.  Ensuite  il  revint  à  Médine, 
embrassa  l'islamisme,  et  le  Prophète  lui  rendit  Zaïnab.  Quel- 
ques-uns disent  qu'il  célébra  de  nouveau  le  mariage;  d*autres 
prétendent  qu'il  ne  fit  que  rétablir  les  droits  de  l'ancien  ma- 
riage. 

Il  y  avait,  parmi  les  Qoraïschites,  un  homme  nomme 
^Omaïr,  fils  de  Wahb,  de  la  tribu  de  Djouma^h,  brave  et  in- 
trépide; mais  il  était  pauvre  et  vagabond.  Il  avait  accompli  de 
nombreux  actes  de  bravoure  et  de  témérité.  Ce  fut  lui  qui , 
le  jour  de  Bedr,  avait  reconnu  la  force  de  l'armée  du  Pro- 
phète. Il  était  réputé  pour  son  habileté  à  estimer  la  force 
d'une  armée  et  pour  sa  connaissance  des  routes  du  désert.  Le 
jour  de  Bedr,  il  avait  avec  lui  son  fils,  nommé  Wahb.  Lorsque 
l'armée  qoraïschite  fut  défaite,  il  se  sauva;  mais  son  fils  fut 
fait  prisonnier.  Un  jour,  il  causait,  dans  le  temple,  avec  Çaf- 
wân ,  fils  d'Omayya,  de  l'affaire  de  Bedr.  Affligé  de  ce  que  son 
fils  était  prisonnier,  ^Omaïr  dit  :  Je  n'ai  pas  d'argent  pour  payer 


PARTIE  H,  CHAPITRE  LXXXIX.  529 

sa  rançon.  Si  jo  n'avais  pas  une  nombreuse  famille,  que  jo 
crains  de  laisser  dans  la  misère  après  moi,  j'irais  à  Médine, 
sous  prétexte  de  racheter  mon  fils ,  et  y  attendrais  le  moment  oii 
je  rencontrerais  Mo^hammed  à  un  endroit  isolé,  et  je  le  tuerais, 
quand  même  j'y  devrais  trouver  la  mort.  Çafwàn  lui  dit  :  Je 
me  charge  de  tes  enfants;  je  les  entretiendrai  aussi  longtemps 
que  je  vivrai.  —  Mais  j'ai  des  dettes,  dit  'Omaïr. — Je  payerai 
aussi  tes  dettes,  répliqua  Çafwàn. Omaïr,  ayant  reçu  de  Çafwân 
des  armes  et  tout  ce  qui  lui  était  nécessaire  pour  le  voyage, 
quitta  la  Mecque  pour  aller  à  Médine.  Gabriel  vint  auprès  du 
Prophète  et  lui  fit  connaître  ce  complot  et  l'arrivée  d'^Omaïr. 
Le  Prophète,  se  trouvant  dans  la  mosquée,  vit  entrer  par  la 
porte  'Omaïr;  il  lui  demanda  :  Que  viens-tu  faire  ici?  *Omaïr 
répondit  :  Je  viens  pour  mon  fils,  qui  est  ])risonnier.  Je  suis 
pauvre  et  n'ai  pas  de  quoi  payer  sa  rançon.  Je  suis  venu  pour 
te  prier  de  lui  montrer  de  la  clémence  et  de  le  délivrer  de  la 
captivité.  Le  Prophète  dit  :  Tire  Um  sabre  du  fourreau.  Le 
sabre  était  flamboyant.  Le  Prophète  reprit  :  Chien,  est-ce 
avec  un  sabre  pareil  que  l'on  va  chercher  un  prisonnier? 
Qu'avez-vous  concédé,  toi  et  Çafwàn,  fils  d'Omayya,  dans 
le  temple  de  la  Mecque?  Dans  quel  but  t'a-t-il  envoyé  ici? 
*Omaïr  fut  stupéfait;  il  dit  :  0  Mo'hammed,  qui  t'a  appris  ce 
fait?  —  Dieu  me  l'a  appris,  répliqua  le  Prophète.  —  Par  le 
dieu  qui  t'a  donné  ta  mission  prophétique,  dit  'Omaïr,  je  n'ai 
communiqué  à  personne  ce  secret,  qui  n'est  connu  que  de  moi 
et  de  Çafwàn!  Présente-moi  la  formule  de  foi,  afin  que  je  dé- 
clare qu'il  n'y  a  qu'un  dieu  et  que  tu  es  son  prophète.  'Omaïr 
embrassa  l'islamisme,  et  le  Prophète  donna  la  liberté  à  son 
fils,  qui  se  fit  également  musulman.  Ils  retournèrent  à  la 
Mecque,  et  le  Prophète  leur  recommanda  de  servir  de  guides 
dans  le  désert  à  ceux  d'entre  les  musulmans  qui  voudraient 

II.  3'i 


530  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

aller  de  la  Mecque  à  Médine.  Ils  exéculèreut  cet  ordre  du  Pro- 
phète jusqu'à  la  mort  d'^Omaïr. 

11  s'est  écoulé  treize  mois  enlre  le  combat  de  Bcdr  et  celui 
d'O'hod.  Le  Prophète  revintducombatdeBedr  quatre  jours  ou, 
d'après  une  autre  version,  sept  jours  avant  la  fin  du  mois  de 
ramadhân.  L'année  suivante,  la  troisième  de  Thëgire,  au 
mois  de  schawwâl,  le  septième  jour  du  mois,  il  partit  pour 
O^hod.  Pendant  ces  treize  mois,  il  y  eut  sept  expëditions. 

Celles  qu  il  commanda  lui-même  furent  :  Texpéditiou  de 
Kodr,  l'expédition  de  Sawiq,  l'expédition  contre  les  Qainoqâ' 
et  l'expédition  de  Dsou-Amarr.  La  première  de  celles  qu'il 
fit  exécuter  par  des  d('lacliements  de  troupes,  sans  y  prendre 
part  lui-même,  fut  l'expédition  contre  Ka^b,  fils  d'Aschraf;  la 
seconde  fut  l'expédition  contre  Sallam,  fils  d'Abou'l-*Hoqaïq, 
qui  fut  tué  dans  sa  forteresse  de  Khaïbar.  Mous  raconterons 
toutes  ces  campagnes  dans  leur  ordre. 


Kl>    l)(i   TOME   DEUXIEME. 


NOTES. 


Page  3,  ligne  ^o  :  Le  premier  Jut  Tibère.  .  .  Tout  ce  passage,  jusqu'aux 
mois  :  Du  tetnpt  des  rois  Aschkaniens ...  p.  5 ,  1.  96 ,  ne  se  trouve  que  dans 
les  manuscrits  A  ot  D. 

P.  6 , 1.  9^  :  Parmi  eux  il  y  avait  deux  frères,  .  .  Ces  noms  présentent  des 
variantes  considérables  dans  tous  les  manuscrits.  A  :  «Mâlik  et  'Amrou,  fils 
d'Abou-Rekr,  fils  de  Temim;  Mâlik,  Gis  de  Zohaïr,  fils  d"Amrou,  fils  de 
Fahr,  fils  d'Abou-Temlm ,  leur  cousin;  Khanfâr,  Gis  de  Konos  (  (j^i^)*  Gis 
d"Amrou ,  Gis  d**Adnân  ;  Zohaïr,  Gis  d'Al-'Hârilh  ;  ÇâU'h ,  Gis  de  Çoub'h. ^  — 
D  :  r^Mâlik  et  'Amron ,  Gis  de  Nabr,  Gis  de  Témlm  ;  Mâlik,  Gis  de  Zohaîr,  Gis 
d'Al-Hârilh;  Çéli'h,  GlsdeÇoub'h,  Gis  de^Hârith.»  — E,  J,  K,  B,  L  (sauf 
les  corruptions)  :  «Mâlik  ot'Amrou,  Gis  de Taïm- Allah  ;  Mâlik,  Gis  de  Zohair, 
Gis  d^'Amrou,  Gis  de  Fahm  (oïl  Fahr),  Gis  de  Taïm-Allah;  Khanfâr,  Gis  de 
Ya'hwâ(^^),  Gis  d^'Amir,  Gis  de  Ma'add,  Gis  d^'Adnân;  Ghatafân,  Gis 
d'iyâd  (Anân,  Abâd);  Çali'h  (Çabi'h,  Çai'h),  Gis  de  Çabi'h  ('Harb),  Gis 
d'iyâd  (  AbAd).?)  —  F.  Les  trois  premiers  noms  comme  dans  E,  J ,  etc.  Puis  : 
«Khanfâr;  Ghatafân,  Glsd^Amrou;  Zohair,  Gis  d'Al-'Hârith;  Dha'h,  Gis  de 
Dha'h.T)  —  G  :  «Amr,  Gis  de  Fahm,  fils  de  Taïm-Allah  Qa'hlân;  Zohaïr,  Gis 
d"Amr,  Gis  de  Fahm,  Gis  de  Taïm-Allah  ;  Khanfâr,  Gis  de^^JjJl^  Gis  de 
Ma'add',  Gis  d^'Adnân;  Zohaïr,  Gis  d'Al-'Hârith,  Gis  de  Zohaïr,  Gis  d'Abâd; 
Çoub'h,  Gis  de  Çai'h,  Gis  d'Al-'Hârith,  Gis  dTyâd. 

P.  8,  1.  19  :  Les  manuscrits  présentent  ici  la  même  confusion  dans  les 
noms  propres  que  ci-dessus. 

P.  10,  1.  93  :  Naçr,  Jils  de  Rabx'a.  Ainsi  tous  les  manuscrits.  Cepen- 
dant, pins  loin,  p.  98 ,  l.  98  ,  ils  portent  :  «Rabi'a,  Gis  do  Narr.n 

3/i. 


532  CHRONIQUE  DE  TABARI. 

P.  11,1.19:  Dkmzmn.  Le  roaDUScrit  D  les  appelle y^  et  ^^^K'  F  :  ^jyy^ 
A   ^y^'  H  les  deux  ensemUe  ^vJVy^-  L^  autres  manuscrits  portent 

p.  19.  I.  «3.  A  partir  d'ici ,  il  y  a  une  lacune  de  quelques  feuillets  dans 
le  manuscrit  G.  Elle  sVtend  jnsqu^à  la  fin  de  Thistoire  de  'Hasan  «  fik  de 
Tobba'. 

P.  17,  I.  10  :  Dkarfh.  Les  manuscrits  portent  cj>v<'- 

P.  91,  I.  99  :  Lu pœriinflaritn  teerèUt.  L^l  ^U;  c5*^^  cLV-^S^^-^yj  ^'r^ 

P.  3i,  I.  i3  :  Tobha  aboH-Kanb.  Les  manuscrits  portent  .^^ — Vf ,  leçon 
évidemment  erroné. 

P.  3 1 , 1.  1 5.  Les  manuscrits  E ,  I ,  K ,  B ,  L  attribuent  les  faits  qui  suivent 
à  Tobba'  le  Jeime. 

P.  39, 1.  99  :  MohofttmedffiU  de  Djonr, dit  gmecre.  Ce  passage ,  jusqu'^aux 
mots  :  Quant  au  nombre.  .  .  p.  /isi,  i.  95,  ne  se  trouve  que  dans  les  manus 
crils  A  et  F. 

P.  ^^,  L  5:  iiseï  Meghdzi.  Le  manuscrit  G  finit  avec  ce  chapitre  le 
«leuxièmp  livTe  de  la  Chronique. 

P.  68,1.  1 5  :  DtVti  envoya  un  ange.  Les  manuscrits  E,  I ,  K ,  B ,  L  portent  : 
f  range  de  la  mer.  y> 

P.  66,  i.  93.  A  donne  533  ans  selon  les  chrétiens,  et  ao6  ans  selon  les 
mages;  (i  :  5i/i,  590  et  a66  ans;  E,  f,  K,  B,  L:  5ao  et  960  ans. 

P.  67,  1.  6  :  Juipi*à  la  cinquième  génération.  Le  manuscrit  D  dit  qu^il  > 
ont  dix-sept  descendants,  de  père  en  fils,  portant  le  nom  de  Sâsén. 

P.  67,1.  6:Khir.  G  lyA^. 

P.  67,  I.  19  :  DjouzheTy  yt;^,  d'après  F.  A  donne  « Djerhli ; "  D,  E,  I, 
K ,  B ,  L  :  «  Djouher.  r> 

P.  67,  avant-dernière  ligne:  Minehecheb,  E,  1,  K,  B,  L:  ,^,^,^fimjè. 


NOTES.  533 

P.  6S,  dernière  ligne  :  Djoubatân.  A  :  jjJv*m-  ^  -  J}j'  B»  K  :  ^ULij^. 
L  :  ^LuLx^. 

P.  69,  I.  1  :  Parwk.  K:  yj^[j.  I,  K,  B,  L:^.w-#L».  —  Après  celle  con- 
quéle,  les  manuscrils  E,  I,  K,  B,  L  menlionnent  encore  celle  de  Minou- 
schebr  el  d^Arzizwân. 

P.  69,  I.  10  :  Peu  après f  Bâbek  mourut.  Celle  phrase  se  Irouve  seulement 
dans  les  manuscrits  de  la  seconde  rédaction. 

P.  C9 , 1.  a5  :  Rdhqar.  A  :  fs^j'  D ,  G  :  %<^y  F  :  vÀ^j* 
P.69,l.37:B(fAtr.  D:  «Mâhir.n  F:  «Qâhir.7)  E,  I,  K, B,L:RHâmân.T> 


P.  70,  1.  18  :  Iswer,  A  :  ^J:^I•  D:  >yS^I-  K»  h  K,  B,  L:  jiy»«ut 


on 


P.  71,  1.  16  :  Ce  Djouzher. .  .  Celle  phrase  ne  se  Irouve  que  dans  les 
manuscrits  de  la  seconde  rédaction. 

P.  7a ,  1.  3  :  Bertâm.  A  :  «  Berschâm.  »ë,I,K,B,L:r  Sém.  » 

P.  79 , 1.  7  :  SehâhSchâpour.  A ,  F ,  G  :  «Schâd-Schâpour.7» 

P.  7a,  1.  lâ  :  Pirouzt.  A  :  /j-L'^y-  G  :  (J%y*^-  E- y^^cVH-  '  •  y^^O^- 
K,  B,  L:  y5*juo.  D  :  >^  J^- 

P.  73, 1.  aa  :  Bevda.  A,  G  :  J>*^.  E,  I,  K,  B,  L  :  \o^- 

P.  73,  1.  9  :  Dàrbenddn.  G  :  « Dârbendâd. t»  D  :  «Dârbtd.T)  E,  B:  nDân- 
Bidâd.^  I  :  «Kârbendâd.»  K  :  «Btdâd.^  L  :  nKân-Bidâd.^ 

P.  73 , 1.  a6  :  Niichabour,  Les  manuscrits  A  el  F  donnent  (Jy^  et  tiyo- 
J'ai  rétabli  ce  nom  d'après  Mirkhond.  Les  autres  manuscrils  ne  le  donnent 
pas. 

P.  73,  dernière  ligne  :  Sdtiroun,  Les  manuscrils  donnent  aJixam,  diffé- 
remment ponctué ,  ^'ylgw ,  etc. 

P.  76,  I.  11  et  suiv.  Au  lieu  de  ces  noms,  le  manuscrit  E  el  ceux  de  sa 
famille  donnent  les  noms  suivants  :  «Ardeschir-Khourè,  Bâm-Ardeschir, 
Dîw-(ou  Bewâd-)  Ardeschir,  Hormuzd-Ardeschir,  Jsâbâd-Ardosohir,  Nour- 
Ardps4"hîr.'? 


iu  «:HRo>i»;frE  le  tasibi. 

r«  ,Mn^.  E.  I.   K.  p.  I.  :  *Lq  iDÔbed 


p.  -1.  L  t3  :  5tHU> tmr .     .  htf  mw  m —  Ld  ÂcK^i-r  t»    se  lroa«e  que 
*»-t*G.E.  B.L 

P.  ?o.  L  17.  E.  k.  B.  L  iMTtaC  *|K  Scèùpaor  appda  eettp  vîlte  Tîkril . 


P.  ■^:s .  L  16.  Os  icTf .  tu"  I  (im— ifi  du»  le  leile.  sool  l«s  m^mes  que 
oesx  ^Mit  il  «si  yg^iwn  «lass  ie  pr^Mipr  loème  de  cette  tradociioQ .  p.  09  j . 
H  <|4»e  te  maaascnt  F  a«ait  dooius»  iarampieis  à  cette  place.  Les  lers  d^'Am- 
roo  b«!i»-<3!-T'?kma  <*f  îi^nt  dan^  \^  KtUih^-«l-.A.jkmmi  <  oi«.  de  la  Bibl.  înipér. 
soppL  ar.  t  iiS.  t.  I.  fol.  91  «'  . 

P.  ^5.  I.  I  I  :  Ai^iL  •;  :  -  UdbiL-  F  :  rBlI.-  K  :     Lo- 

P.  89 .  t.  6.  Tous  les  manascnts  sont  d'accord  dans  cette  geo^togie  des 
fw  des  Arabe».  F  ne  <kMiDe  qo'uoe  seale  soccesÂoo  :  *IinrcNil-Qaîs.  fib 
d'Anirwi.- 

P.  ^9 . 1.  9 1  :  [ .  .  .  Bmkrim^JU»  de  Bmkrém.  \  Ces  mots  ne  se  trou>«ait  daiB 
aocoD  maouscrît;  seolement  les  manuschU  E.  1,  k.  B,  L  doooeot  comme 
quatrième  roi  Honnutd*  fils  de  Bahrim:  ib  présenleot  encore  cette  leçon 
«lanf  le  chapitre  suivant,  et  font  suco^der  à  Bahràm.  fils  de  Honunzd,  Hor- 
mozd.  fib  de  Babrim. 

P.  90,  J-  5  :  Trou  an*  et  trou  moù.  G  ajoute  :  -et  trois  jours."  L  :  r  .Neuf 
ans  et  trois  mois.-  B  :  -Neuf  ans  et  neuf  mois." 

P.  90.  Void  le  commencement  du  chapitre  if  d*après  les  manuscrits  £, 
I,  K,  B,  L  :  -Lorsque  Hormuzd,  fib  de  Bahrâm,  monta  sur  le  trône  et  mit 
la  couronne  sur  sa  tête,  il  prit  le  titre  de  mi  des  roù.  Il  avait  été,  du  >i>ant 
de  son  père,  gooTemeur  de  Seîstin.  Son  père  Tavait  rappelé  et  Tavait  nommé 
son  successeur . .  .  *» 

P.  90,  I.  1 5  :  Quatre  aru.  E ,  B  :  ^  Quati'e  ans  ^t  quatre  mois.  *>  G  :  <»  Quinze 
ans.*)  K,  L:  -Quarante ans. t? 

P.  91,  I.  10:  Uormuzd araii  encoyp.  .  .  Ce  ppcit  no  se  trouve  que  dans  A, 
\) ,  F. 


NOTES.  535 

P.  93, 1.  a 6  :  Mille  homme».  E,  1 ,  K,  B,  L  :  («Quatre  raille  hommeii.n 

P.  9/i,  1.  la  :  //  ^  avait  dans  le  Ba'hrain.  Au  lieu  de  ces  mots,  les  ma- 
nuscrits E,  I,  K,  B,  L  portent:  ^11  se  dirigea  vers  la  ville  de  Hadjr,  dans 
laquelle  se  trouvaient  des  Arabes.  .  .  ^ 

P.  90 , 1.  1  :  Schâpour.  E ,  I ,  K ,  B ,  L  :  r  Irân-Schâpour.  »  Les  deux  phrases 
qui  suivent  ne  se  trouvent  complètes  que  dans  ces  mêmes  manuscrits. 

P.  100,  dernière  ligne:  Etjit  tout  rétablir.  E,  I,  B,  L  ajoutent  qu'il  lit 
apporter,  de  Boum ,  de  la  terre  pour  les  constructions. 

P.  101,  1.  i3:  Imrou'l-Qaîs.  A  donne  ^jjJc^sJI  ^j^Jjf  ay«I,  de 
même  que  plus  loin,  p.  io5,  1.  3.  I^es  manuscrits  E,  K,  B  portent  :  %^^l 

P.  103,  1.  16  :  Pendant  quatre ant.  G  :  «Quatorae  ans.T» 

P.  10^.  Avant  rhistoire  de  Bahrâmgour,  le  manuscrit  D  porte  :  «Le  règne 
de  Yezdedjerd  al-AtbIm  dura,  suivant  une  opinion,  vingt-deux  ans,  ou, 
suivant  une  autre  opinion,  quarante -deux  ans  cinq  mois  et  tcciie  jours.  ^ 
Le  même  manuscrit  donne  ensuite  un  tableau  plus  exact  des  rois  de  'Hira  : 
«Lorsque 'Amrou,  filsd'imrouM-Qaïs,  périt,  du  temps  de  Schâpour,  fils  de 
Schâpour,  Schâpour  plaça  à  la  tète  des  Arabes  Ans  (ms.  yo),  fils  de  Qa- 
lâm,  descendant  des  Amalécites,  des  Benî-'Amrou-ben-AmlIq.  Celui-ci  fut 
renverse  et  tue,  après  un  règne  de  cinq  ans,  par  Dja'hdjaba,  fils  de  Lakhm, 
sous  le  règne  de  Babrâm,  fils  de  Schâpour.  Il  eut  pour  successeur  Imrou'l- 
Qaïs,  qui  gouverna  les  Arabes,  au  nom  des  rois  de  Perse,  pendant  vingt-cinq 
ans.  Il  mourut  du  temps  de  Yezdedjerd  al- Atliim ,  qui  nomma  à  sa  place  son 
fils  No'mân,  dont  la  mère  était  Scbaqiqa,  fille  d'Abou-Babi'a,  fils  de  Dohl, 
fils  de  Scbaîbân.  Ce  No'mân  était  le  possesseur  du  Khawamaq.?) 

P.  loi^,  chap.  XXI.  Dans  Thisioire  de  Bahrâmgour,  le  manuscrit  G  s'é- 
loigne complètement  des  autres  manuscrits,  moins  pour  le  fond,  qui  seule- 
ment est  très-abrégé,  que  dans  la  forme.  Les  expressions  sont  tout  autres, 
et  semblent  reproduire,  non  un  original  arabe,  mais  directement  une  source 
persane. 

P.  io5,  1.  lû:  AVwMin.  Lo  manuscrit  (i  donne  «Moundsir,-  de  même 
qiK^  dans  la  suite  du  récit. 


535  CHHONIQI'E  DE  TABARI. 

P.  1 06, 1.  Il  :  Un  UinwHi'nè.  E.  I ,  K,  R,  L  ajouteiil  :  w  D'une  haiileur  de 
vingt  coudées.  « 

P.  106, 1.  ai  :  Pendant  cinq  ans.  E,  I,  K,  B,  L  ajoutent  :  -r  Quelques-uns 
disent  pendant  vingt  ans.» 

P.  107, 1.  a3  :  Mo  hammeih  fil*  de  Djarir.  .  .  Cette  phrase  ne  se  trouve 
que  dans  E ,  K ,  B ,  L. 

P.  107,  dernière  ligne  :  'Abdoul-Aztz.  A  :  «'Otba  ben-'Abdou'J-'Azîx.  ?»  Mais 
plus  ioiu  il  écrit  toujours  «^AbdouVAxli.T» 

P.  108, 1.  37  :  Les  deux  premiers  de  ces  vers  se  lisent  dans  le  Kitdlh-al' 
Aghâni(i,  I,  fol.  9a  ).  Voyez  aussi  Maîdani,  Prov.  éd.  de  Freytag,  1. 1,  p.  280. 

P.  1 09, 1.  a6  :  So*mân  avait  la  religion  den  Arabet.  • .  Avant  ce  récit,  le 
manuscrit  D  porte  :  «  Hischâm  rapporte  que  No'mùn  entreprit  une  expédition 
en  Syrie,  y  Gt  un  grand  massacre,  beaucoup  de  prisonniers  et  de  butin.  C*> 
fut  le  plus  puissant  des  rois  arabes.  Il  avait  sa  résidence  dans  le  Khawar- 
naq .  .  .  ^ 

P.  110,  1.  I  :  Vingt-deux  ans.  D,  E,  I,  K,  B,  L  :  «Vingt-neuf  ans." 
F  ne  donne  pas  la  durée  du  règne. 

P.  1 1 'j ,  1.  7  :  Et  ne  manfjtte pas  de  massacrer j  i>X>*  v^^naJu*.  Ainsi  tous  les 
maniiscriis.  Je  suppose  qu'il  y  a  ici  une  faute,  et  qu'il  faudrait  ^io  y^^^aJij. 

P.  1 1  /i ,  I.  1  /i  :  Djewâm,  D  :  ^«jL^.  A  et  F  ne  donnent  pas  le  nom.  G  dit 
qu'il  était  cbef  des  secrétaires. 

P.  lao,  I.  8  :  IjC  Khdqânfut  mi*  en  fuite,  D,  E,  I,  K,  B,  L  disent  que 
Babràm  lua  le  Kliàqàn  de  sa  main. 

P.  1  aa ,  I.  1 3  :  Bahrdm  en  fit  remise  à  ses  sujets.  G  parle  en  outre  de  trois 
amices  de  l'impôt. 

P.  laâ,  1.  18  :  Mihr-Narsi.  .  .  G  donne  sa  généalogie  ainsi  :   ^ju»OwA-« 

P.  laa,  1.  a'j  :  Son  père  avait  été  vizir  de  ïeidedjerd.  E,  I,  K.  B,  L  :  j»  H 

I  Nai"si  J  avait  pIp  vizir  do  Yezdodjprd.  ^ 


NOTES.  537 

P.  laa,  1.  ùH:  Je  désirerait  posséder.  .  .  Quelques  manuscrit:  ttJe  voiix 
voir  les  villes .  .  .  n 

P.  1  a  5 , 1.  a  a  :  Bddjmas,  A  :  «p^^^^  L).  F  :  ^JJj>J>k^  ^  •  ^  •  /rtyrV?^  ^'** 

P.  I  a5 ,  1.  a5  :  Atmangân,  B  :  sli^xu*. 

P.  197.  Les  manuscrits  A  et  F  ne  contiennent  qu'un  abrogé  des  événe- 
ments du  règne  de  Flrouz  et  de  la  guerre  des  Euthalites.  Les  règnes  de 
Qobâd  et  de  Nouschirwân  manquent  complètement  dans  F. 

P.  137,1.  1 3  :  Le  Clétnent.  Ce  surnom  ne  se  trouve  que  dans  E. 

P.  1 3 1,  1.  1 1  :  Rouschen-Pirouz.  E,  L,  B  :  c->Lo  ^loh.y^  -^jO^  C^J 

})y^  O^})  ^)    f     cJy^*  K  :  .  .  .  Jj^  >vj ...  Ci:  .  .  .^  (J;^ *  •  ' 
G  appelle  la  troisième  ville  Ffrouz-Abâd. 

P.  i3a ,  1.  7  :  Déclara  la  guerre ...  I  dit  que  celte  guerre  eut  lieu  après 
que  Firouz  eut  régné  dix-sept  ans. 

P.  i5a,  chap.  xxx.  Ce  chapitre  ainsi  que  le  suivant  manquent  dans  A 
et  D. 

P.  169, 1.  18  :  Moundsir,  fils  de  Mo^mdn  al-Akbar,  Tous  les  manuscrits 
sont  d'accord  dans  cette  leçon. 

P.  i6â,  I.  6:  Avant  l'époque  de  Nouschirwân.  G  dit  que,  du  temps  de 
Nouschirwân,  ils  Orent  de  nouveau  la  conquête  du  Yemen. 

P.  16/i,  1.  16,  et  p.  169,  I.  8  :  Tobba  le  Dernier.  Quelques  manuscrits^ 
portent  «Tobba*  al-Akbar. n 

P.  171,  I.  3  :  Schdpour,  fils  de  'Uazdd.  F  ne  donne  que  le  nom  de 
Schâpour.  K  :  «Schâpour,  fils  d'Ardeschir.?^  A  et  D  ne  donnent  pas  le  nom 
du  roi.  B  :  «Scb.  fils  de  Kharâd."  Strat-ar-Hasoul  :  « Khorrazâd. ?> 

P.  173,  I.  5  :  'Uanifi',  Tous  les  manuscrits  sont  d'accord  sur  ce  nom.  Us 
varient  seulement  dans  Torthographe  :  j^^^^;»^,  •'^^-V^  ^^  ^^^V^-iV^-  Texte 
arabe  :  ^Lui  ji  oys?  *jL*j<d.. 

P.  I  -5.  H*Tnièrc  ligne  :  Fiminiw.  Les  manuscrits  portent  :  yjyf^- 


538  CHRONIQUE  DE  TABARl. 

P.  1 80,  I.  3  :  //  arriva  f  au  Un*pi  d^Omar.  . .  Ce  récit  est  îolerrompu  au 
milieu,  dans  io  manuscrit  K,  qui  présente  id  une  grande  lacune.  CeslPhi»- 
toire  de  NouschirwâD  qui  suit  immédiatement. 

P.  181,1.  10  :  Tho'lahdn.  Lisez  :  Thalabén. 

P.  i85, 1.  -j^  :  GKanoud.  Texte  arabe  :  B  jb^jl  et  %2>y^. 

P   188,  i.  !iu  :  QùUm.  I)  :  ^^„^  yjy  E,  L,  B  :  ^jAJ\  ^3.  K  :   ^^ 

p.  189,  1.  tii  :  Al~Dêikrâm,  Lisex  :  Al-Dsilcwéni. 

P.  i()o«  1.  la  :  /ycl^IA.  Texte  arabe:    ^U^* 

P.  199, 1.  i3  :  Ndhiê.  Texte  arabe  :  ^r^y^  C^J^' 

P.  193,  1.  9  :  Moifhammei.  Texte  arabe:  /p^V^  C  J^' 

P.  197,  1.  99  :  Atwad  ben-Maqçour.  Ainsi  dans  tot«  les  iuaaiiscrit6. 

P.  916,  I.  1:  ' Ahdoul-Moitalib . , .  Cette  députation  n^est  mentionnée 
(|ue  dans  A  et  G. 

P.  918,  I.  98  :  Sab'hdii.  A  a  passé  le  nom.  E,  I,  K,  B  récrivent 
^jL;j,  qL^^,  etc.  Texle arabe:  (jL<?. 

P.  918,  dornièrc  ligne:  Khour-Khotrou.  A  :  b^w^  y^.^  G  :  ^\--^  ^y^' 
E ,  B  :  Tym^  s^.  K  :  B^  yy^.  Texte  arabe  :  y   .yj?^    >- . 

P.  9 1 9 , 1.  1  9  :  Modd.  Lisez  Moddê. 

P.  990,  L  i5  :  Pendant  deux  ans.  A:  «^Dix  ans."»  G:  «^Plusieurs  années.» 
Ce  manuscrit  attribue  les  faits  qui  suivent  à  Djabala. 

P.  9  93.  Les  chapitres  xliii  et  xliv  ne  se  trouvent  pas  dans  G. 

P.  :)93,  avarft-deniièrc  ligne  :  Vingt-quatre  et  quarante-huit  dirhemê. 
Seulement  dans  E,  1,  K,  B,  L. 

P.  998,  1.  8  :  Avec  une  cotte  de  maiUeM, . .  Les  manuscrits  diflièrent  an 
peu  entre  eux  dans  la  description  do  rarnicnicnt.  F  ne  contient  pas  ces  dé- 
tails. 


NOTES.  539 

V.  339,  1.  1  :  Quatre  mille  dtrhefM,  E,  I,  K,  B,  L:  «Quatre  cenls.'» 

P.  a 3 1, 1.  1  :  Quatre  mille  et  un  divhemg.  E,  I,  K,  B,  L  :  «Quatre  cents  et 
un  dirhems  pour  tous  les  trois  mois.^ 

P.  a33.  Les  manuscrits  E,  B,  K  donnent  dans  nn  tableau  la  constellation 
de  la  naissance  du  Prophète. 

P.  338, 1.  17  :  Maitrou*h.  (j  ajoute:  «Une  affranchie  nubienne.?» 

P.  a 39,  1.  8  :  Vune  Onaisa,  Vautre  Djodsâma.  Les  manuscrits  présentent 
des  leçons  différentes;  ils  donnent  :  a,;v4éuÎ,  Julv^,  «j'^L^,  jui(>^,  ou 

P.  9/1 3, 1.  96  :  Dàr-el-Nâbigha,  Plus  loin,  le  manuscrit  G  écrit  :  Dàr-al- 
Ndbala. 

P.  2kti,  chap.  XLfi.  Ce  récit  ne  se  trouve  que  dans  les  manuscrits  A,  D, 
V.  G  le  donne  plus  loin. 

P.  9  45 ,  I.  261  Ils  ne  pourront  pas  le  tuer.  F  ajoute  :  «H  doit  périr  par  le 
poison  beaucoup  plus  lard.?» 

P.  a/jô ,  I.  1 5  :  Lortque  Nouêchirwdn  demanda  eti  mariage...  Cet  épisode  el 
les  suivants,  jusqu'aux  mots:  Jamais  il  n*y  avait  eu  en  Perte.  .  .  p.  a68> 
I.  17,  ne  se  trouvent  que  dans  les  manuscrits  E,  I,  K,  B,  L. 

P.  a '18,  I.  :î6:  Les  frontières  tout  autour  du  pays.  A,  E,  B,  K  ajoutent  : 
«Duns  la  quinzième  année  de  son  règne. ^  I,  L  :  «Dans  la  dixième  année.n 
D,  F,  G  ne  précisent  pas  la  date. 

P.  968,  1.  a8  :  Sdwè-Schdh,  Variantes  :  Sâwè,  Sâbè,  Sâbè-Schâh,  Sàyè- 
Schâh,  Seyâbè-Schâh ,  etc.  C'est  Schaou-Khan.  (Voyez  Deguignes,  Hist.  de* 
Huns,  t.  II,  p.  970.) 

P.  9/J9,  dernière  ligne:  Haudsa.  L'histoire  de  Haudsa  ne  se  trouve  pa» 
dans  A,  D,  F,  G. 

P.  95o,  I.  91  :  Azddrom.  Texte  arabe  :  jj.*^.»*:^  lT^^J^  "^L)'' 

P.  a5o ,  avant-dernière  ligne  :  Mouknhir  qui  lui  dit . . .  Celte  phrase  dans 


Siù  HHRO^HôLC  DE  I\B%E1. 

4^  Mooka'W.  </<^  '^^id^niaiiat  îiin 


P.  sSs.L  1^  zDt^ém...  Ce»  dîiui»  jv  te  MB  ifte  lUkris-TsciioiibiB 
Q«  Ht  trwn^nt  qcK  «iizk»  i^  maiwwcrit»  E.  I.  £.  B.  L.  Taie  arabe  :  >  j^^ 


^jy»4t  ^^JJ'^y  >**-'^  .  Doas La c^apûrs nhanU.  cpnimant  le» évéoe- 
iD««i$  acriqQi4»  fut  bi*M^  Bahrim-TidL  W  ntamncrits  A,  D.  F.  G  ne  doo- 
iMBt  qo^  I9  fiub  prizMÎpaax.  Tai  trwivl  sor  l<s  aotra  mauiaacnLs. 


P.  :i5i.  L  14  :  GwT]^iM.  Lo  auniKicnl»  potienl  .w^iCToa    .%mi^. 

P.  ^66.  L  1 1  :  Y^zdmA^kKk.  E :  - YoiIftiibeUudieKli. ^ 

P.  st>6. 1.  1 6  :  Lm  ckaim. . .  F  ajooie  a  ces  obi<is  une  robe  de  couletir. 

P.  999 .1.  10:  Sckiz.  Les  maDosmls  donoeot  v^'  <>*> 

P.  999.  L  1  :  K'jmrénff.  E,  k,  B  :  \^S.\*  :  fS^-f- 


P.  3o9.  A  partir  do  diapitre  ui,  le  texte  des  manoKrils  A,  D,  F,  G 
s'accorde  de  oooïeaa  (sauf  les  difierenoes  dans  les  dêlails)  avec  le»  autre» 
ruanuschls. 

P.  3o9,  1.  à  :  In  frère.  D  :  tL'd  général  qui  recevait  chaque  jour  mille 
dinars.?» 

P.  3o9,  afant-demière  ligne  :  Ln  oficier.  E.  K.  B  ajoutent  :  vXommé 
Merdânscbâh.-n  I,  L:  eKharridbardn.'v 

P.  3o3, 1.  30  :  Bakrdtn  mail  une  gœur.  G  ne  parie  pas  de  Kourdi^è.  E,  F, 
D  portent  seulement  que  le  Khâqàn  renvoya  Kourdiyè  â  Madâîn.  I,  K,  L  ne 
mentionnent  pas  son  mariage  avec  Bo8t4m  ni  h  mort  de  œ  dernier. 

P.  3 0/1,  I.  3  :  Trente-huit  ans.  Tous  les  manuscrits,  sauf  G,  disent  que 
Panrlz  vécut  sur  le  trône  trente-huit  ans  depuis  la  mort  de  BahrAm.  F  porte  : 
"trente-sept  ans.?»  —  Les  manuscrits  A,  D,  F  ne  donnent  qu^un  récit  très- 
abrégé  des  dentiers  règnes  sassanides.  J^ai  suivi  les  antres  manuscrits. 

P.  3o6,  i.  ait  <*l  'j6  :  Ferroukkdn.  TexU»  aralw  :  ^J^J^  *  ^^*^**^-  Texte 


NOTES.  541 

P.  3 10,  1.  11  :  AtiSfJiU  d^Almotujarrin.  1,  L  :  t^Owaïs,  fils  d^Alm.n  G, 
.seulement  «  Aus.»  F  ne  donne  pas  le  nom  de  ce  personnage. 

P.  3 1 9 , 1.  a 6.  Cette  description  est  donnée  dans  les  manuscriU  en  arabe 
et  en  persan ;j*ai  traduit  sur  le  persan,  qui  ne  correspond  pas  entièrament 
au  texte  arabe.  (Pour  ce  texte  voyez  Journal  asiat.  i838,  novembre,  p.  687; 
—  Caussin  dePerceval,  Euai  sur  T histoire  de»  Araheê,  t.  fl,  p.  i63.) 

P.  3 1 3 , 1.  1 8  :  Par  derrière.  Le  manuscrit  I  porte  cj^ ,  au  lieu  de  o^ 
des  autres  manuscrits. 

P.  3i5,  1.  97  :  Mo'hammed  hen-Djarîr.  . .  ('e  passage  ne  se  trouve  que 
dans  le  manuscrit  G. 

P.  317, 1.  3  :  MofUadjarrada ,  d'après  G.  I,  L  :  «Djerîdè.7» 

P.  3 1 9 , 1.  1 3 ,  et  p.  39 1 ,  avant-dernière  ligne  :  Uâmarz  ...et,..  Hormuz- 
Kharrâd.  G  :  (?Hâmoun.  .  .  et  Hormuz.n 

P.  39  1,  dernière  ligne  :  YezidyfiU  de  MouscKir.  I  :  «Yezld,  fils  de 
Hischâm.7)  K,  L  :  rZaïd,  fils  de  Hâschim.»  E,  B  :  «Zaïd,  fils  de  Qâsim.') 

P.  3a9  , 1.  6  :  YeûdffiU  de  MouêcKir.  G:  «Yeiîd,  fils  de  Mas'oiid.w  E,  I, 
K    B ,  L  :  «  Yeztd ,  fils  de  ^y^mj» ,  J^ty^-^^  ou  J^^*  " 

P.  39  9, 1.  9  :  Mazyad.  Texte  arabe  :  <vBourd.r? 

P.  399,1.  2/1  :  Et  qui  est  encoi-e  parlée.  .  .  Cette  pbrase  ne  se  trouve  que 
dans  G. 

P.  398,  1.  1 1  :  Mille.  G  :  «Vingt  mille. ^ 

P.  33o,  1.  i3  :  Zdboul.  Ainsi  E.  Les  autres  manuscrits  portent  J^L. 
B  a  ici  une  lacune. 

P.  33o ,  1.  1 5  :  Qui  avait  encore  un  autre  gouventeur . . .  d'après  G. 

P.  33i,  1.  92,  et  p.  345,  1.  90  :  Mihr-Hormuzd.  G  :  «Mihr-Merd.'»  Le 
même  manuscrit  dit  qu'il  partit  pour  Zâboul  et  fut  gouverneur. 

P.  332 , 1.  93  :  Dm  jour  d'adsar.  G  :  "Le  premier  jour  du  mois  d'adsar.n 
K  :  ffUne  nuit  du  mois  d'Adsar.-» 


542  CHROMQUE  DE  TABARI. 

P.  'd'V.\,  I.  7  :  Pendant  qu'il  JatMoit  encore  oh9Cur.  Maniiscrîls  :  ^jùl  ^ 

p.  33^1 ,  i.  1 9  :  DjalniouM.  G  :     mtJL^. 

P.  336,   1.  no  :  UJàdekhmê,  lisez  h/éd-KhaM.  G:  ^ ^U^.  I: 

.f*.f^^  ^Ucm»,  L  :  (rlsfâd-'Hasin.'^ 

P.  339,  1.  8  :  Le  roi  d*!ndottan,  .  .  <■:  trLe  roi  d'Indoslan  envoya  à  r)ia- 
cun  de  vous  une  lettre." 

P.  366, 1.  a3  :  Lui/ut  le  dix-septième.  I  ajoute  :  <rEt  rainé.*" 

P.  366,  1.  a  6  :  Après  que  SclUrouieut  tué  ses  frères . .  .  Avant  ce  passage, 
les  manuscrits  E ,  I ,  K ,  B ,  L  donnent  encore  une  fois  le  récit  de  Tambas- 
sade  envoyée  par  Parwtz  à  Mo'hammed  et  à  Bâdsftn ,  presque  dans  les  mêmes 
termes  que  ci-dessus,  p.  396.  Ils  ajoutent  seulement  que  Bàdsân,  convaincu 
de  la  vérité  de  la  mission  de  Mo'haromed ,  à  cause  de  sa  prédiction  de  la  mort 
de  Parwiz,  se  convertit  à  Tislamisme,  lui  et  tous  les  habitants  du  Yemen. 

P.  367,  chap.  u.  Les  manuscrits  A  el  F  passent  complétcnMînt  le  règne 
d^Ardeschir. 

P.  367,  L  19  :  Mihr-  Hasi».  E,  B  :  rMihr-Khai»îs.'>  G  ;  y^^  -A>»-  L  : 
f'Mihr-'Hasîii'^.  Texte  arabe  :     -^«.^  j^l^. 


P.  367,  I.  f«5  :  Schehrizdd.  Les  manuscrits  donnent  tantôt  ^I^l^^4-à,  tan- 
tôt ^Ilj!^^  <»ii  3l->i^^.  Texto  arabe  :  ,jU^^- 

P.  369,  I.  7  :  Fsafrouh.  A  :  P  Ju*.  G:  ^^^Am'i.  E,  B:  ^^Jui^.  ï,  L  : 
--4  jLm».  K  :  ^yA^'  Texte  arabe  :  ^  •  iu*5.  G  dit  qu'il  était  garde  du  roi. 

P.  369,  i.  2O  :  La  n'oix.  G  ajoute:  <t Quelques-uns  disent  qu'elle  avait  été 
brûlée,  d'autres  que  Kesra  l'avait  placée  dans  son  trésor,  t» 

P.  35o,   i    H:  Khouschensadè.  G  :   g j>.m ^.w,*^ .  E,  B  :  c».;^i-;ai.  I,   L  : 
.  K  :  ï^cV'NAÂ^.  Texte  arabe  :  8t>.....Â.Ù'%. 


P.  35o,  1.  <j.  A  la  fm  du  rhapitro,  G  ajoute  :  «tMais  ce  récit  n^est  pas 
'\act.  " 

P.  35{»,  i.  18  :  Ferroukh-Hoimuzd.  A  :  «FerroukhiAd.?*  D'après  ce  même 


NOTES.  5âS 

luaniiscrit,  Rousleni  vient  du  Khorâsân  avec  soixante  et  dix  nûiie  hommes, 
marche  droit  sur  le  palais  d\Azermldokht,  investit  le  palais,  fait  sortir  la 
reine  et  lui  fait  suhir  les  outrages  de  vingt  Abyssins.  Après  la  mort  d^Axer- 
mjdokht,  on  fait  monter  sur  le  trône  un  homme  nommé  Ardeschir,  ensuite 
un  descendant  de  Nouschirwâu ,  puis  un  descendant  de  Ferroukhzàd,  qui 
régna  six  mois,  enfin  Yezdedjerd. 


P.  35a,  1.  8  :  hlthr-HatU.  E,  B  :  Ji-^-»^  et  JU^ià^.  K  :  ^px-.^.  G  : 

p.  35s,  1.  17  :  KhwTâd-Khotrou.  Texte  arabe:  (^KhourrzÂd-Khosrou.') 

P.  359 ,  I.  a  '1  :  F(rouz  jfiU  de  Mihrân.  G  :  «  Fils  de  ^j-ou-c*..  »  Texte  arabe  : 
"  .  .  .  fils  de  .  y'^^-ry  [w^  1  nomme  aussi  ScVn««Ju*^.  y> 

P.  353,  1.  ao  :  Quatre  ans.  G:  n  Quarante.^  F:  «  Quatorze,  n 

P.  35^1,  1.  6  :  Dqniii  le  temps.  .  .  Les  manuscrits  présentent  dans  tous 
ces  chiffres  de  nombreuses  variantes,  qu'il  est  inutile  de  relever. 

P.  356,  chap.  lxvi.  Les  manuscrits  A  et  F  n'offrent  qu'un  texte  très- 
abrégé. 

P.  359 ,  1.  8  :  Tazkin.  xManuscrits  :  ^>^X^ • 

P.  363,  1.  ai  :  Nadhr.  E,  K,  B  :  JiJ. 

P.  366,1.  i3:ZoAra.  E,I,  K,B,  L:   0jl. 

P.  366,  L  93:  Ditnrddj.G:  ^l^'^.V:  ^f^.E,l,K,B,  Lr^l^^l.J'ai 
corrigé  diaprés  le  texte  arabe. 

P.  365,  L  a  :  'HolmlyfiU  de  'llohaschiya;  1.  18  :  AbowGhoubschân.  Ces 
noms  sont  méconnaissables  dans  les  manuscrits. 

P.  366,  1.  17  :  On  n'avait  jamais .  . .  G  :  «Personne,  avant  lui,  ne  les 
avait  désignés  par  ce  nom.  n 

P.  366,  1.  39  :  QuoiquH  n'eùl  pan  utte  ip-ande fortune.  E,  I,  K,  B,  L  : 
ff  FI  avait  une  grando  fortune.  » 


5U  CHRONIQUE  DE  TABARL 

P.  367, 1.  5  :  Les  homme»  df  Qoçayy  i* appelaient,. .  G  :  «Les  hommes  de 
Qoçayy  rappelaient.  . .  r^ 

P.  370, 1.  8  t  *Abd  ben-Qoçtttfy,  lisez  Abd-Qoçayy.  F  :  (jfi3, 
P.  370,  1.  la  :  Moghira,  E,  I,  L  :  is\^c*.  K  :  wl*. 

P.  377,  1.  a5  :  'Abdallah  et  Ahou-Tâlib E,  I,  K,  ajoutent  :  «Le 

surnom  d"* Abdallah  était  Abou- Abdallah ,  et  le  nom  d^Abou-Tâlib/Abd-Ma- 
nâf.» 

P.  379, 1.  i/i  :  Dam  sa  maiion.  E,  K,  L,  R:  «L'emmena  à  la  Mecqiie.?) 
P.  379, 1.  17  :  Oumm-lqbâl.  Texte  arabe  :  jLj  aI. 

P.  384.  L  6  :  'Amr.fiU  d'Aêad.  E,  I,  K,  B  :  «Asad.»  A  :  «'Amr.n  G: 
jw^l  ^  ^yiu^.  L  :  «Asyad.?» 

P.  395,  1.  Qi  :  Car  je  iw  peux  rien  faire.  .  .  Le  copiste  du  manuscrit  F, 
schfitc  pins  ardent  que  les  copistes  àea  autres  manuscrits,  ajoute  :  s'cV-^^f 
^j  .1  J|  Joi  ;  de  même  en  d'autres  endroits. 

P.  399,  ].  ak:  On  rapporte  diaprés. . .  Ce  passage ,  jusqu'aux  mots  Abou- 
Djahl.  .  .  parla  ainsi,  p.  /io  1, 1.  37,  ne  se  trouve  complet  que  dans  F  et  G. 

P.  âoo,  1.  95.  Après  ces  vers,  F  ajoute:  r. Il  est  étonnant  que  Mo'ham- 
med  ben-Djarir  n'ait  pas  rapporté  ces  vers  dans  son  ouvrage,  car  les  récits 
confirmés  par  les  poètes  et  les  pièces  de  vers  sont  les  plus  exacts,  n  II  est 
à  remarquer  que  ces  vers  $0  trouvent  cependant  dans  le  texte  arabe  d** 
Tabari. 

P.  600,  1.  sT)  :  J*ai  lu  dan*  toutes  les  traditions.  .  .  E,  I,  K,  B,  L:  •'Quel- 
qucs-uos  disent  qu'Abou-Bekr  tint  socret.w  G  :  «  .  .  .ne  tint  pas  secreL?» 

P.  hoûy  I.  97  :  Mo*hammed  ben-Djarir.  .  .  Cette  phrase  se  trouve  s/»nlo- 
ment  dans  le  manuscrit  A. 

P.  /io3.  Enlre  le  récit  de  la  conversion  d'Abou-Bckr  et  celui  de  la  con- 
version d'*Omar,  le  manuscrit  G  intercale  un  récit  intitulé  :  «Récit  des  Renf- 


iNOTES.  545 

Khozâ'a  el  des  Benî-Tibània ,  et  des  miracles  du  Prophète.?)  Les  deux  tribus 
des  Khozâ'a  et  des  Tihâma,  habitant  le  Tâïf,  avaient  une  idole  d'une  hau<^ 
teur  immense,  dans  IMnlorieur  de  laquelle  se  trouvait  un  diw  qui  parlait  aux 
adorateurs.  Les  femmes  des  deux  tribus  s'étant  disputées  un  soir  sur  la  pré- 
éminence, leurs  maris,  pour  vider  la  querelle,  prirent  les  armes.  Leur  chef, 
nommé  'Abdallah,  s'interposa.  Alors  Dieu  leur  fait  annoncer  par  la  voix  de 
range  Raphaël,  à  trois  reprises,  du  premier,  du  deuxième  et  du  troisième  ciel, 
que  le  plus  parfait  de  tous  les  hommes  est  Mo'hammed,  a  la  Mecque.  Ils  en- 
voient un  jeune  homme,  nommé  *Amrou,  pour  prendre  des  informations  sur 
Mo'hammed.  'Amrou ,  arrivé  à  la  Mecque,  interroge  successivement  un  berger 
dWbou-Djahl ,  puis  Walid,  fils  de  Moghaïra,  'Omar  et  Abou-Djahl,  qui  lui 
disent  qu'il  n'y  a  pas,  à  la  Mecque,  d'homme  appelé  Mo'hammed.  Ensuite 
Abou-Djahl  achète  à  'Amrou  ses  bagages,  et  refuse  de  lui  en  payer  le  prix. 
Enfin  'Amrou  trouve  Mo'hammed,  qui  se  rend  à  la  maison  d'Abou-Djahl  et  le 
force,  en  accomplissant  une  série  de  miracles,  à  donner  l'argent.  Une  pierre 
salomonienne  qu'Abou-Djahl  veut  jeter  sur  Mo'hammed  se  fixe  sur  son  cou, 
se  rompt  ensuite  en  deux  moitiés,  dont  l'une  s'arrête  au-dessus  de  la  tête  de 
Mo'hammed,  en  lui  donnant  de  l'ombre,  etc.  Le  lendemain,  Mo'hammed, 
en  présence  de  quinze  cents  incrédules  réunis  au  Dâr-eti-ISadwa,  accomplit 
de  nouveaux  miracles.  Il  fait  sortir  d'une  pierre  un  arbre  chargé  de  feuilles 
et  de  fruits.  Cet  arbre,  s'élanl  élevé  jusqu'à  la  hauteur  de  Mo'hammed,  lui 
demande  la  permission  de  s'élever  plus  haut,  et  rend  ensuite  témoignage  de 
sa  mission  prophétique,  en  faisant  entendre  les  paroles:  9 II  n'y  a  pas  de 
dieu  en  dehors  d'Allah,»  etc.  Enfin  le  Prophète  change  le  jour  en  nuit,  fend 
la  lune  en  deux  moitiés,  el  en  fait  descendre  une  moitié.  Les  incrédules  lui 
demandent  ensuite  de  ressusciter  les  morts  et  de  faire  apparaître  les  anges. 
Alors  Gabriel  apporte  le  verset  du  Coran  :  «Quand  même  nous  ferions  des- 
cendre les  anges ,  n  etc.  (  Sur.  vi ,  vers.  111.) 

P.  /io3,  1.  3  :  Une  aœur.  E,  I,  K,  B,  L  :  r Nommée  'Hafça.^ 

P.  lioU,  1.  i3  :  Troie  an*  après.  G:  "Mo'hammed  ben-Djarîr  dit  que  le 
Prophète  prêcha  publiquement  l'islamisme,  trois  ans  après  avoir  reçu  su 
mission;  d'après  d'autres  traditions,  la  prédication  eut  lieu  dans  la  pre- 
mière année.  *» 

P.  i^o6,  1.  18  :  Notre  patience  ett  à  bout.  .  .  Toute  la  suite  du  chapitre, 
II.  35 


S4é  «HROMQCE  DE  TABARi. 


•auf  rcpMode  d*Oqba .  manque  dai»  Ici  maniMcnto  A  e<  F  :  de  nk^me  U  pins 
jurande  partie  da  ^  bapitre  fanant. 

P.  &09,  dernim  ligne:  y4  k  Ir^  ir  Zokrm.  G  :  ?  A  la  thbo  de  Makk- 
loum.^ 


P.  &  1 1,  L  9 1  :  /(ff  libviil  é  Wmlii. . .  Cette  propodiioo ,  d^aptès  le  maoas- 
crit  G ,  est  (aile  par  Walld  loi-méme. 

P.  A 1  & ,  1.  1 7  :  Ohmfyf  fié  ir  Kkdt^.  Les  manoKrita  varient  entre  : 
vObayy,«  et  «Omayya.)»  A,  E,  B  donnent  d^abord  :  «Omayya,*  pins  loin  : 
-Obajy-Kbalaf»  («^).  L  :  «^  Abou-Klialai:* 

P.  /i3i,  l.  k  :  'Abd-Yaia.  F  :  «r'Abd-MâKk.*^  Les  autres  mannsnits  :  ^'Am- 
rou.  y*  A  et  F  ne  donnent  pas  le  nom  du  père. 

P.  A35, 1.  16:  AkhnoM.  Ti,  E,I,  K,  L,  B  :  y^  ^  /j-^'-  A,  F  :   y^^^ 

p.  hZg ,  1.  1  :  RdJtfJUi  de  Mâlik.  Les  manuscrits  donnent  :  «'Hâritha  ben- 
Tha'lalia.')  Tai  corrigé  d'après  le  texte  arabe. 

P.  /160, 1.  h  :  'Abbés.  A  :  <Jl«â3  ^  s^Uc,  ce  qui,  sans  doute,  est  une 
corruption  du  «JLôJ  ^  ii^Uc  ^  tr^^  ^"  ^^^  Arabe.  Les  autres  ma- 
nuscrits remplacent  ce  nom  par  celui  de  sj^, 

P.  /i6^i,  1.  ii8  :  Aui'Monât.  Les  manuscrits  portent  s^il  ou  s^L;;  mé- 
prise du  traducteur.  Le  texte  arabe  porte  Aus-Allah.  J*ai  corrigé  d'après  le 
Sirat-er-RoiouL 

P.  /i45,  I.  10  :  ' Abdallah,  JU*  d^'Amrou.  Les  manuscrits  portent  :  "'Abd- 
allah, fils  de  Djâhîr.T) 

P.  /i/17,  I.  il 5  :  AUié.  Les  manuscrits  portent:  wj^j^J'^^JC,  traduction 
inexacte  du  mot  (..^Jl^  du  texte  arabe. 

P.  hhgy  I.  1  il  :  Avec  un  chef  nommé  Adattah.  I,  G  :  <r Nommé  Sa'd,  fils 
de  Mo'Ads.^  E  ne  donne  pas  le  nom. 

P.  /i6i,  chap.  LX«.  Celte  version  est  la  seule  qui  se  trouve  dans  A  et  F. 


NOTES.  5A7 

P.  666 y\.  u3  :  Mohammed.  Ainsi  les  manuscrits  persans  et  le  texte  arabe. 
Sirai-nr-Ragoul  :  «  Modjdf .  n 

P.  666,  avant-dernière  ligne:  Ahou%Walid ,  d'après  G.  E,  I,  B,  L: 
«Abou-Ayyoub.rj  A ,  F  n'ont  pas  celte  phrase.  K  ne  donne  pas  le  nom. 

P.  667,  l.*8:  Motlalib.  Manuscrit:  K'Abdou'i-Motlalib.'î  J'ai  comgé  d'a- 
près le  texte  arabe. 

P.  667,  1.  17  :  Mi3ta*h.  Les  manuscrits  E,  I,  K,  B,  L,  qui  seuls  con- 
tiennent ce  passage,  donnent  ^IjI  ^  ^JL.^.  J'ai  corrigé  d'après  le  texte 
arabe. 

P.  667,  1.  :i'j  :  '0tba„JU9  de  Ghazawdn,  d'après  le  texte  arabe;  les  ma- 
nuscrits persi'ms  donnent  :  «'Otba,  fils  d"Amrou.7) 

P.  668 ,1.  1 6  :  Kharrdr.  Manuscrits  persans  :  ^  ly^ ,  etc. 

P.  669,  1.  5:  Mak'hscht,  d'après  le  texte  arabe.  Les  manuscrits  persan» 
donnent ,  .^--^  et  \j.\Xa. 

P.  670, 1.  1 1  :  DtdlHtu'l'Sdij.  Les  manuscrits  persans  donnent  *XswI  liu» 
comme  nom  de  la  station ,  et  LwjJI  c:)!^,  comme  nom  de  l'arbre. 

P.  670, 1. 1 9  :  Çok'hairat-al-Thotndm.  Manuscrits  persans  :  3L«y  I  ^Lo. . . 
Siral-ar-Basoul  :  >»LcJt    «o.  J'ai  corrigé  d'après  le  Merdcid. 

P.  670, 1.  ao:  Mouschtarib.  Manuscrits  persans:  c^^:^.  Le  texte  arabe 
de  Tabari  ne  contient  pas  ces  détails.  J'ai  corrigé  d'après  le  Sirat. 

P.  '170,  1.  ;î5  :  Motledj f  d'après  le  text<>  arabe;  les  manuscrits  persans 
donnent  :  'r  Beni-Lahlim.  <) 

P.  671,  chap.  Lxixv.  Les  manuscrits  E,  I,  K,  B,  L  racontent  d'abord  la 
poursuite  de  Koua  (ils  portent:  r'Amr,  fils  de  Djâbîr»)  et  appellent  cette 
expédition  colle  ttd'Anwat;^  ils  mentionnent  ensuite  en  quelques  mots  l'ex- 
pédition du  petit  Bedr,  à  laquelle  ils  ne  donnent  pas  d'objet  détenniné. 

P.  671,  1.  16  :  Le  Prophète  n* avait  pas  phcoiw  mané. . .  D'après  les  manus- 
crits £,  I,  K,  B,  L,  le  mariage  avait  eu  lieu  avant  ces  expéditions.  Fâtima 
n'était  âgée  que  de  treize  ans.  'Ali  ne  la  conduisit  dans  sa  maison  qu'au  mois 
d<»  çiifar. 


548  CHKOMQU£  DE  TABARI. 

F.  .^7^,  I.  1  1  :  M-'Hakm^JiU  lUKaiiôn.  d'après  le  teiU*  arabe;  les  iiia- 
iiuincrils  persans  portent  :  -Al-'Hakm,  fils  de  Ka'h,  et  Hischâm,  fils  de 

H  y  a  dans  le  manuscrit  A  une  interversion  de  plusieurs  chapitres,  prove- 
nant, sans  doute,  du  manuscrit  que  le  copiste  a  eu  sous  les  yeux.  Les  évé- 
urnienb,  depuis  reipédilion  de  Qoroud  jusqu'à  Teipédition  de  Tbaqif ,  sont 
int'Tcalés  entre  le  récit  de  reipédilion  de  Yanbou'  et  celle  du  petit  Bedr. 

P.  à8o,  1.  ai  :  Trott  cent  teiie hommn .  . .  Les  maniiscrits  £,  I,  K,  H,  L 
donnent  les  cbiflres  de  Zko  et  de  36o.  F,  (î  :  3i3. 

P.  68 1 ,  dernière  ligne  :  Basboi . . .  Les  manuscrits  Yarient  entre  «  A'hmed , 
Mo'hammed,  fik  d^Açim,  Mo'hammed,  bis  d**Amir,9  etc.  J'ai  pris  ces  uoms 
dans  le  texte  arabe,  ainsi  que  ceux  de  la  page  689, 1.  1  et  suiv. 

P.  69 1 , 1. 1 5  :  'Otba  a  la  coliqve.  Le  texte  porte  :  3U5 1  ^j»^  ^L ,  traduc- 
tion inexacte  de  Tarabe  <^^^  ÂajÎ.  Ce  sobriquet  d*Abou-Djahl  est  ex- 
pliqué par  le  passage  suivant,  qui  n'est  pas  de  nature  à  être  traduit  et  dont 
je  n'ai  donné  qu'un  extrait  :  <a--»v^  d^-^y  v5^ly>  ^J!.^yJJL0  y  ^/^. . . 

(j-^j';  ciV  ^•^  ^'i  c^^;^'^^  o'  o^^  c5^'  <-^j3'  o^^ 
'^^  yi)  (j'>^'  j  ^)))  tr*  *^^oy  *^^y^  ûLCU  ,jl  (jixjjIà 

p.  5 1 A ,  1.  6  :  Le  lendemain  de  la  bataille.  K ,  K ,  L ,  B  ajoutent  :  tr  Qui  eut 
lieu  le  samedi.  T)  I  :  r  .  .  .  le  vendredi." 

P.  :)  1  ^ ,  i.  1 9  :  Al-Haisoumdn,  d'après  le  texte  arabe,  qui  donne  encore  un 
autre  nom  :  rr'Haisouba,  fils  de  'HÂbis.»  Los  manuscrits  persans  présentent  ce 
dernier,  mais  presque  méconnaissable. 


TABLE  DES  CHAPITRES. 


AVBRTISSBVE.'VT I 

(iHAPiTRi  I.  Histoire  d'Ardeschfr,  6is  de  Bâbek i 

II.  Histoire  de  Djadslma  ai-Abrasch i  o 

m.  Histoire  de  la  guerre  de  Djadsima  avec  'Amrou,  fils  de 

Dhareb 17 

IV.  Histoire  d^'Amrou,  fiis  d"Adi sa 

V.  Histoire  de  'Hnsan,  fils  du  Tobba',  roi  du  Yemen 99 

VI.  Histoire  des  gens  de  la  Caverne 3a 

VII.  Histoire  de  Jonas,  fils  de  Mataî Uk 

VIII.  Histoire  des  deux  apôtres  secourus  par  un  troisième. ...  5o 

IX.  Histoire  de  Samson 53 

X.  Histoire  de  Georfjes 5& 

XI.  Histoire  dWrdcschîr,  fils  de  Bâbek 66 

XH.  Histoire  du  règne  de  Schâpour 76 

XIII.  Histoire  du  règne  d'Hormuzd 85 

XIV.  Histoire  de  Bahrâm,  fils  d'Hormuzd 89 

XV.  Histoire  du  règne  de  Bahràm,  fiis  de  Bahràm,  et  de  ses 

successeurs 90 

XVF.  Histoire  de  Scliâpour  DsouM-Aktâl. 91 

XVII.  Histoire  d'Ardeschfr,  fils  d'Hormuzd loî 

XVIII.  Histoire  de  Schâpour,  fils  de  Schâpour loa 

XIX.  Histoire  de  Bahrâm,  fils  de  Schâpour io3 

XX.   Ilisloir*»  de  Ye/.d<Mljord  al-Alhim 10.^ 


550  TABLE  D£S  CHAPITRES. 

Pagw. 

Chap.   XXI.  Histoire  de  Bahrémgour,  fils  de  Yezdedjerd lo 

XXII.  Histoire  du  règne  de  BahrAmgour 118 

XXni.  Histoire  de  Yeidedjerd,  fils  de  Bahrâm 1  ti-y 

XXIV.  Histoire  de  Ffrouz,  fils  de  \eidedjerd to8 

XXV.  Histoire  de  Firouz  et  de  Khouschnewâz ,  roi  des  Heyâte- 

lites i3i 

XXVI.  Histoire  de  la  guerre  de  Souferaï  contre  Khouschnewàz . .  1  /i:i 

XXVII.  Histoire  du  règne  de  Balâscb,  fils  de  Firouz ikh 

XXVIII.  Histoire  du  règne  de  Qobâd,  fils  de  Fîrouz 1^6 

XXIX.  Histoire  de  Mazdak 1 48 

XXX.  Établissement  de  Timpôt  du  temps  de  QobAd  et  de  Non- 

schirwân 1 5s 

XXXI.  Relation  de  la  mort  de  Qobâd 1 5& 

XXXII.  Règne  de  Nouschinvân,  fils  de  Qobâd 1 69 

XXXIII.  Le  Tobba'  fait  un  pèlerinage  à  la  Ka'bn  et  la  fait  couvrir.  16& 

XXXIV.  Règne  de  Rabî'a ,  fils  de  Naçr,  le  Lakbuiite,  roi  du  Ycmen.  1 G9 
XXXV.  Règne  de  'Hassan  et  de  ses  frères 171 

XXXVI.  Histoire  de  la  conversion  des  habitants  de  Nadjrân  au 

christianisme .  1 7  5 

XXXVII.  Histoire  des  gens  du  Fossé 179 

XXXVIII.  Histoire  de  la  conquête  du  royaume  du  Yemen  par  los 

rois  d'Abyssinie 181 

XXXIX.  Histoire  de  Texpëdition  d^Abraha  contre  la  Ka'ba 188 

XL.  Histoire  du  règne  de  Yaksoum,  fils  d*Abraha,  dans  le 

Yemen ao3 

XLI.  Histoire  du  règne  de  Saif,  fils  de  Dsou-Yezen,  dans  le 

Yemen 217 

XLII.  Histoire  du  règne  et  de  la  grandeur  de  Nouschirwân. ...  919 
XLIII.  Comment  Nouschirwân  établit  Timpôt  et  rendit  la  jus- 
tice   -jaS 

XLIV.  Organisation  de  Tarmée 337 

XLV.  Naissance  du  Prophète a33 

XLVl.  Histoire  du  moine  Ba'hirà 'lUU 

XLVÏI.  Histoire  du  règne  d'Hormuzd,  fils  de  Nouschirwân a46 

XLVIII.  Histoire  de  Bahrâm-Tsclioubin  et  de  ses  combats 9  53 

XLIX.  Combat  du  fils  de  Sâwè-Schâli  avec  Bahrâm>Tschouhin. .  96^ 

L.  Hisloin»  de  la  rôvolte  de  Bahrâm-Tschoubîn i<6(» 


TABLE   DES   CHAPITRES.  55t 

Pages. 

Chap.       LI.  Parwiz  et  Bahrâm-Tschoubin 27/1 

LU.  Panviz  et  le  César  de  Roum.  —  Il  ramène  une  armée  à 

Madâïn a86 

LUI.  Règne  de  Parwtz  après  la  fuite  de  Bahrâm-Tschonbfn. . .  399 
LIV.  Dernières  aventures  de  Bahrâm-Tschoubfn  dans  le  Tur- 

kestân 3o9 

LV.  Suite  du  règne  de  Parwiz.  —  Ses  richesses 3o& 

LVI.  Récit  des  signes  et  miracles  du  Prophète 3o5 

LVII.  Histoire  de  la  guerre  de  Dsou-Qâr 809 

LVIII.  Lettre  du  Prophète  à  Kesra-Parwiz SaS 

LIX.  Schîrouï  tue  son  père.  —  Règne  de  Schîrouï SaS 

LX.  Règne  d'Ardeschir,  fils  de  Schîrouï 8^7 

LXI.  Règne  de  Schehrahrâz 348 

LXII.  Règne  de  Pourândokhl,  fille  de  Parwiz 3i!i9 

LXIII.  Règne  d^Azermidokht,  fille  de  Parwîz 35o 

LXIV.  Règne  de  Kesra,  fils  de  Mihr-'Hasfs,  [et  de  ses  succes- 
seurs 1 35a 

•    LXV.  Sur  la  différence  des  systèmes  chronologiques libit 

LXVI.  Généalogie  du  Prophète 356 

LXVII.  Mariage  du  Prophète  avec  Khadidja 38o 

LXVIII.   Reconstruction  du  temple  de  la  Ka'ba 385 

LXIX.  Mission  de  Mo'hammed 890 

LXX.  Conversion  d'Abou-Bekr  eç-Ciddîq 897 

LXXI.  Conversion  d"Omar,  fils  d'Al-Khattéb 4o3 

LXXII.  Prédication  publique  de  Tislamisme hoU 

LXX  m.  Fuite  des  compagnons  du  Prophète  en  Abyssinie.  —  Con- 
version de  'Hamza /i  1 7 

LXXIV.  Départ  du  Prophète  pour  Tâïf. /ia9 

LXXV.  Apparition  d'une  troupe    de  péris  qjii  adoptent  l'isla- 
misme   /i3/i 

LXXVI.  Fuite  du  Prophète  de  la  Mecque  à  Médine ^187 

LXXVII.  Arrivée  du  Prophète  et  d'Abou-Bekr  à  Médine /i5o 

LXXVIII.  Le  Prophète  fixe  Tannée  et  le  mois  de  Tère  de  THégire. .  liha 
LXXIX.  Fuite  du  Prophète  avec  Abou-Bekr,  d'après  une  autre 

vei-siou ii^n 

LXXX.  Autre  récit  de  la  fuite  du  Prophète /161 

LXXXI.  Premières  expéditions  du  Prophète /i65 


552  TABLK   DKS   CHAPITRES. 

CaAP.    LXXXII.  Expédition  de  Waddân  et  d'Abwâ k^ 

LXXXIII.  Expédition  de  Bowât &5q 

LXXXIV.  Expédition  de  Dsât-oul-'Oschaïra ft'vo 

LXXXV.  Première  expédition  de  Bedr ft^i     •     i 

LXXXVI.  Expédition  de  Batn-NakhI ft.^,        À 

LXXXVII.  Changement  de  la  Qibla ^nn        Û 

LXXXVIII.  Etablissement  du  jeûne  de  ramadhân knB         \ 

LXXXIX.  Histoire  du  grand  combat  de  Bedr A8o         ^ 

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t)RlENT&L  TBANSLATION  TVmi 


CIlHOMOIiK 


T\BARI, 


CUl   M.  llfilUU^.V  ZIlTf.MlhKI.. 


TOMI!  DKlKlIiMr 


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